Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine (Siècle des Lumières et début de la Révolution) | L’Histoire en citations

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Édito de la semaine

I. Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine, au Siècle des Lumières et au début de la Révolution (Constituante et Législative).

Les trois valeurs républicaines sont aujourd’hui indissociables, mais elles ne « marchent » pas toujours ensemble dans l’histoire.

LA LIBERTÉ qui arrive en tête nous renvoie aux origines de la France.

« Les Francs commençaient alors à se faire craindre. C’était une ligue de peuples germains qui habitaient le long du Rhin. Leur nom montre qu’ils étaient unis par l’amour de la liberté. »50

BOSSUET (1627-1704), Discours sur l’histoire universelle (1681)

Les Francs apparurent vers la fin du IIIe siècle. Peuple germanique composé de diverses ethnies, ils s’établissent aux abords du Rhin, avant de pénétrer en Gaule (romaine) entre 430 et 450, dans la vague des Grandes Invasions. De ce peuple sont issues les deux premières dynasties de rois qui gouvernèrent la France : Mérovingiens et Carolingiens. Rappelons qu’au Moyen Âge existait la triade (ou adage) : « Une foi, une loi, un roi » qui devint sous l’Ancien Régime « Un roi, une foi, une loi » . Jusqu’à la Révolution qui instaure la République.

L’ÉGALITÉ est une revendication plus tardive, née de l’injustice ressentie en divers domaines. La fiscalité, première source de contestations et de révoltes, épargne les classes supérieures et les riches au détriment du peuple « taillable et corvéable » à merci. Autre inégalité flagrante…

« Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »842

Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables, Les Animaux malades de la peste (1678)

La Fontaine se sert « d’animaux pour instruire les hommes » et pour faire une satire de son époque comme Molière.

LA FRATERNITÉ arrive bonne dernière, sans doute en raison de solidarités familiales, amicales ou locales (dont la charité) qui pallient les lacunes au niveau institutionnel.

Tout change à partir du XVIIIe siècle : la philosophie des Lumières définit ces trois principes et dénonce les lacunes de la société, chaque philosophe se relayant pour exprimer à sa manière la révolte contre l’ordre établi.

« Les philosophes sont plus anatomistes que médecins : ils dissèquent et ne guérissent pas. »996

RIVAROL (1753-1801), Fragments et pensées philosophiques (posthume)

Écrivain politique et défenseur modéré de la monarchie, il voit comme tout bon lecteur des Lumières la vertu révolutionnaire des idées de philosophes pourtant non révolutionnaires. La marquise du Deffand qui tient salon et soutient les encyclopédistes, apostrophe le philosophe du siècle : « Mais, Monsieur de Voltaire, amant déclaré de la vérité, dites-moi de bonne foi, l’avez-vous trouvée ? Vous combattez et détruisez toutes les erreurs ; mais que mettez-vous à leur place ? » Lettre du 28 décembre 1765.

La Révolution éclate en 1789 : coup de tonnerre dans un ciel déjà très chargé.

La Constituante, première assemblée nationale, réalise un remarquable travail législatif, à commencer par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le droit à la liberté et à l’égalité laisse une place à la propriété, marque d’une révolution bourgeoise dans un contexte difficile. La fraternité, sans dire son nom, apparaît clairement dans le Serment du jeu de paume et le premier grand discours de Mirabeau. Les citations s’enchaînent ensuite, lumineuses, « définitives » et pourtant toujours « à suivre ».

1. Le siècle des Lumières : premiers concepts d’avenir.

« Le Français est surtout jaloux de la liberté de se choisir son maître. »814

SAINT-ÉVREMOND (1614-1703). Encyclopédie universelle de la langue française, article « maître »

Moraliste et critique, exilé à Londres en raison d’écrits frondeurs contre Mazarin, il refusera la grâce octroyée par Louis XIV. Mais ses œuvres circulent en France comme en Angleterre.

Ce trait de caractère d’un peuple par ailleurs souvent réputé ingouvernable, ce besoin du « père » revient souvent dans l’histoire de France, cependant que Saint-Évremond, au siècle de Louis XIV, est véritablement le précurseur des philosophes qui donnent son beau nom au siècle des Lumières.

