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Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.
Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.
Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.
Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.
4. Siècle des Lumières.
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
Portrait des philosophes
« Cela veut raisonner de tout, et n’a pas mille écus de rente. »997
Duc de CASTRIES (1727-1801). Le Rouge et le Noir (1830), Stendhal
Le duc de Castries, qui est aussi marquis, maréchal de France, ministre, gouverneur… et député à l’Assemblée des notables (1788), se fera remarquer à la veille de la Révolution par son hostilité à toute réforme.
Il parle avec dédain de Rousseau (le plébéien) et de d’Alembert (le bâtard) – il aurait pu en dire autant de Diderot (le bohème). Chez ces hommes avides de répandre les Lumières dans un public de plus en plus vaste et éclairé, la vocation encyclopédique va de pair avec une curiosité universelle et une culture tout terrain.Â
Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, le premier de nos quatre grands philosophes, est le seul à pouvoir vivre de ses rentes, ce qui ne l’a pas empêché de bien travailler !
« L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. »1001
MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume)
Montesquieu est un homme heureux – et relativement simple, comparé à ses confrères.
Paisible magistrat qui écrit d’abord pour se distraire, il se libère de sa charge parlementaire et sans aucun problème d’argent, peut se consacrer à des travaux qui ont le succès et le public espérés (Lettres Persanes et l’Esprit des lois).
Dans ses Cahiers, il détaille ce portrait de lui-même : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour je suis content. » Il nous donne d’autres attendus plus politiques et surprenants.
« Je suis bon citoyen parce que j’aime le gouvernement où je suis né […] parce que j’ai toujours été content de l’état où je suis […] mais dans quelque pays que je fusse né, je l’aurais été tout de même. »1002
MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume)
Autoportrait de l’homme toujours heureux et sage. Sa philosophie sera à l’image du citoyen, toute d’équilibre et de raison, en accord avec ce siècle où le bonheur est de règle et où, seul de la bande des quatre philosophes, Rousseau l’écorché vif fera exception.
« Je suis flexible comme une anguille et vif comme un lézard et travaillant toujours comme un écureuil. »1014
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à d’Argental, 22 octobre 1759, Correspondance (posthume). Dictionnaire de français Littré, au mot « travaillant »
Autoportrait du sexagénaire, bien que de santé précaire et sachant se ménager en se refusant tout excès. De son adolescence libertine et frondeuse à sa « retraite frénétique », le personnage déborde d’activités plurielles.
« Variété, c’est ma devise ! »
VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance
Outres ses activités citoyennes, voyageuses, européennes, batailleuses, mondaines, courtisanes, agronomiques et écologiques, Voltaire a écrit dans tous les genres, tragédies, poèmes, romans, contes, traités philosophiques, histoire, critiques littéraires et dramatiques, pamphlets, sans oublier une Correspondance de quelques 40 000 lettres (il en reste 14 000). Ses œuvres « pèseraient » 99 tomes.
« J’ai fait un peu de bien ; c’est mon meilleur ouvrage. »1022
VOLTAIRE (1694-1778), Épîtres, À Horace
À côté de l’œuvre philosophique, il mena une vie « dans le siècle » prodigieusement active dont il semble « modestement fier » à juste titre, ce qui lui valut quelques ennemis et bien des jalousies !
Son sens des affaires lui permit de « civiliser » la région de Ferney. Le sexagénaire fait assécher les marais, bâtir des maisons, construire un théâtre et une église, planter des arbres, créer des prairies artificielles, utiliser des semoirs perfectionnés, développer l’élevage. Il installe une tannerie, une fabrique de bas de soie que Mme de Choiseul présente à la cour, et des montres que nos ambassadeurs recommandent à l’étranger. Il délivre le pays de la gabelle et le patriarche de Ferney se retrouve acclamé en bienfaiteur : « Un repaire de quarante sauvages est devenu une petite ville opulente habitée par douze cents personnes utiles », écrit-il.
« Ce n’est pas seulement un esprit qu’il a, ce sont tous les esprits ensemble qui reviennent dans son crâne et y tiennent le Sabbat. »1015
Président de BROSSES (1709-1777), Lettre à son cousin Loppin de Gémeaux, 4 janvier 1759. Le Siècle des Lumières (1968), Jean-Marie Goulemot, Michel Launay, Georges Mailhos
Premier président du Parlement de Dijon, ce magistrat indépendant et frondeur, deux fois exilé sur ses terres, est doué d’assez d’esprit pour apprécier celui de Voltaire !
Le roi de Prusse, Frédéric II, est lui-même un despote assez éclairé pour écrire cet Éloge de Voltaire : « L’on peut dire, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, que M. de Voltaire valait seul toute une Académie. »
Son confrère et meilleur ennemi Rousseau se situe aux antipodes sur l’échiquier philosophique, social et humain.
« Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j’appris de bonne heure par l’expérience que je n’étais pas fait pour y vivre. »1034
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Les Rêveries d’un promeneur solitaire (posthume, 1782)
Voltaire et Diderot furent injustes et même cruels envers lui, de même qu’Hugo le traitant de « faux misanthrope rococo ».
Sincèrement épris de nature et de solitude, il est inapte à la vie sociale, incompris et déplorant de si mal communiquer, rebelle à toute contrainte, dégoûté de ce qui l’entoure et souffrant du contact des hommes jusqu’à la folie de la persécution.
Exception à la règle dans ce siècle éminemment sociable et volontiers heureux, il conclut dans un dernier paradoxe de ses Rêveries d’un promeneur solitaire : « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. »
« Vitam impendere vero » « Consacrer sa vie à la vérité ».
ROUSSEAU (1712-1778), devise inscrite au fronton de sa tombe (sculptée par Houdon)
La vérité morale est selon lui l’élément unificateur de toute réalité et la vérité rime aussi avec la liberté d’être soi, aussi proche qu’il se peut de la nature – ou sa nature… Rousseau est malgré tout plein de contradictions et de sincérités successives. Diderot lui ressemble en cela et sur d’autres points aussi, mais l’homme apparaît beaucoup plus sympathique et sociable.
« Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir. »1053
DIDEROT (1713-1784), Addition aux pensées philosophiques (1762)
Âgé de 57 ans, il fait ici son autoportrait. Sensible à l’excès, extrême en tout, dans ses sentiments comme dans ses jugements, sensuel, extraverti, comédien et penseur, jouant du paradoxe, péchant par excès de mots et défaut de rigueur : « J’enrage d’être empêtré d’une diable de philosophie que mon esprit ne peut s’empêcher d’approuver, ni mon cœur de démentir » (Correspondance). Et plus que tout, tiraillé toute sa vie entre les lumières de la raison et les transports de la passion, à l’image du tournant du siècle, entre Lumières et romantisme.
Mais Diderot en souffre moins que Rousseau et surtout moins qu’il ne le dit, car la contradiction est le moteur de sa pensée. Il prétend quand même à une certaine logique dans ses Entretiens : « Notre véritable sentiment n’est pas celui dans lequel nous n’avons jamais vacillé, mais celui auquel nous sommes le plus habituellement revenus. »
« Nous sommes l’univers entier. Vrai ou faux, j’aime ce système qui m’identifie avec tout ce qui m’est cher. »1054
DIDEROT (1713-1784), Lettres, à Falconet. Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot (1831)
Curiosité universelle, culture « encyclopédique », travailleur infatigable, auteur d’une œuvre aussi foisonnante que désordonnée, amoureux de la nature et adorant la société, il est aussi à l’aise avec les petites gens (né de modeste bourgeoisie, début de vie bohème, marié à une lingère) qu’avec les intellectuels des salons et les Grands. En cela, Diderot est bien l’homme de son siècle. Il l’est aussi par son don de bonheur : « Il n’y a qu’un devoir, c’est d’être heureux […] ma pente naturelle, invincible, inaliénable, est d’être heureux. »
« Plutôt s’user que se rouiller »
Denis DIDEROT (1713-1784), sa devise
Hyperactif et inventif, il a travaillé jusqu’à la limite de ses forces, toujours prêt à rendre service et à se battre pour les gens qu’il aime ou les causes qu’il défend, auteur tout terrain – philosophie, théâtre, roman, conte, essai, traduction, correspondance, critique littéraire et critique d’art (les fameux Salons). Correcteur et lecteur infatigable, c’est quand même l’Encyclopédie qui l’occupe presque à plein temps de 1747 à 1765. Il a rédigé personnellement plus de mille articles, s’occupant aussi de la collecte et la réalisation des planches qui illustrent cette œuvre monumentale.
Régence et règne de Louis XV (1715-1774)
« Il aura tous les talents, excepté celui d’en faire usage. »1070
Princesse PALATINE (1652-1722), parlant de son fils, le Régent, et « citant » avec humour la mauvaise fée venue lui jeter un sort, lors de ses couches. Histoire de France (1852), Augustin Challamel
Venue de Bavière, elle épousa Monsieur, frère du roi. Ils firent trois enfants pour assurer la descendance, et ensuite lit à part - lui n’aimait pas les femmes et elle, devenue obèse, parle de sa « taille monstrueuse de grosseur ». La Palatine reste célèbre pour son franc-parler qui visait même sa belle-sœur, Mme de Maintenon (« l’Ordure du roi, la Vieille touffe, la Ripopée, la Vieille conne, la Vieille guenon ».
Son amour maternel ne l’aveugle pas sur son fils le Régent qu’elle n’épargne guère : premier prince du sang, elle le gifle devant la cour à l’annonce de son mariage avec Mlle de Blois, fille légitimée de Louis XIV et de la Montespan, malgré tout bâtarde et « qui ressemble à un cul comme deux gouttes d’eau ».
Elle admire son intelligence, ses succès militaires. Pierre Gaxotte confirme : « Il avait reçu en partage tous les dons de l’intelligence, toutes les curiosités de l’esprit, une bonté réelle et expansive, une bravoure, une endurance et des talents qui avaient brillé à la guerre » (Le Siècle de Louis XV).
Mais elle déplore ses mœurs indignes d’un Régent : il multiplie les blasphèmes, les beuveries et les bâtards, se plaisant en mauvaise compagnie (avec ses « roués », bons pour le supplice de la roue), soupçonné d’inceste (avec sa fille), de sorcellerie et d’empoisonnement (sur la personne de ses cousins). Son goût de la provocation le pousse à afficher ses pires côtés.
« Me voici donc en ce lieu de détresse,
Embastillé, logé fort à l’étroit,
Ne dormant point, buvant chaud,
Mangeant froid. »1071VOLTAIRE (1694-1778), La Bastille (1717), Poésies diverses
Le Régent a fait embastiller l’insolent. Déjà exilé deux fois en province pour cause d’écrits satiriques, l’incorrigible frondeur a récidivé avec une épigramme – en latin pour plus de prudence, mais à l’époque, tout le beau monde parle latin.
Le Régent, Dubois (son principal ministre), les princes du sang, les ducs, les bâtards, le Parlement, chaque faction paie ses libellistes pour traîner dans la boue la faction adverse. L’impertinence devient un métier et l’esprit de Voltaire, tantôt courtisan, tantôt courageux et parfois les deux, excelle dans cette carrière.
« Monseigneur, je trouverais très doux que Sa Majesté daignât se charger de ma nourriture, mais je supplie Votre Altesse de ne plus s’occuper de mon logement. »1072
VOLTAIRE (1694-1778), au Régent qui vient de le libérer, 1718. Voltaire, sa vie et ses œuvres (1867), Abbé Maynard
François-Marie Arouet, 24 ans, prend alors le nom de Voltaire. La renommée s’acquiert en un soir au théâtre et il devient célèbre comme tragédien, avec son Œdipe (aujourd’hui injouable, comme toute son œuvre dramatique). Ce n’est que le début d’une longue vie mouvementée.
« Et ce prince admirable
Passe ses nuits à table
En se noyant de vin
Auprès de sa putain. »1073Pamphlet (anonyme). Chansonnier historique du XVIIIe siècle (1879), Émile Raunié
L’impopularité du Régent s’exprime par des vers publiés ou chantés, rarement signés – prudence oblige. Aucun des princes qui vont gouverner la France n’échappera désormais à ce genre d’écrits. Louis XV le Bien-Aimé mourra haï du peuple. Et Marie-Antoinette, dauphine adulée, devenue reine, sera la cible de pamphlets par milliers.
