Danton : « Est-ce qu'on emporte la patrie à la semelle de ses souliers ? » | L’Histoire en citations
Chronique du jour

 

Révolution

Convention nationale (suite)

Robespierre élimine ses ennemis, à droite (Danton et Cie), à gauche (Hébert et les Enragés). Sa Fête de l’Être suprême fait illusion et les soldats de l’An II font miracle aux frontières.

La « boucherie de députés » continue et la dictature jacobine se renforce. Robespierre frappe sur sa gauche (Hébert et les Enragés), sur sa droite (Danton, Desmoulins et les Indulgents), selon l’implacable logique de la Terreur.

Les « mots de la fin » s’enchaînent à un rythme inégalé, avec un sens de la formule propre aux héros révolutionnaires qui ont quelques heures ou quelques jours pour se préparer. Dans le même temps, les soldats de l’An II repoussent les ennemis de la République et reconquièrent le département du Nord, puis la Belgique.

Paradoxe suprême ? Robespierre (déiste à la Rousseau) crée une religion révolutionnaire qui culmine le 8 juin 1794, avec la Fête de l’Être suprême.

Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.

« Est-ce qu’on emporte la patrie à la semelle de ses souliers ? »1579

Georges Jacques DANTON (1759-1794), à son ami Legendre qui le prévient du danger et l’exhorte à s’enfuir à l’étranger, mars 1794

Histoire de la Révolution française, 1789-1799 (1883), Alfred Rambaud.

Cette fois, Danton ne se dérobe pas : « Mieux vaut être guillotiné que guillotineur. » Suspect d’indulgence, il va braver Robespierre jusqu’à la fin. Tout oppose l’Incorruptible et le bourgeois bon vivant (…) Le 30 mars, il est arrêté comme ennemi de la République. Seul Legendre essaie timidement de le défendre à la Convention.

« Son foutu mâtin de journal
Nous a bougrement fait de mal,
Qu’on le foute à la guillotine
Et toute sa clique coquine,
Ah ! ah ! ah ! mais vraiment
Guillotinez-les proprement. »1580

BEAUCHANT (fin du XVIIIe siècle), Impromptu sur le raccourcissement du Père Duchesne, printemps 1794, chanson

La chanson désigne Hébert, un des Enragés, directeur du Père Duchesne, journal le plus populaire. Trop populaire pour Robespierre, qui accuse les ultra-révolutionnaires de monter la Commune de Paris contre la Convention (…) Hébert incarne la gauche de la gauche. Il dénonce Danton et ses amis, les Indulgents qui veulent mettre fin à la Terreur, mais aussi les « endormeurs », faction de robespierristes cherchant à gouverner en équilibrant les diverses factions (…)

« Le sommeil bienfaisant a suspendu mes maux ; on n’a pas le sentiment de sa captivité, on est libre quand on dort. »1581

Camille DESMOULINS (1760-1794), Lettre à Lucile, 1er avril 1794

Après les Hébertistes trop enragés, vient le tour des Dantonistes trop modérés. Danton, Desmoulins, Lacroix et Philippeaux : arrêtés le 30 mars, sitôt jugés pour crime d’indulgence. Telle est la terrible logique de la Terreur. « Le nombre des coupables n’est pas si grand ! », dit Robespierre, le 31 mars. Mais il est petit à l’infini, si les proscriptions n’ont pas de fin.

« Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom, vous le trouverez dans le panthéon de l’Histoire. »1582

DANTON (1759-1794), réponse au Tribunal révolutionnaire, 2 avril 1794

Le Tribunal procède à l’interrogatoire habituel, lui demandant son nom et ses qualités. Il existe plusieurs versions de la réponse, selon les sources (…) Danton a toujours le sens de l’improvisation – quoique cette réplique ait pu être préparée.

« J’ai l’âge du sans-culotte Jésus ; c’est-à-dire trente-trois ans, âge fatal aux révolutionnaires ! »1583

Camille DESMOULINS (1760-1794), au Tribunal révolutionnaire lui demandant son nom, son âge, 2 avril 1794

En réalité, il vient d’avoir 34 ans. Mais l’âge du Christ et le rapprochement avec cet « anarchiste qui a réussi » (André Malraux) font référence. Le capucin Chabot l’a également proclamé au début de la Terreur de septembre 1793, assurant publiquement que le « citoyen Jésus-Christ a été le premier sans-culotte du monde ». Arrêté le 30 mars, il est guillotiné le 5 avril. Lucile, sa femme adorée (…) montera à l’échafaud le 13 avril.

« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine. »1584

DANTON (1759-1794), mot de la fin au bourreau, avant de poser sa tête sous le couperet de la guillotine, 5 avril 1794

C’est « une gueule » et il en a bien joué ! Personnage éminemment théâtral, orateur né, il a suscité des haines farouches, mais fasciné le peuple et l’Assemblée nationale. Son sens de la formule est remarquable, littéralement jusqu’à la fin. Son ennemi intime, Robespierre, n’aura pas cette chance.

« Échafaud. – S’arranger quand on y monte pour prononcer quelques mots éloquents avant de mourir. »1585

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)

Le mot de Flaubert pourrait s’appliquer à bien des « mots de la fin » attribués aux personnages de la Révolution. Quels que soient leur âge, leur sexe, leur condition, leurs convictions, la plupart sont morts en héros, dignes de cette époque héroïque.

« Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. »1586

ROBESPIERRE (1758-1794), Convention, Rapport du 7 mai 1794 (décret du 18 floréal an II)

La déchristianisation est en bonne voie (…) mais le peuple a besoin d’une forme de spiritualité, ne serait-ce que pour encourager le civisme. Mettant en accord idées religieuses et principes républicains, il réaffirme que « le fondement de la société, c’est la morale (au nom de quoi) il sera institué des fêtes pour appeler l’homme à la poésie de la divinité ». La fête de l’Être suprême (…) est fixée au 8 juin.

« La République n’a pas besoin de savants. »1587

Jean-Baptiste COFFINHAL-DUBAIL (1754-1794), vice-président du Tribunal révolutionnaire, à Lavoisier, 8 mai 1794. Mot parfois attribué à René François DUMAS (1753-1794), président du Tribunal, et même à FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), accusateur public.

Le condamné demandait qu’on diffère l’exécution de quelques jours, le temps de terminer une expérience (…) Lavoisier est donc condamné et guillotiné le jour même, avec 27 collègues de la Ferme générale. Car tel est son crime : avoir été fermier général sous l’Ancien Régime. Mort à 51 ans, ce grand savant laisse en héritage les bases de la chimie moderne et une loi qui porte son nom, résumée par : « Rien ne se perd, rien ne se crée. »

« Il ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête, et cent années peut-être ne suffiront pas pour en produire une semblable. »1588

Louis de LAGRANGE (1736-1813), à J.-B. Delambre, déplorant la mort de Lavoisier au lendemain de son exécution, le 9 mai 1794. Encyclopédie Larousse, article « Antoine Laurent de Lavoisier »

Parole d’un confrère de Lavoisier (…) La science paie un lourd tribut à la Révolution avec Lavoisier, guillotiné après Bailly, et Condorcet (suicidé pour échapper à l’échafaud). La science est par ailleurs honorée. À l’initiative du mathématicien Gaspard Monge, l’École polytechnique est créée le 11 mars 1794. Sa devise : « Pour la patrie, les sciences et la gloire. »

« Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas. »1589

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), Convention, Rapport du 26 mai 1794. Phrase également attribuée à Lazare CARNOT (1753-1823)

Membre du Comité de salut public, il regrette que l’on ait fait prisonniers des Anglais au siège de Dunkerque (août 1793). L’extermination souhaitée concerne donc les ennemis du dehors. La phrase est souvent citée comme s’appliquant aux adversaires de la Révolution, en France même. On ne prête qu’aux riches : Barère, l’Anacréon de la guillotine, est l’un des inspirateurs de la Terreur (…)

« Soyez attaquants, sans cesse attaquants. »1590

Comité du 8 prairial an II (27 mai 1794), Aux « soldats de l’an II ». Formule attribuée à Lazare CARNOT (1753-1823)

Parfois daté de février 1794, c’est le genre de mot « passe-partout », toujours en situation dans un pays en guerre. La levée en masse a mis 750 000 hommes sous les drapeaux pour sauver la patrie en danger. Malgré d’énormes problèmes d’approvisionnement et de discipline, l’attaque ordonnée réussit, les armées de la République repoussent l’ennemi. En mai 1794, le département du Nord est reconquis. Et la Belgique, le mois suivant.

« Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées […]
Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers ! »1591

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Le poète a raison : de l’an II date la réputation des Français comme redoutables soldats. L’armée nationale fait face victorieusement à la première coalition qui réunit Angleterre, Russie, Sardaigne, Espagne, royaume des Deux-Siciles et qui sera bientôt disloquée par les traités de Paris, Bâle, La Haye, en 1795.

« Captifs !… la vie est un outrage
Ils préfèrent le gouffre à ce bienfait honteux.
L’Anglais, en frémissant, admire leur courage ;
Albion pâlit devant eux. »1592

LABRUN-PINDARE (1729-1807), Ode sur le vaisseau Le Vengeur

L’équipage du Vengeur, appartenant à l’escadre de Villaret-Joyeuse, engagé contre la flotte anglaise, préféra couler plutôt que d’amener son pavillon, le 1er juin 1794. Le poète (…) célèbre ainsi ce « naufrage victorieux ».

« Ayez des fêtes générales et plus solennelles pour toute la République ; ayez des fêtes particulières et pour chaque lieu qui soient des jours de repos […] Que toutes tendent à réveiller les sentiments généreux qui font le charme et l’ornement de la vie humaine, l’enthousiasme de la liberté, l’amour de la patrie, le respect des lois. »1593

ROBESPIERRE (1758-1794). Robespierre, écrits (1989), Claude Mazauric

Couronnement spirituel de la démocratie, la fête de l’Être suprême a lieu le 8 juin : grandiose spectacle mis en scène par le peintre David. Bouquet d’épis, de fruits et de fleurs à la main, Robespierre marche en tête du cortège, des Tuileries au Champ de Mars, devant une foule de 400 000 personnes (pour 600 000 Parisiens à l’époque) (…) Déiste à la manière de Rousseau, Robespierre est le premier à croire à cette utopie (…)

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