« Dans l’état de nature, les hommes naissent bien dans l’égalité ; mais ils n’y sauraient rester. La société la leur fait perdre, et ils ne redeviennent égaux que par les lois. »1005

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

L’Esprit des Lois est la grande œuvre de sa vie, vers quoi convergent toutes les autres. Il paraît en octobre 1748 à Genève : succès considérable, 22 éditions en un an et demi ! « C’est de l’esprit sur les lois », dit Mme du Deffand – ce n’est qu’un mot, et très injuste.

Le premier philosophe des Lumières crée une science des lois : il cherche leur « âme », discerne un ordre, une raison et s’efforce de comprendre. Il dit ce qui est, avant de dire ce qui devrait être.

Montesquieu a plus souvent parlé de liberté que d’égalité – opposé en cela à Rousseau. Mais dans cette justification des lois dans la société, il existe un cousinage avec l’idée de base du Contrat social. Tout l’Ancien Régime étant fondé sur les privilèges (fiscaux et autres), donc sur un principe fondamental d’inégalité, seule une réforme littéralement révolutionnaire pouvait amener l’égalité. Des ministres éclairés en proposeront des amorces, sans pouvoir les imposer aux privilégiés qui conduiront inéluctablement « leur » régime à sa perte, donc à la Révolution de 1789.

« Les hommes sont tous égaux dans le gouvernement républicain ; ils sont égaux dans le gouvernement despotique. Dans le premier, c’est parce qu’ils sont tout ; dans le second, c’est parce qu’ils ne sont rien. »1009

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

L’auteur va largement inspirer l’Encyclopédie dans ses vues politiques, notamment quand elle condamne le despotisme, réserve la république aux petits États, loue la monarchie anglaise.

« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. »1011

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

C’est le fameux principe de la séparation des pouvoirs : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps […] exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

La constitution anglaise, monarchique en apparence, républicaine en réalité, présente un bon équilibre des trois pouvoirs : elle séduit fort le philosophe qui l’a vu fonctionner sur place. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16) consacrera cette séparation des pouvoirs en 1789.

« Il en a coûté sans doute pour établir la liberté en Angleterre ; c’est dans des mers de sang qu’on a noyé l’idole du pouvoir despotique ; mais les Anglais ne croient pas avoir acheté trop cher leurs lois. »1026

VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734)

« … Le fruit des guerres civiles à Rome a été l’esclavage et celui des troubles d’Angleterre, la liberté. La nation anglaise est la seule de la Terre qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois en leur résistant […] Les guerres civiles de France ont été plus longues, plus cruelles, plus fécondes en crimes que celles d’Angleterre ; mais de toutes ces guerres civiles, aucune n’a eu une liberté sage pour objet. »

Ces Lettres philosophiques de 1734 – « première bombe lancée contre l’Ancien Régime », selon l’historien Gustave Lanson – sont publiées sans autorisation. L’imprimeur est embastillé, le livre condamné par le Parlement à être brûlé comme « propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et la société civile ». Une lettre de cachet du 3 mai exile l’auteur en Lorraine – la province ne sera française qu’en 1766. Le château de Cirey et Mme du Châtelet accueillent Voltaire, à quelques lieues de la frontière : à la moindre alerte, le philosophe peut fuir. Il y séjourne quinze ans, le temps d’une complicité intellectuelle et amoureuse avec la marquise. En attendant, la liberté qui n’existe toujours pas est un thème de débat et Voltaire l’enrichit à plaisir…

« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. »1027

VOLTAIRE (1694-1778), Faits singuliers de l’histoire de France

Ce n’est pas seulement un trait d’humour. Malgré son amour de l’humanité, il se méfie de la « populace » : « Il me paraît nécessaire qu’il y ait des gueux ignorants […] Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes » (Lettre à M. Damilaville, 1766). Et dans son Dictionnaire philosophique portatif, ou la raison par l’alphabet : « Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent, de la populace qui n’est point faite pour penser. »

« Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance
C’est la seule vertu qui fait la différence. »1029

VOLTAIRE (1694-1778), Mahomet ou Le Fanatisme (1741)

Ces deux vers seront « la citation reine de la Révolution » (Mona Ozouf, historienne). Pour les révolutionnaires, tout n’est pas bon à prendre chez ce courtisan porté à l’hédonisme et fort peu enclin à la démocratie, l’égalité sociale, la révolution du genre « table rase ». Mais l’on met volontiers Voltaire en slogans, prenant de-ci de-là, dans des tragédies aujourd’hui oubliées, quelques vers bien frappés, sonores comme des médailles : « Je porte dans mon cœur / La liberté gravée et les rois en horreur. » Ou encore : « Si l’homme a des tyrans il doit les détrôner. » On ne citerait pas ainsi Montesquieu ou Rousseau, auteurs de systèmes plus cohérents sur le fond, mais pesants dans leur forme.

