Les Appels dans l’Histoire (de Napoléon à nos jours) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique […] à se mettre en rapport avec moi. »

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

APPEL.« Action d’inviter quelqu’un, un groupe à une action : Un appel à la révolte. Synonyme, exhortation. »
C’est l’une des définitions du Larousse.

Au fil de l’Histoire, l’Appel (avec ou sans majuscule) pousse clairement à l’action (ou à la réaction).

Les noms célèbres qui mêlent le Verbe à l’Action et vice versa se retrouvent logiquement sur le podium : Napoléon, Hugo, de Gaulle… Mais aussi Henri IV en meneur d’hommes, Clemenceau en Père la Victoire, le peuple (anonyme) manifestant à chaque époque.

La Révolution, période reine de cette volonté d’action, se révèle la plus riche en appels sous toutes les formes : discours, proclamation, texte de loi, article de presse, chanson populaire (le Ça ira), chant patriotiques (la Marseillaise), slogan, devise, manifeste, serment, mot d’ordre… Signés Mirabeau, La Fayette, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just… et quelques femmes : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! » mot de la fin d’Olympe de Gouges.

De nouvelles formes d’appels au peuple (électeur) apparaissent, du Consulat à nos jours : plébiscites et référendums. Mais nombre d’appels sont depuis toujours destinés à une partie du peuple : chrétiens (au Moyen Âge), soldats, paysans, ouvriers, « Prolétaires de tous les pays » … et jusqu’aux ennemis de la France.

Des appels oubliés sont à redécouvrir : le plus historique et surtout le seul en plus de mille ans de monarchie de droit divin, Louis XIV en fin de règne s’adresse directement au peuple, parvenant à retourner l’opinion et le fil de la guerre.
Le plus singulier est resté célèbre avec son auteur très populaire : l’abbé Pierre.

NAPOLÉON, du DIRECTOIRE aux CENT-JOURS

« Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! »1656

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à ses soldats, Toulon, 29 mars 1796. L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Nommé général en chef de l’armée d’Italie par le Directoire, il tient ce langage le jour de son arrivée devant Toulon. C’est le début de la (première) campagne d’Italie : Carnot, l’« Organisateur de la victoire » sous la Révolution, devenu l’un des cinq Directeurs au pouvoir, a envoyé le général Bonaparte pour retenir en Italie une partie de l’armée autrichienne – simple opération de diversion, ce qui explique l’intendance déplorable. Et c’est le commencement d’une irrésistible ascension.

Ce général en chef de 26 ans a déjà l’art de galvaniser ses troupes – vagabonds en guenilles dont il va faire des soldats victorieux face à des armées supérieures en nombre – avec les mots dictés par les circonstances : « Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l’admiration de la France ; elle a les yeux tournés sur vos misères… »

« Soldats, vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont ; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes. […] Mais soldats vous n’avez rien fait puisque […] ni Turin, ni Milan ne sont à vous. »1657

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à l’armée d’Italie, Proclamation de Cherasco, 26 avril 1796 (7 floréal an IV). Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Le jeune général réussit à imposer son autorité sur l’armée française, 38 000 hommes mal vêtus, mal nourris, qui vont voler de victoire en victoire. Bonaparte en Italie, c’est le prélude de l’épopée napoléonienne.

Et toujours cet art oratoire, ces mots forts et vrais qui galvanisent ses hommes, parce qu’ils se sentent compris de ce chef qui partage leur sort : « Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. » Ce sont les premiers mots du premier des grands textes du genre, l’un des plus célèbres, parfaitement authentique.

« Peuples de l’Italie, l’armée française vient rompre vos chaînes ; le peuple français est l’ami de tous les peuples […] et nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent. »1658

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à l’armée d’Italie, Proclamation de Cherasco, 26 avril 1796 (7 floréal an IV). L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Derniers mots du général à ses soldats de l’armée d’Italie, de son quartier général. Mais la fin du message est destinée aux Italiens.

C’est encore le langage des révolutionnaires appelant les peuples voisins à l’indépendance et à la liberté. C’est aussi celui du nouveau héros qui se donne pour mission d’être le bienfaiteur de l’humanité, avec ces 38 000 hommes mal vêtus, mal nourris, soudain métamorphosés. L’offensive rapide a réussi : le roi de Sardaigne doit signer avec Bonaparte l’armistice de Cherasco, le 28 avril 1796. Bonaparte prouve ici ses talents de négociateur.

« Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernement et de gouvernés. »1661

Sylvain MARÉCHAL (1750-1803), Manifeste des Égaux, programme rédigé fin 1795, devenu la Charte de la conspiration des Égaux.  Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789 jusqu’à nos jours, volume I (1867), Émile Levasseur

Babeuf, Buonarroti et quelques autres conjurés forment un « Directoire secret » pour renverser l’autre, le vrai… qui est au courant de tout. Barras (le plus influent des Directeurs et le « roi des pourris ») a de bons indicateurs, et Carnot monnaie la trahison d’un des conjurés, Grisel. Il faut faire un exemple, effrayer le bon peuple et surtout le bourgeois, avec cette affaire.

L’âme en est Gracchus Babeuf, rescapé de la Terreur, « mélange de terrorisme et d’assistance sociale » selon Maxime Leroy (Histoire des idées sociales en France, De Montesquieu à Robespierre). Dans son journal Le Tribun du Peuple, il expose ses théories communistes, après son vibrant appel : « Peuple ! réveille-toi à l’Espérance. »

« Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables. Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort. »1670

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation à ses troupes le 22 juin 1798, en mer, avant le débarquement du 28 juin en Égypte. Monuments d’éloquence militaire ou Collection raisonnée des proclamations de Napoléon Bonaparte (1821), Constant Taillard

Le Directoire ayant décrété le blocus de l’Angleterre, la nouvelle campagne d’Égypte est une expédition aventureuse, destinée à combattre l’ennemi en Méditerranée pour lui barrer la route des Indes. C’est aussi une manœuvre du Directoire pour éloigner le trop populaire Bonaparte, tout en utilisant son génie militaire.

Cette fois, le Directoire lui donne les moyens : 36 000 vrais soldats, 2 200 officiers d’élite, une flotte de 300 bâtiments, quelques dizaines de savants, ingénieurs, artistes de renom ou jeunes talents. Au total, 54 000 hommes (et quelques femmes). La flotte française, partie de Toulon en mai, a pris Malte au passage, le 10 juin.

« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »1671

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation supposée, avant la bataille des Pyramides du 21 juillet 1798. Les Français en Égypte (1855), Just-Jean-Étienne Roy

Débarquement à Alexandrie, le 1er juillet : la ville tombe aux mains des Français le 2 juillet, et le 23, ils entrent dans la capitale, Le Caire. C’est un rêve oriental qui se réalise. Le corps expéditionnaire a échappé par miracle à la flotte britannique commandée par Nelson. Pour en finir au plus vite, Bonaparte prend le chemin le plus court, entre Alexandrie et Le Caire : le désert, trois semaines de chaleur qui pouvaient être fatales aux soldats non préparés. Et près des pyramides de Gizeh, la bataille contre les mamelouks est réglée en deux heures !

Cette fois, la proclamation est un « faux » pour servir la légende, mais un faux authentique. Napoléon (devenu empereur) lit cette formule dans Une histoire de Bonaparte (anonyme, publiée en 1803), elle lui plaît et il la fait sienne.

