Les surnoms
XI. Cinquième République, de Pompidou à Sarkozy
Désormais, l’humour domine, cruel ou blessant, injuste mais pas tueur. Rançon de la gloire dans l’Histoire, les surnoms deviennent le prix de la notoriété et la quantité peut nuire à la qualité. Restent quelques perles d’actualité et l’intimité souvent bonne à dévoiler.
(L’abondance des surnoms et des surnommés impose une règle formelle pour les deux derniers épisodes : une seule citation pour chaque nom. Seuls, les présidents de la République ont droit à deux et la France en aura six !)
Georges Pompidou : Pompon, Œil touffu, le Rastignac auvergnat, le Mage de Montboudif, Bougnaparte, Pompi-Duce
« Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une. Mais je ne suis pas du tout pressé. »3084
Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration à la fin de son séjour à Rome, 17 janvier 1969. Année politique (1970)
Pompidou a bien mérité de la France et acquis une vraie popularité comme Premier Ministre du général de 1962 à 1968. Remplacé après mai 68 par Couve de Murville, il vise plus haut : la présidence. Peu après, il dit à Genève : « J’ai un passé politique. J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national. »
Pompon dit aussi Œil touffu (pour ses gros sourcils) mérite déjà son surnom de Rastignac auvergnat. En attendant et « en réserve de la République », il siège à l’Assemblée comme député du Cantal.
Après la démission du général suite à l’échec du référendum en avril 1969, Pompidou est élu avec plus de 58 % des suffrages face à Poher, président du Sénat qui assurait l’intérim ès qualités, « tout gonflé de modestie » (vu par Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde).
« Je suis aujourd’hui un Français parmi d’autres. »3114
Georges POMPIDOU (1911-1974), première conférence de presse du président de la République à l’Élysée, 10 juillet 1969
D’entrée de jeu, il se démarque de son illustre prédécesseur. Face à une centaine de journalistes (au lieu des quelques centaines qu’invitait de Gaulle), il paraît seul avec son Premier ministre et le porte-parole du gouvernement (au lieu du gouvernement au grand complet). Il n’en affirme pas moins « la primauté du chef de l’État, qui lui vient de son mandat national et qu’il est de son devoir de maintenir, à la fois arbitre et premier responsable national ».
La crise de régime n’aura pas lieu, les institutions tiennent le coup - leur solidité se révèlera au fil des présidences, des majorités et des trois cohabitations. Pompidou poursuit la présidentialisation du régime et gouverne pendant cinq ans avec la majorité gaulliste, continuant la politique de modernisation sur la lancée des Trente glorieuses.
Commune de 190 habitants (dans le Cantal), Monboudif entre dans l’histoire avec le Mage de Monboudif. Son goût du pouvoir lui vaudra aussi le surnom de Bougnaparte (les Auvergnats étant parfois appelés bougnats et son ambition assumée le faisant comparer à Bonaparte). On parlera même de Pompi-Duce !
Sa femme dont il est visiblement très épris, c’est « Bibiche » ou « la reine Claude » : Claude Pompidou, grande femme allurée et grande amatrice d’art contemporain, fait entrer le design au palais de l’Élysée, le Centre Pompidou (dit Beaubourg) restant l’image la plus médiatique de cette modernité parfois provocante.
Valéry Giscard d’Estaing : VGE, Valéry Folamour, Valy, l’Ex, Giscarat
« Pendant mon septennat, j’ai été amoureux de 17 millions de Françaises. »
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), VGE : une vie (2011), George Valance
Cette déclaration illustre l’attitude de « Valéry Folamour », croqué par le Canard enchaîné. Séducteur assumé, sa liste de conquêtes supposées s’allongera bien au-delà de son septennat, au petit et grand bonheur de la presse people.
En 2009, le toujours « jeune » Académicien français décrit la love-story d’une princesse anglaise avec un président de la République française dans son roman La Princesse et le Président. Fantasme ou réalité ? L’œuvre crée une rumeur sans précédent qui affole la presse britannique : la princesse Patricia de Cardiff, jeune femme médiatique et malheureuse en ménage, ressemble follement à l’iconique Lady Di et Henry Lambertye, président de la République française dans les années 1980 a tout de Valy - autre surnom de VGE. Tout cela fait vendre et parler.
Il y a plus grave et le surnom peut cacher ou même exposer, voire provoquer un drame politique.
« Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison. »3193
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), interrogé sur l’« affaire des diamants », Antenne 2, 27 novembre 1979
Selon le Canard enchaîné du 10 octobre, Bokassa, président déchu de la République centrafricaine, a fait cadeau de diamants à Giscard d’Estaing, ministre des Finances en 1973. Valeur, un million de francs selon une note de Bokassa.
« C’est grotesque », selon VGE. Les diamants, oubliés dans un tiroir, ont été estimés entre 4 000 et 7 000 francs. La note est un faux grossier. Mais le Monde reprend l’information et dénonce le silence de l’Élysée. La semaine suivante, le Canard publie une nouvelle note de Bokassa et la presse internationale se déchaîne sur ce « Watergate parisien ». Le président ne change pas de ligne de défense, autrement dit, il ne se défend même pas. « J’imaginais que les Français écarteraient d’eux-mêmes l’hypothèse d’une telle médiocrité », écrira-t-il dans Le Pouvoir et la vie (1991).
Le Point publiera une contre-enquête infirmant la plupart des accusations. La DST révélera qu’on a aidé Bokassa dans cette manipulation. Trop tard, le mépris silencieux de l’accusé l’a finalement rendu suspect. L’affaire des diamants marque « Giscarat » et le poursuit jusqu’à la prochaine présidentielle, perdue face à Mitterrand : « Je vous demande de vous souvenir de ceci : pendant ces sept ans, j’avais un rêve. » Dernier message télévisé, 19 mai 1981.
VGE, jeune retraité de 55 ans, devenu l’Ex, a souffert de cet échec, il en a beaucoup parlé, pour finalement conclure : « Aucun roi de France n’aurait été réélu au bout de sept ans. »
À son crédit de centriste autoproclamé « traditionaliste réformateur », il reste d’importantes réformes de société : majorité civique à 18 ans, divorce par consentement mutuel, dépénalisation de l’avortement et loi sur l’IVG.
Simone Veil : La Mère Veil, Momone
« Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement […] lorsque des services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter l’interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charters des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer. »3158
Simone VEIL (1927-2017), ministre de la Santé, Assemblée nationale, 26 novembre 1974
Le débat sur l’IVG enflamme l’Assemblée, c’est l’« un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». Amendements au projet de loi repoussés, loi finalement votée le 17 janvier 1975.
