Troisième République
La fièvre boulangiste
Le scandale des décorations à l’Élysée a transformé la vague de sentimentalité populaire en mouvement politique : le boulangisme, devenu « syndicat des mécontents », hostile aux (républicains) opportunistes au pouvoir, menace le régime parlementaire. Il rassemble des radicaux qui veulent depuis toujours la révision de la Constitution (Rochefort, Naquet), des patriotes de droite qui ne rêvent que revanche (Déroulède), mais aussi des royalistes et des bonapartistes. Mais l’aventure tourne court pour Boulanger, qui n’a jamais vraiment menacé les institutions.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« Dissolution, Révision, Constituante. »2492
(1837-1891), Mot d’ordre de sa campagne électorale, printemps 1888
Histoire politique de l’Europe contemporaine (1897), Charles Seignobos.
Le scandale des décorations à l’Élysée a transformé la vague de sentimentalité populaire en mouvement politique : le boulangisme, devenu « syndicat des mécontents », hostile aux (républicains) opportunistes au pouvoir, menace le régime parlementaire (…)
Boulanger se pose en champion d’une République nouvelle, et crée son Parti républicain national. Mais Clemenceau se méfie, voyant poindre un nouveau Bonaparte, et Charles Floquet, président du Conseil, dans son discours à la Chambre du 19 avril 1888, qualifie le général Boulanger de « manteau troué de la dictature », avant de le blesser dans un duel à l’épée, le 13 juillet.
« La République, il ne faut pas se le dissimuler, est profondément atteinte. »2493
Jules FERRY (1832-1893), été 1888. Troisième République (1952), Jacques Chastenet
Dans une lettre à sa femme, il déplore le triomphe remporté par Boulanger dans plusieurs élections entre avril et août : « Les chiffres de notre défaite sont formidables et la République… » Utilisant avec astuce le système électoral (qui sera réformé par la suite), Boulanger pose sa candidature à chaque partielle, est élu, démissionne et recommence dans un autre département, de sorte qu’il se retrouve comme plébiscité dans diverses régions de France.
« La science n’a pas de patrie. »2494
Louis PASTEUR (1822-1895), Discours pour l’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888. La Vie de Pasteur (1907), René Vallery-Radot. (Première biographie du grand savant, écrite par son gendre.)
La Troisième République ne se résume pas en crises, affaires, scandales. C’est aussi le temps des grands savants pour la France, qui se retrouve en bonne place dans le monde, avec des hommes tels que Louis Pasteur (microbiologie, vaccins), Marcellin Berthelot (chimie de synthèse, thermochimie), Claude Bernard (physiologie, médecine expérimentale) (…)
« Puisqu’il y a une bêtise à faire, la Ville Lumière la fera ! »2495
Jules SIMON (1814-1896), Souviens-toi du Deux-décembre (1889)
Républicain hostile au boulangisme, il voit venir les ennuis, dès l’automne 1888. De fait, Boulanger triomphe à Paris, à l’occasion d’une nouvelle partielle, le 27 janvier 1889 : 245 000 voix contre 162 000 au radical Édouard Jacques.
La foule et certains de ses amis le poussent à s’emparer du pouvoir par un coup d’État. C’est aussi l’ardent désir de Paul Déroulède, à la tête de sa Ligue des patriotes.
« Pourquoi voulez-vous que j’aille conquérir illégalement le pouvoir quand je suis sûr d’y être porté dans six mois par l’unanimité de la France ? »2496
Général BOULANGER (1837-1891), réponse aux manifestants, 27 janvier 1889. Histoire de la Troisième République, volume II (1963), Jacques Chastenet
C’est sa réponse aux manifestants qui lui crient : « À l’Élysée ! » et marchent vers le palais où le président Carnot fait déjà ses malles ! Boulanger choisit la légalité ce 27 janvier 1889, il choisit aussi d’écouter les conseils de Marguerite de Bonnemains, maîtresse passionnément aimée (…) Cela laisse le temps au gouvernement de réagir : le ministre de l’Intérieur, Ernest Constans, l’accuse de complot contre l’État. Craignant d’être arrêté, il fuit en Belgique. Son prestige s’effondre. Le boulangisme a vécu (…)
« La tour Eiffel, témoignage d’imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s’élève exprès pour proclamer cela jusqu’au ciel. C’est le monument-symbole de la France industrialisée ; il a pour mission d’être insolent et bête comme la vie moderne et d’écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris de nos souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l’Arc de Triomphe, la prière et la gloire. »2497
Édouard DRUMONT (1844-1917), La Fin du monde (1889)
Mon vieux Paris (1878), premier livre qui le fait connaître, déborde de nostalgie pour cette capitale où il est né et qui a tant changé, depuis le Second Empire et les travaux d’Haussmann. Écrivain et journaliste, il reste surtout connu comme polémiste d’extrême droite.
« Sa tour ressemble à un tuyau d’usine en construction, à une carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques. On ne peut se figurer que ce grillage infundibuliforme soit achevé, que ce suppositoire solitaire et criblé de trous restera tel. »2498
Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907), évoquant Eiffel et sa Tour, Écrits sur l’art - Certains (1894)
Le monument est inauguré le 6 mai 1889, pour la nouvelle Exposition universelle et le centenaire de la Révolution de 1789. Trois cents personnalités ont écrit pour protester contre la construction de la tour Eiffel, encore plus attaquée en son temps que le Centre Beaubourg de Renzo Piano (…)
« Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. »2499
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), apprenant le suicide du général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse à Ixelles (Belgique), le 30 septembre 1891. Histoire de la France (1947), André Maurois
L’épitaphe est cinglante, mais la fin du « Brave Général » qui fit trembler la République est un fait divers pitoyable.
Le gouvernement a réagi après ce qui aurait tourné au coup d’État, si Boulanger avait osé ! Accusé de complot contre l’État, craignant d’être arrêté, il s’est enfui le 1er avril 1889, à Londres, puis à Bruxelles, avec sa maîtresse (de mèche avec la police). Son prestige s’effondre aussitôt. Le 14 août, le Sénat, réuni en Haute Cour de justice, le condamne par contumace à la déportation. Mme de Bonnemains meurt du mal du siècle (la phtisie), le 16 juillet 1891. Sur sa tombe, toujours fou d’amour, le général Boulanger fait graver ces mots : « Marguerite… à bientôt » (…)
« Parlez-nous de lui, grand-mère,
Grand-mère, parlez-nous de lui ! »2500Maurice MAC-NAB (1856-1889), Les Souvenirs du populo, chanson. Chansons du chat noir (1890), Camille Baron, Maurice Mac-Nab
Parodie de la célèbre chanson de Béranger, comme si Bonaparte et Boulanger étaient également sensibles au cœur du peuple : « Devant la photographie / D’un militaire à cheval / En habit de général / Songeait une femme attendrie. / Ses quatre petits-enfants / Disaient “Quel est donc cet homme ?” / “Mes fils, ce fut dans le temps / Un brave général comme / On n’en voit plus aujourd’hui / Son image m’est bien chère !” » Le phénomène Boulanger aura duré trois ans. Mais le nationalisme revanchard va lui survivre dans les milieux de droite.
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