« Venez à moi, mon gouvernement sera celui de la jeunesse et de l’esprit. »1691

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), aux jeunes chefs vendéens, fin décembre 1799. La Contre-révolution sous la Révolution, 1789-1815 (1935), Louis Madelin

Dès son arrivée au pouvoir, et profitant de l’état de grâce, il veut avant tout réconcilier les Français, dramatiquement déchirés depuis dix ans. De Gaulle aurait dit de manière imagée qu’il a « ramassé la France à la petite cuillère ».

S’il s’adresse d’abord aux jeunes chefs vendéens, c’est qu’il sait leur valeur, et combien cette guerre civile a fait de victimes sur le terrain, de dégâts dans les esprits et les cœurs. Deux ans plus tard, Bonaparte franchit une nouvelle étape dans la reconnaissance de son pouvoir personnel.

« Le peuple français sera consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ? »

Arrêté des Consuls du 20 floréal an X (10 mai 1802)

C’est le peuple (masculin) tout entier qui va donner ce pouvoir à Bonaparte : sur plus de 3,5 millions de votants, guère plus de 8 000 non. À Paris : 60 non. En Vendée, 6 ! Le consensus national est évident, et justifié.

Sénatus-consulte du 14 thermidor An X (2 août 1802) : « Le Peuple français nomme, et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte Premier Consul à vie. » Machiavélisme de la politique, c’est un référendum qui institue un pouvoir personnel à vie ! En réalité, c’est un plébiscite.

Ce résultat correspond certes à un sentiment national, mais les modalités du vote limitent sa portée démocratique. Le scrutin n’est pas secret, les électeurs signant au choix sur un registre dédié au oui ou un registre réservé au non. Dans ces conditions, la peur de représailles a découragé ceux qui auraient voulu s’opposer à Bonaparte.

« Veillons au salut de l’Empire ! / Veillons au maintien de nos droits !
Si le despotisme conspire, / Conspirons la perte des rois. »1754

Adrien-Simon BOY (1768-1795), paroles, et Nicolas-Marie DALAYRAC (1753-1809), musique, Veillons au salut de l’empire (1791). Le Cri des peuples (1817), Alexandre Drevel

Ce chant patriotique fut écrit par le chirurgien-chef de l’armée du Rhin en 1791, sur fond de guerre et de jacobinisme révolutionnaire. Comme cela se fait souvent, il reprend un air connu, emprunté à l’opéra Renaud d’Ast, créé en 1787 à l’Opéra-Comique. La romance amoureuse, réorchestrée au trombone, connaît un succès populaire comparable à La Marseillaise ! Précisons que l’« empire » signifie l’État, le royaume, la patrie.

Napoléon apprécie cet hymne révolutionnaire qui devient hymne impérial, uniquement pour ce premier couplet où l’Empire prend un nouveau sens et une majuscule. Le chant redevient à la mode et l’on oublie la suite des paroles qui ne sont plus du tout « politiquement correctes » – appel à la Liberté contre les tyrans.

« Romains, vous êtes appelés au triomphe sans avoir partagé le danger ! […] Romains, vous n’êtes pas conquis, mais réunis ! »1838

Les hérauts à la population, 10 juin 1809. La Revue des deux mondes (1960)

Le « département du Tibre, chef-lieu Rome », est rattaché à l’Empire français depuis un décret impérial du 15 mai, qui prend effet ce 10 juin : c’est l’annexion des États de l’Église.

C’en est trop. Pie VII signe dans la nuit l’excommunication de Napoléon : bulle Quum memoranda. Napoléon riposte par la force : il fait enlever le pape, le 6 juillet ! L’empereur devient, pour toute l’Europe, l’homme à abattre. D’où la cinquième coalition… et tout ce qui s’ensuit.

Déchu par le Sénat, convaincu que l’armée ne suivra plus, Napoléon abdique le 5 avril 1814, au château de Fontainebleau. L’année suivante, c’est le retour des Cent-Jours, le plus spectaculaire come-back de notre Histoire.

« Soldats du 5e, je suis votre empereur. Reconnaissez-moi. S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà ! »1932

NAPOLÉON Ier (1769-1821) ouvrant sa redingote grise et montrant sa poitrine nue aux soldats venus l’arrêter, 7 mars 1815. 1815 (1893), Henry Houssaye

La scène se passe à Laffrey, près de Grenoble. L’officier fidèle au roi a crié « Feu ! » à ses hommes, Napoléon a eu ce geste, ce mot. Aucun ne tire, le cri de « Vive l’empereur ! » répond à sa voix, tous les soldats jettent les cocardes blanches et remettent les cocardes tricolores remisées dans leur sac, il y a un an. Tous se rallient à l’empereur, dans la « prairie de la Rencontre » : Stendhal raconte la scène, Steuben (artiste allemand) la peint et l’immortalise.

Le vol de l’Aigle continue, sur la route Napoléon qui mène de Golfe-Juan à Grenoble (aujourd’hui RN 85). Entouré d’une poignée de fidèles qui grandit à chaque étape, il se rend à Lyon en traversant les montagnes, pour éviter les villes royalistes. Il fait 324 km en six jours. La rapidité est le premier atout de cette expédition. Le 10 mars, l’entrée à Lyon est triomphale. Napoléon continue en calèche, de mieux en mieux équipé, escorté.

« Soldats, droit au cœur ! »1965

Maréchal NEY (1769-1815), commandant lui-même son peloton d’exécution, 7 décembre 1815. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Berryer, son avocat, n’a pas pu sauver le « Brave des Braves », coupable de s’être rallié à l’empereur sous les Cent-Jours, alors qu’il s’était engagé à ramener « l’usurpateur dans une cage de fer ». Il est à présent victime désignée de la Terreur blanche, cette réaction ultra qui effraie le roi lui-même, sous la Restauration.

RESTAURATION et MONARCHIE DE JUILLET

« Peuple français, peuple de braves, / La liberté r’ouvre ses bras.
On nous disait : « Soyez esclaves », / Nous avons dit : « Soyons soldats ».
Soudain Paris dans sa mémoire / A retrouvé son cri de gloire. »2026

Casimir DELAVIGNE (1793-1843), La Parisienne (1830), chanson. Recueil de chants patriotiques et guerriers dédiés aux braves Suisses qui prennent les armes pour défendre la patrie (1838)

La révolution des Trois Glorieuses (journées) met fin à la Restauration.

Poète et auteur dramatique en renom, rival des romantiques sur la scène, mais libéral convaincu en politique, Delavigne écrit cet hymne de circonstance aux accents révolutionnaires : La Parisienne fait écho à La Marseillaise.

« Vivre libres en travaillant ou mourir en combattant. »2069

Cri célèbre de l’émeute des canuts, 22 novembre 1831. Histoire du mouvement ouvrier, tome I (1948), Édouard Dolléans

C’est aussi la devise inscrite sur le drapeau noir des canuts, symbole de l’anarchie. Mais la révolte des ouvriers de la soie est d’origine économique et non politique : les soyeux (fabricants) ne respectent pas le nouveau tarif des salaires, signé par leurs délégués dont ils contestent le mandat.

Commencent alors les « trois glorieuses du prolétariat lyonnais » : grève, puis insurrection. Au matin du 22 novembre, les canuts de la Croix-Rousse descendent sur la ville en criant leur révolte. Ils se retrouvent sans le vouloir maîtres de Lyon vidée de sa garnison qui risquait de pactiser avec les insurgés.