Née Simone Jacob, juive arrêtée à 16 ans (en 1944), déportée, Simone Veil est l’une des trois survivantes de sa famille. Magistrate, elle vient d’entrer en politique à la demande de VGE et le baptême du feu est rude pour la ministre de la Santé. Elle ne cédera rien, mais sous les insultes, on la verra pleurer à la tribune.
C’est la première personnalité à présider le Parlement européen, nouvellement élu au suffrage universel : une fonction qu’elle occupe de 1979 à 1982, œuvrant à la réconciliation franco-allemande et à la construction européenne. Ministre d’État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville au sein du gouvernement Balladur de 1993 à 1995, elle siège au Conseil constitutionnel de 1998 à 2007, avant d’être élue à l’Académie française en 2008.
Une belle vie, une belle carrière, une « belle personne » à tous les sens du mot. Sa popularité survit à « Momone ». La Mère Veil sera la cinquième femme entrée au Panthéon, seulement un an après sa mort et amenant avec elle son mari Antoine.
Raymond Barre : Raymond la Science, Babarre, Sancho Pansu, Lou Ravi
« La France vit au-dessus de ses moyens. »3171
Raymond BARRE (1924-2007), TF1, allocution du 22 septembre 1976. La Dérive de l’économie française : 1958-1981 (2003), Georges Dumas
Depuis le choc pétrolier de 1973, « le coq gaulois faisait l’autruche » négligeant les mesures qui s’imposent. Sauver le pouvoir d’achat entraîne l’économie dans une spirale suicidaire : gonflement des salaires nominaux, laminage des profits (donc des capacités de reconversion), déficit du commerce extérieur, effondrement certain, à terme, du niveau de vie.
Le Premier ministre, toujours très professeur, expose le 5 octobre à l’Assemblée son plan d’assainissement économique et financier, nouveau plan Barre : « La lutte contre l’inflation est un préalable à toute ambition nationale. Aucun pays ne peut durablement s’accommoder de l’inflation sans risquer de succomber à de graves désordres économiques et sociaux et de perdre sa liberté d’action. » C’est Raymond la Science – référence ironique au « meilleur économiste de France » présenté par VGE, mais aussi au sobriquet d’un membre de la Bande à Bonnot.
Les mesures d’austérité annoncées provoquent l’hostilité des syndicats et de l’opposition : « Le gouvernement ne détermine pas sa politique à la longueur des cortèges » déclare le Premier ministre à l’Assemblée, 7 octobre 1976. Face aux grèves et aux manifestations, il oppose son « assurance tranquille » et sa « fermeté intransigeante ».
Il est aussi attaqué sur son physique tout en rondeur : Babarre (rappel de l’ours Babar) et Sancho Pansu (proche du gros Sancho Panza, compagnon d’aventures et écuyer du chevalier Don Quichotte dont la silhouette évoque le président Giscard d’Estaing). Dernier surnom, Lou Ravi en commentaire d’une photo le montrant endormi au banc des ministres à l’Assemblée. Rien n’échappe à la presse, en attendant les réseaux sociaux.
Georges Marchais : Raminagrobis
« Oui, le Parti communiste français change et ne cesse de changer pour être toujours mieux lui-même. »3139
Georges MARCHAIS (1920-1997), au XXe Congrès du Parti (décembre 1972). La Vie politique en France depuis 1940 (1979), Jacques Chapsal, Alain Lancelot
Réponse du nouveau Secrétaire général à une « bonne question ». Opportunisme pratique et raideur idéologique sont conciliables pour le Parti communiste. Marchais deviendra une sorte de magicien du verbe, parlant beaucoup et faisant taire contradicteurs et journalistes avec une faconde médiatique : « Taisez-vous, Elkabbach ! » Le règne de Marchais coïncide avec la dernière belle époque du communisme mondial et du PCF national.
Dans le même style, en 1980 : « Nous autres communistes, nous avons une position claire : nous n’avons jamais changé, nous ne changerons jamais, nous sommes pour le changement. » Le Programme commun de gouvernement fait se lever les grandes espérances d’un nouveau Front populaire, comme en 1936. L’Année politique (1972) conclut : « L’union de la gauche existe et, en cette fin d’année, elle a le vent en poupe. » Mitterrand sera assez fin stratège pour s’en servir et l’oublier, en arrivant au pouvoir.
Arlette Laguiller : la Saint-Just des Trotskistes
« Travailleurs, travailleuses ! On vous spolie, on vous ment, luttez avec moi contre ceux qui vous oppriment ! »
Arlette LAGUILLER (née en 1940), mantra politique et médiatique attaché au personnage, six fois candidate à l’élection présidentielle
Personnalité incontournable dans le paysage politique français, candidate du parti Lutte Ouvrière à chaque élection présidentielle depuis 1974, Arlette Laguiller annonce en 2005 qu’elle se présentera pour la dernière fois en 2007. Mais elle continuera le combat ! Nathalie Artaud la remplace, avec un air de parenté fraternel.
De milieu modeste, Arlette s’est battue pour la cause ouvrière et révolutionnaire dès ses 20 ans, surnommée la Saint-Just des Trotskistes. Elle travaille (paradoxalement) au Crédit lyonnais et mène de front ses activités syndicales. Retraitée à 66 ans, elle continue faire valoir corps et âme les mêmes idées d’extrême gauche face à un patronat qui a davantage changé.
Cette forme d’adresse diffère des formules traditionnelles en ouverture des discours politiques : « Mes chers concitoyens », « Mes chers compatriotes », ou encore « Françaises, Français ». Elle veut désigner et identifier la catégorie ou la classe sociale de l’électeur visé, alors que « concitoyen » ou « compatriote » vise la collectivité politique, civique ou patriotique dans son ensemble
François Mitterrand : Tonton, le Vieux, Dieu, le Sphinx, le Florentin ou le Prince, Mimi l’Amoroso.
« Je dissimule, je biaise, j’adoucis, j’accommode tout autant qu’il est possible. »3104
François MITTERRAND (1916-1996). Les Années Mitterrand (1986), Serge July
Autoportrait assumé du président, lors de l’affaire du Rainbow Warrior en 1985 : un piège pour la DGSE (nos services secrets) qui a coulé le bateau, tuant un photographe portugais travaillant pour Greenpeace – organisation écologiste militant contre les essais nucléaires français en Nouvelle-Zélande. Mais cette stratégie politicienne dépasse l’événement.