« L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »1039

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social, Préambule (1762)

Encore et toujours la liberté en tête de la littérature philosophique au siècle des Lumières.

Rousseau qui constate l’échec des sociétés modernes ajoute aussitôt : « Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question. » Il méditait depuis longtemps de livrer le message de son idéal politique : selon Edgar Quinet, le Contrat social est le « livre de la loi » de la Révolution et Rousseau « est lui-même à cette Révolution ce que le germe est à l’arbre ». Robespierre en fera son livre de chevet, en bonne logique révolutionnaire.

« Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. »1041

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

Il prend soin de distinguer ensuite : « La liberté naturelle n’a pour bornes que les forces de l’individu, la liberté civile est limitée par la volonté générale. » Il précise que la possession n’est que l’effet de la force ou du droit du premier occupant, alors que la propriété ne peut être fondée que sur un titre positif. Enfin et dans la mesure où les citoyens adhèrent librement au pacte social, la liberté est respectée, car « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Notons au passage l’apparition de la propriété comme un droit de l’homme fondamental au même titre que la liberté et l’égalité. On la retrouvera dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789.

« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité. »1046

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

À l’inverse de Montesquieu et Voltaire, Rousseau subordonne la liberté à l’égalité politique, voire économique, et à la souveraineté de la nation. Les révolutionnaires le porteront au Panthéon (1794) après une pétition faisant de lui le « premier fondateur de la Constitution française » parce qu’il a « établi en système l’égalité des droits entre les hommes […] et la souveraineté du peuple ».

« Le sang d’un seul homme est d’un plus grand prix que la liberté de tout le genre humain. »1048

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Lettre à la comtesse de Wartensleben, 27 septembre 1766. Correspondance

Il a la violence en horreur. Mais tous les philosophes dont les hommes de la Révolution se réclameront auraient désavoué le tournant qu’elle prendra sous la Terreur.

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. »1059

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Autorité politique »

Nous retrouvons la liberté en tête des valeurs « naturelles » et fondamentales à défendre.

Infatigable auteur de plus de mille articles dans la célèbre Encyclopédie, Diderot donne ici le plus hardi en matière politique : c’est la condamnation de l’absolutisme qui s’inspire de Locke et rejoint le Rousseau du Contrat social. Selon Diderot, la seule autorité établie par la nature est la puissance paternelle, limitée dans le temps. Toute autre autorité ne peut avoir que deux sources : « la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat ».

« Une guerre interminable, c’est celle du peuple qui veut être libre, et du roi qui veut commander. »1064

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (rédigé entre 1774 et 1776, publication posthume en 1798)

Vue prophétique, quelques années avant la Révolution ! Mais tous les philosophes des Lumières ont annoncé la Révolution, sans la vouloir et sans le savoir.

Diderot écrit aussi, dans ses Entretiens avec Catherine II, la despote éclairée qui sut le mécéner : « Qu’un peuple est heureux, lorsqu’il n’y a rien de fait chez lui ! Les mauvaises et surtout les vieilles institutions sont un obstacle presque invincible aux bonnes. » C’est déjà en germe la philosophie de la table rase.

Il est vrai qu’en France, la lourdeur des institutions et l’enracinement des privilèges sont tels que toutes les réformes entreprises durant le siècle se heurtent à des murs et qu’une révolution devient inévitable.

« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : que tous les hommes naissent égaux ; que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté et la recherche du Bonheur. »1223

Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, rédigée par Thomas Jefferson (1743-1826) et adoptée par le Congrès, 4 juillet 1776 (Independence Day), rejetant l’autorité du roi d’Angleterre

Le texte s’inspire de la philosophie des Lumières et notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 s’en inspirera à son tour.

En fait, tous ces principes sont dans l’air du temps et la contagion politique s’inscrit dans une heureuse logique – on pourrait parler d’un « cercle vertueux ». Elle passe aussi par la théorie des droits naturels du philosophe anglais John Locke qui précède d’un demi-siècle notre Rousseau et son Contrat social.