« Du travail ou la mort. Nous aimons mieux périr d’une balle que de faim. »2071

Réponse des ouvriers au préfet. Compte-rendu des événements qui ont eu lieu dans la ville de Lyon au mois de novembre 1831 (1832), Louis Bouvier-Dumolart

L’Hôtel de Ville de Lyon est occupé par les insurgés, mais de nouvelles troupes, commandées par le maréchal Soult et le duc d’Orléans, réoccupent la ville, expulsent 10 000 ouvriers le 5 décembre 1831. Bilan : 171 morts civils, 170 militaires, 600 arrestations. On destitue le préfet trop bienveillant à l’égard des revendications ouvrières. Le tarif à l’origine de la révolte est proclamé nul et non avenu : échec total de la première grande grève de l’histoire de France. Mais elle fera école.

« Ne formons plus deux clans : celui des femmes du peuple et celui des privilégiées. Que notre intérêt nous lie ! »2082

La Tribune des femmes (1832), premier article du premier numéro, août 1832. Histoire du féminisme français, volume I (1977), Maïté Albistur, Daniel Armogathe

Dans ce journal des saint-simoniennes s’exprime un courant féministe dont Flora Tristan est la plus illustre représentante : fille d’un noble péruvien, femme du graveur André Chazal (et grand-mère du peintre Gauguin), elle lutte pour le divorce, l’amour libre, les droits de la femme, l’union des ouvriers de tous métiers et de tous pays. Séparée de son mari, voyageuse et militante infatigable, sa vie est un roman.

« Soldats, ils sont six mille, vous êtes trois cents. La partie est donc égale. Regardez-les en face et tirez juste. »2092

Général CHANGARNIER (1798-1877), Première expédition de Constantine, 24 novembre 1836. Le Crapouillot (1958). Le général commande l’arrière-garde, lors de la retraite

Au lendemain de la prise d’Alger en 1830, Louis-Philippe se contenta de l’occupation d’une frange côtière. Mais la résistance s’organise autour d’Abd el-Kader devenu l’« émir des croyants », tandis que le bey de Constantine, Ahmad, contraint le maréchal Clausel, gouverneur de l’Algérie, à la retraite – et bientôt Bugeaud à la négociation avec Abd el-Kader (convention de la Tafna en mai 1837). La trêve sera de courte durée.

« Périssent nos mémoires, pourvu que nos idées triomphent ! […] Ce cri sera le mot d’ordre de ma vie politique. »2112

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Chambre des députés, 27 janvier 1843. Lamartine (1969), Jacques Gaucheron

Il se réfère au mot de Robespierre à propos des colonies, sous la Révolution.

Orateur de plus en plus écouté, député sans parti devenu très populaire, passé à l’opposition sous le long ministère Guizot (fin 1840 à 1847), Lamartine consacre ici sa rupture avec ce régime toujours plus conservateur. Toute sa vie témoigne de sa sincérité, d’autant qu’il sacrifie son œuvre littéraire aux exigences de la vie publique.

« Enrichissez-vous. »2114

François GUIZOT (1787-1874), Chambre des députés, 1er mars 1843. Histoire parlementaire de France : recueil complet des discours prononcés dans les Chambres de 1819 à 1848 (1864), François Guizot

Ministre des Affaires étrangères et pratiquement chef du gouvernement, son mot est souvent cité pour condamner ses conceptions politiques, et résumer l’esprit égoïstement bourgeois de la Monarchie de Juillet. Exemple type de désinformation par utilisation d’une citation tronquée.

Rappelons le contexte. Guizot répond aux attaques de l’opposition : « Fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » Il reprend le mot lors d’un banquet, la même année : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (Le droit de vote était conditionné par un seuil d’imposition, le cens.)

Louis-Philippe approuve les idées de son ministre : « C’est ma bouche », dit-il.

« Aimons-nous et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde
Buvons, buvons, buvons
À l’indépendance du monde ! »2117

Pierre DUPONT (1821-1870), parole et musique, Le Chant des ouvriers (1846). Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont

Ce n’est plus le socialisme idéaliste, cher aux utopistes Saint-Simon et Fourier. Proudhon et Marx se sont rencontrés durant l’hiver 1844-1845 et même s’ils ne se sont pas vraiment entendus, le fait reste historique. Ce chant résonne déjà comme un appel à une conscience de classe.

Pierre Dupont, ex-apprenti canut, est l’un des premiers chansonniers de la classe ouvrière. Hugo l’a remarqué pour son talent, ses convictions républicaines. Il va fréquenter le milieu artistique parisien, avant de retourner à Lyon et de finir tristement à la rue, clochard et alcoolique.

DEUXIÈME RÉPUBLIQUE et SECOND EMPIRE

« Tremblez tyrans portant culotte ! / Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote / Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout, / Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain
Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux, / Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

Les « Vénusiennes » chantent et défilent, jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon de la gloire.

« Toute l’Europe est sous les armes, / C’est le dernier râle des rois :
Soldats, ne soyons point gendarmes, / Soutenons le peuple et ses droits […]
Refrain
Aux armes, courons aux frontières, / Les peuples sont pour nous des frères ! »2143

Pierre DUPONT (1821-1870), Chant des soldats. Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont.

La Révolution française de 1848 – après celle de 1830 – entraîne une flambée de mouvements révolutionnaires un peu partout en Europe : Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie, Pologne. C’est le « printemps des peuples » et la France, qui retrouve sa mission libératrice, chante : « Que la République française / Entraîne encore ses bataillons / Au refrain de La Marseillaise / À travers de rouges sillons / Que la victoire de son aile / Touche nos fronts et, cette fois / La République universelle / Aura balayé tous les rois / Aux armes, courons aux frontières… »

Mais l’été qui suit ce printemps sera celui de toutes les répressions.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »2136

Karl MARX (1818-1883) et Friedrich ENGELS (1820-1895), Manifeste du parti communiste (1848)

Derniers mots du célèbre Manifeste : « Puissent les classes dirigeantes trembler à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

Les classes dirigeantes – mais aussi une partie des classes populaires bientôt reprises en main par les notables – vont si bien trembler que les prolétaires perdront de nouveau ce combat social, sous la Deuxième République. Ce n’est qu’un épisode de la lutte des classes : le Manifeste en donne une théorie qui va marquer le monde pendant un siècle et changer plusieurs fois le cours de l’histoire.

« Mon devoir est… de maintenir la République, et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le peuple. Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière. »

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), président de la République, proclamation du 2 décembre 1851

Coup d’État du 2 décembre 1851. Dans la nuit du 1er au 2, il y a bal à l’Élysée. La troupe envahit le palais Bourbon, un « Appel au peuple et aux soldats » s’affiche sur les murs, avec deux décrets : état de siège, dissolution de l’Assemblée et rétablissement du suffrage universel ; appel des Français à un plébiscite pour reconnaître l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte.

Le futur Napoléon III justifie habilement son appel au peuple pour réussir son plébiscite : « Aujourd’hui que le pacte fondamental n’est plus respecté de ceux-là mêmes qui l’invoquent sans cesse et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République, et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le peuple. Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière. » La seconde proclamation s’adresse aux soldats qualifiés d’ « élite de la nation ».