Qualité ou défaut, le trait de caractère a frappé tous les observateurs. Pour Serge July, homme de gauche et directeur de Libération, « il fallait un homme à l’âme particulièrement enchevêtrée, un chef d’État suffisamment baroque pour accueillir les tempêtes qu’il allait provoquer et en faire les leviers d’une politique apaisante ».
Cet opportunisme mitterrandien n’exclut pas des convictions fortes et des positions rigides sur quelques thèmes : l’Europe, la peine de mort, la politique culturelle et certaines valeurs de la gauche.
« Cet homme est un mystère, habité par mille personnages, du tacticien sceptique au socialiste saisi par la ferveur. On a beaucoup dit que François Mitterrand était insaisissable ; il n’est simple ni à déchiffrer ni à défricher. À la fois personnage authentique et artiste en représentation. »3106
Franz-Olivier GIESBERT (né en 1949), François Mitterrand ou la Tentation de l’histoire (1977)
Son biographe fait le portrait d’une personnalité affirmée (à 60 ans), mais pas encore président. Sphinx, Florentin, Machiavel et autres Prince de l’équivoque ou de l’esquive, ces surnoms reviennent sous la plume des observateurs. Ils qualifient ses volte-face idéologiques de « convictions moirées ». Le président au pouvoir ne fait rien pour lever le voile, cultivant le silence, usant d’un sens inné du secret et n’abusant pas du petit écran qui finit par être fatal Giscard.
Autre biographe, Catherine Nay : Le Noir et le Rouge (1984) et Les Sept Mitterrand ou les métamorphoses d’un septennat (1988). Malgré la profondeur des engagements partisans et l’obstination des choix, nul plus que ce président n’a su se plier aux circonstances et rebrousser chemin selon la conjoncture ou les fatalités du mauvais sort. Ce diable d’homme a savamment joué sept rôles, sept masques plaqués sur un visage dont on chercherait en vain l’ultime vérité. Personnage éminemment romanesque, il aura dérouté, irrité, mais fasciné tous ceux qui l’ont approché et surnommé à l’envi.
Résumons la liste au fil de ses deux septennats (1981 – 1995) :
« Tonton » pour le Canard enchaîné : nom de code de Mitterrand pendant la Seconde Guerre mondiale… et/ ou irruption télévisuelle de son neveu Frédéric Mitterrand, caricaturé par Roland Topor dans son émission Téléchat. Mais c’est aussi le surnom donné au président par les agents chargés de sa sécurité personnelle, pour remplacer « le Vieux » jusque-là utilisé. Ce sympathique surnom sera naturellement repris par des sympathisants socialistes et Renaud en fera une chanson, avec le slogan de la campagne 1998 : « Tonton, laisse pas béton ! » Mais le publicitaire Jacques Séguéla a prétendu que ce surnom venait de lui, chargé de la campagne publicitaire des élections de 1981. Rien n’est jamais clair avec ce sacré « Tonton ».
« Le Vieux » est aussi le surnom qui est donné au sein du PS, notamment par Mélenchon imitant les trotskistes qui baptisaient ainsi Léon Trotski.
« Dieu », c’est plus simple, ça vient de la célèbre réplique du Bébête show sur TF1 : « Appelez-moi Dieu ! », par la marionnette Kermitterrand.
« Le Florentin » ou « le Prince » renvoie à son art de l’esquive, illustré sous la Renaissance par des natifs de Florence comme Laurent le Magnifique ou Machiavel. C’est une qualité pour ses amis. Pour ses détracteurs, le surnom évoque l’intrigue et le cynisme politiques. On retrouve toujours l’ambiguïté propre au personnage. Mais l’inventeur de ce surnom est sans doute François Mauriac, proche de Mitterrand et l’une de ses références littéraires.
« Rastignac », c’est un classique qui a déjà servi à Pompidou et à d’autres : hommage au personnage de Balzac, qui simple étudiant de province monte à Paris dans la volonté de parvenir au pouvoir et finit ministre.
« Mimi l’Amoroso » évoque sa relation amoureuse et/ou amicale avec la chanteuse Dalida qui l’a soutenu durant la campagne présidentielle de 1981. Mais l’on prête bien d’autres liaisons à ce grand séducteur. Quant à sa femme surnommée « Tatie Danielle », elle n’avait rien de « Tante Yvonne », épouse de Charles de Gaulle. Elle bouscule les codes comme jamais avant ni après et Mitterrand l’a toléré, ce qui doit être porté à son crédit (humain et politique).
Pierre Mauroy : le Rougeaud de Lille, le Gros quinquin
« Le 10 mai, François Mitterrand avait rendez-vous avec l’histoire. La gauche avait, de nouveau, rendez-vous avec la République. La France et la gauche marchent désormais d’un même pas. »3213
Pierre MAUROY (1928-2013), Discours de politique générale du Premier ministre, 8 juillet 1981
Mauroy trouve des accents quasiment gaulliens (voire hugoliens) pour célébrer le retour de la gauche au pouvoir – après le Front populaire de 1936, c’est un événement. Et un immense espoir.
Chef de gouvernement depuis le 22 mai, homme de terrain – et d’un bastion SFIO –, le maire de Lille est très populaire. Jean Boissonnat définit le « style Mauroy » (La Croix, 29 novembre 1981) : « Dans cette fonction du « verbe », proprement politique, Pierre Mauroy a été incontestablement l’homme de la situation. De sa personne se dégagent chaleur et sympathie. Lui, au moins, ne nous fait pas le coup du « mépris ». Aucun de nous ne se sent inférieur à lui. De même que Raymond Barre n’a qu’un emploi sur la scène politique, celui du prof bougon qui connaît son affaire, Pierre Mauroy n’en a qu’un seul, lui aussi, celui de l’orateur de kermesse, populiste et généreux. »
Ses deux surnoms renvoient assez naturellement à son origine régionale en même temps qu’à son physique de « bon vivant » resté populaire.