L’opinion publique en France est de plus en plus favorable aux Insurgents (ou Patriots) dans leur guerre d’Indépendance contre l’Angleterre, grande puissance colonisatrice, mais Vergennes (ministre des Affaires étrangères) hésite à intervenir. Il va finir par céder à Beaumarchais et fournir des armes, tandis que le très jeune marquis de La Fayette s’implique corps et biens en 1777 dans cette formidable aventure : « Les relations républicaines me charmaient. »

« [Les législateurs] n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits, en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? »1249

Marquis de CONDORCET (1743-1794), Lettres d’un bourgeois de Newhaven à un citoyen de Virginie (1787)

Philosophe et scientifique, auteur de cet écrit célèbre, influencé par la Révolution américaine qui contribue à répandre plus largement en France les idées nouvelles de liberté et d’égalité, quand les officiers et leurs troupes reviennent de la guerre d’Indépendance enfin gagnée.

Condorcet fait partie de ces nombreux intellectuels dits « monarchistes » qui croient possible une réforme du régime : un pouvoir monarchique sauvé par une délibération publique rationnelle et une administration éclairée, dans une nation de citoyens et de citoyennes égaux devant la loi.
La Révolution telle qu’il la vivra et en mourra (suicidé pour échapper à la guillotine) sera pour lui un dramatique échec. Mais la Révolution nous laisse avant tout un héritage qu’il faut toujours rappeler ou (re)découvrir.

2. La Révolution (Constituante et Législative) : remarquable travail législatif signé d’une révolution bourgeoise.

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire imprimeur à Paris, « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtiendra de Pache, maire de Paris en février 1793, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – celle des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois pour le pire. La fraternité reste la parente pauvre de cette trinité de concepts jusqu’au socialisme du XIXe siècle, mais elle se manifeste dans les faits dès juin 1789 et va donner son élan à la Révolution.

Le triple principe ne sera inscrit dans une constitution française qu’en 1848 sous la Deuxième République éphémère, avant de réapparaître définitivement sous la Troisième République.

« Les mots ! Les mots ! On a brûlé au nom de la charité, on a guillotiné au nom de la fraternité. Sur le théâtre des choses humaines, l’affiche est presque toujours le contraire de la pièce. »1267

Edmond de GONCOURT (1822-1896) et Jules de GONCOURT (1830-1870), Idées et Sensations (1866)

Cette vérité vaut sous la Révolution plus qu’en toute autre époque de notre histoire de France ! D’où le nombre de (belles ou très belles) citations, parallèlement au nombre de victimes guillotinées, massacrées ou tuées au cours des guerres civiles et étrangères. Le « théâtre » révolutionnaire est un grand spectacle politique et humain qui passionne toujours les historiens en même temps qu’un vaste public.

« Voici deux cents ans, un millier d’hommes changeaient la face du monde. Ils n’en voulaient pas tant et c’est comme par défaut que les délégués de la France aux États généraux sont devenus, sans le vouloir, sans le savoir, les artisans du passage de la société d’Ancien Régime, celle de l’obéissance, à la société de la Liberté. »1313

Claude MANCERON (1923-1999), La Révolution française. Dictionnaire biographique (1989)

La dernière réunion des États généraux remontait au 27 octobre 1614, après la mort d’Henri IV et sous la régence de Marie de Médicis. Les rivalités entre clergé, noblesse et tiers condamnent les États à l’impuissance : ils se séparèrent le 23 février 1615, totalement discrédités.

La monarchie de l’Ancien Régime se renforce ensuite avec Richelieu, devient absolue au siècle de Louis XIV. Le siècle des Lumières sape les fondements d’une royauté qui s’affaiblit avec Louis XV et Louis XVI se voit contraint de réunir les États généraux, ce qu’il redoute - sans prévoir à quel point la face du monde va en être changée !

« Tous les membres de cette Assemblée prêteront serment de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »1319

Jean-Baptiste-Pierre BEVIÈRE (1723-1807), Jean-Joseph MOUNIER (1758-1806) et l’abbé SIEYÈS (1748-1836), Serment du Jeu de Paume, 20 juin 1789

Texte écrit sur proposition de Mounier, rédigé par Bevière aidé de Sieyès et lu par Jean-Sylvain Bailly, président de l’Assemblée nationale, premier à prêter ce serment solennel qui sera tenu, dans la tourmente des événements à venir.

