Qui a dit quoi de Qui ? (Seconde Guerre mondiale et Quatrième République) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

10. Seconde Guerre mondiale et Quatrième République.

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Seconde Guerre mondiale (1939-1945)

« Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. »2709

François MAURIAC (1885-1970). Encyclopædia Universalis, article « France »

Modèle du « Qui a dit quoi de qui » : l’auteur de la citation est un romancier très connu, devenu journaliste de référence pour toute une génération et le personnage contemporain pour lequel il se passionne est sur le podium de l’Histoire en citations, entre Napoléon et Hugo !

Simple général de brigade à titre temporaire, Charles de Gaulle en 1940, absolument seul et contre le destin, refuse la défaite entérinée par le gouvernement légal de la France face à l’Allemagne nazie, continue la lutte dans l’Angleterre toujours en guerre, mobilise des résistants, combattants français de plus en plus nombreux à entendre cette autre voix de la France parlant espoir et grandeur, se fait reconnaître non sans peine des Alliés, déchaîne des haines et des passions également inconditionnelles, et permet enfin à la France d’être présente au jour de la victoire finale.

« Elle n’est pas seule […] Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte […] Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »2713

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940, Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Le général parle de la France à laquelle il s’identifie et qui sera au cœur de tous ses combats à venir.

Atout majeur de la France dans cette histoire, la Grande-Bretagne qui a aussi trouvé son grand homme : Churchill, Premier ministre de mai 1940 à juillet 1945, partenaire essentiel pour de Gaulle (et son avocat auprès du président des États-Unis Franklin Roosevelt qui se méfiait de ce nouveau « général Boulanger »)  Au lendemain de la défaite française de juin 1940, la « bataille d’Angleterre » commence avec la marine qui empêche tout débarquement allemand, l’aviation qui met en échec la Luftwaffe, enfin l’Empire britannique qui permet de tenir tête à Mussolini et même à Hitler, dans la guerre méditerranéenne.

« Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon ! »2724

Franklin Delano ROOSEVELT (1882-1945). La Vie politique en France de 1940 à 1958 (1984), Jacques Chapsal

Le président des États-Unis n’éprouve pas la sympathie d’un Churchill pour le chef de la France libre et de Gaulle doit se battre dans les coulisses de la guerre pour ne pas être systématiquement éliminé des opérations.

Mais la référence à ces deux personnages de l’histoire de France est d’autant plus juste que Napoléon est le grand homme de De Gaulle (avec César et Alexandre), cependant qu’il entretient avec la France un dialogue dont il fait souvent état dans ses Mémoires : « Je suis son fils qui l’appelle […] J’entends la France me répondre. »

« On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l’avoir voulu. »2726

Charles de GAULLE (1890-1970), Le Fil de l’épée (1932)

Beaucoup de ses citations, tirées de ses Mémoires et d’autres sources écrites ou parlées, sont des autoportraits. Autre point commun avec Napoléon. 

La volonté et la croyance en son étoile sont venues très tôt au militaire qui n’était pas encore bien haut dans la hiérarchie militaire ni bien important dans les affaires de son pays. Il se fait d’abord connaître par cet écrit d’histoire politique, où il évoque « le Caractère, vertu des temps difficiles ».

« Toujours le chef est seul en face du mauvais destin. »2730

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

C’est la solitude subie, imposée - et une fois encore le sens du destin. Le 17 juin 1940, à la veille du fameux Appel, de Gaulle est l’homme seul de l’Histoire et l’exprime naturellement dans ses Mémoires.

« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. »2731

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Solitude voulue par l’homme qui a conscience d’être le chef et veut en assumer les responsabilités. C’est une constante, au fil de l’action. Pendant la guerre, de Gaulle veut décider au nom de la France libre, diriger seul et coordonner l’action des diverses résistances intérieures, être le seul chef du Comité français de libération nationale (et il écarte le général Giraud préféré par les Américains), s’imposer comme chef politique incontesté après la libération de Paris, à la tête du gouvernement provisoire de la République française.

« Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes. »2739

Winston CHURCHILL (1874-1965), Chambre des Communes, 13 mai 1940. Du sang, de la sueur et des larmes (posthume), Discours de Winston Churchill

Premier discours du nouveau Premier ministre anglais : le 10 mai, il a pris la tête d’un vrai gouvernement de coalition (conservateurs, libéraux et travaillistes) et témoigne d’une volonté de fer qui, heureusement pour la France et la suite de l’histoire, ne faiblira jamais.

