Napoléon et Mme de Staël : duel sur tous les plans.
Ça ne pouvait se passer que mal, de plus en plus mal, entre l’empereur foncièrement misogyne et cette femme de tête, de cœur, d’esprit, de talent.
« Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. »1697
(1766-1817), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800)
Fille du banquier suisse Necker (ministre très populaire de Louis XVI), c’est l’une des rares voix qui s’élève cette année-là (sous le Consulat) pour oser dénoncer le pouvoir de plus en plus absolu du futur empereur.
Épouse de l’ambassadeur de Suède en France (Erik Magnus de Staël-Holstein), Mme de Staël, fervente lectrice de Rousseau, fut d’abord favorable à la Révolution. Mais elle ne lui pardonne pas la mort du roi, moins encore celle de la reine, et la Terreur. Après trois ans d’exil, elle revient à Paris pleine d’espoir et impressionnée par le nouveau héros, ce général Bonaparte qui va redonner vie à l’idéal révolutionnaire de 1789.
Le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799) qui met fin au Directoire et la Constitution de l’an VIII qui donne tout pouvoir au Premier Consul lui ôtent toutes ses illusions. Cela confirme l’adage d’un homme d’esprit parlant de la Révolution et qu’elle se plaît à citer : « En France, on ne permet qu’aux événements de voter. »
Elle se fait détester par le grand homme, supportant mal l’intelligence et la libre expression d’une femme. D’où son nouvel exil – doré, en Suisse, à Coppet sur les bords du lac Léman, dans le château de famille, auprès de son père.
« Bonaparte, très en colère de l’impassibilité de Paris, a dit à ses courtisans réunis : « Que leur faut-il donc ? » Et personne ne s’est levé pour lui dire : « La liberté, citoyen consul, la liberté ! » »1723
Mme de STAËL (1766-1817)
Lettres inédites de Mme de Staël à Henri Meister (posthume, 1903)
C’est le genre de vérité que le « citoyen consul » et futur empereur ne saurait entendre, surtout dans le contexte qui provoque déjà sa colère. Le traité d’Amiens, signé le 25 mars 1802, met fin aux guerres de la deuxième coalition. C’est la paix avec l’Angleterre qui se retrouvait seule à combattre. Londres illumine en apprenant la signature. On crie « Vive Bonaparte ! » Alors que Paris reste calme (1er octobre 1801).
« Voici le second pas fait vers la royauté. Je crains que cet homme ne soit comme les dieux d’Homère, qu’au troisième acte il n’atteigne l’Olympe. »1729
Mme de STAËL (1766-1817), jugeant l’irrésistible ascension du Premier Consul
Elle ironise en ces termes quand le 15 août – anniversaire de Bonaparte, né sous le signe astral du lion – devient jour de fête nationale. Le prénom de Napoléon s’inscrit déjà sur des pièces de monnaie. Et le sénatus-consulte du 4 août 1802, appelé Constitution de l’an X, augmente encore les pouvoirs du Premier Consul à vie, au détriment du législatif.
Un agent du comte de Provence (futur Louis XVIII) constate : « Bonaparte continue à régner avec une plénitude de pouvoirs que ne déployèrent jamais nos rois. »
« L’arrivée de cette femme, comme celle d’un oiseau de mauvais augure, a toujours été le signal de quelque trouble. Mon intention n’est pas qu’elle reste en France. »1738
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Grand Juge Régnier (ministre de la Justice), octobre 1803
Il vient d’apprendre le retour de Mme de Staël près de Beaumont-sur-Oise, le 3 octobre. Il lui donne cinq jours pour partir, sinon, il la fera reconduire à la frontière par la gendarmerie. On ne badine pas avec un tel maître de la France.
« Toute l’éducation publique a pris un caractère militaire. »1858
Mme de STAËL (1766-1817), Dix années d’exil (posthume, 1966)
Le 25 novembre 1811, un décret achève d’organiser l’Université de France. Napoléon a surtout veillé sur le secondaire – il aurait même voulu imposer le célibat aux professeurs ! Études menées au son du tambour, de 5 heures 30 du matin à 8 heures 45 du soir (exemple du lycée de Limoges). Un célèbre poète va confirmer…
« Nos maîtres ressemblaient à des hérauts d’armes, nos salles d’études à des casernes, nos récréations à des manœuvres et nos examens à des revues. »1859
Alfred de VIGNY (1797-1863), Servitude et grandeur militaires (1835)
Témoignage d’un ancien élève du lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), âgé de 14 ans en 1811, né d’une famille aristocratique et de tradition militaire, se préparant (sans vraie vocation) à Polytechnique. Vigny quittera l’armée pour écrire des vers.
Mais il évoque avec nostalgie ce passé qui fait rêver toute sa génération romantique : « Les maîtres mêmes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée, et nos cris de Vive l’empereur interrompaient Tacite et Platon […] Il me prit alors plus que jamais un amour vraiment désordonné de la gloire des armes ; passion d’autant plus malheureuse que c’était le temps, précisément, où la France commençait à s’en guérir. »
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