Jack Lang : la Langue de Blois
« Le 10 mai, les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière. »3211
Jack LANG (né en 1939), ministre de la Culture, présentant son budget (en forte hausse) le 17 novembre 1981
Le ministre n’est pas en reste sur le Premier ministre pour saluer ce jour historique. Formule devenue célèbre et quelque peu moquée d’un personnage toujours aussi lyrique que médiatique. Il marquera le ministère d’autant plus que Mitterrand lui accorde enfin le « 1% pour la culture » qui fit défaut à son illustre prédécesseur, Malraux. Il reste entre autres pour le prix unique du livre (dite « loi Lang ») entré en vigueur dès 1982, grâce à quoi existe toujours en France un réseau de (petites) librairies.
La Fête de la musique (née le 21 juin 1982) est une initiative très populaire, reprise un peu partout dans le monde en ce premier jour de l’été. L’idée fut imaginée en 1976 par le musicien américain Joel Cohen, luthiste spécialisé dans le répertoire ancien et assistant du directeur de France Musique. Pour améliorer l’image de la radio, il suggère de diffuser de la musique toute la nuit, les 21 juin et 21 décembre lors des deux solstices de l’année, reprenant l’idée des fêtes antiques des « Saturnales ». Il propose même aux amateurs de jouer dans la rue et de s’enregistrer pour l’occasion. Le 21 juin 1976, il réalise son projet à Toulouse et dans l’Ouest parisien. Saluée par la presse, l’initiative n’est pourtant pas reprogrammée. Jack Lang, toujours opportuniste, reprend l’idée avec le directeur de la danse et de la musique au ministère, Maurice Fleuret : « La musique sera partout et le concert nulle part. » C’est aussi dans l’esprit du « Tout est culture », slogan cher à Jack Lang.
Quant à son surnom… Il dérive de la « langue de bois », expression caractérisant le discours officiel des dirigeants de l’Union soviétique, utilisée depuis pour critiquer toute espèce de discours politique. Elle renvoie à un discours conventionnel et stéréotypé, avec la rhétorique politique consistant à parler pour la forme et ne rien dire au fond. Le jeu de mot renvoie à la ville dont Jack Lang fut maire, Blois – bien que natif des Vosges.
Paul Quilès : Robespaul
« Il ne faut pas non plus se contenter de dire de façon évasive, comme Robespierre à la Convention, le 8 thermidor 1794 : des têtes vont tomber ; il faut dire lesquelles et le dire rapidement, c’est ce que nous attendons du gouvernement. »3221
Paul QUILÈS (né en 1942), Congrès du PS à Valence, 23-25 octobre 1981
Le député de Paris a précisé juste avant : « Je pense à certains directeurs, à certains préfets, à certains dirigeants d’entreprise, à certains fonctionnaires. » Le Congrès applaudit. Quilès donne le ton, après la victoire de la gauche en mai-juin. « Il faut que le gouvernement frappe vite et fort » confirme le président de l’Assemblée nationale, Louis Mermaz.
Faisons la part de la griserie des congrès, de l’outrance verbale face à la foule qu’il faut séduire et dompter. Mais ces excès de langage font grand tort à la réputation de « l’État-PS ». La droite et une partie de la presse donnent à Paul Quilès le surnom de « Robespaul », par référence à Robespierre dénonçant les traîtres à la Révolution sous la Terreur, quoique sans les nommer, de sorte que chacun pouvait se sentir « suspect » et passible de la guillotine.
Fâcheusement marqué par ce genre de déclarations, l’orateur devenu candidat à Paris aux municipales de mars 1983 prendra pour slogan « Quilès la tendresse ». Presque un surnom !
Jean-Pierre Chevènement : le Che, le Lion de Belfort, Poltergeist, Mister Bean de Belfort
« Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. »3234
Jean-Pierre CHEVÈNEMENT (né en 1939), ministre de la Recherche et de l’Industrie, qui démissionne le 22 mars 1983
Le mois dernier, en Conseil des ministres, le président Mitterrand avait dénoncé la « bureaucratie tatillonne » du ministère conduit par Chevènement. Par ailleurs, le Che désapprouve la « parenthèse libérale » qui s’annonce.
Chevènement, dirigeant du CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste), incarne l’aile gauche du PS. Il a favorisé le rapprochement avec le PC, concrétisé par la signature du Programme commun de gouvernement en 1972. Son discours trop radical et l’arrivée de Rocard auquel il s’oppose ont entraîné sa mise à l’écart. Mais il a soutenu Mitterrand contre Rocard et rédigé le programme socialiste en vue de la présidentielle, d’où sa présence au gouvernement dès le 22 mai 1981.
Minoritaire, impuissant face au changement de politique, il va renoncer à son poste et retrouver sa liberté de parole. Il récidivera plus tard, deux fois. Au total, trois démissions, c’est beaucoup, pour un ministre. C’est même un record (de France).
Le Che renvoie naturellement à Guevara, révolutionnaire marxiste-léniniste d’Argentine. Le Lion de Belfort situe la ville de naissance de l’homme de caractère qui en fut maire vingt ans (en deux fois). Poltergeist, c’est l’esprit frappeur au comportement bizarre ou perturbé. Mister Bean est le rôle-titre d’une série télé britannique au caractère enfantin et excessif, prêt à tout dramatiser. Bref, un type pas facile et pas du tout politicien !
Jean-Marie Le Pen : le Châtelain de Montretout, le Menhir, Le Pen de mort, le Borgne, le Pénis
« La victoire du Front national est une percée politique comme il n’y en a jamais eu. Tout commence aujourd’hui. Le destin de l’Europe et même du monde est en train de changer. »3244
Jean-Marie LE PEN (né en 1928), au lendemain de la victoire de son parti aux élections européennes du 17 juin 1984. La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal
Avec 10,95 % des suffrages exprimés (2,2 millions de voix), il se trouve presque à égalité avec le PC (peu après sa grande époque). Et Le Pen devient président du groupe des droites européennes au Parlement européen.
Cette résurgence (chronique) de l’extrême droite sur l’échiquier politique en France se mesure à moyen terme : 0,74 % des suffrages aux présidentielles de 1974, 14,41 % à celles de 1988 et 11,73 % aux européennes de 1989. Pour 43 % des Français, la montée du FN est l’événement politique le plus important des années 1980 (sondage Paris Match - BVA, septembre 1989).
La présence de Le Pen au second tour des présidentielles, après élimination du candidat socialiste Lionel Jospin en 2002, c’est un séisme politique que l’on peut qualifier d’accidentel. L’arrivée de sa fille, Marine, peut être considérée comme un événement plus inquiétant pour les adversaires du Front, et plus prometteur pour l’extrême droite. Aux présidentielles de 2012, le « troisième homme », c’est elle. Le FN rebaptisé RN (Rassemblement national) en 2018 se veut encore plus consensuel pour devenir enfin un parti de gouvernement. Histoire à suivre, mais sans le père Le Pen.