Sans dire le mot, c’est la manifestation d’une « fraternité de rébellion » (Mona Ozouf) qui lance véritablement la Révolution, bien plus que la prise symbolique de la Bastille, le 14 juillet.

Rappelons les faits : la salle du Jeu de paume sert de refuge aux députés refoulés sur ordre du roi menaçant de casser les délibérations du tiers devenu Assemblée nationale, et qui a en conséquence fait fermer la salle des Menus-Plaisirs. Ce serment, dépourvu de valeur juridique, a une portée symbolique considérable : il bafoue publiquement la volonté du roi qui doit réagir à l’affront. Trois jours plus tard, il veut faire évacuer la salle du Jeu de paume pour disperser les députés. Mirabeau s’y oppose et lance au marquis de Dreux-Brézé : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. » Et le roi cède.

« L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux. »1324

MIRABEAU (1749-1791), Assemblée nationale, 27 juin 1789. Discours et opinions de Mirabeau, précédés d’une notice sur sa vie (1820)

L’Orateur du peuple est la première star du temps, pour l’heure incontestée, bientôt panthéonisé, mais dépanthéonisé quand l’armoire de fer de Louis XVI révèlera sa trahison (ou son double jeu de monarchiste) !

Mirabeau est conscient de vivre un moment historique avec un formidable optimisme – rappelons que « le bonheur est à l’ordre du jour ». Parlant en même temps de « frères nés pour se rendre mutuellement heureux », il fait de la fraternité l’invention majeure de la Révolution. Priorité sera plus souvent donnée à la liberté et l’égalité, en attendant le socialisme qui naît comme une utopie au XIXe siècle, avant de se concrétiser en théories (Marx, Proudhon…) et en lois. C’est toute une belle histoire à suivre, avec le fil rouge des mots et des citations.

« Ils veulent être libres, mais ils ne savent pas être justes. »1341

Abbé SIEYÈS (1748-1836), Constituante, 10 août 1789. Encyclopédie Larousse, article « Emmanuel Joseph Sieyès »

C’est la suite de la fameuse « nuit du 4 août » (1789) où la jeune Assemblée vote dans l’ivresse révolutionnaire l’abolition des privilèges (une des plaies de l’Ancien Régime), suivie d’une vague de décrets plus ou moins justes et réalisables, jusqu’au 11 août.  Sieyès s’oppose ici à la suppression sans rachat des dîmes ecclésiastiques, considérant avec raison que c’est une spoliation.

Abbé sans vocation religieuse, lecteur fervent des philosophes, célèbre par sa brochure Qu’est-ce que le tiers état ?, élu député du tiers, il n’est qu’au début d’une longue carrière politique, chose rare en ces temps chaotiques.

« La liberté, l’égalité, l’humanité venaient de faire un grand abattis dans la forêt des abus. »1342

Abbé GRÉGOIRE (1750-1831). Le Clergé de quatre-vingt-neuf (1876), Jean Wallon

Autre membre du clergé qui résume l’œuvre de la Constituante, notamment les décisions de la nuit du 4 août sanctionnées par les décrets du 5 au 11 août 1789. C’est aussi l’annonce de la Déclaration des droits du 26 août 1789.

Formée par la réunion des États Généraux, l’Assemblée constituante a tout de suite décidé de rédiger une Constitution précédée d’une déclaration de principes. Les propositions affluent. L’Assemblée charge cinq députés (Mirabeau, Démeunier, La Luzerne, Tronchet et Redon) d’examiner les différents projets de déclaration et de les fondre en un seul.

Sitôt dit, sitôt fait et le résultat est génial : concis (786 mots en 19 paragraphes tenant sur une page A4) et précis, universellement et éternellement repris. Article par article, la déclaration française est votée du 20 au 26 août 1789, avec son préambule qui vaut déclaration d’intention et déjà citation (quoiqu’un peu longue).

« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme (…) ».

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, préambule. 26 août 1789

« … afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen. »

Suivent dix-sept articles. La Déclaration commence par énoncer les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale. Citons l’essentiel.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

« … Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Cet article énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Les définitions sont complétées par les articles 4 et 6.

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, article 2. 26 août 1789

Notons la propriété qui fera l’objet de l’article final, mais aussi la sûreté – sécurité si chère aux citoyens en général et en tout temps – et la résistance à l’oppression dont la définition est sans doute difficile et relative, sinon subjective.