Le 2, arrestation de députés, dispersion de manifestants, tandis qu’un Comité de résistance, animé par Hugo, Schœlcher et Jules Favre, tente de soulever le peuple de Paris. Mais en vain… Hugo va s’exiler près de vingt ans, pour rentrer à la chute du Second Empire, au lendemain de la défaite de Sedan face à la Prusse (2 septembre 1870).

TROISIÈME RÉPUBLIQUE

« Je viens ici faire mon devoir. Quel est mon devoir ? C’est le vôtre, c’est celui de tous. Défendre Paris, garder Paris. Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. Paris est le centre même de l’humanité. Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain. »1

Victor HUGO (1802-1885), de retour à Paris, gare du Nord, 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)

Le plus célèbre partisan de la République appelle à la résistance. « Citoyens, j’avais dit : le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici ! » Il rentre donc, sitôt proclamée la République. Il a pris le train de nuit de Bruxelles, pour passer inaperçu. Peine perdue. La foule l’attend. La renommée du poète proscrit a encore grandi. Il doit parler. C’est un orateur né pour le peuple, la tribune, les temps héroïques, la résistance : « Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris. […] Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger… Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. »

Entre la gare du Nord et son domicile, la foule qui se presse l’oblige à prononcer quatre discours. Auteur immensément populaire, c’est aussi la conscience et la grande voix de la France. Il aura naturellement droit au Panthéon, après des obsèques nationales.

« Il me convient d’être avec les peuples qui meurent, je vous plains d’être avec les rois qui tuent. »2339

Victor HUGO (1802-1885), 9 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)

Il en appelle cette fois aux Allemands pour que cesse cette « guerre civile » entre peuples d’Europe.

Mais la guerre continue, l’ennemi approche, Paris est saisi d’une fièvre patriotique. Chaque quartier a son club où l’on parle d’abondance et dans chaque arrondissement se créent des comités de vigilance, sous l’impulsion des militants de la première Internationale, rejoints par des radicaux et des Jacobins.

« Les Prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d’hommes. Dressez-vous et soufflez sur eux ! »2340

Victor HUGO (1802-1885), 14 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)

Il encourage toujours la France à la résistance : « Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche ! Lyon, prends ton fusil… »

« Le peuple de Paris veut conserver ses armes, choisir lui-même ses chefs et les révoquer quand il n’a plus confiance en eux. Plus d’armée permanente, mais la nation tout entière armée ! »2358

Comité central de la Commune, Manifeste à l’armée, 8 mars 1871. Cent ans de République (1970), Jacques Chastenet

Cette « Commune », qui n’est pas encore « la » Commune insurrectionnelle, commence ainsi son appel : « Soldats, enfants du peuple ! Les hommes qui ont organisé la défaite, démembré la France, livré tout notre or, veulent échapper à la responsabilité qu’ils ont assumée en suscitant la guerre civile. » Thiers, chef du gouvernement, vient de supprimer la paye des gardes nationaux qui, toujours armés, se sont donné le nom de Fédérés – cette solde était la seule ressource des ouvriers mobilisés.

Une énorme pression révolutionnaire, avec une propagande encouragée par la liberté de la presse et des clubs, agite à nouveau la capitale : des rumeurs de Restauration courent - Chambord ou d’Orléans pourrait revenir au pouvoir !

« Déclaration au peuple français.
La lutte engagée entre Paris et Versailles est de celles qui ne peuvent se terminer par des compromis illusoires : l’issue n’en saurait être douteuse. La victoire, poursuivie avec une indomptable énergie par la garde nationale, restera à l’idée et au droit… Nous en appelons à la France ! »

La Commune de Paris, Journal officiel, 20 avril 1871

La Commune sentait que les échecs allaient affaiblir son prestige éphémère, et une fois encore elle essaya d’appeler sur elle les sympathies de la France en lui expliquant son programme : le Journal officiel contenait la déclaration suivante… dont nous ne donnons que quelques extraits :

« Avertie que Paris en armes possède autant de calme que de bravoure ; qu’il soutient l’ordre avec autant d’énergie que d’enthousiasme ; qu’il se sacrifie avec autant de raison que d’héroïsme ; qu’il ne s’est armé que par dévouement à la liberté et à la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant conflit !
C’est à la France à désarmer Versailles par la manifestation solennelle de son irrésistible volonté.
Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu’elle se déclare solidaire de nos efforts ; qu’elle soit notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par le triomphe de l’idée communale ou par la ruine de Paris !
Quant à nous, citoyens de Paris, nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire.
Nous avons le devoir de lutter et de vaincre ! »

Vain appel ; la France fit la sourde oreille. Un tel programme était fait pour l’épouvanter plus que pour l’enthousiasmer. Un seul détail : la fixation de la répartition de l’impôt par la Commune eût rendu impossible l’équilibre du budget en le soumettant au bon plaisir de 33 000 conseils municipaux en France.

« Il y aura quelques maisons de trouées, quelques personnes de tuées, mais force restera à la loi. »2370

Adolphe THIERS (1797-1877), Réponse à une délégation maçonnique, 22 avril 1871. Le Coq rouge : une histoire de la Commune de Paris (1972), Armand Lanoux

Thiers continue de masser des troupes et de prendre des positions stratégiques dans la banlieue, cependant que l’organisation militaire de Paris se révèle une tâche irréalisable.

Le « délégué à la Guerre » Gustave Cluseret est remplacé le 1er mai par Louis Rossel, colonel de 27 ans – au lendemain des défaites de l’armée française et de la capitulation, il a pris parti pour la Commune (il sera fusillé). Il démissionne le 10 mai, remplacé par Charles Delescluze (bientôt tué au combat). Impossible de discipliner les gardes nationaux, tandis que la Commune hésite toujours entre l’anarchie et le pouvoir fort.

« Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants. »2373

Adolphe THIERS (1797-1877), Déclaration du 15 mai 1871. La Commune (1904), Paul et Victor Margueritte

Ces mots plusieurs fois répétés annoncent la Semaine sanglante du 22 au 28 mai. Le chef du gouvernement amasse toujours plus de troupes aux portes de Paris. « Anecdotiquement », la colonne Vendôme est abattue, suite à un vote du Comité de salut public.

« Debout ! Les damnés de la terre !
Debout ! Les forçats de la faim ! »2382

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles de l’Internationale

Eugène Pottier se cache dans Paris livré aux Versaillais. Membre élu de la Commune et maire du IIIe arrondissement, alors que tout espoir semble perdu, il dit, il écrit en ce mois de juin 1871 sa foi inébranlable en la « lutte finale » : « Du passé faisons table rase […] Le monde va changer de base. » Le texte sera publié et mis en musique (par Pierre Degeyter), avant de faire une « carrière » littéralement… Internationale

« C’est la lutte finale ; / Groupons-nous et demain
L’Internationale,/ Sera le genre humain. »2527

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Internationale (refrain), chanson

Écrit par Pottier durant la Commune, mis en musique en 1888 par un ouvrier tourneur Pierre Degeyter, chanté pour la première fois au Congrès de Lille du Parti ouvrier en 1896, ce chant devient l’hymne du mouvement ouvrier français en 1899. Immense succès, dans les classes populaires sensibles à ces mots : « Du passé faisons table rase / Foule esclave, debout ! debout ! / Le monde va changer de base / Nous ne sommes rien, soyons tout ! »

À partir de 1904, utilisé pour le congrès d’Amsterdam de la IIe Internationale, ce chant devient l’hymne des travailleurs révolutionnaires qui veulent que le monde « change de base », chant traditionnel le plus célèbre du mouvement ouvrier.