Les surnoms s’expliquent facilement : Le Pen possède le manoir de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Le Menhir renvoie à ses origines bretonnes (la Trinité-sur-Mer) et à sa longévité politique. Le Pen de mort est naturellement partisan de la peine de mort. Le Borgne a un œil en moins (accident ou maladie, la raison n’est pas claire, mais le bandeau a été remplacé par un œil en verre, « moins voyant »). Quant au Pénis… on peut tout imaginer de sa virilité.
Laurent Fabius : Giscard de gauche, Fafa
« On ne peut pas préparer la France à affronter la fin du XXe siècle avec un esprit d’intolérance et des idées d’avant-guerre. »3248
Laurent FABIUS (né en 1946), émission « L’Heure de vérité », Antenne 2, 5 septembre 1984
Incarnant la nouvelle génération du Parti socialiste, il saura évoluer avec le temps, « rouge vif en 1981, rose en 1983, modéré en 1985 » (Philippe Bauchard). Moderniser et rassembler seront les deux impératifs de son gouvernement – d’où les communistes sont exclus.
Le langage aussi est nouveau, plus simple, plus direct. 17 octobre sur TF1, il inaugure ses causeries mensuelles : « Parlons France. » Un quart d’heure pour entretenir les Français de leur vie quotidienne, leurs vrais problèmes, et dix-huit mois (avant les législatives de 1986) pour gérer la crise. Rigueur maintenue, entreprise réhabilitée, inflation réduite – avec l’aide de la conjoncture internationale. Le problème le plus grave, du moins celui qui touche le plus les Français, c’est le chômage, avec cette « crête des 2 millions » largement dépassée.
Giscard de gauche est un bon résumé de sa pensée, tandis que Fafa donne une idée de sa popularité – un sondage people en faisait l’homme (encore jeune) avec qui une majorité de femmes rêvaient de partager un dîner…
Charles Pasqua : Charlie ou Charly, Môssieu Charles, le Corse
« Nous allons terroriser les terroristes. »3262
Charles PASQUA (1927-2015), ministre de l’Intérieur du gouvernement Chirac, mars 1986. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig
Première cohabitation sous Mitterrand, avec le gouvernement Chirac : 1986-1988. Le président s’en accommode mieux que prévu, mais Chirac refusera de renouveler l’expérience en 1993, laissant la place à Balladur.
Climat de terreur à Paris : les attentats se multiplient et Pasqua répète cette formule qui plaît à l’opinion publique comme à la presse. Au JT d’Antenne 2, le 12 avril, il en donnera une version light ou soft : « L’insécurité doit changer de camp et entre nous et les terroristes, la guerre est engagée. »
Le 7 août, l’Assemblée vote les « lois Pasqua », très répressives. Mais à la rentrée, la vague terroriste recommence. L’attentat le plus meurtrier, rue de Rennes au cœur du 6è arrondissement devant le magasin Tati, fait 7 morts, 51 blessés.
Entre le terrorisme anarchiste des années 1892-1894 en France, le terrorisme politique du FLN et de l’OAS, en Algérie comme en métropole, et le terrorisme islamiste qui culminera le 11 septembre 2001 aux États-Unis avant de frapper en France (Mohammed Merah à Toulouse en 2012, Charlie Hebdo et le Bataclan à Paris en 2015), la violence prend toutes les formes : attentats, assassinats, enlèvements. Il y a des pays plus ou moins exposés, mais aucun n’est épargné. Il y a des époques plus ou moins violentes, mais au-delà des chiffres, la médiatisation augmente naturellement le « climat d’insécurité » et ressuscite le vieux mot d’« ensauvagement ».
Pasqua, ministre de l’Intérieur, a si l’on peut dire la gueule de l’emploi et en tout cas le caractère pour faire face. Ses surnoms rappellent certains rôles de polar grand public. En prime, Charlie ou Môssieu Charles a du sang corse - petit-fils d’un berger corse… et fils d’un policier de Grasse.
Édouard Balladur : le grand Ballamouchi, le Chanoine, le Goitre mou, Sa Courtoise Suffisance, Ballamou, Doudou
« Contrairement à ce qui se passe dans les westerns, c’est le premier qui dégaine qui est mort. »3267
Édouard BALLADUR (né en 1929), parlant de la cohabitation Mitterrand-Chirac en 1986. Manager en toutes lettres (2011), François Aelion
Attaquer serait une stratégie suicidaire pour le Premier ministre qui gouverne, logiquement le plus exposé aux critiques et à la presse. La deuxième cohabitation de mars 1993 à mai 1995 fait suite aux élections législatives qui inversent la majorité politique à l’Assemblée, la droite détenant 472 sièges sur 577. Elle se caractérise par la personnalité des deux protagonistes, le président Mitterrand face au Premier ministre Balladur, et sera joliment surnommée « cohabitation de velours », en raison des relations courtoises entre les deux têtes de l’exécutif.
Balladur adopte une posture non belligérante : tirant les leçons de la première cohabitation (avec Chirac le battant), il évite toute provocation, ne gouverne pas par ordonnances pour faire adopter son programme économique et social, n’empiète pas dans le domaine de la politique étrangère, se concerte avec l’Élysée tous les jours. Circonstance apaisante, Mitterrand et son Premier ministre ne sont pas en concurrence pour la prochaine élection présidentielle.
Les surnoms de Balladur attaquent le physique, mais pointent surtout son caractère calme, voire mou, et son apparence hautaine, sinon méprisante. Le grand Ballamouchi (né le 2 mai 1929 à Izmir en Turquie et d’origine arménienne) renvoie au grand Mamamouchi : « titre faussement honorifique pour désigner une personne de haut rang, un haut fonctionnaire. Terme à forte dimension ironique, inventé par Molière dans Le Bourgeois gentilhomme » qui croit avoir à faire à l’ambassadeur du Grand Turc ». Un surnom avec tant de sens cachés a forcément du talent.
À peine nommé conseiller social auprès de Pompidou en 1964, Balladur est surnommé le Chanoine par les membres du cabinet du Premier ministre « qui voient en lui un homme au teint rose et au parler onctueux, tout en molle délicatesse. » Avec l’âge, il devient le Goitre mou, Sa Courtoise Suffisance. Ballamou et Doudou, c’est plus intime.
