Voltaire et Rousseau. LE duo-duel intellectuel du siècle des Lumières. Comparable au dialogue entre Marx et Proudhon au XIXe, Sartre et Camus au XXe. Si les mots étaient des couteaux, il y aurait eu deux blessés et au moins un mort.
Voltaire, le plus mondain des philosophes, courtisan à l’aise en société, vivante incarnation de son siècle, et Rousseau le misanthrope qui cultive la solitude jusqu’à la folie de la persécution, se faisant gloire d’être pauvre et roturier : tout oppose les deux hommes.
« Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. »1032
(1749-1832)
Encyclopædia Universalis, article « Voltaire ».
Le siècle de raison va céder le pas au siècle des passions. Voltaire exprime et résume le XVIIIe siècle avec son ardente humanité, sa vocation à l’universel, sa sagesse, sa défense des libertés et des droits formels. Rousseau annonce le XIXe avec l’égalité, la fraternité, la fibre civique, les droits réels.
Brouillés « à mort » dans la vie, Voltaire et Rousseau seront réconciliés devant l’éternité par la même « panthéonisation » d’une Révolution qui rend ainsi hommage à tout le siècle philosophique.
« Oh ! le bon temps que ce siècle de fer ! »1019
VOLTAIRE (1694-1778), Le Mondain (1736). Satires
Contre Rousseau, en cousin de l’heureux Montesquieu et du fou de vie qu’est Diderot, Voltaire dit son bonheur de vivre à son époque : « Le paradis terrestre est où je suis. » Mais il le dit ici en épicurien et provocateur, saluant « le superflu, chose très nécessaire […] tant décrié par nos tristes frondeurs : / Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs. »
Ce qui ne l’empêche pas de juger ses semblables, de critiquer les défauts de l’Ancien Régime finissant et de se battre contre l’injustice et l’intolérance religieuse, en prenant parti dans les affaires Calas, La Barre, Montbailli.
« La nature a fait l’homme heureux et bon, mais […] la société le déprave et le rend misérable. »1035
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Dialogues : Rousseau juge de Jean-Jacques (1772-1776)
Ce postulat fonde toute son œuvre politique, pédagogique, morale, religieuse, romanesque. On le trouve dès 1750 dans le Discours sur les sciences et les arts : « Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. » Il récidive avec sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758) qui dit les dangers du théâtre en général et de Molière en particulier, « école de mauvaises mœurs ». Rousseau en fait aussi tout un roman par lettres, « best-seller » du temps (plus de 70 éditions en quarante ans), hymne à la nature, la vertu et la passion : Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761). Ce « barbare » qui dénonce le faux progrès de la civilisation des Lumières heurte les autres philosophes, qui adorent le théâtre et toutes les formes de spectacle, fréquentent les salons et les cafés à la mode, croient aux progrès de la civilisation et contribuent au rayonnement de la culture française en Europe.
« J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé. »1036
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
Le Discours sur l’inégalité est un brûlot dangereux à maints égards. Mais c’est cette petite phrase qui va, naturellement, faire réagir Voltaire, vivement ! Une provocation lancée à ce siècle épris de raison et à tous ses confrères qui font métier de penser.
« J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »1138
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755, Correspondance (posthume)
Ce jugement vise le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, point de départ de la philosophie politique de Rousseau qui annonce le Contrat social, avec la mise en cause littéralement révolutionnaire de la propriété - futur livre de chevet de Robespierre.
Entre Rousseau et Voltaire, il y a vraiment incompatibilité d’esprit. Et Rousseau, ulcéré, mal armé pour se battre sur le terrain de l’humour, écrit à son ami M. Moulton : « Je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. »
« Plus bel esprit que grand génie, / Sans loi, sans mœurs et sans vertu,
Il est mort comme il a vécu, / Couvert de gloire et d’infamie. »1230Épigramme, juin 1778, attribuée à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), à la mort de Voltaire
Rousseau meurt deux mois après, à Ermenonville. Fin d’une longue guérilla philosophico-polémique, qui ne fit honneur à aucun des deux personnages, si talentueux (ou géniaux) fussent-ils.
Rappelons qu’ils sont réunis au Panthéon dès la Révolution. Aucun des régimes qui vont se succéder sans se ressembler n’osera remettre en question cette reconnaissance de la patrie envers ces deux grands hommes.
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