Comme le dira Eugène Scribe dans son Discours de réception à l’Académie française (1834) : « En France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. »
Le Régent a quand même bien manœuvré pour avoir le pouvoir : il s’est allié avec le Parlement pour annuler aussitôt le testament de Louis XIV et écarter le duc du Maine. En échange, le Parlement a récupéré le droit de remontrance et il en devient l’otage.
« Parbleu ! voilà un foutu royaume bien gouverné, par un ivrogne, par une putain, par un fripon, et par un maquereau ! »1074
Philippe d’ORLÉANS (1674-1723) répondant à un ministre venu lui demander de signer un décret. L’Amour au temps des libertins (2011), Patrick Wald Lasowski
Le Régent (l’ivrogne) soupe et boit avec une de ses maîtresses préférées, Mme de Parabère (la putain), en compagnie de John Law (le fripon), banquier écossais qui fait la politique financière de la France, et de l’abbé Dubois (le maquereau), vénal et libertin, mais supérieurement intelligent, responsable de la politique extérieure sous la Régence – le « maquereau » deviendra bientôt « rouget », autrement dit cardinal de manière non orthodoxe…
Il est dans un tel état d’ébriété qu’il ne peut même pas signer le décret, il tend la plume à ses trois compères, et finalement s’exécute, étant malgré tout le Régent de ce « foutu royaume ». Que la fête commence ! (1975) : le film de Bertrand Tavernier est une chronique historique cruelle et fidèle à cette époque.
« Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître. Ils y faisaient un bruit et un combat continuels entre eux. »1075
Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), à propos de l’abbé Dubois, Mémoires (posthume)
On reconnaît le style incisif du grand mémorialiste, aussi dur pour le temps de la Régence que pour la fin du règne de Louis XIV. Mais c’est une loi du genre : l’auteur du portrait se dévoile souvent.
Saint-Simon, pair de France, imbu de son titre et de son sang, incarne cette haute aristocratie désireuse de prendre sa revanche sur le précédent « règne de vile bourgeoisie » et trahit les rancœurs de cette caste dont les espérances politiques sont vite déçues par le nouveau pouvoir. Il juge ici un rival plus heureux que lui en politique, l’abbé Guillaume Dubois, ancien précepteur de Philippe d’Orléans : « L’avarice, l’ambition, la débauche étaient ses dieux ; la perfidie, la flatterie, les servages [manières de valet], ses moyens ; l’impiété parfaite son repos. » Dubois fut certes un intrigant, mais aussi un habile diplomate.
« On m’a aimé sans me connaître, on me hait sans me connaître encore ; j’espère me faire connaître et aimer dans peu. »1077
Philippe d’ORLÉANS (1674-1723), en 1718. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove
Étonnant aveu qui s’apparente à un autoportrait et une confession. L’homme connaît sa réputation, toujours exécrable pour des raisons privées, mais son impopularité grandit pour des raisons politiques. Les nouvelles alliances déconcertent l’opinion anti-anglaise, cependant qu’un parti pro-espagnol infiltre toutes les classes.
On ne sait pas assez gré au Régent du traité signé avec Georges Ier, qui va assurer la paix avec l’Angleterre pendant plus de vingt ans. C’est aussi l’œuvre de l’abbé Dubois, son ancien précepteur, tout aussi intelligent et fin diplomate, mais détesté et brocardé autant que lui.
Pour redorer son blason et améliorer sa cote de popularité, le Régent va tenter un coup financier avec Law, esprit hardi, subtil, brillant et sûr de lui. Le « Système » est une bonne idée, mais son application se révèlera catastrophique dans un pays pas encore prêt à ce qui réussit déjà en Angleterre, première puissance économique moderne.
« On se souviendra longtemps qu’il ressemblait à l’Amour. »1090
Marquis d’ARGENSON (1694-1757), lors du sacre, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 25 octobre 1722. Journal et Mémoires du marquis d’Argenson (posthume, 1859)
Le fils d’Argenson, René Louis, témoigne dans ses Mémoires, déjà sous le charme du jeune roi comme tous ceux qui l’approchent.
Louis XV restera « le Bien-Aimé » pour l’histoire - même s’il finit détesté par son peuple. Les contemporains de son adolescence, unanimes, évoquent sa séduction et sa prestance, la grâce qu’il met à danser, monter à cheval, passer les troupes en revue.
« On se sentait forcé de l’aimer dans l’instant. »1118
CASANOVA (1725-1798), de passage en France, 1750, Histoire de ma vie (posthume)
Le Bien-Aimé a longtemps mérité son surnom. L’aventurier et mémorialiste italien (d’expression française) confirmera cette impression de prestance et de grâce que Louis XV donne à quiconque l’approche : « J’ai vu le roi aller à la messe. La tête de Louis XV était belle à ravir et plantée sur son cou l’on ne pouvait pas mieux. Jamais peintre très habile ne put dessiner le coup de tête de ce monarque lorsqu’il se retournait pour regarder quelqu’un. »
« Nous l’avons vu mourir fort âgé et oublié comme il arrive à tous ceux qui n’ont eu que de grands événements sans avoir fait de grandes choses. »1091
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Voltaire historien évoque ici le duc de Lauzun, maréchal de France, mort en 1723 à 90 ans. Courtisan plein d’ambition et dépourvu de scrupules, favori de Louis XIV qui, lassé de ses impertinences, l’a fait embastiller, il finit par épouser la Grande Mademoiselle à l’immense fortune, passa en Angleterre où il assista à la révolution de 1688, fut chargé de conduire en France la reine et le prince de Galles. Marié en secondes noces à la belle-sœur de Saint-Simon qui dit de lui : « On ne rêve pas comme il a vécu. »
« Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher. »1106
Marie LECZINSKA (1703-1768), en 1737. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove
Le mot, souvent cité, est sans doute apocryphe – femme très réservée, princesse bien éduquée, elle n’a pu dire cela. Mais elle a dû le penser ! En dix ans de mariage, elle donne dix enfants au roi (dont sept filles). La dernière grossesse est difficile, sa santé s’en ressent, elle doit se refuser à son époux sans lui dire la raison, il s’en offusque et s’éloigne d’elle.