De Gaulle juge vite et bien l’homme qui sera son allié numéro un : « Winston Churchill m’apparut, d’un bout à l’autre du drame, comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande Histoire » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« Que voulez-vous, Monsieur le préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie. »2745

Charles MAURRAS (1868-1952), au préfet de la Vienne, juin 1940. Encyclopædia Universalis, article « Action française »

Cette défaite de la France est une amère victoire pour l’homme de l’Action française : a-t-il assez dit que la démocratie, c’est la mort politique d’un pays ! Aussi a-t-il soutenu Mussolini, Franco. Mais pas Hitler, ennemi parce qu’envahisseur du sol sacré – le maître du Reich a proclamé son intention de prendre sa revanche, après la honte du traité de Versailles, et Maurras y a cru !

Pétain va lui apparaître comme le dernier recours.

« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. »2750

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940. De la chute à la libération de Paris (1965), Emmanuel d’Astier

Nommé président du Conseil des ministres par le président de la République Albert Lebrun, le vieil homme rallie à sa personne – et au symbole qu’elle incarne – l’immense majorité du pays. Celui qui a sauvé la France à Verdun n’est-il pas le seul recours pouvant lui éviter à présent le pire ? La logique de la résistance incarnée par de Gaulle est exactement inverse.

« C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. »2752

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940

Le chef du gouvernement de la France s’adresse ici aux troupes, du moins à ce qu’il en reste, et fait transmettre à Hitler une demande d’armistice : Pétain est persuadé que l’Angleterre ne va pas s’obstiner dans un vain combat, que la paix est proche et lui permettra de restaurer l’ordre.

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »2753

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

Premier appel radiodiffusé vers 20 heures par la BBC, radio de Londres qui donnera la parole aux Français résistants. Cette voix va devenir célèbre, mais ce jour-là, ses mots ne sont entendus de presque personne. Aucun enregistrement n’existe (il y a parfois confusion avec le discours du 22 juin).

L’Appel (du 18 juin) reste l’un des textes les plus célèbres de l’histoire de France, par sa qualité d’écriture et par ses conséquences.

« J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et je resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s’agit de la France, de son sol, de ses fils. »2757

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Conclusion de l’appel lancé à la radio, 20 juin 1940. Pétain et les Allemands (1997), Jacques Le Groignec

L’autre voix de la France parle aux Français, pas encore vraiment déchirés entre les deux : cette radio-là est bien plus écoutée.

Pétain dénonce les causes de la défaite et son constat n’est pas discutable : « Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés. » Tel un père sévère, le vieux maréchal fait aussi la morale : « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort. » L’armistice sera signé le 22 juin, à Rethondes, très symboliquement dans le wagon où le maréchal Foch imposa à l’Allemagne vaincue les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918. Il prend effet le 25.

« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763

Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin

Après un long parcours politique, Laval entre dans le gouvernement Pétain installé à Vichy depuis le 3 juillet. Il a provisoirement le portefeuille de la Justice et manœuvre pour que Pétain obtienne les pleins pouvoirs.

On travaille à réviser la Constitution : le slogan trinitaire hérité de la Révolution de 1789 – Liberté, Égalité, Fraternité – est trop républicain et remplacé par cette autre trilogie : Travail, Famille, Patrie. Tout l’esprit de révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la loi constitutionnelle du 10 juillet en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »

« Seul, le maréchal peut réaliser l’union de la France, c’est un drapeau, un drapeau un peu taché, un peu souillé, mais c’est un drapeau tout de même. »2765

Général WEYGAND (1867-1965), à Stanislas Mangin venu lui demander de se rallier aux Forces françaises libres (FFL), été 1940. Tout est bien (1989), Roger Stéphane

Le maréchal, c’est naturellement Pétain. Weygand daubait sur « Vichy qui se roule dans la défaite comme un chien dans la merde ». Pourtant, pas question pour l’ex-chef d’état-major français de se rallier à un mouvement né et entretenu à l’étranger avec de Gaulle.

La « perfide Albion » est haïe par une France traditionnellement anglophobe, et plus encore depuis le torpillage de la flotte française au mouillage dans la baie d’Oran, à Mers el-Kébir le 3 juillet 1940 – pour éviter que la marine française passe à l’ennemi, plus de 1 300 marins étant tués dans l’attaque de la Royal Navy. Bien des Français passèrent alors à la collaboration.

Alors que Pétain rassure. Sa dictature teintée de paternalisme tend à refaire une France sur le modèle du passé, paysanne et chrétienne, dans un carcan corporatiste et hiérarchisé avec appel aux valeurs traditionnelles : Travail, Famille, Patrie.

