Zola : « La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. » | L’Histoire en citations
Chronique du jour

 

Troisième République

L’Affaire Dreyfus

L’affaire Dreyfus, dans laquelle Zola s’engage avec courage (« J’accuse », 13 janvier 1898), divise profondément le pays et son armée, avive les haines, conforte l’Action Française et la droite nationaliste, mais resserre aussi les rangs de la gauche.

 Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.

« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »2515

Émile ZOLA (1840-1902), Le Figaro, 25 novembre 1897

Zola commente la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus.

L’histoire, complexe et longue, commence fin septembre 1894, quand une femme de ménage française de l’ambassade allemande, travaillant pour le Service de renseignements, découvre un bordereau prouvant la trahison d’un officier de l’état-major français. Le 10 octobre, le général Mercier, ministre de la Guerre, met en cause Alfred Dreyfus. On lui fait faire une dictée, il y a similitude entre son écriture et celle du bordereau en cause.

Dreyfus est condamné à la déportation en Guyane par le Conseil de guerre de Paris, le 22 décembre 1894 (…) Sa qualité de juif joue contre lui, à une époque où l’antisémitisme a ses hérauts, ses journaux, ses réseaux.

« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516

Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime

Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus, qui deviendra l’« Affaire » de la Troisième République, et la plus grave crise pour le régime. Méline refuse la demande en révision du procès (…)

« J’accuse. »2517

Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898

L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui.

Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien l’oeuvre de Zola : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ».

Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.

« Un jour la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur. »2518

Émile ZOLA (1840-1902), La Vérité en marche, déclaration au jury. L’Aurore, 22 février 1898

Le procès Zola en cour d’assises (7-21 février 1898) fit connaître l’affaire Dreyfus au monde entier. Formidable tribune pour l’intellectuel converti aux doctrines socialistes et aux grandes idées humanitaires ! « Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai. » En attendant, Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.

« L’intervention d’un romancier, même fameux, dans une question de justice militaire m’a paru aussi déplacée que le serait, dans la question des origines du romantisme, l’intervention d’un colonel de gendarmerie. »2519

Ferdinand BRUNETIÈRE (1849-1906), Après le procès (1898)

Intellectuel type, historien de la littérature et critique français, professeur à l’École normale supérieure et à la Sorbonne, directeur de la Revue des Deux Mondes, Brunetière est antidreyfusard par respect des institutions, comme il est conservateur en littérature, par fidélité aux classiques.

Rejetant l’engagement dreyfusard de Zola, et refusant lui-même de se prononcer sur la culpabilité du capitaine Dreyfus, il déclare seulement que « porter atteinte à l’armée, c’est fragiliser la démocratie. »

Beaucoup d’antidreyfusards vont aller plus loin.

« La révision du procès de Dreyfus serait la fin de la France. »2520

Henri ROCHEFORT (1831-1913), 1er mai 1898. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Son journal, l’Intransigeant, dénonce le syndicat des dreyfusards et soutient le camp des antidreyfusards, très majoritaires, mais plus ou moins militants.

Parmi les intellectuels, Charles Maurras se distingue. Lui aussi met en avant l’honneur de l’armée, mais il rejoint en 1900 l’Action française (mouvement créé en juillet 1899), pour défendre le pays contre les juifs, les francs-maçons, les protestants et les « métèques ». Théoricien du « nationalisme intégral », il écrit en décembre 1898 à Barrès : « Le parti de Dreyfus mériterait qu’on le fusillât tout entier comme insurgé. » (…)

« Ni révolution, ni réaction ! »2521

Jules MÉLINE (1838-1925), Chambre des députés, 14 juin 1898. Histoire des institutions du droit public français au XIXe siècle, 1789-1914 (1953), Gabriel Lepointe

Président du Conseil qui a bénéficié du redressement économique et financier de la France, mais hérité de l’Affaire, il fait cette réplique au député socialiste Alexandre Millerand, qui l’attaque sur sa politique générale, lui reprochant de combattre les socialistes et les syndicats. Méline va tenter de replâtrer son ministère, mais il refuse de gouverner avec l’appui des conservateurs comme des socialistes et doit démissionner le lendemain 15 juin. L’année suivante, Millerand sera ministre du Commerce et le « Bloc des gauches », nouvelle majorité politique, prendra le pouvoir.

« Le président a-t-il toujours sa connaissance ?
— Non, elle est sortie par l’escalier. »2522

L’anecdote qui court dans Paris le 16 février 1899. Petit Journal (avec illustration), 26 février 1899

Le président de la République Félix Faure, bel homme de 58 ans, meurt ce jour-là en galante compagnie. La rumeur murmure le nom de Cécile Sorel, actrice célèbre. En fait, la compagne de ses derniers instants est une demi-mondaine, Marguerite Steinheil, bientôt surnommée la Pompe funèbre (…)

(…) Clemenceau lui-même fait dans l’humour noir : « Il voulait être César, il ne fut que Pompée. » On lui prête aussi ce mot plus politique : « Félix Faure est retourné au néant, il a dû se sentir chez lui. »

« Cela ne fait pas un homme de moins en France. Néanmoins, voici une belle place à prendre. »2523

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), L’Aurore, au lendemain de la mort de Félix Faure, fin février 1899. Contre la justice (1900), Georges Clemenceau

(…) Après Grévy démissionnaire pour cause de scandale, Sadi Carnot assassiné, Jean Casimir-Périer démissionnaire au bout de six mois, Félix Faure est à son tour remplacé le 18 février par Émile Loubet - qui ira au bout de son septennat. Il fut dreyfusard. On l’accuse aussitôt d’être l’élu des juifs.

Le 23 février, à la fin des obsèques du président dont la mort fait encore scandale, Déroulède, député d’extrême droite, tente avec ses amis le coup d’État refusé dix ans plus tôt par Boulanger. Ils essaient de soulever l’armée contre la République parlementaire, et d’entraîner à l’Élysée les troupes qui avaient défilé, en escorte au cercueil. Le putsch échoue, et Déroulède, condamné à dix ans de bannissement, s’installe en Espagne.

« Aujourd’hui, la vérité ayant vaincu, la justice régnant enfin, je renais, je rentre et reprends ma place sur la terre française. »2524

Émile ZOLA (1840-1902), L’Aurore, 5 juin 1899

Le 3 juin, la Cour de cassation, « toutes Chambres réunies », s’est prononcée pour « l’annulation du jugement de condamnation rendu le 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus ». Dreyfus a été sauvé par les « dreyfusards » ou « révisionnistes » : gracié par le président de la République, il sera réintégré dans l’armée en 1906. Mais l’Affaire a littéralement déchiré en deux la France, tous les partis, les milieux, les familles.

« Au moral, la haine de l’esprit militaire, au matériel, un désarmement qui attire la guerre comme l’aimant le fer. »2525

Charles MAURRAS (1868-1952), Au signe de Flore : souvenirs de vie politique, l’affaire Dreyfus, la fondation de l’Action française, 1898-1900 (1931)

Le théoricien du nationalisme intégral sera hanté à vie par le souvenir de l’affaire Dreyfus. Elle a de graves conséquences (…)

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