Elle perd toute séduction, se couvre de fichus, châles et mantelets pour lutter contre sa frilosité. Elle se console en mangeant, gourmette et gourmande, inventant avec son chef cuisinier les fameuses « bouchées à la reine » censées ranimer les ardeurs royales – mais elle n’en profitera pas personnellement. Toujours amoureuse, elle sera malheureuse… et l’une des reines les plus ouvertement trompées. Louis XV a commencé avec Mme de Mailly, favorite discrète.
La vie amoureuse de Louis XV fut très commentée par les contemporains et documentée par les historiens, mais le personnage du roi demeure complexe – bien plus que ses illustres prédécesseurs.
« Il avait tout ce qu’il fallait pour faire le plus grand roi du monde. Il ne lui aurait fallu que la moitié de la gasconnade d’Henri IV et du grand caractère de Louis XIV. »1112
Duc de CROŸ (1718-1784), Journal inédit : Mémoires (posthume)
Maréchal de France et gouverneur de Picardie, très proche du roi et naturellement courtisan, le duc reconnaît cependant des manques essentiels dans la personnalité de Louis XV. Il manquera surtout au roi un Richelieu, vu ses points communs avec Louis XIII : mêmes doutes, scrupules excessifs, volonté secrète, méfiance et timidité.
Autre problème sans doute corollaire, il a peu de contacts avec ses ministres et se décide sur dossier, ou sur informations reçues par un réseau d’espions et de diplomates plus ou moins secrets. Il est aussi sous l’influence de ses maîtresses qui lui sont indispensables pour ne pas tomber dans une mélancolie maladive.
« Voyant plus juste que les autres, il croyait toujours avoir tort. »1113
Duc de CROŸ (1718-1784), Journal inédit : Mémoires (posthume)
Il écrit encore à propos de Louis XV : « J’ai dit mille fois dans mes Mémoires, il ne lui manquait que d’oser décider par lui-même et de ne pas, toujours par modestie, tourner à l’avis des autres, tandis qu’il voyait mieux qu’eux. »
Le duc de Luynes, autre proche, confirme : « On voit quelquefois qu’il a envie de parler, la timidité le retient, et les expressions semblent se refuser. »
« J’entends toujours demander si les chiens et les chevaux sont las et jamais les hommes. »1116
LANSMATE (XVIIIe siècle), premier piqueur du roi. Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution (1886), comte Jean-Nicolas Dufort de Cheverny, Robert Saint John de Crèvecœur
À l’occasion d’une chasse qui a épuisé bêtes et gens, Lansmate déplore l’insolente santé de Louis XV, jointe à un certain égoïsme.
L’enfant chétif et plusieurs fois mourant est devenu un sportif infatigable, grand et bon chasseur par tous les temps. Les voyages, les cérémonies, les amours, la guerre même où il se montre fier soldat, rien ne semble le fatiguer. Luynes évoque « cet extrême besoin d’exercices violents et de dissipation, et des moments de noire tristesse ». Le roi n’a jamais assez de divertissements et son métier de roi, exercé par intermittence, ne lui suffit pas.
« Puisqu’il a repris sa catin, il ne trouvera plus un Pater sur le pavé de Paris. »1120
Les poissardes parlant de Louis XV, novembre 1744. Dictionnaire contenant les anecdotes historiques de l’amour, depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour (1811), Mouchet
C’est le peuple qui s’exprime, par la voix des marchandes de la Halle à Paris. Bien-Aimé, certes, mais déjà contesté. Elles ont tant prié pour la guérison du roi malade. Mais il vient de reprendre sa maîtresse Mme de Châteauroux, troisième des sœurs de Nesle, présentées au roi par le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal (embastillé à 15 ans pour débauche et remarié pour la troisième fois à 84 ans). La nouvelle fait grand scandale. La cour se tait, mais la rue a toujours son franc-parler.
« Puisqu’il en faut une, mieux vaut que ce soit celle-là . »1126
Marie LECZINSKA (1703-1768), parlant de la Pompadour. Apogée et chute de la royauté : Louis le Bien-Aimé (1973), Pierre Gaxotte
Toujours éprise de son mari, mais digne et résignée, la reine ne se plaint jamais de ses liaisons et trouve même certains avantages à la maîtresse en titre depuis 1745, la marquise de Pompadour : cette jeune et jolie femme de 23 ans la traite avec plus d’égards que les précédentes passantes, et durant près de vingt ans, leurs relations seront cordiales.
La vie de favorite royale, surtout sous le règne de Louis XV, est un métier ingrat malgré les apparences. Il faut être perpétuellement en représentation, souriante, séduisante, esclave. L’amour avec le roi fait place à l’amitié après 1750, et la marquise lui fournit de très jeunes personnes, logées dans un quartier de Versailles : le Parc-aux-Cerfs. On a beaucoup fantasmé sur ce lieu de débauche, il s’agit surtout de rumeurs.
L’impopularité, la haine de la cour, les cabales incessantes épuisent la Pompadour. Elle écrit à son frère, en 1750 : « Excepté le bonheur d’être avec le roi qui assurément me console de tout, le reste n’est qu’un tissu de méchancetés, de platitudes, enfin de toutes les misères dont les pauvres humains sont capables. »
« Sans esprit, sans caractère
L’âme vile et mercenaire,
Le propos d’une commère
Tout est bas chez la Poisson – son – son. »1127Poissonnade brocardant la marquise de Pompadour. Madame de Pompadour et la cour de Louis XV (1867), Émile Campardon
Le propos est injuste : le peuple déteste cette fille de financier, née Jeanne Antoinette Poisson, femme d’un fermier général, bourgeoise dans l’âme et dépensière, habituée des salons littéraires à la mode, influente en politique, distribuant les faveurs, plaçant ses amis, le plus souvent de qualité comme de Bernis, Choiseul – mais Soubise, maréchal de France, se révélera peu glorieux.