« Monsieur le Maréchal, voici cette France entre vos bras, qui n’a que vous et qui ressuscite à voix basse […] France, écoute ce vieil homme, sur toi qui se penche et qui te parle comme un père. Fille de Saint Louis, écoute-le. »2777

Paul CLAUDEL (1868-1955), Paroles au Maréchal, Le Figaro, 10 mai 1941. L’Action française racontée par elle-même (1986), Albert Marly

C’est un étrange poème en forme d’hymne à Pétain.

Rappelons que Claudel s’est converti au catholicisme, touché par la grâce aux vêpres de Noël 1886. « J’étais debout, près du deuxième pilier, à droite, du côté de la sacristie. Les enfants de la maîtrise étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. En un instant mon cœur fut touché et je crus. »

Quant au Maréchal, c’est un fait avéré : la France de 1941 reste en majorité pétainiste, de façon plus ou moins convaincue, contrainte, affichée, résignée, pratique, idéologique, naïve. Et les enfants chantent en chœur…

« Maréchal, nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France !
Nous jurons, nous tes gars
De servir et de suivre tes pas !
Maréchal, vous voilà !
Tu nous as redonné l’espérance ! »2778

André MONTAGNARD (1887-1963), paroles, et Charles COURTIOUX (1880-1946), musique, Maréchal, nous voilà, chanson

Chanson témoin d’une époque et reflet d’un régime, on la fait chanter aux enfants des écoles et elle passe quotidiennement à la radio, interprétée notamment par André Dassary - ce qu’on lui reprochera plus tard. La « collaboration » des artistes sous l’Occupation est un phénomène complexe : la plupart, auteurs, acteurs, chanteurs, réalisateurs, font un métier qu’ils aiment, avant d’aimer les Allemands.

« Mon empire vivra mille ans ! »2769

Adolf HITLER (1889-1945), dont l’empire vivra 12 ans (1933-1945). Les 100 personnages du XXe siècle (1999), Frank Jamet

Prophétie du « Reich de mille ans » : au-delà de la propagande nazie, le Führer est le nouveau messie pour un peuple humilié, avide de revanche.

Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux tiers de son territoire dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins. Les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais réunis à la Belgique – envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.

D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito, veulent se partager. Cette guerre devait fatalement devenir mondiale. En un quart de siècle, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués » écrira Albert Camus.

« La mort ? Dès le début de la guerre, comme des milliers de Français, je l’ai acceptée. Depuis, je l’ai vue de près bien des fois, elle ne me fait pas peur. »2785

Jean MOULIN (1899-1943). Vies et morts de Jean Moulin (1998), Pierre Péan

Ayant refusé comme préfet la politique de Vichy et rejoint Londres à l’automne 1940, parachuté en France dans les Alpilles le 1er janvier 1942 comme « représentant du général de Gaulle », il a pour mission d’unifier les trois grands réseaux de résistants dans la zone sud (Combat, Libération, Franc-Tireur). Rôle difficile, vue l’extrême diversité des sensibilités, tendances et courants ; action à haut risque qu’il paiera bientôt de sa vie. Pierre Brossolette qui agit dans la zone nord, lui aussi arrêté, se suicidera pour ne pas livrer de secrets sous la torture.

« Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine, sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous. »2796

Laure MOULIN (1892-1974), sœur et collaboratrice de Jean Moulin, témoignage. Antimémoires : Le Miroir des limbes, volume I (1976), André Malraux

Parachuté en France au début de l’année 1942, Jean Moulin va unifier les réseaux de la zone sud et obtient le ralliement des communistes, particulièrement précieux par leur discipline et leur expérience de la clandestinité. Il crée à Paris, le 27 mai 1943, le Conseil national de la Résistance (CNR).

Mais il est livré aux Allemands le 21 juin à Caluire (Rhône), emprisonné au fort de Montluc (à Lyon) et meurt quelques jours après des suites de tortures, dans le train qui l’emmène en Allemagne.

« Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. »2797

André MALRAUX (1901-1976), Discours au Panthéon, lors du transfert des cendres de Jean Moulin, 19 décembre 1964. André Malraux et la politique : L’être et l’Histoire (1996), Dominique Villemot

Le corps fut renvoyé à Paris en juillet 1943, incinéré au Père-Lachaise. Ses cendres (supposées telles) ont été transférées au Panthéon. Cette panthéonisation, reconnaissance suprême de la patrie à ses héros, est l’acte final des célébrations du 20e anniversaire de la Libération. Jean Moulin, coordinateur des réseaux de Résistance en métropole, en fut à la fois le chef, le martyr, et le symbole.

« Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige / J’écris ton nom […]
Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître, Pour te nommer / Liberté. »2788

Paul ÉLUARD (1895-1952), « Liberté », Poésie et Vérité (1942)

Cet hymne à la liberté, chef-d’œuvre de la poésie née de la Résistance, est répandu sur la France par les avions de la Royal Air Force. Éluard, comme Aragon, a choisi la voie de l’engagement politique et les rangs du Parti communiste dans les années 1930.

Depuis la rupture du pacte germano-soviétique, l’entrée dans la Résistance ne pose plus problème aux intellectuels et militants du PCF. Comme l’écrira Philip Williams en 1971 : « Dès lors que l’URSS est en danger, les « mercenaires de la Cité de Londres » deviennent du jour au lendemain « nos vaillants alliés britanniques », tandis que les gaullistes, de « traîtres », se transforment en « camarades ». »

« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage. »2791

Tristan BERNARD (1866-1947), Propos, conférence à Nice (1942)

Il faut un courage certain pour faire preuve publiquement d’humour juif, quand la « solution du problème juif », selon Hitler, se voit appliquer le terme sans équivoque de « solution définitive ».

Le statut discriminatoire des juifs, promulgué en septembre 1940 en zone occupée, est vite étendu à la zone sud, dite (momentanément) libre, et fortement aggravé en juin 1941. Le port de l’étoile jaune est imposé en juin 1942, les rafles se font systématiques dans les villes, les juifs sont parqués dans des camps et déportés dans d’autres camps dont bien peu reviendront. Durant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ à Paris (nuit du 16 au 17 juillet 1942), 13 000 juifs, hommes, femmes, enfants, sont arrêtés par la police française. Sur 8,3 millions de juifs présents en 1939 dans les pays occupés par les nazis, 6 millions sont tués entre 1940 et 1945.

« Nous vivions dans la crainte, maintenant nous allons vivre dans l’espoir. »2802

Tristan BERNARD (1866-1947), à sa femme, dans le car de la Gestapo qui emmène le couple à Drancy, 1er octobre 1943. Le Nouvel Observateur, n° 1784 (14 janvier 1999), article de Françoise Giroud

Avec plus de cinquante pièces, vingt-cinq romans et mille traits d’esprit, il a fait rire trois générations. C’est l’esprit parisien, nuance humour juif. « Non seulement je suis juif, mais mes moyens me permettent de ne pas être israélite » dit l’auteur à succès. À 78 ans, il refuse d’écouter ceux qui l’avertissent du danger : « Comment voulez-vous qu’on fasse du mal à un Français qui est dans le dictionnaire ? »

Le couple sera sauvé par l’intervention de ses amis, Arletty et Sacha Guitry qui ont des amis allemands. Tristan Bernard meurt en 1947, muré dans le silence – son petit-fils n’est pas revenu du camp de Mauthausen.

« Ami, entends-tu / Le vol noir
Des corbeaux / Sur nos plaines ?
Ami, entends-tu / Ces cris sourds
Du pays / Qu’on enchaîne ? »2798

Joseph KESSEL (1898-1979) et Maurice DRUON (1918-2009), neveu de Kessel, paroles, et Anna MARLY (1917-2006), musique, Le Chant des partisans (1943)

Chant de la Résistance, composé à Londres, sifflé par Claude Dauphin à la BBC, largué par la RAF (Royal Air Force, force aérienne royale) sur la France occupée, créé par Germaine Sablon (dans le film Pourquoi nous combattons) et repris par Yves Montand, entre autres interprètes. Marche au rythme lent, lancinant : « Ohé Partisans / Ouvriers / Et paysans / C’est l’alarme / Ce soir l’ennemi / Connaîtra / Le prix du sang / Et des larmes… / Ami si tu tombes / Un ami sort de l’ombre / À ta place. »

La Résistance, devenue un phénomène national, mêle tous les milieux, tous les courants d’opinion, toutes les régions, recréant une union sacrée contre l’ennemi dont la présence se fait de plus en plus insupportable, à mesure que ses « besoins de guerre » le rendent plus exigeant en hommes, en argent, en matières premières.

« L’union nationale ne peut se faire et ne peut durer que si l’État sait distinguer les bons serviteurs et punir les criminels. »2801

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Casablanca, 8 août 1943. Discours et messages, 1940-1946 (1946), Charles de Gaulle

Le général combattant exprime à nouveau cette préoccupation majeure, préparer une France capable de se gouverner et de s’administrer elle-même, pour éviter la tutelle militaire que les Alliés songent à lui imposer.

Le temps venu, l’épuration judiciaire frappera les criminels de la collaboration, sans parler de l’épuration « sauvage » et des exécutions sommaires.

« Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »2804

Robert DESNOS (1900-1945), « Demain », État de veille (1943)

Même chemin qu’Éluard et Aragon : après le surréalisme, l’engagement, le communisme, puis la Résistance et les poèmes de l’espoir. Cependant, les Français souffrent plus que jamais en 1943 : l’ordre allemand s’impose avec les SS et la Gestapo, les restrictions, le système des otages, les déportations, les délations.

« Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille […] / Âgé de cent mille ans, j’aurai encore la force / De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. » Desnos mourra en déportation.

« Paris brûle-t-il ? »2812

Adolf HITLER (1889-1945) à Dietrich von Choltitz, 24 août 1944

Titre du film (1966) de René Clément (1913-1996), tiré du best-seller éponyme (1965) de Larry Collins (1929-2005) et Dominique Lapierre (né en 1931), sur la libération de Paris.

C’est l’un des plus beaux et longs génériques de l’histoire du cinéma, comme si, vingt ans après, toute la profession avait à cœur de participer à ce film événement.

« Brennt Paris ? » C’est moins une question qu’un ordre du Führer au général allemand, gouverneur militaire de Paris. Von Choltitz hésite ce 24 août, dans Paris insurgé. De Gaulle de son côté a instamment demandé à Eisenhower de hâter la libération de Paris pour éviter le drame et Leclerc, avec sa 2e DB (division blindée), peut enfin marcher vers Paris.

Paris ne brûlera pas : après intervention du consul de Suède, von Choltitz élude l’ordre qu’il trouve absurde de faire sauter les ponts et les édifices qui étaient minés et de raser la capitale.

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303.

Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

« Et ceux que l’on mène au poteau
Dans le petit matin glacé,
Au front la pâleur des cachots,
Au cœur le dernier chant d’Orphée,
Tu leur tends la main sans un mot,
O mon frère au col dégrafé. »2822

Robert BRASILLACH (1909-1945), Poèmes de Fresnes, Chant pour André Chénier

Référence à Chénier, poète exécuté en d’autres circonstances sous la Révolution, à la fin de la Terreur et presque au même âge. Brasillach, écrivain doué, a 35 ans.

Jean Luchaire (journaliste, directeur des Nouveaux Temps) et Jean Hérold-Paquis (de Radio-Paris) subiront le même sort, parmi quelque 3 000 condamnés.

« Mon parti m’a rendu les couleurs de la France. »2819

Louis ARAGON (1897-1982), La Diane française. « Du poète à son parti » (1945). Littérature et politique : deux siècles de vie politique à travers les œuvres littéraires (1996), Michel Mopin, Robert Badinter

« Mon parti mon parti, merci de tes leçons / Et depuis ce temps-là tout me vient en chansons / La colère et l’amour, la joie et la souffrance. »

Si le poète communiste rend ici nommément et servilement hommage au PCF, les autres œuvres de l’époque ont le ton d’une grande poésie nationale et patriote, ouverte à toutes les familles d’esprit : martyrs de la Résistance, communistes ou chrétiens y sont évoqués avec la même chaleur.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

Quatrième République (1945/46-1958)

« Chacun, quelle que fût sa tendance, avait, au fond, le sentiment que le Général emportait avec lui quelque chose de primordial, de permanent, de nécessaire, qu’il incarnait de par l’Histoire, et que le régime des partis ne pouvait pas représenter. »2862

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

20 janvier 1946 : président du Gouvernement provisoire de la République française, « le Général » démissionne après trois mois au pouvoir. Le motif : son désaccord avec le Parti communiste sur l’élaboration de la Constitution de cette Quatrième République.

Plus fondamentalement, il incrimine le système des partis. Commentant son départ, il fait appel à la raison pour prendre un souverain recul face à l’événement.

« Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie. De quelle autre se contenter, quand on a rencontré l’Histoire ? »2863

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

C’est « le sentiment qui parle » ici. Il se retire de la scène politique et sera (presque) absent de l’histoire, pour une traversée du désert de douze ans, dans une relative solitude.

Ce 20 janvier 1946 n’est qu’un au revoir au pouvoir et un faux départ de la scène politique : de Gaulle va bientôt créer son propre parti et ne cessera d’intervenir pour critiquer le régime.