L’Internationale a été traduite dans de nombreuses langues, chantée par les socialistes (au sens premier du terme), les anarchistes, les communistes, certains membres des partis dits socialistes ou sociaux-démocrates, ainsi que dans des manifestations populaires. Hymne national de l’URSS (version expurgée du cinquième couplet) jusqu’en 1944, elle reste l’hymne de la majorité des organisations anarchistes, marxistes ou communistes. Ce fut même l’hymne de ralliement de la révolte des étudiants et des travailleurs en Chine, sur la place Tian’anmen en 1989.

« Qui vive ? La France ! »2475

Paul DÉROULÉDE (1846-1914), devise, et mot d’ordre de la Ligue des patriotes. M. Paul Déroulède et sa Ligue des patriotes (1889), Henri Canu, Georges Buisson

La Ligue est fondée le 18 mai 1882. Déroulède, volontaire de la guerre franco-allemande de 1870-1871, incarne un patriotisme nationaliste et revanchard qui va faire beaucoup de bruit et déchaîner pas mal de fureurs, jusqu’à la prochaine guerre.

L’homme est bien différent de la caricature qu’on en fait, même de son vivant, et il le confiera aux frères (Jérôme et Jean) Tharaud : « Je sais bien ce qu’on me reproche. On dit de moi : Déroulède c’est un exalté ou un simple. Je ne suis ni l’un ni l’autre ; je ne suis ni fou ni sot. Si ma carrière peut sembler déraisonnable, la faute en est au caractère d’une existence qui a toujours été en mouvement. Et rien ne donne si naturellement l’idée du désordre et de la complication que l’action au jour le jour. En réalité, rien n’est plus simple, plus logique, plus sage que ma vie. Oui, j’ai voulu la guerre, la revanche. Mais avant de l’entreprendre, j’ai voulu que nous fussions prêts. »

« La CGT groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. »2542

Chartes d’Amiens, votée au congrès fédéral, le 12 juillet 1906. Syndicalisme et politique (1985), René Mouriaux

La Confédération générale du travail ne se borne pas à défendre des intérêts professionnels, elle met en cause la structure et les finalités de la société. Confédération de syndicats constituée à Limoges le 23 septembre 1895, la CGT réalise l’unité du mouvement syndical à Montpellier en 1902 (avec l’entrée de la Fédération des Bourses du travail). Jusqu’à la guerre de 1914, le syndicalisme français est dominé par les révolutionnaires et les anarcho-syndicalistes.

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

« La mobilisation n’est pas la guerre. »2580

Raymond POINCARÉ (1860-1934), Appel au pays, 1er août 1914. Dictionnaire de français Larousse, au mot « mobilisation »

Le président de la République fait afficher cet « Appel au pays » sur les murs des communes de France, en même temps que l’ordre de mobilisation générale. « Poincaré-la-Guerre » a poussé le gouvernement russe à faire preuve de fermeté sur les Balkans, face à l’Autriche. Surestimant la puissance du « rouleau compresseur » de notre allié russe, il pense reconquérir l’Alsace-Lorraine en quelques semaines.

Cette croyance en une guerre courte prévaut en France, mais aussi en Allemagne. Dès juillet 1914, 170 000 hommes stationnés en Afrique du Nord ont été rappelés. À la mi-août, ils seront plus de 4 millions sous les drapeaux. Pratiquement pas de déserteurs, contrairement aux craintes du gouvernement.

« Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils dont rien ne brisera, devant l’ennemi, l’union sacrée. »2581

Raymond POINCARÉ (1860-1934), Message aux Chambres, 4 août 1914. Naissance de l’Union sacrée. La République souveraine : la vie politique en France, 1879-1939 (2002), René Rémond

L’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août, envahissant la Belgique pour arriver aux frontières françaises : selon le chancelier allemand Bethmann-Hollweg, le traité international garantissant la neutralité de ce pays n’était qu’un « chiffon de papier ». La violation de la Belgique, en exposant directement les côtes anglaises, a pour effet de pousser cet allié à entrer en guerre.

La guerre va bouleverser l’échiquier politique en France. L’« union sacrée », c’est le gouvernement qui élargit sa base, avec l’arrivée de ministres socialistes ; c’est surtout la volonté de tous les Français de servir la patrie : royalistes, princes d’Orléans et princes Bonaparte s’engagent, tout comme les militants d’extrême gauche, hier encore pacifistes et internationalistes.

« Taisez-vous ! Méfiez-vous ! Des oreilles ennemies vous écoutent. »2585

Alexandre MILLERAND (1859-1943). Avant l’oubli : la vie de 1900 à 1940 (1987), Édouard Bonnefous

Ministre de la Guerre, il fait placarder des affiches avec ces exhortations – formules reprises à la Seconde Guerre mondiale. À côté de Millerand, socialiste qui enfreint dès 1899 la règle de non-participation à tout ministère bourgeois, apparaissent deux membres du Parti socialiste : Marcel Sembat aux Travaux publics et surtout Jules Guesde, ministre d’État. Lui, le « socialisme fait homme », représentant du courant pur et dur qui a triomphé au Parti et imposé à Jaurès lui-même la non-participation, le voilà pour deux ans au gouvernement, défendant des positions nationalistes.

C’est l’un des plus évidents symboles de l’« union sacrée », devant la patrie en danger.

« Debout les morts ! »2593

Adjudant PÉRICARD (1876-1944) du 95e RI (régiment d’infanterie), 8 avril 1915. Fait rapporté par Maurice Barrès, L’Écho de Paris du 18 novembre 1915

Dans l’attaque de la Woëvre (plaine à l’ouest de la Lorraine), les Allemands ont envahi la tranchée, les soldats français gisent à terre. De cet amas de blessés et de cadavres, soudain un homme se soulève et crie. À cet appel, les blessés se redressent et chassent l’envahisseur.

Par cette citation épique et mystique, l’adjudant de 36 ans, engagé volontaire, entre dans la légende en héros. Durant l’entre-deux-guerres, devenu père de dix enfants, c’est un « ancien combattant » qui réunit 6 000 témoignages de poilus, dans un ouvrage collectif : Verdun 1914-1918.

Joffre doit rompre le front pour reprendre la guerre de mouvement en terrain libre, et il multiplie les attaques. Bilan des opérations, en 1915 : 250 000 morts français (autant de blessés et de prisonniers), pour des gains de terrain insignifiants : « Je les grignote. »

« La Fayette, nous voici ! »2602

Colonel Charles E. STANTON (1859-1933), Cimetière de Picpus (Paris), 4 juillet 1917. Également attribué au général Pershing (1860-1948). La Fayette, nous voici ! : l’entrée en guerre des États-Unis, avril 1917 (2007), ministère de la Défense

Phrase prononcée, le jour de la fête nationale des États-Unis (Independence Day) sur la tombe de La Fayette, le héros des deux mondes, général français volontaire dans la guerre d’Indépendance américaine en 1777.

La solidarité franco-américaine va de nouveau jouer, dans la défense de la liberté. Dès le 28 juin, la première division américaine débarque à Saint-Nazaire : 14 500 hommes, qui seront 365 000 en décembre. Intervention décisive en cette année charnière où tous les pays en guerre sont en crise (morale, politique, sociale, militaire). L’union sacrée n’est plus ce qu’elle fut. En France, outre les mutins, 100 000 grévistes protestent en mai-juin contre les salaires trop bas et les prix trop élevés. Même phénomène dans divers pays. Quant à la Russie, elle vit sa grande révolution, en octobre 1917 : chute du tsar et armistice signé par les Soviets en décembre.