Louis XV lui doit une part de son impopularité. Le peuple a loué le roi pour ses premiers exploits extraconjugaux auprès des sœurs Mailly-de-Nesle, il va bientôt le haïr, pour sa longue liaison avec la Pompadour.
« Je vois bien qu’on a pressé l’orange, il faut penser à sauver l’écorce. »1133
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme Denis, 18 décembre 1752. Correspondance (posthume)
Allusion spirituelle au mot du roi Frédéric II de Prusse qui le vise personnellement et lui fut rapporté : « J’aurai besoin de lui encore un an, tout au plus ; on presse l’orange et on jette l’écorce » (2 septembre 1751).
Voltaire, invité fastueusement à Berlin alors que la cour de France le boude, sera finalement déçu par le despote éclairé qui fait de lui son otage. Dans ce siècle fou de communication, il écrira quelque 40 000 lettres adressées à plus de 700 correspondants, échelonnées de 1711 à  1778 : elles jettent sur l’époque une lumière souvent juste, parfois partisane.
« Il y a trois mois, ce n’était qu’un voleur ; c’est à présent un conquérant. »1136
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à la duchesse de Saxe-Gotha, 14 janvier 1755, Correspondance (posthume)
Et quatre mois après, Mandrin entrera dans la légende.
Bandit de grand chemin, prenant la tête de contrebandiers et de faux saulniers (faisant le trafic du sel), il forme une troupe disciplinée qui s’attaque aux fermes générales et aux greniers à sel avec une incroyable audace. « On prétend que Mandrin est à la tête de 6 000 hommes déterminés ; que les soldats désertent pour se ranger sous ses drapeaux et qu’il se verra bientôt à la tête d’une grande armée », écrit encore Voltaire.
En 1754, il a mené six campagnes contre les fermiers généraux, collecteurs d’impôts haïs du peuple, qui prélèvent des taxes sur les marchandises et en gardent les trois-quarts – la plus connue est la gabelle, sur le sel, indispensable à la conservation des aliments. Il faudra plusieurs détachements d’Argoulets (troupe spéciale) envoyés illégalement en Savoie (royaume sarde) pour que Mandrin soit pris, sitôt jugé, et roué vif, le 26 mai 1755 – il meurt à 30 ans.
La Complainte de Mandrin (anonyme) est écrite la même année pour rendre le bandit sympathique, humain, proche du peuple. « La première volerie / Que je fis dans ma vie / C’est d’avoir goupillé, / La bourse d’un… / Vous m’entendez ? / C’est d’avoir goupillé / La bourse d’un curé… » Un couplet le fait mourir pendu, sur la place du marché. Petite erreur historique. Mais le personnage demeure légendaire, avec la complicité de chanteurs populaires comme Yves Montand : « Compagnons de misère, / Allez dire à ma mère, / Qu’elle ne me reverra plus, / J’suis un enfant, vous m’entendez… / Qu’elle ne me reverra plus, / J’suis un enfant perdu. »
« J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »1138
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755, Correspondance (posthume)
Ce jugement vise le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, point de départ de la philosophie politique de Rousseau qui annonce déjà le Contrat social. Il y a incompatibilité d’esprit entre les deux personnages et Rousseau écrira plus tard à son ami M. Moulton : « Je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. »
Les deux hommes s’opposent en tout. Rappelons le mot de Goethe : « Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. » La Révolution va pourtant les réunir au Panthéon.
« Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens […] et qui aura pris la rage. »1144
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Lutzelbourg, 20 janvier 1757, Correspondance (posthume)
Après Mandrin, voici Damiens, beaucoup moins sympathique à notre philosophe ! Il a servi comme domestique chez plusieurs magistrats du Parlement de Paris, dont certains très virulents contre le roi. Il se vanta d’ailleurs d’avoir voulu donner une leçon au roi, pour que désormais il obtempérât aux remontrances.
Louis XV voulut d’abord pardonner et le fit savoir : « Les sentiments de religion dont nous sommes pénétrés et les mouvements de notre cœur nous portaient à la clémence. » Il tente ensuite de minimiser la publicité faite à ce geste – un acte isolé, à n’en pas douter. Mais chaque conseiller donne un avis différent. Damiens sera finalement jugé pour crime de lèse-majesté, devant la grande chambre du Parlement.
Plus fou que régicide, vraisemblablement épileptique et simple d’esprit, il est condamné pour « parricide » à la série des supplices jadis infligés à Ravaillac. L’exécution se fera devant la foule, en place de Grève. Toutes les fenêtres sont louées à prix d’or et le supplice de cet homme particulièrement robuste reste dans l’histoire comme l’un des plus atroces.
« Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »1165
Jean MESLIER (1664-1729), Mon testament (posthume, 1762)
Étonnant destin de cet homme et de cette œuvre qui doivent beaucoup à Voltaire, pourtant si différent de lui.
Curé dans les Ardennes, il scandalise en prenant à son service des bonnes trop jeunes et dénonce en chaire les mauvais traitements du seigneur sur les paysans de sa paroisse. L’évêché semonce le curé comme il se doit. Il se range en apparence, mais écrit en secret des pages incendiaires, volumineux mémoire recopié en trois exemplaires et légué à ses paroissiens, à sa mort (1729).
Des copies circulent sous le manteau, toute l’Europe des Lumières a lu Meslier - qui a lui-même lu et annoté la Bible, les auteurs latins et Montaigne, Pascal, Fénelon, Saint-Simon. Voltaire décide de publier le Testament. Mais ce cri de haine contre le roi et la religion est d’une telle violence qu’il réécrit nombre de passages, transformant l’athéisme extrême en déisme prudent. Voltaire n’est ni anarchiste ni révolutionnaire.
L’histoire de la pensée politique fera de Meslier le précurseur des Lumières, mais aussi du socialisme, avant Mably, et du communisme, avant Babeuf.
« La marquise n’aura pas beau temps pour son voyage. »1173
LOUIS XV (1710-1774), voyant le cortège funèbre de sa favorite quitter Versailles sous la pluie battante, 17 avril 1764. Louis XV (1890), Arsène Houssaye
Mot souvent cité, toujours mis en situation, jusque dans les dictionnaires historiques anglo-saxons. Preuve de la notoriété des deux personnages. Mais l’histoire est injuste envers ce roi, en citant ces mots « à charge ».