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, article 4. 26 août 1789

« … ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » On ne saurait mieux dire ni rien ajouter !

« La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, article 6. 26 août 1789

On retrouve l’égalité citoyenne chère à tout régime républicain digne de ce nom. Cela implique le suffrage universel, mais les femmes de tous les pays devront attendre encore longtemps avant d’avoir le droit de vote - 1944, en France.

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé… »,

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, article 17. 26 août 1789

« … si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Cette reconnaissance constitutionnelle de la propriété expliquerait que la Révolution soit qualifiée de « bourgeoise ». C’est oublier que dans une France agricole à 90 %, la majorité des propriétaires sont des (petits) paysans. Les priver de leur bien relèverait d’une spoliation ou d’une expropriation tout aussi injuste et insupportable que dans tout autre cas… d’où la « juste et préalable indemnité » mentionnée à la fin.

« La Déclaration des droits de l’homme apprit au monde entier que la Révolution française était faite pour lui. »1347

Jules simon (1814-1896), La Liberté (1859)

Par son exigence de rationalité et d’universalité, la Déclaration française dépasse les précédentes déclarations anglaise et américaine, même si elle s’inspire de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Elle porte surtout la marque d’une bourgeoisie libérale nourrie de la philosophie des Lumières. Deux autres Déclarations suivront, en 1793 (Constitution de l’An I, jamais appliquée) et 1795 (Constitution de 377 articles qui annonce le Directoire).

Au XXIe siècle, le monde a perdu beaucoup de ses repères et de ses utopies, les Français sont souvent critiques et critiqués, mais la France reste dans la mémoire collective « la patrie des droits de l’homme ».

Ratifiée seulement le 5 octobre par Louis XVI sous la pression de l’Assemblée et du peuple accouru à Versailles, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sert de préambule à la première Constitution du 3 septembre 1791, acceptée par le roi et appliquée tant bien que mal un an seulement.

C’est le texte du 26 août 1789 qui s’est imposé à la postérité, c’est lui qui a inspiré des textes similaires dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine tout a long du XIXe siècle, c’est sur lui que s’appuient les constitutions françaises de 1852, 1946 et 1958.  La Déclaration universelle des droits de l’homme, signée à Paris le 10 décembre 1948, tout comme la Convention européenne des droits de l’homme, née à Rome le 4 novembre 1950, revendiquent le même héritage.

« La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »1364

Déclaration de paix au monde, votée par la Constituante, 22 mai 1790. Histoire de France, 1750-1995 : Monarchies et Républiques (1996), René Souriac, Patrick Cabanel

Ce décret appartient malheureusement à la catégorie des vœux pieux.

Par la force des choses plus que la volonté des hommes, la Révolution se révélera expansionniste, prosélyte, conquérante : engagée dans un conflit ininterrompu de 1792 à 1802, l’Empire continuera dans la même logique, de 1803 à 1815.

« Ici commence le pays de la Liberté ! »1366

Inscription sur un drapeau français, planté sur le pont de Kehl à Strasbourg, 13 juin 1790. La France de l’Est (1917), Paul Vidal de La Blache

Le 13 juin 1790, des représentants d’Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, réunis (presque) spontanément en Fédération à Strasbourg, plantent sur le pont de Kehl un drapeau français, tricolore et symbolique, avec ces mots. Ils manifestent ainsi l’adhésion de l’Alsace à la communauté nationale française. Par là même, ils soutiennent les acquis de 1789, les lois votées par la Constituante et les frontières nationales. Les conséquences vont être immenses – une suite de guerres étalées sur vingt-trois ans.

Notons que l’Alsace est et sera toujours un cas très particulier dans l’histoire. Sa réunion à la France date de 1648 (traité de Westphalie mettant fin à la guerre de Trente Ans). La France respecte les franchises incluses dans le traité, la langue alsacienne et la liberté religieuse. Mais certains princes allemands ont conservé des fiefs enclavés où s’applique toujours le droit du Saint Empire romain germanique. La République voudra établir l’unité du territoire national contre les « princes possessionnés », mais déjà le peuple alsacien opte pour le « pays de la Liberté ».

L’Alsace fournira à la France révolutionnaire de grands officiers (Kléber, Kellermann) et son hymne national, La Marseillaise, chantée pour la première fois par Rouget de l’Isle à l’Hôtel de Ville de Strasbourg.

