« Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu ! »258
Cris des Templiers brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, 19 mars 1314
Les Templiers (2004), Stéphane Ingrand.
Épilogue de la plus célèbre et tragique affaire du Moyen Âge : mystère, argent, pouvoir, religion et hérésie, supplices et déni de justice, tout est réuni pour passionner le peuple, les historiens et les romanciers à venir.
Dans cet îlot qui doit son nom aux nombreux juifs ayant subi le supplice du bûcher, à la pointe de l’île de la Cité, le peuple apprécie ce genre de spectacle et les Templiers attirent la foule des grands jours. Cette citation entre dans une catégorie peu fournie : « mot de la fin collectif ».
Une trentaine de Templiers vont rejoindre dans le supplice les deux principaux dignitaires de l’Ordre, dont Jacques de Molay, le grand maître : après quatre ans de prison et de silence, ils ont proclamé leur innocence et dénoncé la calomnie, à la lecture publique de l’ultime sentence, sur le parvis de Notre-Dame. Comme si le courage leur revenait soudain. Après sept ans d’« affaire des Templiers », le roi qui veut en finir a ordonné l’exécution groupée des plus « suspects », le soir même.
« Boire comme un Templier. » « Jurer comme un Templier. »249
Expressions populaires au début du XIVe siècle
Le Livre des proverbes français (1842), Antoine-Jean-Victor Le Roux de Lincy
Dictons toujours en cours, même si on en oublie l’origine.
Ils donnent une faible idée des vices, crimes et péchés que la rumeur prêtait aux chevaliers. « Le Temple avait pour les imaginations un attrait de mystère et de vague terreur. Les réceptions avaient lieu, dans les églises de l’ordre, la nuit et portes fermées. On disait que si le roi de France lui-même y eût pénétré, il n’en serait pas sorti » (Jules Michelet, Histoire de France).
Un fait est certain. Devenus banquiers des pèlerins et des marchands, puis des rois et des papes, souvent usuriers, les Templiers ont amassé des richesses immenses. Un tiers de Paris vit sous leur protection – le quartier du Temple, qui a gardé ce nom. Leur fortune et leur puissance font bien des jaloux, leur arrogance est une injure aux pauvres et leur sens du secret permet de tout imaginer.
Le roi a décidé d’éliminer cet « État dans l’État », les Templiers dépendant de la seule autorité du pape. Philippe le Bel veut aussi récupérer une part de leur fortune – le fameux « trésor ». L’opération secrète, bien préparée, sera vite et bien menée.
« Cette engeance comparable aux bêtes privées de raison, que dis-je ? dépassant la brutalité des bêtes elles-mêmes, commet les crimes les plus abominables […] Elle a abandonné son Créateur, sacrifié aux démons. »251
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), parlant des Templiers
Les Templiers (1963), Georges Bordonove
On voit jusqu’où peut aller la duplicité du roi pour justifier une action injustifiable au plan de la pure équité.
13 octobre 1307, les Templiers sont arrêtés dans l’enceinte du Temple à Paris et pareillement saisis dans leurs châteaux en province. Ils n’opposent aucune résistance : l’effet de surprise est total et la Règle des moines soldats leur interdit de lever l’épée contre un chrétien. Une douzaine a pu fuir ; les autres, environ 2 000, seront livrés à l’Inquisition, sur demande du chancelier Nogaret.
Cette juridiction ecclésiastique d’exception est compétente pour la répression des crimes d’hérésie et d’apostasie, les faits de sorcellerie et de magie. 138 Templiers comparaissent, sous l’accusation de mœurs obscènes, sodomie, hérésie, idolâtrie, pratique de messes noires.
« On n’entendait que cris, que gémissements de ceux qu’on travaillait, qu’on brisait, qu’on démembrait dans la torture. »253
Abbé René Aubert de VERTOT (1655-1735), Histoire des Chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (posthume, 1742)
Il fut témoin des pratiques de l’Inquisition. Élongation, dislocation, brûlures, brodequins, chevalet, tels sont les moyens utilisés contre les accusés en octobre et novembre 1307. 36 Templiers meurent sous la torture. L’inquisiteur de France, Guillaume de Paris, confesseur du roi, veille aux interrogatoires.
Face aux bourreaux, les Templiers avouent en masse, tout ce qu’on veut. Même le grand maître Jacques de Molay, vraisemblablement pas torturé. Ce qui donnera naissance au « mystère des Templiers » : étaient-ils si innocents ?
« Jamais je n’ai avoué les erreurs imputées à l’ordre, ni ne les avouerai. Tout cela est faux. »255
Frère BERTRAND de SAINT-PAUL (fin XIIIe-début XIVe siècle), 7 février 1310
Histoire vivante de Paris (1969), Louis Saurel
Avec lui, 32 Templiers veulent à présent défendre l’ordre, au second procès. Leur attitude a changé du tout au tout. Les Templiers qui ont avoué en 1307 vont donc se rétracter, au risque du bûcher.
Et le pape, dans cette histoire ? Clément V, hésitant par nature, fort embarrassé par l’affaire et par ailleurs malade, s’est mollement et tardivement ému du destin de ses Templiers, en février 1308 : il a suspendu l’action des inquisiteurs et annulé les procédures engagées par Philippe le Bel.
Fureur du roi ! Le chancelier Nogaret manœuvre en coulisses. Et le pape (français d’origine) se soumet à la volonté royale, abandonne les Templiers à leur sort, demandant seulement qu’on y mette les formes. D’où le nouveau procès, et quelques bulles pontificales.
« J’avouerais que j’ai tué Dieu, si on me le demandait ! »256
Frère AYMERI de VILLIERS-LE-DUC (fin XIIIe-début XIVe siècle), 13 mai 1310
Histoire vivante de Paris (1969), Louis Saurel
Il ajoute : « J’ai reconnu quelques-unes de ces erreurs, je l’avoue, mais c’était sous l’effet des tourments. J’ai trop peur de la mort. »
Le pape dissout l’ordre des Templiers : bulle Vox clamantis du 3 avril 1312. La bulle Ad providam du 2 mai va transmettre les biens aux Hospitaliers. Le roi, sous prétexte de dettes, en a déjà prélevé la plus forte part possible, mais le fameux « trésor des Templiers » demeure introuvable.
« Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’ajourne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge. »259
Jacques de MOLAY (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314
Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée
Dernières paroles attribuées au grand maître des Templiers. Ce mot de la fin est l’un des plus célèbres de l’histoire. Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon - comme aucun pape avant lui, ni après.
Autre version de la malédiction, tirée de la saga des Rois maudits de Maurice Druon et du feuilleton télé de Claude Barma qui popularisa l’affaire des Templiers au XXe siècle : « Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! »
Nogaret est mort il y a un an et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais… le pape va mourir dans le délai imparti, comme le roi, suite à une chute de cheval (blessure infectée ou accident cérébral). Plus troublant, le nombre de drames qui frappent la descendance royale en quinze ans, au point d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires. Quant à la treizième génération… cela tombe sur Louis XVI, le roi de France guillotiné sous la Révolution.
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