« Allez donc, enfants de la patrie, allez achever de libérer les peuples des dernières fureurs de la force immonde ! Allez à la victoire sans tache ! Toute la France, toute l’humanité pensante sont avec vous. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours au Sénat, 17 septembre 1918. Le dernier appel au combat, senat.fr

C’est le Clemenceau des grandes heures. À la tête du gouvernement, le « Père la Victoire » tiendra ce rôle jusqu’au bout, descendant lui-même dans les tranchées pour fraterniser avec les fameux Poilus qui saluent « le Vieux ».

« Combattre, combattre, victorieusement encore et toujours jusqu’à l’heure où l’ennemi comprendra qu’il n’y a plus de transaction possible entre le crime et le droit. Nous serions indignes du grand destin qui nous est échu si nous pouvions sacrifier quelque peuple petit ou grand aux appétits, aux rages de domination implacable qui se cachent encore sous les derniers mensonges de la barbarie… »

« La victoire annoncée n’est pas encore venue et le plus terrible compte de peuple à peuple s’est ouvert : il sera payé. »2610

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours au Sénat, 17 septembre 1918. 1914-1918 : la Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les combattants (1922), publié sous la direction de Christian Frogé

Dernier appel au combat du Père la Victoire. Le recul des armées allemandes permet de constater l’étendue des dévastations : sur l’ensemble du territoire, plus de 800 000 immeubles détruits en tout ou partie, 54 000 km de routes à refaire, des milliers de ponts à reconstruire.

Le bilan humain est vertigineux. En Europe, la Grande Guerre aura fait 18 millions de morts, 6 millions d’invalides, plus de 4 millions de veuves et deux fois plus d’orphelins. Le maréchal Lyautey, ministre de la Guerre pendant quelques mois dans le cabinet Briand, avait dit au déclenchement du conflit : « C’est la plus monumentale ânerie que le monde ait jamais faite. »

SECONDE GUERRE MONDIALE

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »2753

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Le manuscrit de l’Appel du 18 juin, l’enregistrement de l’Appel du 22 juin, le manuscrit de l’affiche du 3 août et l’affiche elle-même sont inscrits au registre « Mémoires du monde » de l’UNESCO.

Premier appel radiodiffusé vers 20 heures par la BBC, radio de Londres qui donnera la parole aux Français résistants. Cette voix va devenir célèbre, mais ce jour-là, ses mots ne sont entendus de presque personne. Aucun enregistrement n’existe (il y a parfois confusion avec le discours du 22 juin). L’Appel (du 18 juin) reste l’un des textes les plus célèbres de l’histoire de France, par sa qualité d’écriture et par ses conséquences.

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. »2754

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

L’Appel du 18 juin et ses arguments simple et forts seront repris. Ils marquent l’acte de naissance de la France libre (et bientôt combattante) qui, à côté de l’autre France envahie et vaincue, incarnée par le Maréchal, va renaître, et d’abord dans les terres lointaines de son empire colonial, en Afrique équatoriale.

« Elle [la France] n’est pas seule […] Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte […] Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »2713

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940, Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Atout majeur de la France dans cette histoire, la Grande-Bretagne qui a aussi trouvé son grand homme : Churchill, partenaire essentiel pour de Gaulle. Au lendemain de la défaite française de juin 1940, la « bataille d’Angleterre » commence avec la marine qui empêche tout débarquement allemand, l’aviation qui met en échec la Luftwaffe, enfin l’Empire britannique qui permet de tenir tête à Mussolini et même à Hitler, dans la guerre méditerranéenne.

« Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s’agit de la France, de son sol, de ses fils. »2757

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Conclusion de l’appel lancé à la radio, 20 juin 1940. Pétain et les Allemands (1997), Jacques Le Groignec

L’autre voix de la France parle aux Français, pas encore vraiment déchirés entre les deux : cette radio-là est bien plus écoutée, étant donné la popularité du maréchal, vainqueur de Verdun en 1916 : « J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et je resterai avec vous dans les jours sombres… »

Pétain dénonce les causes de la défaite et son constat n’est pas discutable : « Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés. » Tel un père sévère, le vieux maréchal fait aussi la morale : « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort. » L’armistice sera signé le 22 juin, à Rethondes, très symboliquement dans le wagon où le maréchal Foch imposa à l’Allemagne vaincue les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918. Il prend effet le 25.

« J’invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l’air, j’invite les ingénieurs français spécialistes de l’armement […] J’invite les chefs, les soldats, les marins, les aviateurs des forces françaises de terre, de mer, de l’air, où qu’ils trouvent […] J’invite tous les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre. »2758

Charles de GAULLE (1890-1970), Conclusion de l’appel « À tous les Français », Discours radiodiffusé, 22 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

124 Sénans (le quart des habitants de l’île de Sein) ont entendu l’Appel du 18 juin et rallient l’Angleterre par cinq bateaux. Ses troupes sont encore modestes, quand, le 27 juin, de Gaulle prend le titre de Chef des Français libres, réaffirmant que le gouvernement de Pétain n’est qu’une autorité de fait sous la dépendance de l’ennemi. Lequel gouvernement prend des sanctions contre de Gaulle : ramené au grade de colonel et mis à la retraite par mesure disciplinaire le 24 juin, condamné par le tribunal militaire de Toulouse à quatre ans de prison et 1 000 francs d’amende le 4 juillet, condamné à mort et à la confiscation de ses biens par un tribunal de Vichy (nouveau siège du gouvernement), le 2 août.

« Cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. »2714

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel « A tous les Français » du 23 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Paroles littéralement prophétiques, alors que l’Angleterre est seule à faire encore front face à Hitler qui semble tout-puissant ! La guerre devient mondiale quand l’Allemagne attaque l’URSS (22 juin 1941) et quand le Japon intervient contre les États-Unis (7 décembre 1941) et le Commonwealth (début 1942). Elle s’étend à tous les continents, toutes les mers du globe, mobilise 92 millions d’hommes et fait (selon les estimations) de 35 à 60 millions de morts (civils et militaires). Il fallait sans doute que cette guerre, si mal commencée, devint mondiale pour finir bien, mais le prix en sera terrible, au-delà même de ces statistiques.

« Produire d’abord, revendiquer ensuite. »2818

Mot d’ordre du Bureau politique de la CGT, appelant les ouvriers à « se retrousser les manches », 6 décembre 1944. Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes (1982), Institut de recherches marxistes

La guerre n’est pas finie, une partie du territoire reste occupée. Dans l’autre, tout reste à reconstruire. La vie économique est paralysée.

On craignait des troubles sociaux, mais le PC remet la révolution à plus tard, donnant la priorité à la reconstruction de la France et son appui au gouvernement. La CGT communiste est très majoritaire avec plus de 5 millions d’adhérents. La CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) adopte la même politique.

Le GPRF, gouvernement provisoire remanié en novembre, inclut à présent des membres de la Résistance française de l’intérieur, notamment des communistes. La défaite de Vichy est aussi celle de la droite et trois partis dominent la vie politique renaissante : Parti communiste, Parti socialiste et Mouvement républicain populaire (MRP) d’inspiration catholique.