Son valet de chambre, Champlost, évoque la scène et témoigne d’une peine réelle. Louis XV se mit sur le balcon malgré l’orage, nue tête, pleura et murmura ainsi découvert : « Voilà les seuls devoirs que j’ai pu lui rendre. Une amie de vingt ans. »
Mme de Pompadour est morte d’épuisement à 42 ans (le 15 avril). Elle savait qu’elle ne vivrait pas vieille. Cardiaque, d’une maigreur mal dissimulée sous la toilette, elle continuait sa vie trépidante. Les courants d’air de Versailles ont aussi leur part dans sa congestion pulmonaire. Dernière faveur du roi, il lui a permis de mourir au château – privilège réservé aux rois et princes du sang. Sitôt après, le cortège devait quitter les lieux.
Selon d’autres témoins, le roi fut seulement indifférent et la reine elle-même en fut choquée - elle aimait bien la marquise.
« Ci-gît qui fut vingt ans pucelle
Sept ans catin et huit ans maquerelle. »1175Épitaphe satirique de la marquise de Pompadour. Histoire(s) du Paris libertin (2003), Marc Lemonier, Alexandre Dupouy
La mode est aux épitaphes satiriques et après le flot des poissonnades, on ne va pas rater cette ultime occasion de brocarder l’une des favorites les plus détestées dans l’histoire : c’est un méchant résumé de sa vie.
« On dit que cet infortuné jeune homme est mort avec la fermeté de Socrate ; et Socrate a moins de mérite que lui : car ce n’est pas un grand effort, à soixante et dix ans, de boire tranquillement un gobelet de ciguë ; mais mourir dans les supplices horribles, à l’âge de vingt et un ans… »1180
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. le Comte d’Argental, 23 juillet 1766, Correspondance (posthume)
Notre philosophe prend cette fois parti pour le chevalier de la Barre : accusé sans preuve de blasphèmes, chansons infâmes et profanations, et de ne pas s’être découvert lors d’une procession de la Fête-Dieu, il fut condamné à avoir la langue coupée, la tête tranchée, le corps réduit en cendres avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique trouvé chez lui, le 1er juillet 1766. C’est dire si l’auteur, défenseur des droits de l’homme, se sent doublement concerné ! Comme pour Calas, Voltaire va demander la révision du jugement.
« Respectons éternellement le vice et ne frappons que la vertu. »1182
Marquis de SADE (1740-1814) L’Histoire de Juliette (1797)
Quelques mots valent portrait de l’homme, sa vie et son œuvre à jamais célèbre.
En 1763, deux semaines au donjon de Vincennes pour « débauche outrée » n’étaient qu’un premier avertissement. 1768 : Sade est emprisonné sept mois, ayant enlevé et torturé une passante. Le divin marquis passera au total trente années de sa vie en prison.
« Depuis l’âge de quinze ans, ma tête ne s’est embrasée qu’à l’idée de périr victime des passions cruelles du libertinage. » Né de haute noblesse provençale, élève des jésuites, très jeune combattant de la guerre de Sept Ans, marié en 1763, il sera condamné à mort en 1772 pour violences sexuelles. Incarcéré en Savoie, évadé, emprisonné de nouveau à Vincennes, puis à la Bastille, transféré à Charenton quelques jours avant le 14 juillet 1789, libéré le 2 avril 1790 par le décret sur les lettres de cachet, avant de nouvelles incarcérations. Sa famille veille à ce qu’il ne sorte plus de l’hospice de Charenton où il meurt en 1814.
Son œuvre, interdite, circule sous le manteau tout au long du XIXe siècle. Elle est réhabilitée au XXe, avec les honneurs d’une édition dans la Pléiade. Premier auteur érotique de la littérature moderne, il donne au dictionnaire le mot sadisme : « perversion sexuelle par laquelle une personne ne peut atteindre l’orgasme qu’en faisant souffrir (physiquement ou moralement) l’objet de ses désirs » (Le Robert).
« Ami des propos libertins,
Buveur fameux, et roi célèbre
Par la chasse et par les catins :
Voilà ton oraison funèbre. »1195Chanson à la mort de Louis XV (1774)
Vie privée de Louis XV, ou principaux événements, particularités et anecdotes de son règne (1781), Mouffle d’Angerville.
« On l’enterra promptement et sans la moindre escorte ; son corps passa vers minuit par le bois de Boulogne pour aller à Saint-Denis. À son passage, des cris de dérision ont été entendus : on répétait « taïaut ! taïaut ! » comme lorsqu’on voit un cerf et sur le ton ridicule dont il avait coutume de le prononcer » (Lettre de la comtesse de Boufflers).
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Règne de Louis XVI (1774-1789)
« J’ai besoin d’être entouré d’honnêtes gens qui aient le courage de m’avertir de mon devoir. »1197
LOUIS XVI (1754-1793). Revue des deux mondes (1865)
Très consciencieux et même scrupuleux, mais apathique et d’une grande naïveté politique, le roi ne sait pas toujours s’entourer de bons ministres et quand il aura les hommes capables de faire les indispensables réformes, il ne saura pas les soutenir contre l’opinion publique ou les privilégiés.
Les contemporains comme les historiens vont faire de ce dernier roi de l’Ancien Régime un portrait globalement négatif, mais le contexte historique était littéralement impossible.
« Dans les circonstances où se trouve la monarchie française, il faudra au jeune roi de la force et du génie. »1198
FRÉDÉRIC II de Prusse (1712-1786). Œuvres posthumes de Frédéric II, roi de Prusse : Correspondance (1788), Frederick II
La traduction exacte donne une formule un peu plus longue : « Pour votre jeune Roi, il est ballotté par une mer bien orageuse ; il lui faut de la force et du génie pour se faire un système raisonné et pour le soutenir. »
Admirateur de Richelieu, de Louis XIV et du Grand Siècle, le despote éclairé par Voltaire et autres philosophes du siècle porte ce jugement qui vaut déjà condamnation de Louis XVI après un an de règne. Ce grand politique qui mena la puissance prussienne à son apogée (avec tous les excès de l’autoritarisme et du centralisme) prévoit la course à l’abîme de la monarchie française.