« Je vous avertis loyalement, je ne resterai pas cloîtré dans la maison où vous allez m’emmener. Ayant été en prison, je saurai faire des trous dans le mur. »2866

Vincent AURIOL (1884-1966), président de la République. Déclaration du 16 janvier 1947. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Il s’exprime ainsi le jour de son élection. En toute occasion, il revendiquera l’importance de son rôle, « magistrature morale […] pouvoir de conseil, d’avertissement et de conciliation ». Bref : « Je ne serai ni un président soliveau, ni un président personnel. »

« Le présent enveloppe le passé et dans le passé toute l’Histoire a été faite par des mâles. »2854

Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Le Deuxième Sexe (1949)

Livre événement dans l’histoire du féminisme, mouvement qui ne s’est pas arrêté au vote attribué aux femmes, après la Libération. Une femme est ministre (éphémère) pour la première fois en 1947 : Germaine Poinso-Chapuis (à la Santé publique, dans le gouvernement Schuman).

C’est la Cinquième République qui, dans les années 1970, verra aboutir l’essentiel des luttes au féminin, d’où une égalité de droit, sinon de fait. Avant la revanche sociétale et médiatique associée au mouvement #MeToo.

« Il entre dans l’hémicycle comme un religieux gagne sa stalle dans le chœur. À la tribune, il pèse longuement ses arguments comme un vieux pharmacien ses pilules. L’auditoire ne s’impatiente pas, il s’endort. »2871

Jacques FAUVET (1914-2002), Le Monde. La Quatrième République (1961), Jacques Fauvet

Le nouveau président du Conseil reçoit de l’Assemblée la quasi-totalité des suffrages non communistes, le 24 novembre 1947. « M. Schuman, en se gardant d’attaquer le général de Gaulle, en passant sous silence le problème que posait au régime l’essor du Rassemblement, en incarnant seulement l’anticommunisme, en laissant entrevoir la liquidation du dirigisme et la restauration du capitalisme français, répondait à l’attente générale des milieux bourgeois » (P.M. de la Gorce, De Gaulle entre deux mondes).

Le nom de Schuman reste surtout attaché à la première institution européenne créée en 1951 : la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

« Je suis né deux fois : la première, le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j’ai eu, grâce à Jean Vilar, la révélation du vrai théâtre. »2878

Gérard PHILIPE (1922-1959), Après la première du Cid, Festival d’Avignon, 18 juillet 1951. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Comme les critiques unanimes devant ce « prince en Avignon », le public du Palais des Papes et bientôt toute la France, Jean Vilar sous le charme, dira : « Après ce Cid-là, aucun metteur en scène n’osera en faire un autre avant vingt-cinq ans. »

C’est aussi la naissance d’un fait culturel unique dans l’histoire du théâtre et exemplaire pour le monde : le festival d’Avignon voulu par Vilar en 1947. Une aventure devenue aujourd’hui une institution.

« Sans moi, que seriez-vous ?
— Sans vous, je serais ministre. »2882

Edmond BARRACHIN (1900-1975), député RPF, au général de Gaulle (1890-1970), juillet 1952. Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales (1956), Assemble nationale, Secrétariat général

Homme de réseaux et de convictions (réformatrices), homme de droite (ondoyante) et personnalité complexe, il sera ministre d’État en charge de la réforme constitutionnelle dans le ministère Laniel de 1953-1954.

Le parti du général fait long feu. Le Rassemblement se disperse. De Gaulle reproche à ses troupes de pactiser avec l’ennemi, en l’occurrence le système de la Quatrième République, notamment sous le gouvernement Pinay. L’état-major durcit sa position, les dissidences se multiplient.

« L’ennui avec nos hommes politiques, c’est qu’on croit faire leur caricature, alors qu’on fait leur portrait. »2844

SENNEP (1894-1982), Potins de la Commère, France-Soir, 18 juin 1958

C’est l’un des plus talentueux caricaturistes de la presse française, résolument de droite (venu de l’Action française), mais gaulliste rallié en 1941, dessinateur attitré du Figaro. Il cible tout particulièrement les politiques, en forçant systématiquement le trait : les gros sont énormes, les maigres filiformes, parfois représentés sous forme d’animaux. À la fin de la Troisième République, il est déjà présent, pour caricaturer Léon Blum, et Hitler. Sa réflexion s’applique parfaitement au dictateur. Les documents d’époque (film ou photo) en témoignent et la voix complète le personnage – génialement incarné par Chaplin, en 1940.

« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »2888

Françoise SAGAN (1935-2004), Bonjour tristesse (1954)

Première phrase d’un premier roman autobiographique, portrait d’une génération dorée. Une jeune fille de 18 ans décrit son univers à elle, plein de belles voitures, d’alcool, de spleen.

« Elle fait tenir dans les mots les plus simples, le tout d’une jeune vie. Et il est vrai que ce tout n’est rien, et que ce rien, c’est pourtant la jeunesse, la sienne, celle de tant d’autres, en fait de tous ceux qui ne se donnent pas » écrit François Mauriac fasciné par le « charmant petit monstre ».

