Politique et poésie se conjuguent avec génie, sous la Résistance française. Un nom s’impose, Aragon, avec son engagement et ses contradictions. Il faut citer deux autres poètes au parcours comparable, Éluard et Desnos.
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« Sur mes cahiers d’écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J’écris ton nom […] Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître, Pour te nommer Liberté. »2788
(1895-1952), « Liberté », Poésie et Vérité (1942)
Cet hymne à la liberté, chef-d’œuvre de la poésie née de la Résistance, est répandu sur la France par les avions de la Royal Air Force. Éluard, comme Aragon, a choisi la voie de l’engagement politique et les rangs du Parti communiste dans les années 1930. Depuis la rupture du pacte germano-soviétique, l’entrée dans la Résistance ne pose plus problème aux intellectuels et militants du PCF. Comme l’écrira Philip Williams en 1971 : « Dès lors que l’URSS est en danger, les « mercenaires de la Cité de Londres » deviennent du jour au lendemain « nos vaillants alliés britanniques », tandis que les gaullistes, de « traîtres », se transforment en « camarades ». »
« Je vous salue ma France où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris mon cœur trois ans vainement fusillé […]
Ma France d’au-delà le déluge, salut ! »2803Louis ARAGON (1897-1982), « Je vous salue ma France… » (1943)
Aragon s’est engagé, communiste d’abord, résistant ensuite. Ses vers, œuvres de circonstance au meilleur sens du terme, sont cités par le général de Gaulle à la radio de Londres. Publié clandestinement, ce poème s’adresse aux prisonniers et aux déportés : « Lorsque vous reviendrez car il faut revenir / Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez / Il y aura des fleurs couleur de l’avenir / […] Je vous salue ma France arrachée aux fantômes / Ô rendue à la paix vaisseau sauvé des eaux / Pays qui chante Orléans Beaugency Vendôme / Cloches cloches sonnez l’angélus des oiseaux. »
« Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »2804Robert DESNOS (1900-1945), « Demain », État de veille (1943)
Même chemin qu’Éluard et Aragon : surréalisme, engagement, communisme, Résistance et poèmes de l’espoir. Mais les Français souffrent plus que jamais en 1943 : l’ordre allemand s’impose avec les SS et la Gestapo, les restrictions, le système des otages, les déportations, les délations. « Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille […] / Âgé de cent mille ans, j’aurai encore la force / De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. » Mais Desnos mourra en déportation.
« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. »2811
Louis ARAGON (1897-1982), Les Yeux d’Elsa, « Plus belle que les larmes » (1942)
Et ce sera la Libération ! Paris se soulève, le 18 août 1944 : fusillade au pont des Arts. Le 19, la police parisienne se met en grève, barricadée à la préfecture de police. Le Comité parisien de libération, où les communistes dominent avec un sens de l’organisation qui leur est propre, veut prouver au monde, aux Alliés et aux Allemands, que le peuple de Paris peut se libérer lui-même.
« Mon parti m’a rendu les couleurs de la France. »2819
Louis ARAGON (1897-1982), La Diane française. « Du poète à son parti » (1945)
« Mon parti mon parti, merci de tes leçons / Et depuis ce temps-là tout me vient en chansons / La colère et l’amour, la joie et la souffrance. » Si le poète communiste rend ici nommément et servilement hommage au PCF, d’autres œuvres de l’époque ont le ton d’une grande poésie nationale et patriote, ouverte à toutes les familles d’esprit : martyrs de la Résistance, communistes ou chrétiens y sont évoqués avec la même chaleur.
« Cette cage des mots, il faudra que j’en sorte
Et j’ai le cœur en sang d’en chercher la sortie
Ce monde blanc et noir, où donc en est la porte
Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties. »2906Louis ARAGON (1897-1982), Le Roman inachevé (1956)
Ces vers reflètent le désarroi de l’intellectuel communiste, au lendemain du XXe Congrès et du rapport Khrouchtchev, 25 février 1956. La vie et l’œuvre de Staline, le culte de la personnalité, tout a été remis en question. Le PCF prend acte avec mauvaise grâce. Staline était un Dieu vivant pour nombre d’écrivains français, à présent déchirés.
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