Quatrième République
Prologue
Idéologie et politique
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« Il faut refaire des hommes libres. »2831
(1888-1948), La Liberté pour quoi faire ? (1946)
(…) Ce catholique engagé, qui refusera tous les postes et tous les honneurs pour rester libre, précise : « Je n’entends nullement opposer le capitalisme au marxisme […] deux symptômes d’une même civilisation de la matière […] Le libéralisme capitaliste, comme le collectivisme marxiste, fait de l’homme une espèce d’animal industriel soumis au déterminisme des lois économiques. »
« La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre. »2832
Albert CAMUS (1913-1960), Les Justes (1949)
Rédacteur en chef de Combat, il est de ces intellectuels qui se mêlent ardemment à l’actualité de leur temps marqué par le totalitarisme, pour crier sa soif de justice, revendiquer dans L’Homme révolté, « la liberté, seule valeur impérissable de l’Histoire » et préférer la révolte à la révolution : « Je me révolte, donc nous sommes. » (…)
« L’internationalisme qui fut un beau rêve n’est plus que l’illusion têtue de quelques trotskistes. »2833
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Situations III (1949)
Pendant dix ans, de la Libération aux événements de Budapest, c’est l’époque des maîtres à penser et des engagements impératifs. Sartre règne en maître contestataire, et d’ailleurs contesté (…)
« La vérité est une, seule l’erreur est multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme. »2834
Simone de BEAUVOIR (1908-1986). Les Temps modernes, nos 109 à 115 (1955), Jean-Paul Sartre
Ces mots datent de 1955, belle époque du terrorisme intellectuel.
Le sectarisme de la gauche communiste sévit naturellement contre la droite, mais se déchaîne aussi en guerre des gauches.
Il faudra attendre les années 1980 – démobilisation, désillusion, dépolitisation – pour voir le déclin de tous les « ismes ».
« Catholicisme ou communisme exige, ou du moins préconise, une soumission de l’esprit […] Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. »2835
André GIDE (1869-1951), Journal, 24 février 1946
Les honneurs pleuvent sur le Gide d’après-guerre, prix Nobel de littérature en 1947 pour son « intrépide amour de la vérité ». Il a rompu avec le communisme en 1937, et vécu la guerre comme une apocalypse.
Il ne songe plus qu’à sauver la culture de toute menace de totalitarisme (…)
« La guerre froide est une guerre limitée, limitation qui porte non sur les enjeux, mais sur les moyens employés par les belligérants […] La guerre froide apparaît, dans la perspective militaire, comme une course aux bases, aux alliés, aux matières premières et au prestige. »2836
Raymond ARON (1905-1983), Guerres en chaîne (1951)
Fondateur avec Sartre des Temps Modernes, revue littéraire, politique et philosophique, éditée par Gallimard, il s’en sépare bientôt pour devenir éditorialiste au Figaro (1947-1977).
Toute la Quatrième République est placée sous le signe de la « guerre froide », quand le « rideau de fer » qui tombe divise l’Europe en deux mondes antagonistes : « La guerre a pris fin dans l’indifférence et dans l’angoisse […] la paix n’a pas commencé », dit Sartre en 1945 (…)
« La France est le seul grand pays à recevoir de plein fouet tous les chocs majeurs de l’après-guerre : ruines, crise monétaire, séquelles de guerre civile, difficultés sociales et surtout guerre froide et décolonisation. »2837
Jean-Pierre RIOUX (né en 1939), La France de la Quatrième République (1980-1983)
Historien de ce passé proche, il en dresse un tableau politique, économique et social : la Quatrième – la plus mal aimée de toutes les Républiques – fit face, et pas toujours mal, à tous ces problèmes, mourant finalement de son impossibilité à régler la décolonisation.