« Nous avons pour principe que tout peuple, quelle que soit l’exiguïté du pays qu’il habite, est absolument maître chez lui ; qu’il est l’égal en droit du plus grand et que nul autre ne peut légitimement attenter à son indépendance. »1379

Lazare CARNOT (1753-1823). Encyclopædia Universalis, article « Nationalités (Principe des) »

Officier du génie sous l’Ancien Régime, rallié à la Révolution, futur député de la Législative et de la Convention, mais surtout grand « Organisateur de la victoire », il formule ainsi le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est l’une des idées-forces de la politique extérieure de la République française.

À la même époque, le philosophe allemand Emmanuel Kant exprime la même opinion : « Un État n’est pas une propriété. C’est une société d’hommes sur laquelle personne n’a le droit de commander et d’ordonner sinon elle-même. »

« Il y a une année que cinq ou six cents têtes abattues vous auraient rendus libres et heureux. Aujourd’hui, il en faudrait abattre dix mille. Sous quelques mois peut-être en abattrez-vous cent mille, et vous ferez à merveille : car il n’y aura point de paix pour vous, si vous n’avez exterminé, jusqu’au dernier rejeton, les implacables ennemis de la patrie. »1380

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, décembre 1790. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Déjà populaire auprès du petit peuple parisien, mais détesté de toute la classe politique, Marat joue au « prophète de malheur » dans le journal quotidien qu’il publie et qui est pour l’heure sa seule tribune.

Ici, c’est un véritable appel au meurtre, alors que la guillotine n’est pas encore entrée en scène et que la Terreur est une notion inconnue. Au nom de la liberté et du bonheur, déjà que de crimes annoncés ! La dérive se manifestera sous la Convention à venir.

« C’est des feux de la sédition que naît la liberté. »1270

MARAT (1743-1793), Les Chaînes de l’esclavage (1792 en France)

Ce livre fut publié en 1774 à Londres où Marat travaille comme médecin. L’auteur y attaque la tyrannie sous toutes ses formes et dénonce la corruption de la cour – mais de retour en France, il devient médecin des gardes du comte d’Artois en 1776. Il y fait aussi une théorie du processus révolutionnaire, avec dynamisme des masses entretenu, révolution sans cesse réamorcée et pour tout dire permanente, à la Engels.

Quand le livre sera traduit et publié en France en 1792, Marat est passé de la théorie à l’action depuis le début de la Révolution. Ce sera l’un des révolutionnaires les plus extrêmes, détesté (et redouté) par ses confrères, très populaire auprès du petit peuple de Paris, défendu par aucun historien mais représentatif d’un état d’esprit que l’on qualifierait aujourd’hui de terroriste.

« La Révolution est finie. Il faut la fixer et la préserver en combattant les excès. Il faut restreindre l’égalité, réduire la liberté et fixer l’opinion. Le gouvernement doit être fort, solide, stable. »1386

Adrien Jean François DU PORT (1759-1798), Constituante, 17 mai 1791. La Révolution française (1965), François Furet, Denis Richet

Avec Barnave et de Lameth, il forme au sein de l’assemblée un « triumvirat » prônant des réformes pour concilier monarchie constitutionnelle et principes révolutionnaires. Du Port expose ce programme modéré. Il ne sera pas le dernier à vouloir la fin de cette révolution qu’un homme ou un événement vient chaque fois relancer – cette fois, c’est la fuite à Varennes. Le 21 juin 1791, on constate la disparition de la famille royale qui sera retrouvée le jour même, prête à passer la frontière à l’est, pour marcher sur Paris avec les troupes royalistes, renverser l’Assemblée, mettre fin à la Révolution et restaurer la monarchie absolue… Ramené à Paris, le roi est suspendu de ses fonctions. C’est « la mort de la royauté ».