« Il n’aura probablement jamais ni la force ni la volonté de régner par lui-même. »1199
MERCY-ARGENTEAU (1727-1794). Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le comte de Mercy-Argenteau (posthume, 1874)
Ambassadeur d’Autriche à Paris de 1780 à  1790, il exerce une grande influence sur Marie-Antoinette et sa correspondance avec Marie-Thérèse est un précieux document sur la France de l’époque. Il note l’inquiétante sujétion du roi vis-à -vis de sa femme, quelques années après leur mariage : « Sa complaisance ressemble à de la soumission. » Mirabeau tentant de sauver la royauté en juillet 1790 soupirera : « Le roi n’a qu’un homme : c’est sa femme. »
Choiseul se montre plus sévère, voyant en Louis XVI un « imbécile » au sens d’handicapé cérébral ; selon ses frères et ses cousins, cette imbécillité aurait justifié un Conseil de régence (comme jadis pour Charles VI le Fou). En fait, Louis XVI est surtout un timide maladif, myope de surcroît au point de ne pas reconnaître les gens.
« Tout propos soutenu l’accable, toute réflexion le déroute. »1200
MARIE-ANTOINETTE (1755-1793). L’Autrichienne : mémoires inédits de Mlle de Mirecourt sur la reine Marie-Antoinette et les prodromes de la Révolution (1966), Claude Émile-Laurent.
La reine parle elle aussi du roi comme d’un homme aveugle à la nécessité, toujours incertain, peu aimable et pourtant désireux qu’on l’aimât. Il consulte tout le monde, suspecte les avis et ne cède qu’à la lassitude. Honteux alors de sa faiblesse, il revient en arrière, se renfrogne, boude, se dérobe, vole à la chasse ou bien se renferme dans son cabinet.
« Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d’ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de faire tenir ensemble. »1201
Comte de PROVENCE (1755-1824), entretien avec le comte de La Marck. Mirabeau et la cour de Louis XVI, Revue des deux mondes, tome XI (1851)
Le futur Louis XVIII qui a déjà de l’humour et un bon jugement des êtres qui l’entourent parle de son frère, dans les premiers mois de la période révolutionnaire. Le trop jeune Louis XVI est à coup sûr le roi le moins armé pour affronter la tourmente à venir.
« Belle, l’œil doit l’admirer,
Reine, l’Europe la révère,
Mais le Français doit l’adorer,
Elle est sa reine, elle est sa mère. »1207Romance en l’honneur de Marie-Antoinette, chanson (1774). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
La jeune et jolie reine jouit d’une immense popularité depuis son arrivée en France il y a quatre ans, et Versailles la salue en ce style précieux. C’est l’état de grâce, comme jamais avant et jamais après.
Certes, il y a des jalousies et déjà quelques soupçons contre l’ « Autrichienne » à la cour. On aura plus tard la preuve qu’elle est manipulée par sa famille autrichienne, restant très attachée à sa mère, Marie-Thérèse impératrice d’Autriche durant trente ans et forte personnalité.
Délaissée par son royal époux, peu soucieuse de l’étiquette à la cour et moins encore des finances de l’État, dépensière et futile, Marie-Antoinette va accumuler les erreurs. « Ma fille court à grands pas vers sa ruine » confie sa mère à l’ambassadeur de France à Vienne, en 1775. Pour l’heure et pour trois ans encore, le peuple adore sa reine.
« Sans moi, il est foutu ! »1209
René-Nicolas de MAUPEOU (1714-1792), apprenant que le roi se sépare de lui, 24 août 1774. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Courageux auteur du « coup d’État royal » en 1770-1771, mais ministre détesté qui manque d’être jeté à la Seine en partant, ce « grand coquin » est regretté par Louis XVI qui aurait voulu le garder auprès de lui. Il perd son poste, mais garde le titre de chancelier. Sa disgrâce le rend très amer, non sans raison : « J’avais fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois siècles. S’il veut le perdre encore, il est bien le maître. »
« Les relations républicaines me charmaient. »1224
LA FAYETTE (1757-1834), profession de foi adolescente. Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette (posthume, 1837)
Issu d’une grande et riche famille dont la noblesse remonte au XIe siècle, orphelin à 13 ans, il se veut militaire, ambitieux, mais pas courtisan. D’où ce mot amusant et prémonitoire, quand il fait exprès de déplaire, pour quitter une bonne place à la cour et s’engager dans l’aventure américaine, avec les premiers volontaires français.
Benjamin Franklin venu en mars 1777 défendre la cause des Insurgents dans la guerre d’Indépendance contre l’Angleterre a convaincu : la simplicité de mise et le franc-parler de cet ambassadeur septuagénaire, envoyé du Nouveau Monde, contrastent avec les airs de la cour et séduisent d’emblée les Parisiens. Voltaire et Turgot l’admirent également. Mais le jeune marquis va faire plus !
La Fayette, 19 ans, contre l’avis de sa famille et du roi, s’embarque à ses frais sur une frégate et débarque en Amérique en juin 1777, pour se joindre aux troupes de Virginie. Nommé « major général », le jeune marquis paie de sa personne au combat. Plus que jamais charmé par les « relations républicaines », il s’enthousiasme pour l’égalité des droits, pour le civisme des citoyens, avec l’intuition de vivre un événement qui dépasse les frontières de ce pays.
« C’est au bras de la noblesse de France que la démocratie américaine a fait son entrée dans le monde. »1225
Paul CLAUDEL (1868-1955), ambassadeur de France aux États-Unis, prenant la parole devant la société des Cincinnati. La France et l’indépendance américaine (1975), duc de Castries
Claudel n’est pas seulement poète et l’un des grands dramaturges français du XXe siècle. Il aura été diplomate pendant plus de quarante ans, consul, ambassadeur, ministre plénipotentiaire, en poste partout dans le monde y compris à Washington.