Bernard Tapie : Nanard
« Tout le monde a menti dans ce procès, mais moi j’ai menti de bonne foi. »3314
Bernard TAPIE (né en 1943), lors du procès OM-Valenciennes, mars 1995. Le Spectacle du monde, nos 394 à 397 (1995)
Diversion dans la campagne présidentielle, épilogue du feuilleton médiatico-juridico-sportif qui passionne le public, avec deux stars à l’affiche : le foot et « Nanard » empêtré dans une sale affaire, au Tribunal de Valenciennes.
Le mot, qui vaut aveu, définit ce personnage atypique, cynique, talentueux dans son genre, popu et bling-bling à la fois, ogre hyperactif touchant à tous les métiers, présent dans tous les milieux : chanson, télévision, sport, économie et politique. De 1988 à 1992, le voilà député des Bouches-du-Rhône, député européen, ministre de la Ville, conseiller régional et patron de l’Olympique de Marseille jusqu’en 1993, date où commencent les ennuis judiciaires.
Accusé d’abus de biens sociaux et de fraude fiscale, le présent procès l’implique dans une tentative de corruption, lors du match OM-VA (Olympique de Marseille contre Valenciennes). Voulant protéger ses joueurs qui vont affronter le Milan AC dans la Coupe des clubs champions, le patron de l’OM a payé des joueurs de Valenciennes pour qu’ils « lèvent le pied ». L’OM a gagné sur les deux tableaux en 1993 (Coupe d’Europe et Coupe de France), mais des joueurs ont parlé. Tapie a démenti, avant de céder : « J’ai menti, mais… » Condamné à deux ans de prison, dont un an ferme pour corruption active et subornation de témoin, il fait appel. Condamnation définitive en 1996… et résurrection médiatique et financière, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Malgré tout, Nanard conserve une cote de popularité qui rend hommage à sa force de caractère, jusque dans son dernier combat contre le cancer qu’il a voulu médiatiser.
Jacques Chirac : Mon bulldozer, le Grand Jacques, Chichi, Chirouette, Super menteur, le Roi fainéant, « trois minutes douche comprise », ChâteauChirac, Jacquou le rockant, le grand Condor
« Un chef, c’est fait pour cheffer. »3317
Jacques CHIRAC (1932- 2019), Le Figaro Magazine, 20 juin 1992
L’autorité est une vertu première, il le fera savoir, et de quelle manière ! Bernadette Chirac confirme : « Je suis mariée à un homme qui n’est pas corrézien pour rien. Il a un sens de l’autorité bien affirmé. Sa femme doit l’accompagner, le suivre, et ne pas prendre position à tout bout de champ » (Paris Match, juillet 2005). Mais Chirac complète son autoportrait en montrant, non sans modestie, qu’il sait déléguer : « Si on a pris le soin de bien s’entourer, le collaborateur responsable prend 99 fois sur 100 la décision que vous auriez souhaitée, voire, de temps à autre, une décision meilleure » (Les Mille Sources).
Cela dit, c’est une « bête politique ». Né pour ce métier, il finit président de la République de mai 1995 à mai 2007. Auparavant, il fut maire de Paris de 1977 à 1995, deux fois Premier ministre, sous Giscard d’Estaing et (en cohabitation) sous Mitterrand, brièvement député européen, ministre de l’Agriculture et ministre de l’Intérieur sous Pompidou qui l’appelle affectueusement « Mon bulldozer », stupéfait de sa rapidité à tout bien faire. Dans le privé, il a un autre surnom : « trois minutes douche comprise »… Mais Bonaparte ne prenait même pas le temps d’enlever ses bottes.
Sa première fierté : avoir été secrétaire d’État à l’Emploi sous de Gaulle en 1967 (il crée l’ANPE). Il restera gaulliste à sa manière. Il fut aussi président du Conseil général de la Corrèze (1970-1979) et plusieurs fois député (entre 1967 et 1995). Bref, un beau CV pour « le Grand Jacques » qui en impose aussi par sa stature.
« Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »3322
Jacques CHIRAC (1932-2019), cité dans Marianne n° 184 (mars 2012)
Politiquement incorrect, assez macho et un peu cavalier - cette expression est de tradition dans la tradition de la cavalerie. Mais il n’y a que Chirac pour oser et afficher cette image publique, voire présidentielle. Un florilège fait la joie des bêtisiers politiques et des collectionneurs de perles. C’est du Chirac nature, caricature prise sur le vif. Un humoriste en scène pourrait les tester :
« Portez des couleurs plus vives, faites-vous sponsoriser par les grands couturiers, soyez bronzés, n’ayez pas l’air de cadavres. » Conseil du président aux ambassadeurs, août 1996.
Le candidat à la mairie de Paris n’est pas à un mensonge près, si c’est pour la bonne cause : « Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière » (Libération, 17 février 1995).
Il s’est lâché plus librement encore : « J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson que les limitations de vitesse » (L’Auto-Journal, 1er août 1977). Il avouera d’ailleurs sans complexe, bien plus tard : « Les feux rouges, je les ai grillés toute ma vie, tu crois peut-être qu’on en arrive là en auto-stop ? »
D’où « les affaires » et la réputation de « Super menteur ».
« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. » Trait de caractère original : aucun président de la République n’a pu tenir ce genre de propos à l’humour assumé, rigolard et franchouillard.
« Moi, vous savez, je n’aime que deux choses : la trompette de cavalerie et les romans policiers. » Il cultive ce personnage populaire, ça l’amuse et ça plaît, c’est bon pour sa cote de popularité… Mais Chirac est plus cultivé qu’il ne veut paraître, contrairement à tous ceux qui pratiquent la méthode inverse. On apprend sa passion pour les arts premiers : spécialiste reconnu des civilisations dites (jadis) primitives, il voulait leur consacrer un musée, quand il était maire de Paris. Le Musée du quai Branly ouvre finalement, en 2006. C’est aussi un fan de sumo, sport traditionnel japonais au rituel vieux de quinze siècles.
« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir » (Le Figaro Magazine, février 1993). Phrase empruntée à l’humoriste Pierre Dac, une bonne source. Et plus sérieusement : « Je simplifie, mais il faut toujours simplifier les choses pour mieux les comprendre » Portrait total. Napoléon et de Gaulle ont exprimé la même idée.