« Au moment où la nation est libre, où tous les Français sont égaux, vouloir davantage, c’est vouloir commencer à cesser d’être libres et devenir coupables. »1392

Antoine BARNAVE (1761-1793), Constituante, 16 juillet 1791. Histoire de la Révolution de France (1801), Bertrand de Moleville

Le triumvirat qu’il forme avec deux autres députés (du Port et de Lameth) assure le gouvernement. Mais la Constituante n’est solide que si le roi est là. Comme d’autres modérés, Barnave veut donc empêcher les républicains de le déposer. La veille, la commission d’enquête a remis son rapport sur la fuite du roi : la thèse de l’enlèvement prévaut, seuls les organisateurs et les exécutants sont coupables. C’est un déni de réalité trop flagrant…

Louis XVI sera maintenu, mais reste suspendu jusqu’au vote de la nouvelle constitution. Les républicains refusent cette décision et s’agitent, au sein des clubs (Jacobins et Cordeliers). Ils décident de présenter à l’Assemblée deux pétitions pour exiger la déchéance du roi et son jugement. Les Cordeliers (Danton en tête) appellent plus que jamais le peuple à manifester au Champ de Mars pour la République, le 17 juillet.

« J’ai juré de mourir libre, la liberté est perdue, je meurs. »1393

PROVANT (??-1791), après le massacre du Champ de Mars, 17 juillet 1791. Histoire de la Révolution française (1847-1853), Jules Michelet

Garde national du bataillon de Saint-Nicolas, il écrit ces mots et se brûle la cervelle, juste après le drame.

Paris est en ébullition, entre les pétitions à signer pour décider du sort du roi et l’anniversaire de la Fête de la Fédération à célébrer. Le drapeau rouge de la loi martiale est déployé sur ordre du général La Fayette, jeune commandant de la garde nationale. La confusion devient totale. Un coup de feu part d’on ne sait où et La Fayette fait tirer sur la foule.

Il y aura 15 morts (50, selon d’autres sources). Ce n’est pas considérable et pour éviter le pire, voyant des officiers prêts à employer l’artillerie, La Fayette a poussé son cheval face à la gueule des canons, un geste qu’il faut porter à son crédit.

Malgré tout, le choc est immense : pour la première fois, la milice bourgeoise a fait feu contre le peuple. Du jour au lendemain, La Fayette le héros est détesté. Le drapeau rouge fait son entrée dans l’histoire de France et le fossé se creuse entre les députés constitutionnels modérés et les autres, de plus en plus présents.

À bas le Veto ! Avis à Louis XVI : le peuple est las de souffrir.
La liberté ou la mort !1415

Slogans sur les enseignes, Manifestation du 20 juin 1792 à Paris. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le palais des Tuileries est envahi par les sections de la Commune de Paris : elles protestent contre le droit de veto du roi et fêtent en même temps l’anniversaire de sa fuite à Varennes, dont l’échec il y tout juste un an a précipité les événements. La famille royale est molestée.

Louis XVI accepte de se coiffer du bonnet rouge, de boire à la santé de la nation – les gravures ne manquent pas de ridiculiser cette image de la monarchie bafouée. Mais le roi refuse de renoncer à son droit de veto.

« Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs. »1420

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792), devenu La Marseillaise (dernier couplet)

La liberté est en tête d’affiche dans ce qui deviendra l’hymne national de la France. C’est vraiment la valeur reine de la République, si l’on peut accepter cette image. Et c’est toute une histoire dans l’Histoire.

Les fédérés marseillais, appelés à la suite de la déclaration de guerre, ont traversé la France et défilent dans la capitale, avec ce Chant de guerre pour l’armée du Rhin, le 30 juillet 1792 (ou le 10 août selon d’autres sources). Connu de tout Paris en un jour, rebaptisé Marseillaise par les Parisiens, diffusé à 100 000 exemplaires par la Convention fin septembre, ce chant entre dans l’histoire de France. Promue hymne national une première fois en 1795, abandonnée en 1804 sous l’Empire au profit du Chant du départ, elle redevient définitivement hymne national en 1880, sous la Troisième République.

« Que demande un Républicain ?
La liberté du genre humain,
Le pic dans les cachots,
La torche dans les châteaux
Et la paix aux chaumières ! »1430

La Carmagnole (automne 1792), chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Encore et toujours la liberté, premier droit républicain et revendication majeure. Cette nouvelle version de la célèbre Carmagnole résume la situation. Le « pic dans les cachots » va entraîner un nouveau massacre révolutionnaire, plus spectaculaire que les précédents. Ministre de la Justice et responsable des prisons, Danton qui pouvait tout ne va rien faire pour l’empêcher. Les « massacres de septembre » annoncent la suite de la Révolution.

Lire la suite : Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine (Fin de la Révolution et et chronique napoléonienne)

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