QUATRIÈME et CINQUIÈME RÉPUBLIQUES

« Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir de froid sur le trottoir du boulevard de Sébastopol. Elle serrait dans ses mains le papier par lequel on l’avait expulsée de son logement. Chaque nuit dans Paris, ils sont plus de deux mille à geler dans la nuit, sans toit, sans pain. »2887

Abbé PIERRE (1912-2007), Premiers mots de l’appel lancé à la radio dans l’hiver 1954. Emmaüs et l’abbé Pierre (2008), Axelle Brodiez-Dolino

1er février. Ce soir-là, dans un grand élan de colère, l’abbé Pierre fonce à Radio Luxembourg et s’empare du micro. Ce prêtre catholique, résistant pendant la guerre, député MRP jusqu’en 1951, a renoué avec sa vocation première de prêtre aumônier, dans le cadre du Mouvement Emmaüs, organisation caritative laïque, créée en 1949.

L’abbé Pierre demande que le soir même, dans tous les quartiers de Paris, s’ouvrent des centres de dépannage, qu’on y apporte couvertures, paille, pour accueillir tous ceux qui souffrent quels qu’ils soient, et qu’ils puissent y dormir, y manger, reprendre espoir, savoir qu’on les aime, et qu’on ne les laissera pas mourir. C’est la misère des laissés-pour-compte de la croissance économique. Trente ans plus tard, Coluche lancera ses « Restos du cœur ». Le quart-monde existe toujours et chaque époque crée ses nouveaux pauvres, en dépit des minima sociaux et des secours publics.

« Refusez d’obéir / Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre / Refusez de partir… »2900

Boris VIAN (1920-1959), paroles et musique, Serge REGGIANI (1922-2004), co-compositeur de la musique, Le Déserteur (1954), chanson

Écrite à la fin de la guerre d’Indochine, chantée par Mouloudji le jour de la prise de Diên Biên Phû : « Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir / Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens. »

Chanson interdite. Reprise en 1955, dans une version un peu édulcorée : « Messieurs, qu’on nomme grands… » Mais c’est le temps de la guerre d’Algérie : la chanson sera censurée dix ans pour « insulte faite aux anciens combattants ». Elle connaît une diffusion limitée et parallèle : sifflée par les soldats du contingent qui s’embarquent à Marseille, avant de devenir un protest song bilingue, puis un succès de la scène et du disque, reprise par Reggiani et d’autres : « Il faut que je vous dise / Ma décision est prise / Je m’en vais déserter ».

« Françaises, Français […] j’ai besoin de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs, c’est pourquoi je me tourne vers vous par-dessus tous les intermédiaires. En vérité, qui ne le sait, l’affaire est entre chacune de vous, chacun de vous et moi-même. »2997

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 6 janvier 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

Dernière apparition présidentielle avant le référendum du 8 qui demande au peuple français d’approuver le principe de l’autodétermination du peuple algérien. « Oui » : plus de 75 % des suffrages exprimés. Les électeurs n’ont pas suivi les consignes des partis politiques et, comme de Gaulle, ont négligé ces intermédiaires.

Le choc est dur, chez les Européens d’Algérie (également consultés et qui ont répondu majoritairement « non ») : ils ne se savaient pas à ce point coupés de la métropole, abandonnés. D’où le durcissement de leur position, alors que des négociations sont annoncées entre la France et le FLN à Évian.

« Il va peser lourd le oui que je demande à chacune et à chacun de vous ! »3005

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 26 mars 1962. Les Accords d’Évian, le référendum et la résistance algérienne (1962), Maurice Allais

Le général, comme à son habitude dans les grands moments, en appelle à la population. Il donne les résultats des négociations d’Évian, proclame le cessez-le-feu, et annonce le prochain référendum : « Il faut maintenant que s’expriment très haut l’approbation et la confiance nationale. »

Le 8 avril, plus de 90 % des Français approuveront les accords d’Évian (signés le 18 mars). Le oui des Algériens consultés le 2 est encore plus massif. Le 3, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie et Ben Bella devient président de la République. Juridiquement, la guerre est finie.

La vie politique française sera marquée par les séquelles de cette guerre non déclarée, qui a éclaté le 1er novembre 1954 et mobilisé deux millions de jeunes Français du contingent. Bilan : 25 000 tués chez les soldats français, 2 000 morts de la Légion étrangère, un millier de disparus et 1 300 soldats morts des suites de leurs blessures. Environ 270 000 musulmans algériens sont morts, sur une population de dix millions d’habitants. Et deux millions de musulmans déportés en camps de regroupement.

Faites l’amour, pas la guerre.
Prenez vos désirs pour des réalités.2952

Slogans de Mai 68

Dernier combat du général-président quelque peu dépassé par ce mouvement de la jeunesse qui a déclaré la guerre à la société capitaliste et au Métro-Boulot-Dodo.

Les sociologues eux-mêmes ont commenté à l’infini ces mots qui restent dans la mémoire collective, bien au-delà de la génération spontanée qui les créa, entre barricades bon enfant, manifs en chaîne et grèves de la joie.

« Ouvriers, enseignants, étudiants solidaires. »3047

Inscription sur les bannières, 13 mai 1968. Convergence des luttes et union sacrée, du moins en apparence

Manifestation digne, imposante, historique, mais sage : 200 000 personnes défilent de la République à Denfert-Rochereau en lançant ce nouveau slogan solidaire. Les dirigeants étudiants prennent parfois le pas sur les leaders syndicaux, d’où la réflexion de Cohn-Bendit qui est leur bête noire :

« Ce qui m’a fait plaisir, cet après-midi, c’est d’être en tête du défilé où les crapules staliniennes étaient dans le fourgon de queue. »

Paysans, ouvriers, tous unis, nous garderons le Larzac.3146

Slogan de la manifestation du Larzac, 24 et 25 août 1973. L’Histoire au jour le jour, 1944-1985 (1985), Daniel Junqua, Marc Lazar, Bernard Féron

Nouvelle affaire et mouvement frère de Lip, d’où manifestation commune et slogan qui unit « Paysans, ouvriers… »

Le plus grand causse du sud du Massif central abrite un camp militaire de 3 000 hectares. Ministre de la Défense, Michel Debré a décidé de l’agrandir jusqu’à 13 700 hectares : protestations des agriculteurs menacés d’expropriation et des défenseurs de l’environnement. Certains voient dans ce rassemblement un gentil feu de camp d’amateurs de roquefort authentique. Pour d’autres, cette rencontre entre les ouvriers-producteurs de Lip et les paysans-travailleurs du Larzac marque l’ébauche d’une nouvelle culture politique et la naissance de l’altermondialisme à la française. Quelque 150 Comités Larzac multiplient les défilés, meetings, grèves de la faim et mobilisent des dizaines de milliers de sympathisants, derrière des slogans à la Mai 68 : Faites labour, pas la guerre – Des moutons, pas des canons – DebrÉ ou de force, nous garderons le Larzac – Ouvriers et paysans, mÊme combat.

José Bové prend goût à l’écologie avec cette forme de révolte médiatique et Sartre solidaire, deux ans avant sa mort, exprime son soutien : « Je vous salue paysans du Larzac et je salue votre lutte pour la justice, la liberté et pour la paix, la plus belle lutte de notre vingtième siècle » (lettre du 28 octobre 1978).

L’histoire finit bien : François Mitterrand, élu président de la République le 10 mai 1981, renoncera au projet d’extension du camp militaire du Larzac.

