Sartre : « Il ne faut pas désespérer Billancourt. » | L’Histoire en citations
Sartre : « Il ne faut pas désespérer Billancourt. »
Citation du jour

 

Les citations apocryphes se multiplient à l’époque contemporaine où l’on cite à tout-va, parce que c’est la mode ou c’est commode. Avec l’abondance des sources, elles sont plus faciles à traquer, voire à « sourcer » si possible. L’essentiel est de décoder, contextualiser. Sinon, prudence ! S’abstenir de citer.

« Il ne faut pas désespérer Billancourt. »2907

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), « d’après » Nekrassov, créé au Théâtre Antoine, 1955

Mot apocryphe ou, plus exactement, tour de passe-passe. Nekrassov est un malentendu : pièce à message, jugée communiste par les anticommunistes et anticommuniste par les communistes, c’est un échec théâtral.

Le mot est aussi un bel exemple de « récupération », ce que Sartre déteste et nomme « le baiser de la mort ». Mais c’est une manipulation, donc la preuve de l’importance du texte. Il a écrit deux répliques : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». La contraction des deux donne cette fameuse phrase. Qu’il n’aurait jamais dite, même si le mot lui a été prêté, en Mai 1968.

Il le pensa peut-être, le 4 novembre 1956, quand 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie pour écraser la tentative de libéralisation du régime. Le 9, dans une interview à L’Express, il dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. Autrement dit : « Il ne faut pas désespérer Billancourt. »

« L’intendance suivra. »2942

Attribué à Charles de GAULLE (1890-1970), qui niera l’avoir dit

Même apocryphe (et en tout cas non sourcée), cette expression militaire souligne que la politique intérieure devait être au service de la politique extérieure, dans la vision du général. Malgré tout, l’« intendance » est une condition de la grandeur française. Il lui arrivera d’ailleurs de le reconnaître : « C’est l’économie qui me paraît l’emporter sur tout le reste, parce qu’elle est la condition de tout et en particulier la condition du progrès social » (13 décembre 1965).

« Moi ou le chaos. »3026

Charles de GAULLE (1890-1970), résumé lapidaire de la déclaration du 4 novembre 1965

Contexte politique. Le président annonce enfin sa candidature à la prochaine présidentielle, disant qu’en cas d’échec « personne ne peut douter que [la république nouvelle] s’écroulera aussitôt et que la France devra subir, cette fois sans recours possible, une confusion de l’État plus désastreuse encore que celle qu’elle connut autrefois ».

On va reprocher au fondateur du régime de croire si peu à sa construction qu’elle tienne à ce point à un homme ! L’Express, contre de Gaulle candidat, titre : « De Gaulle à vie ? »

Sûr de son succès, il ne se donne même pas la peine de courtiser la France, dédaignant son temps de parole à la radio et à la télévision, ne croyant pas les deux grands instituts de sondage (IFOP et SOFRES) qui assurent que rien n’est gagné pour lui. Le suspense est à son comble - rappelons que l’on doit à de Gaulle ce fait constitutionnel qui a changé la vie politique en France : l’élection du président au suffrage universel. Il sera finalement réélu, mais de peu.

« Taisez-vous, Elkabbach ! »3185

Georges MARCHAIS (1920-1997), Premier secrétaire du PC, mars 1978

Petite phrase célèbre, des témoins assurent l’avoir entendue, mais aucune source n’en garde la trace, même pas l’INA dans ses archives pléthoriques ! Et le journaliste apostrophé avoue lui-même ne pas se la rappeler !

De 1977 à 1981, Jean-Pierre Elkabbach anime différentes émissions, dont « Cartes sur table » avec Alain Duhamel. Marchais est souvent invité. Un bon client, pour qui les journalistes sont les alliés du Capital, voire les complices. Ils veulent l’empêcher de parler - parler signifiant pour lui lire un texte préparé à l’avance, lancé face à la caméra, pour mieux convaincre le public, friand du numéro. Mais le discours répétitif relève un peu trop de la langue de bois. Elkabbach ou Duhamel tentent donc de l’interrompre.

Le 19 mars 1978, on a enregistré : « Écoutez Elkabbach ! … Si vous pensez que ma place n’est pas souhaitab’, puisque la droite elle a gagné, moi j’laiss’ la place à la droite ! … C’est extrêmement désagréab’ de discuter avec vous ! Les syndicats ont raison de dire qu’sur Antenne 2 l’information a du mal à s’exprimer ! » Et le 23 mars, un Marchais tout aussi remonté : « Vous permettez… Vous ne m’empêcherez pas… Attendez, répondez pas à ma place… Maintenant je veux parler… » Finalement, ça pète avec Duhamel : « Non, nous ne m’aurez pas ! » Et il lit son texte.

Pour en revenir au « Taisez-vous, Elkabbach ! », l’interpellé l’attribue finalement à l’humoriste Pierre Douglas, populaire par son imitation de Marchais. En tout cas, cette citation apocryphe reflète et résume parfaitement la réalité.

Cinquième République

 

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