La Fayette, de retour en France en 1779, triomphalement accueilli, soutient Benjamin Franklin et pousse le gouvernement à s’engager ouvertement dans la guerre d’Indépendance. Devançant un premier corps expéditionnaire de 6 000 hommes, il repart et se distingue à nouveau en Virginie contre les Anglais. 3 000 Français trouvent la mort dans ce combat d’outre-Atlantique qui s’achèvera par la défaite anglaise, en 1783. Le fougueux marquis gagne son titre de « Héros des deux mondes ». C’est la plus brillante période de sa longue vie.
Les États-Unis se rappelleront cette dette historique, s’engageant en avril 1917 dans la guerre mondiale au cri de : « La France est la frontière de la liberté. » Le jour anniversaire de l’Indépendance, 4 juillet 1917, sur la tombe parisienne du marquis, la référence est encore plus précise : « La Fayette, nous voici ! »
« J’aurai bientôt vingt-huit ans. C’est un âge où avec de l’émulation et quelques connaissances, on peut n’être pas tout à fait inutile ; mais c’est aussi celui où l’on n’a plus de temps à perdre. »1226
MIRABEAU (1749-1791), Lettre à M. le Maréchal, duc de Noailles, 17 octobre 1777. Œuvres de Mirabeau, volume IV (posthume, 1834)
Lettre écrite du donjon de Vincennes où Mirabeau va rester trois ans.
Son père n’aime pas ce fils mauvais sujet et fort laid. Il l’a contraint à entrer dans l’armée à 18 ans et obtenu des lettres de cachet pour le faire mettre en prison à plusieurs reprises. Intelligent, passionné, acquis aux idées des philosophes et partisan d’une monarchie constitutionnelle, Mirabeau piaffe d’impatience, se faisant fort de vivre de sa plume qu’il monnaie en multipliant les pamphlets et libelles contre l’absolutisme royal, les privilèges et les abus. Son ordre, la noblesse, le rejette et c’est le tiers état d’Aix qui l’élira député aux États généraux. Mirabeau sera la première grande voix révolutionnaire contre le roi : « «Â Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »
« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. »1229
VOLTAIRE (1694-1778), profession de foi manuscrite, 18 février 1778. « Mot de la fin » écrit. Choix de testaments anciens et modernes (1829), Gabriel Peignot
Derniers mots écrits de sa plume et pour la tolérance, le grand combat de sa vie. Il meurt le 30 mai. Ses cendres seront transférées au Panthéon sous la Révolution - seul philosophe à avoir cet honneur avec Rousseau, son intime ennemi.
« Plus bel esprit que grand génie,
Sans loi, sans mœurs et sans vertu,
Il est mort comme il a vécu,
Couvert de gloire et d’infamie. »1230Épigramme, juin 1778, attribuée à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), à la mort de Voltaire. Mémoires sur Voltaire et sur ses ouvrages (1826), Sébastien Longchamp
Rousseau mourra deux mois après à Ermenonville. Fin d’une longue guérilla philosophico-polémique qui ne fit honneur à aucun des deux personnages, si talentueux (ou géniaux) fussent-ils.
« Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ! »958
BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Mariage de Figaro (1784)
L’apostrophe est extraite du monologue de Figaro, signé Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. L’œuvre déjà révolutionnaire avant la Révolution est censurée : « C’est détestable ! Cela ne sera jamais joué ! Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de la pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse » dit Louis XVI à la lecture du texte.Â
Depuis quatre ans, Paris parle de cette pièce dont l’auteur est déjà célèbre pour des raisons pas seulement littéraires – procès gagnés, aide à l’Amérique, vie tumultueuse. Soumise à six censeurs, interdite de représentation à Versailles au dernier moment en 1783, puis jouée en théâtre privé chez M. de Vaudreuil, le 23 septembre. Paris se presse pour la première publique à la Comédie-Française, le 27 avril 1784. « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, c’est son succès ! » Auteur enchanté après le triomphe de la création.
Sous-titrée La Folle Journée, la pièce sera jouée plus de cent fois de suite - un record, à l’époque. Mais Beaumarchais en fait trop, se retrouve à la prison de Saint-Lazare (mars 1785) et sa popularité ne sera plus jamais ce qu’elle fut au soir du Mariage qui prit valeur de symbole.
« Corse de caractère et de nation, ce jeune homme ira loin, s’il est favorisé par les circonstances. »1239
Avis du professeur d’histoire de Napoléon Bonaparte en 1785. Histoire de la vie politique, militaire et privée de Napoléon Bonaparte (1825), L.-E. Chennechot
L’élève officier de 16 ans n’est pourtant classé que 42e sur une promotion de 58 et affecté comme sous-lieutenant d’artillerie. Il saura tirer parti des circonstances et forcer le destin à plusieurs reprises…
« Plus scélérate qu’Agrippine
Dont les crimes sont inouïs,
Plus lubrique que Messaline,
Plus barbare que Médicis. »1242Pamphlet contre la reine. Vers 1785. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf
Dauphine jadis adorée, la reine est devenue terriblement impopulaire en dix ans pour sa légèreté de mœurs, mais aussi pour ses intrigues et son ascendant sur un roi faible jusqu’à la soumission. L’« affaire du Collier de la Reine » va renforcer ce sentiment, même si elle n’est pour rien dans cette escroquerie romancée par Dumas en 1849.
La Révolution héritera de l’œuvre de Voltaire et de Rousseau, mais aussi des « basses Lumières », masse de libelles et de pamphlets à scandale où le mauvais goût rivalise avec la violence verbale, inondant le marché clandestin du livre et sapant les fondements du régime. Après le Régent, les maîtresses de Louis XV et le clergé, Marie-Antoinette devient la cible privilégiée : quelque 3 000 pamphlets la visant relèvent de l’assassinat politique, selon la plupart des historiens.
« Il faudrait au moins que l’archevêque de Paris crût en Dieu ! »1251
LOUIS XVI (1754-1793). Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (1889), Adolphe Robert et Gaston Cougny
Roi très pieux, il refusa en ces termes à Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, la place que la reine Marie-Antoinette voulait lui faire obtenir à Paris.
Le roi n’apprécie pas cet homme, ni ses mÅ“urs. Il le refuse aussi comme successeur aux Finances de Calonne dont il a dû se débarrasser en avril 1787, sous la pression de l’Assemblée des notables. Il sera ensuite contraint de le prendre… et va même en faire son Premier ministre.
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