« Personne ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l’a plus aimé. »1033
(1758-1794), Discours aux Jacobins (1792)
Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux.
Rousseau, de gauche ? Oui, avec la caution de Robespierre, jacobin jusqu’au-boutiste et fervent rousseauiste.
L’homme se situe aux antipodes du courtisan Voltaire, ou de Montesquieu baron de la Brède. Si La Bruyère a dit « Je veux être peuple », Rousseau l’a prouvé. Sa vie sociale, en accord avec sa philosophie, est sa défense contre qui l’attaque. Et l’on ne s’est pas privé de se moquer de cet asocial qui étonne et détone, dans son siècle.
Laquais, vagabond, aventurier, précepteur, secrétaire, se déconsidérant par une liaison avec la servante d’auberge Thérèse Levasseur, il refuse pensions et sinécures, se fait copiste de musique pour vivre, et seul de tous les écrivains militants de son siècle signe tous ses écrits, ce qui lui vaut beaucoup d’ennuis. Luttant contre la misère plus que pour la gloire, Rousseau éprouvera toujours une rancœur de roturier contre l’inégalité sociale.
« Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. »1032
GOETHE (1749-1832)
Encyclopædia Universalis, article « Voltaire »
Le siècle de raison va céder le pas au siècle des passions. Voltaire exprime et résume le XVIIIe avec son ardente humanité, sa vocation à l’universel, sa sagesse, sa défense des libertés, des droits formels. Rousseau annonce le XIXe avec l’égalité, la fraternité, la fibre civique, les droits réels.
Brouillés « à mort » dans la vie, Voltaire et Rousseau seront réconciliés devant l’éternité par la même « panthéonisation » d’une Révolution qui rend ainsi hommage à tout le siècle philosophique des Lumières.
« Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j’appris de bonne heure par l’expérience que je n’étais pas fait pour y vivre. »1034
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Les Rêveries d’un promeneur solitaire (posthume, 1782)
Voltaire et Diderot furent injustes et cruels envers lui, comme Hugo le traitant de « faux misanthrope rococo ». Sincèrement épris de nature et de solitude, il est inapte à la vie sociale, incompris et déplorant de si mal communiquer, rebelle à toute contrainte, dégoûté de ce qui l’entoure et souffrant du contact des hommes jusqu’à la folie de la persécution.
Exception à la règle dans ce siècle éminemment sociable et volontiers heureux, il conclut dans un dernier paradoxe de ses Rêveries : « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. »
« Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! »1037
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
Constat numéro un du philosophe, l’inégalité naît de la propriété : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus… » »
Propos brûlants, mise en cause du principe de la propriété sur lequel reposent les sociétés modernes : c’est la voie ouverte au socialisme et au communisme. Rousseau se montre ici le plus hardi des philosophes.
« Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables […] Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. »1167
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)
En note, il ajoute : « Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l’Europe aient encore longtemps à durer. » La guerre de Sept Ans fut le révélateur d’une crise morale profonde, ayant épuisé tous les pays, même l’Angleterre et la Prusse gagnantes, mais à quel prix ! Pertes militaires partout considérables et les populations civiles ont souffert, y compris du pillage, des famines.
Les philosophes des Lumières, prophètes des idées nouvelles sans être pour autant révolutionnaires, voient-ils venir la Révolution ? Pour Rousseau, cela semble assez clair. La même année 1762, il publie L’Émile et La Profession de foi du vicaire savoyard. C’en est trop pour le Parlement : décrété de prise de corps, il passe en Suisse et l’homme traqué commence huit années d’errance, persécuté dans sa vie et sa tête malade.
« C’était un fou, votre Rousseau ; c’est lui qui nous a menés où nous sommes. »1712
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Stanislas Girardin, lors d’une visite à Ermenonville, dans la chambre où mourut le philosophe, 28 août 1800
Œuvres du comte P. L. Roederer (1854)
Il n’y a pas une phrase du Contrat social tolérable pour Bonaparte Premier Consul, et moins encore Napoléon Empereur. Mais aucun philosophe des Lumières ne peut être pris pour maître à penser ou à gouverner d’un homme aussi autoritaire. Il l’a écrit dans ses Maximes et pensées : « On ne fait rien d’un philosophe. »
Rousseau et ses confrères ont quand même fait beaucoup pour nous, citoyens. Résumer cet apport en quelques citations est une mission de « service public minimum ».
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