Chichi, Chirouette, Super menteur : les Guignols de l’Info ne se gênent pas plus que ses opposants, mais c’est de bonne guerre et ça ne nuit pas à sa popularité qui passera par des hauts et des bas au fil des « affaires ». Château-Chirac en 1972, c’est le Canard enchaîné qui dénonce la vie de château menée par le secrétaire d’État au budget, bien placé pour jouer avec l’argent qui ne lui appartient pas. « Le Grand Condor » des Andes, c’est une vraie décoration gagnée en Bolivie. L’infatigable Jackou le rockant (inspiré du film Jacquou le croquant) finira « roi fainéant » vu par Sarkozy, le jeune loup impatient de prendre sa place l’Élysée. Sans doute était-il aussi diminué par un AVC en 2005.
Alain Juppé : le Meilleur d’entre nous, le Caribou bordelais
« Un Premier ministre, on le lèche, on le lâche, on le lynche ! »3383
Alain JUPPÉ (né en 1945). La Malédiction Matignon (2006), Bruno Dive, Françoise Fressoz
Il a vécu un court état de grâce, devenu Premier ministre de Chirac (1995-1997) et maire de Bordeaux (succédant à Chaban-Delmas en 1995). Publiquement reconnu par Chirac comme « le meilleur d’entre nous », il se rend vite impopulaire par le projet de réforme des retraites, le gel des salaires des fonctionnaires, la déroute des Jupettes (12 femmes ministres, dont huit débarquées du gouvernement après quelques mois) et cette raideur de l’homme qui se dit lui-même « droit dans ses bottes. » Mais le pire est à venir.
En 1998, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêt » – pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. Le 30 janvier 2004, le tribunal correctionnel de Nanterre le condamne lourdement : dix-huit mois de prison avec sursis et dix ans d’inéligibilité ! L’appel interjeté suspend l’application de la peine jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel. Le 1er décembre 2004, condamnation réduite à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Juppé vit une traversée du désert qui passe par le Canada… D’où son surnom de Caribou bordelais. Nombre de commentateurs estiment qu’il paie pour Chirac, reconnu comme responsable moralement.
Françoise de Panafieu : Panaf, la pintade à roulettes
« La vie m’a donné la chance de ne pas avoir de revanche à prendre. »
Françoise de PANAFIEU (née en 1948), Libération, 16 avril 2007
C’est assurément une (grande) « bourgeoise », qualificatif que lui ont souvent accolé ses adversaires au regard de sa filiation : un père, François Missoffe, ministre du général de Gaulle et diplomate, sa mère, Hélène Missoffe, secrétaire d’État de Valéry Giscard d’Estaing, son ascendance - les Wendel, maîtres de forges en Lorraine. Son mari, Guy de Panafieu, haut fonctionnaire et dirigeant d’entreprise, avec qui elle a quatre enfants, appartient à d’une bourgeoisie française remontant à l’Ancien Régime. Et alors ? Pour elle, ça ne semble pas compter. Fille aînée d’une fratrie de huit enfants, joueuse de tennis classée à quinze ans, c’est peut-être plus important…
Elle entre dans la carrière politique, remarquée par Chirac – la voilà adjointe au maire de Paris. Puis par Juppé – bref passage au ministère du tourisme. Puis par Sarkozy – organisation des primaires à Paris. Favoritisme ? Quelle carrière n’est pas aidée par la chance au départ ? Pour le reste, elle assume son « allure Panaf » comme l’on parle d’allure Chanel, son casque de cheveux blancs apparus au moment où elle s’apprêtait à se déclarer candidate à la mairie de Paris pour la première fois en 1999, son regard clair qui s’impose et en impose, ses gestes brusques, son grand corps de sportive fatalement médiatique.
En 2000, elle livre sa première bataille de Paris. Chez les gaullistes, ses adversaires se nomment Jean Tiberi et Philippe Séguin. Elle surnomme le premier « Nain de jardin » et le second « King-Kong ». Elle frappe au physique et en retour, elle se fait traiter de « pintade à roulettes » parce qu’elle a posé en rollers devant l’Assemblée nationale. Elle riposte : « Machistes ! » Bref, Françoise de Panafieu est une emmerdeuse et un p… de caractère. Elle a quand même été députée élue et réélue plus de vingt ans (dans les beaux quartiers) avec des positions clairement de droite, avant de quitter la politique.
Philippe Douste-Blazy : Douste-Blabla, Doux-Blabla, Docteur Douste et Mister Bluff, Douste le Mickey d’Orsay
« C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer. »
Philippe DOUSTE-BLAZY, Le Monde, 16 Juillet 2004
Un mot passe-partout qui ne fait de mal à personne et peut faire du bien à tout le monde.
Fils de très bonne famille, il sera médecin comme son père, avec un parcours politique classique : maire (de Lourdes, puis de Toulouse), député de droite à l’Assemblée nationale (UDF, puis UMP) et député européen, ministre (Culture, Santé, Affaires étrangères où il gagne son surnom de Mickey d’Orsay). Ce n’est pas une bête de scène politique à en croire ses surnoms, mais un homme de terrain, de région, d’expérience et de discrétion, qui a soutenu Didier Raoult en 2020 à Marseille, dans ses recherches controversées et ses applications de l’hydroxychloroquine.
Bernard Kouchner : French Doctor, Koukouche, Nanard la Girouette
« L’information et l’humanitaire sont le remède contre les douleurs extrêmes. »
Bernard Kouchner (né en 1939), Le Malheur des autres (1991)
Cette double conviction, c’est la clé logique de son parcours politique.
Fils d’un médecin juif d’origine lettone et d’une infirmière bénévole de la Croix-Rouge, pensionnaire dans un collège de jésuites à Évreux, militant actif au lycée Voltaire de Paris, il part soutenir les dockers en grève au Havre. Proche de l’abbé Pierre et des Jeunesses communistes, le jeune homme se déclare aussi Rastignac et sans complexe.
Peu impliqué dans mai 68, il va participer comme médecin à diverses missions humanitaires, en commençant par le pire, la guerre du Biafra, fin 1968-1969. Il lancera son « J’accuse » dans le Nouvel Observateur en 1970 : « Comment peut-on être de gauche et laisser massacrer deux millions d’individus ? Le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des Juifs, ne l’oublions pas. Est-ce que cela veut dire que le massacre de millions d’hommes n’a pas de dimension politique ? La gauche, s’il en existe une, a fermé les yeux. Sa préoccupation est simple : les gens qui meurent sont-ils de gauche ? »
Compagnon de route des socialistes à partir de 1986, militant de l’action humanitaire fondée sur le droit international, il a tenté de faire admettre l’idée d’un « droit d’ingérence humanitaire » théorisé avec le professeur de droit Mario Bettati - mais sans succès. Imaginons les conséquences ! L’ONU lui a préféré la notion de « responsabilité de protéger » reconnue par nombre de résolutions de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme.