« En ce jour anniversaire qui est aussi celui où j’assume de si lourdes responsabilités, je revis les hautes leçons de patriotisme et de dévouement au bien public que votre confiance m’a permis de recevoir de vous. »2891

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Télégramme au général de Gaulle, 18 juin 1954. Mendès France au pouvoir (1965), Pierre Rouanet

Son premier jour au pouvoir coïncide avec celui de l’Appel il y a quatorze ans et Mendès France avoue alors avoir trois grands hommes comme modèle : Poincaré, Blum et de Gaulle.

Le troisième homme est quand même sceptique sur les chances du nouveau chef du gouvernement : « Vous verrez, ils ne vous laisseront pas aller jusqu’au bout » lui dira-t-il le 13 octobre. Sept mois et dix-sept jours : le titre donné par Mendès France au recueil de ses discours dit très exactement la durée de son ministère, renversé le 5 février 1955.

« Il cherche plutôt à trancher qu’à s’accommoder, ce qui lui vaut, surtout auprès des jeunes, un prestige certain. Quand on l’aura vu à l’œuvre, on s’apercevra qu’il est dans sa manière de prendre les problèmes l’un après l’autre, en quelque sorte à la gorge, sans s’y attarder. Son attitude est celle d’un liquidateur. »2892

André SIEGFRIED (1875-1959), Préface à l’Année politique, 1954

Portrait de Mendès France qui prend d’abord l’affaire indochinoise à bras-le-corps : il s’engage à en finir avant le 20 juillet, sinon il démissionnera. Les accords de Genève sont signés dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954. Le Vietnam est partagé en deux zones, le Nord étant abandonné au communisme et à l’influence chinoise (et bientôt soviétique), l’influence occidentale (et bientôt américaine) prévalant dans le Sud.

« Six ans et demi de guerre, 3 000 milliards de francs, 92 000 morts et 114 000 blessés », tel est le bilan de cette guerre, dressé par Jacques Fauvet (La Quatrième République). Le Figaro parle d’un « deuil » pour la France, mais l’opinion soulagée sait d’abord gré à Mendès d’avoir sorti le pays de ce guêpier où les USA vont s’enliser. Plus tard, il sera quand même traité de « bradeur ».

« Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice. »2899

Albert CAMUS (1913-1960), « Les raisons de l’adversaire », L’Express, 28 octobre 1955

Né en Algérie, intellectuel épris de justice autant que de liberté, Camus est plus qu’un autre déchiré par les événements : « Telle est, sans doute, la loi de l’histoire. Il n’y a plus d’innocents en Algérie, sauf ceux, d’où qu’ils viennent, qui meurent. »

Le 2 avril 1955, l’état d’urgence est voté pour lutter contre la rébellion, les libertés publiques suspendues. Le gouverneur Soustelle tente une politique de réformes, mais l’insurrection dans le Constantinois et les massacres du FLN (Front de libération nationale) le 20 août poussent le gouvernement Edgar Faure à appeler les réservistes, le 24 avril. Simples « opérations de maintien de l’ordre » ? La fiction est vite insoutenable. Il s’agit d’une guerre, une sale guerre.

« Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »2913

Albert CAMUS (1913-1960), à Stockholm, 5 octobre 1957. Albert Camus ou la mémoire des origines (1998), Maurice Weyembergh

Réponse à un étudiant algérien, partisan du FLN, qui l’interpelle lors de sa remise du prix Nobel. Le mot sera bientôt retourné contre son auteur, non sans injustice.

Sortez les sortants !2902

Pierre POUJADE (1920-2003), slogan. Les Années Poujade, 1953-1958 (2006), Thierry Bouclier

Edgar Faure dont le gouvernement a été renversé deux fois dissout l’Assemblée le 2 décembre 1955 – aucun président du Conseil n’a osé, depuis 1877 (dissolution par le président Mac-Mahon). Les députés se déchirent sur l’Algérie. Quand Poujade débarque, agitateur rassemblant les mécontents, exploitant un antiparlementarisme toujours latent, ameutant l’opinion contre le fisc, rassurant les petits commerçants et artisans effrayés par le capitalisme, la concurrence étrangère.

Populisme ! Poujadisme ! Les professionnels de la politique s’insurgent et s’inquiètent de cette popularité qui complique encore le jeu des partis. En janvier 1956, Poujade réussira à faire élire 52 députés, dont un pâtissier, un blanchisseur, deux mécaniciens, un charcutier, un maraîcher… et un étudiant en droit, de retour des guerres d’Indochine et d’Algérie, Jean-Marie Le Pen, élu à 27 ans.

