Les crises se suivent sans se ressembler, la Troisième s’y épuise, l’opinion se lasse ou s’exaspère et l’histoire tend à ne retenir que cette dérive politique. Là-dessus se greffe une nouvelle forme de crise : l’anarchie. Elle frappe en l’Europe et jusqu’aux États-Unis, les attentats étant particulièrement nombreux et spectaculaires en France.
« Ils [les ministres] tomberont de si bas que leur chute même ne leur fera pas de mal. »2507
(1844-1924), Les Opinions de M. Jérôme Coignard (1893)
Fond et forme, on croirait entendre Clemenceau. Deux caractères bien différents, républicains de gauche également sincères et critiques sur l’évolution du régime, l’un en homme d’action et politicien expérimenté, l’autre en écrivain et journaliste, critique et philosophe engagé. Deux longues vies de combat. Clemenceau laisse un nom et des citations toujours bienvenues, Anatole France est injustement oublié de l’histoire et de la littérature (quoique prix Nobel en 1921).
Passionné par l’histoire contemporaine, il témoigne abondamment et s’engage inlassablement, ainsi dans l’Affaire Dreyfus. Loin de l’image fade, voire ridicule que donnera de lui l’intelligentsia d’extrême-droite dans l’entre-deux-guerres, il resta jusqu’au bout fidèle à ses convictions socialistes, bientôt communistes, mais loin de tout dogmatisme et même de tout parti. Fait assez rare pour être souligné dans notre Histoire en citations.
Le temps des crises s’éternise sous cette République (surtout de 1885 à 1905). Le personnel politique est d’une médiocrité navrante, l’opinion publique est dégoûtée de ces politiciens professionnels et de leurs jeux pimentés de scandales. Cela fait le bonheur des chansonniers… et des anarchistes.
Toutes les citations qui suivent
sont commentées dans nos Chroniques.
« Il y a les magistrats vendus, / Il y a les financiers ventrus,
Il y a les argousins, / Mais pour tous ces coquins,
Il y a d’la dynamite, / Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite ! / Dansons la ravachole ! / Vive le son d’l’explosion. »2504Sébastien FAURE, La Ravachole, version anarchiste de La Carmagnole (1892), chanson
L’auteur a un long parcours militant : ex-séminariste, ex-marxiste, anarchiste à la fin des années 1880, libertaire avec Louise Michel, dreyfusard durant l’Affaire, pacifiste et antimilitariste au siècle suivant. L’anarchie occupe la vie publique un quart de siècle, avec ses chansons, sa presse, ses héros et ses criminels, ses attentats, ses victimes - jusqu’au président Sadi Carnot.
« Vos mains sont couvertes de sang.
— Comme l’est votre robe rouge ! »2511Émile HENRY, répondant au président du tribunal, 27 avril 1894. Historia (octobre 1968), « L’Ère anarchiste », Maurice Duplay
Fils de bourgeois, anarchiste par idéal révolutionnaire, il veut frapper partout, parce que la bourgeoisie est partout. Il a 19 ans quand sa bombe portée pour examen au commissariat de police explose : 5 morts, le 8 novembre 1892. Nouvelle bombe, café Terminus de la gare Saint-Lazare : un mort, 20 blessés, le 12 février 1894. Il est guillotiné le 21 mai, criant « Courage, camarades ! Vive l’anarchie ! »
« Alors tendant ses longs bras roux / Bichonnée, ayant fait peau neuve,
Elle attend son nouvel époux, / La Veuve. »2513Jules JOUY, La Veuve (1887) - nom de la guillotine, en argot, chanson
L’auteur finira dans un asile, en camisole de force, hanté par le spectacle (public) des exécutions capitales. Damia crée la chanson en 1928 : « Voici venir son prétendu / Sous le porche de la Roquette / Appelant le mâle attendu / La Veuve, à lui, s’offre coquette… » L’exécution cesse d’être publique en 1939. La peine de mort sera abolie en 1981.
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