Co-créateur (très médiatique) de Médecins sans frontière (MSF) et de Médecins du monde, French doctor populaire et prophétique même dans son pays, le parcours politique de Kouchner l’a fait passer de la gauche à la droite, d’où ses surnoms : Nanard la Girouette et Koukouche – à la disposition de Sarkozy. Reste sa cote de confiance et une passion qui fait défaut à tant de gens !
Claude Allègre : le mammouth (au milieu des « éléphants » du parti)
« Il faut dégraisser le mammouth. »3344
Claude ALLÈGRE (né en 1937), ministre de l’Éducation nationale, 24 juin 1997
C’est un chercheur reconnu, médaillé et primé par ses confrères, même si ses prises de position écologiques sur le climat seront « politiquement incorrectes ». Il prévoit une réforme des lycées, pour « l’égalité dans la diversité » des filières. Il veut changer les horaires, développer des « activités culturelles et citoyennes ». Projets mal reçus, mais c’est surtout son langage qui choque le milieu enseignant.
L’image fait mouche et le mammouth devient l’emblème de la contestation. On réfute ses chiffres (sur l’absentéisme des professeurs, sur la durée de leurs congés) et ses jugements tranchés sur diverses matières : les maths dévaluées par les machines à calculer, l’anglais qui ne doit plus être une langue étrangère pour les Français, le réchauffement climatique qui ne serait pas d’origine humaine.
Le mammouth qui fait image est quand même la plus grosse erreur de langage. Le ministre revient sur sa petite phrase, précisant qu’elle visait l’administration centrale, et non les professeurs. Il va d’ailleurs ajouter 70 000 emplois au million existant. Mais en mars 2000, Lionel Jospin devra sacrifier son ami Allègre et rappeler à l’Éducation nationale le très consensuel et populaire Jack Lang.
Lionel Jospin : le Grand Frisé, Yoyo
« J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions, en me retirant de la vie politique. »3373
Lionel JOSPIN (né en 1937), Déclaration du 21 avril 2002
La gauche est hors-jeu et KO, la présidentielle va se jouer à droite toute. Lionel Jospin, Premier ministre de la troisième cohabitation sous Chirac, la dernière et la plus longue sous la Cinquième (mai 1997-mai 2002), il se présente à la télévision et devant ses troupes, visage défait, voix blanche :
« Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle vient de tomber comme un coup de tonnerre. Voir l’extrême droite représenter 20 % des voix dans notre pays et son principal candidat affronter celui de la droite au second tour est un signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie. Ce résultat, après cinq années de travail gouvernemental entièrement voué au service de notre pays, est profondément décevant pour moi et ceux qui m’ont accompagné dans cette action. Je reste fier du travail accompli. Au-delà de la démagogie de la droite et de la dispersion de la gauche qui ont rendu possible cette situation, j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle. » Il a tenu parole.
En 1997, l’équipe de Jospin l’appelait sans cesse le Grand frisé. Yoyo est le surnom inventé par les Guignols de l’Info sur Canal + en parodie du dessin animé pour enfants « Oui-Oui au pays des jouets ». Souvenir, souvenirs…
Jean-Pierre Raffarin : le Phénix du Haut-Poitou, Raff, Raffarien
« La route est droite, mais la pente est forte. »3376
Jean-Pierre RAFFARIN (né en 1948), nouveau Premier ministre à l’Assemblée, 3 juillet 2002. La Route est droite, mais la pente est forte : un an déjà (2003), Marie-Noëlle Lienemann
Au lendemain des législatives gagnées dans la foulée de l’élection présidentielle, Jacques Chirac unifie la droite en créant un nouveau parti, l’Union pour un mouvement populaire (UMP) que Bayrou refuse de rejoindre. Les législatives de juin 2002 amorcent la rebipolarisation du paysage politique français : l’UMP obtient une majorité absolue de députés.
On se demandait quel Premier ministre allait prendre Chirac, président réélu par défaut face à Le Pen. Le choix surprend. C’est un giscardien, donc plutôt centriste, l’un des rares « chiraco-compatibles ». Cela peut se résumer ainsi : « La politique, ce n´est pas un sport, ce n´est pas une équipe contre une autre : on est tous l´équipe de France. » Malgré tout, Raffarin a le cœur à droite : « La France n’est encore, dans son chemin du paradis, qu’au purgatoire puisqu’il reste des socialistes. »
L’homme affiche sa modestie : « Les têtes qui gonflent sont celles qui éclatent. » Il se décrit lui-même : « J´ai mes rondeurs, mais j´ai mon énergie. » Il a un physique et une mentalité de sénateur – il est d’ailleurs sénateur de la Vienne, élu et réélu, et il retournera au Sénat, après trois années passées à Matignon, trois fois renouvelé pour trois gouvernements successifs : « Je suis le pilote de l´Airbus gouvernemental. »
Populaire au début dans « la France d’en bas » comme dans « la France d’en haut », réformateur – « Il faut mettre en place la République du bon sens » –, il se montre ferme face aux grèves et aux manifestants – retraite, décentralisation, assurance-maladie. Face aux éternels chantiers, aux problèmes récurrents : « La route est droite, mais la pente est forte », autrement dit, on voit bien ce qu’il faut faire, mais ce ne sera pas facile.
Ses trois surnoms n’ont finalement pas plus d’humour que lui, mais Raff, Raffarien ou le Phénix du Haut-Poitou a fait le job pas facile, auprès d’un Chirac bientôt à bout de course. La vie politique est cruelle et Sarkozy son successeur en fera l’expérience, le moment venu.
Nicolas Sarkozy : Sarko, le Nain, Naboléon, Petit Nicolas, SarkoLéon, Speedy Gonzales, Iznogood, Nico le bigorneau, Sarko Ier, Super Président, Super Sarko, Omniprésident, Tsarkosy
« Ceux qui ne peuvent supporter d’être haïs ne doivent pas faire de la politique. Il n’y a pas de destin sans haine. » 3470
Nicolas SARKOZY (né en 1955), sur son site : Présidentielle 2012
À suivre pour la fin des Surnoms.
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