« Cette cage des mots, il faudra que j’en sorte
Et j’ai le cœur en sang d’en chercher la sortie
Ce monde blanc et noir, où donc en est la porte
Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties. »2906

Louis ARAGON (1897-1982), Le Roman inachevé (1956)

Ces vers reflètent le désarroi de l’intellectuel communiste au lendemain du XXe Congrès et du rapport Khrouchtchev, en date du 25 février 1956. La vie et l’œuvre de Staline, le culte de la personnalité, tout a été remis en question. C’est le « dégel » en URSS.

En France, le PC prend acte avec mauvaise grâce. Staline était un Dieu vivant pour nombre d’écrivains français, ils sont à présent désarçonnés, déchirés.

« Et Dieu créa la femme. »2912

Roger VADIM (1928-2000), titre de son film (1956)

Et le diable créa Bardot, comme dit la publicité. BB explose et détrône la vedette d’hier, Martine Carol. C’est le début d’une carrière, d’une mode, d’un mythe qui traversera les années 1960, même si notre vedette nationale s’en est toujours défendue : « Un mythe, c’est abstrait, et moi je ne suis pas abstraite. »

Antoine Pinay, revenu aux affaires, saluera cette heureuse « mutation culturelle » : Bardot rapportant plus de devises à la France que les usines Renault.

« Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »2922

Charles de GAULLE (1890-1970), Communiqué remis à la presse le 15 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le 15 mai, Salan crie « Vive de Gaulle ! » au Forum d’Alger. Cependant que le général se présente comme sauveur de la Nation, après avoir fait un sombre et juste diagnostic de la situation : « La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, les troubles de l’armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus désastreux. » Il pourrait ajouter : « Je vous l’avais bien dit. »

« Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? »2923

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 19 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le général tient à tranquilliser une opinion émue par sa déclaration du 15 mai. Et de conclure : « J’ai dit ce que j’avais à dire. À présent, je vais rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la disposition du pays. »

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants dans les rangs des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages, et même à la lettre de la Constitution.

« Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. »2927

François MITTERRAND (1916-1996), Assemblée nationale, 1er juin 1958. Cent mille voix par jour : pour Mitterrand (1966), Claude Manceron

Après une mise à l’écart de douze ans, le plus illustre des Français revient sur le devant de la scène politique. La majeure partie du personnel politique se rallie à la solution gaulliste, mais Mitterrand s’oppose à ce « coup de force ».

Il ose l’affrontement, prononçant à l’Assemblée nationale ce terrible réquisitoire : « Lorsque, le 10 septembre 1944, le général de Gaulle s’est présenté devant l’Assemblée consultative issue des combats de l’extérieur ou de la Résistance, il avait auprès de lui deux compagnons qui s’appelaient l’honneur et la patrie. Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. La présence du général de Gaulle signifie, même malgré lui, que désormais les minorités violentes pourront impunément et victorieusement partir à l’assaut de la démocratie. »

Mitterrand est contredit par André Siegfried dans la préface à L’Année politique 1958 : « Il [de Gaulle] avait accédé au pouvoir dans le cadre des institutions régulières existantes, même si son intention non dissimulée était de les changer. » Il y a cependant contradiction ou du moins ambiguïté fondamentale : le général de Gaulle arrive à l’investiture légale par l’action illégale de militaires et comploteurs qu’il n’a sans doute pas inspirés, mais pas non plus politiquement désavoués.

« Vous verrez, après la musique de chambre, ce sera la musique militaire. »2929

Georges BIDAULT (1899-1983), dans les couloirs du Parlement, après la séance de nuit du 1er au 2 juin 1958. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

De Gaulle est naturellement visé par le député de la Loire qui vote l’investiture, mais va fonder un nouveau Conseil national de la Résistance (pour l’Algérie française). À l’autre bout de l’échiquier politique, les communistes résument : « Après l’opération sédition, c’est l’opération séduction. »

« Je vous ai compris ! »2930

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au balcon du gouvernement général à Alger, 4 juin 1958. Mémoires d’espoir, tome I, Le Renouveau, 1958-1962 (1970), Charles de Gaulle

Que n’a-t-on dit sur ces quatre mots lancés aux Algérois ! Dans ses Mémoires, le Général explique : « Mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu’elle [la foule] s’enthousiasme, sans qu’ils m’emportent plus loin que je n’ai résolu d’aller. »

Et il poursuit, face à la foule : « Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité […] Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France. »

Au journaliste du Monde André Passeron, il confiera le 6 mai 1966 : « J’ai toujours su et décidé qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir, je disais sur le Forum d’Alger qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, il n’y aurait plus eu de De Gaulle immédiatement ! »

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