« La France est divisée en quarante-trois millions de Français. La France est le seul pays du monde où, si vous ajoutez dix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition, mais vingt divisions. »2838
Pierre DANINOS (1913-2005), Les Carnets du major Thomson (1954)
Grand succès de librairie, pour ces Carnets présentés comme la traduction des pensées d’un major anglais, et jouant sur le décalage entre les mentalités nationales. Le procédé rappelle les Lettres persanes de Montesquieu (…)
« L’opinion publique […] est souvent une force politique, et cette force n’est prévue par aucune constitution. »2839
Alfred SAUVY (1898-1990), L’Opinion publique (1956)
Née au siècle des Lumières, scientifiquement mesurée par les sondages depuis la veille de la Seconde Guerre mondiale, son influence se renforce encore à l’arrivée de la télévision. Le Journal télévisé est lancé par Pierre Sabbagh, en avril 1949, pour quelques centaines de privilégiés. Il y aura 60 000 récepteurs en 1954, 680 000 en 1958 (…)
« L’avantage de l’instabilité pour un gouvernement, c’est qu’elle ne lui laisse pas le temps de se désavouer. »2840
Jean ROSTAND (1894-1977), Inquiétudes d’un biologiste (1967)
Mais l’inconvénient est qu’elle ne lui laisse pas le temps de construire. En fait d’instabilité, la Quatrième République est bien la fille de la Troisième : 21 gouvernements se succéderont de 1947 à 1958.
« On prend les mêmes et on recommence. »2841
Formule habituelle pour saluer les changements de gouvernement. On prend les mêmes et on recommence ? (1978), Jean-François Kahn
(…) Clemenceau dénonçait déjà ces gouvernements qui se ressemblaient tous, faisant appel au même personnel politique, dans la « République des camarades ». Certains, par leur caractère et leur autorité – tels Antoine Pinay, Pierre Mendès France – ne sont pas comme les autres et ne jouent pas ce jeu politicien, mais le système ne les laisse pas longtemps au pouvoir (…)
« Le régime des partis, c’est la pagaille. »2842
Charles de GAULLE (1890-1970), entretien télévisé avec Michel Droit, 15 décembre 1965. Discours et messages : pour l’effort, août 1962-décembre 1965 (1970), Charles de Gaulle
Constat souvent répété. La Quatrième République pêche comme la Troisième par ses partis : trop puissants, ou plutôt impuissants, archaïques, aboutissant à un régime d’assemblée tyrannique. Mais il n’y a pas de démocratie sans pluralité des partis.
La « pagaille » de ce régime vient surtout du fait que le gouvernement, piégé entre les oppositions gaulliste et communiste, tente de s’appuyer sur une « troisième force » centriste (MRP, socialistes SFIO) (…)
« La Quatrième République doit, pour une large part, la suite ininterrompue de ses désastres et sa ridicule fin à un personnel politique mal préparé qui n’avait pas fait ses classes. »2843
François MAURIAC (1885-1970), Le Nouveau Bloc-notes, II, 1958-1960
Même constat d’échec que de Gaulle, mais diagnostic inverse : « J’ai toujours eu l’idée que ce ne sont pas les institutions qui corrompent les hommes, que ce sont, au contraire, les hommes qui corrompent les institutions. »
« L’ennui avec nos hommes politiques, c’est qu’on croit faire leur caricature, alors qu’on fait leur portrait. »2844
SENNEP (1894-1982), Potins de la Commère, France-Soir, 18 juin 1958
C’est l’un des plus talentueux caricaturistes de la presse française, résolument de droite (venu de l’Action française), mais gaulliste rallié en 1941, dessinateur attitré du Figaro.
« Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. »2845
Raymond ARON (1905-1983), Immuable et changeante. De la IVe à la Ve République (1959)
Passivité des citoyens, isolement de la classe politique, tels sont les vices intimes du régime qui semble tourner en rond et s’autodétruire – « le cadavre bafouille ». On a pu dire qu’en se privant d’un de Gaulle, dès ses premiers mois, la Quatrième République se condamnait à terme plus ou moins rapide.
« Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens ; il ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés. »2846
André SIEGFRIED (1875-1959), citant Paul VALÉRY (1871-1945), De la Quatrième à la Cinquième République au jour le jour (1958)
(…) Les libéraux de droite et du centre servent de forces d’appoint, faisant pencher le fléau tantôt à gauche, tantôt à droite, d’où les majorités fragiles et fluctuantes.
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