« Nous disons non à une France vassale dans un empire de marchands, non à une France qui démissionne aujourd’hui pour s’effacer demain […] Comme toujours quand il s’agit de l’abaissement de la France, le parti de l’étranger est à l’œuvre, avec sa voix paisible et rassurante. Français, ne l’écoutez pas ! »3186

Jacques CHIRAC (1932-2019), Appel de Cochin, 6 décembre 1978

Barre a succédé à Barre à la tête du gouvernement. On prépare les premières élections européennes au suffrage universel, chaque grande formation aura sa liste. Chirac, victime d’un accident d’auto en Corrèze et soigné à l’hôpital Cochin à Paris, lance cet Appel mémorable, avertissement hors toute réalité, visant l’UDF et la politique du centre droit prônant une Europe fédérale. Cette bombe est surtout une insulte à Barre, à Giscard, à Simone Veil, à des millions de Français.

Alain Peyrefitte, garde des Sceaux, dénonce les « propos outranciers » et les « personnalités occultes » - Pierre Juillet et Marie-France Garaud, conseillers bien connus de Chirac. L’effet sera désastreux pour Chirac qui change de conseillers : Jean Tibéri et Alain Juppé feront partie de sa nouvelle équipe. Les prochains Appels (d’ordre écologique) seront naturellement mieux venus.

« France, réveille-toi ! »3297

Philippe SÉGUIN (1943-2010), première tribune contre le traité européen de Maastricht, Le Figaro, 27 novembre 1991

Maire d’Épinal et député des Vosges, le plus talentueux marginal de la politique française lance ici son appel contre Maastricht : « Sans doute, un cri de révolte est-il voué à demeurer sans écho… » Il va bientôt jouer de son éloquence à l’Assemblée, pour stigmatiser « ce lâche consentement qui laisse aller le monde comme il va, dans cette passivité médiocre, dans cet aveu d’impuissance avant-coureur du renoncement. »

L’Europe, enjeu majeur, devient l’un des thèmes les plus conflictuels entre et dans les partis, chose tout à fait logique, dans une démocratie : « Gloire aux pays où l’on parle… » disait Clemenceau, tribun qui sert d’ailleurs de référence à Séguin. Entre europhiles et europhobes, on trouve les eurosceptiques, les euroréalistes… Et surtout les fédéralistes contre les souverainistes – dont Séguin.

Les 12 représentants européens des Affaires étrangères se retrouvent à Maastricht aux Pays-Bas, pour signer un traité d’union économique, monétaire et politique. Le traité de Maastricht du 7 février 1992 est l’acte le plus important de la construction européenne, après le traité de Rome de 1957. La CEE (Communauté économique européenne, ou Marché commun) laisse place à l’Union européenne. Le débat ne fait que commencer.

« Nous nous engageons à mettre la préoccupation de l’environnement au centre de nos décisions, et à prendre les mesures qui s’imposent pour conjurer des périls qui menacent la survie même de l’Humanité, en particulier celui du changement climatique. Il est temps d’admettre que nous sommes parvenus au seuil de l’irréversible, et que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. »3405

Jacques CHIRAC (1932-2019), Appel qui clôt la Conférence de Paris, 3 février 2007

Plus de 200 participants sont venus d’une quarantaine de pays, en vue d’une gouvernance écologique mondiale. Le chef de l’État met à profit l’une de ses dernières apparitions publiques pour lancer cet Appel à la mobilisation internationale : « Nous nous engageons à mettre au centre de nos décisions et de nos choix, chacun dans notre domaine, la préoccupation de l’environnement. »

Outre la création d’une ONUE (Organisation des Nations unies pour l’environnement) qui serait « une voix forte et reconnue dans le monde », l’Appel de Paris prône l’adoption d’une Déclaration universelle des droits et des devoirs environnementaux : « Cette charte commune garantira aux générations présentes et futures un nouveau droit de l’homme : le droit à un environnement sain et préservé. »

Les promoteurs de l’Appel s’engagent à « faire le choix d’une autre croissance, d’une croissance écologique, le choix d’une économie mise au service du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. » La Fondation Jacques Chirac, créée en 2008, s’insère dans la droite ligne de cet Appel.

« Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la Révolution citoyenne. »3442

Jean-Luc MÉLENCHON (né en 1951), titre et sous-titre de son essai (Flammarion, 2010)

Le nouveau tribun de la gauche fourbit ses arguments, pour la prochaine présidentielle. Il sait que l’écrit deviendra parole, c’est clair, à la lecture : « La consigne, « Qu’ils s’en aillent tous », ne visera pas seulement ce président, roi des accointances, et ses ministres, ce conseil d’administration gouvernemental de la clique du Fouquet’s ! Elle concernera toute l’oligarchie bénéficiaire du gâchis actuel. « Qu’ils s’en aillent tous ! » : les patrons hors de prix, les sorciers du fric qui transforment tout ce qui est humain en marchandise, les émigrés fiscaux, les financiers dont les exigences cancérisent les entreprises. Qu’ils s’en aillent aussi, les griots du prétendu « déclin de la France » avec leurs sales refrains qui injectent le poison de la résignation. Et pendant que j’y suis, « Qu’ils s’en aillent tous » aussi ces antihéros du sport, gorgés d’argent, planqués du fisc, blindés d’ingratitude. Du balai ! Ouste ! De l’air ! »

En 2008, Mélenchon, ex-trotskiste, a quitté le PS pour fonder le PG, Parti de Gauche. Le 21 janvier 2011, il proposera sa candidature à l’élection présidentielle de 2012. En 2016, toujours amateur d’acronymes et de combat, il crée LFI (La France insoumise).

« Indignez-vous ! »3443

Stéphane HESSEL (1917-2013), titre de son essai (Indigène éditions, 2010)

Parole d’un jeune homme en colère de 92 ans. « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse » écrivait André Gide (Nouveaux Prétextes). Ce livre de 32 pages, publié par un petit éditeur de Montpellier, vendu 3 euros, sans promotion médiatique, tourne au phénomène d’édition : 950 000 exemplaires en 10 semaines. Traduit en 34 langues, le livre se vendra à 4 millions d’exemplaires.

L’auteur, né en Allemagne d’un père juif, naturalisé français en 1937, résistant face au nazisme et déporté à Buchenwald, participe à la rédaction, en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Diplomate de métier, européen de gauche, il est proche de Mendès France et Michel Rocard. Le militant reprend les idées du CNR (Conseil national de la Résistance) : engagement politique de la société civile, primauté de l’intérêt général sur l’intérêt financier, solidarité entre les générations. Il les confronte aux sujets d’indignation actuels : existence des sans-papiers, planète maltraitée, écart des richesses dans le monde.

Sorti le jour où la réforme des retraites est votée, le livre coïncide avec une vague de fond nourrie du mécontentement et du malaise des Français. Edgar Morin diagnostique le « réveil public d’un peuple jusqu’à présent très passif », avec un engagement des citoyens hors des partis politiques. Le mouvement des Indignés, soutenu par les réseaux sociaux sur Internet et associé au Printemps arabe, va essaimer dans le monde et manifester un peu partout en 2011 (comme en Mai 68) : plus de 70 pays, Espagne en tête avec ses Indignados contre la crise (et le campement du village alternatif sur la Puerta del Sol), Portugal, Italie, Grèce, Israël, jusqu’aux États-Unis (près de Wall Street, temple du capitalisme).

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