Prix Nobel : les grands absents de la liste officielle | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Découvrez notre série d’éditos sur les Prix Nobel français de l’Histoire :

Dernière catégorie qui nous tient à cœur, les « Nobel de l’Histoire en citations ».

Voici 10 grands noms, absents de la liste officielle, mais candidats légitimes au Nobel de la paix : « hors-jeu » mort avant 1901 et mondialement connu, le scientifique Louis Pasteur, l’incontournable général de Gaulle (présent en 1963 sur la liste des 80 candidats en… Littérature !).
Restent sept autres noms connus à divers titres : Émile Zola, Jean Jaurès, Charles Péguy, André Malraux, Paul Valéry, Pierre Mendès France, Joséphine Baker.

À vous de juger s’ils méritaient de figurer sur la liste des Nobel… et de suggérer d’autres noms.

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1. Louis Pasteur.

Louis Pasteur citations

Il s’impose naturellement – comme Jaurès pour qui fut lancée une pétition à titre posthume.

« La science n’a pas de patrie. »2494

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours pour l’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888. La Vie de Pasteur (1907), René Vallery-Radot. (Première biographie du grand savant, écrite par son gendre.)

« … La science n’a pas de patrie, parce que le savoir est le patrimoine de l’humanité, le flambeau qui éclaire le monde » précise Henri Mondor dans sa biographie, Pasteur (1945).

La Troisième République ne se résume pas en crises, affaires, scandales. C’est aussi le temps des grands savants pour la France qui se retrouve en bonne place dans le monde, avec des hommes tels Louis Pasteur (microbiologie, vaccins), Marcellin Berthelot (chimie de synthèse, thermochimie), Claude Bernard (physiologie, médecine expérimentale). L’Université n’est plus, comme sous le Second Empire, le lieu de conférences mondaines pour grand public. Les étudiants viennent nombreux, les professeurs font des cours magistraux qui honorent l’enseignement supérieur, la recherche réalise des progrès qui vont changer la vie quotidienne des hommes en une ou deux générations.

Pour les applications directes de ses travaux (dont la « pasteurisation » appliquée au vin), pour la passion qu’il y a mise et pour l’Institut qui porte son nom, Pasteur est le plus populaire de tous les savants du monde – sans oublier le vaccin contre la rage qu’il a mis au point en 1885.
Sa foi dans la science et sa force de conviction peuvent se résumer en quelques citations, marquant les points forts de son parcours professionnel. Son mérite fut d’autant plus grand qu’une attaque cérébrale (aujourd’hui AVC) le rendit hémiplégique à la quarantaine et handicapé jusqu’à la fin de sa vie.

« Le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine et la plus hygiénique des boissons. »1

Louis PASTEUR (1822-1895), Études sur le vin (1866)

Il faut replacer cette affirmation dans son époque et son contexte, avec le premier travail de « pasteurisation » (ou débactérisation thermocontrôlée), procédé de conservation des aliments par chauffage à une température comprise entre 60 et 100 °C, pendant une durée définie, suivi d’un refroidissement rapide.

« On pourrait, sans nul doute, fonder un art nouveau de faire le vin beaucoup moins dispendieux que celui qui est suivi depuis si longtemps, bien plus efficace surtout pour supprimer les pertes qu’occasionnent les maladies des vins, très propre par conséquent à l’extension du commerce de cette denrée. Il est désirable que l’on atteigne ce but, car le vin peut être à bon droit considéré comme la plus saine et la plus hygiénique des boissons. Aussi, parmi celles qui sont connues aujourd’hui, c’est celle que l’homme recherche de préférence à toutes les autres. »

« Les conceptions les plus hardies, les spéculations les plus légitimes, ne prennent un corps et une âme que le jour où elles sont consacrées par l’observation et l’expérience. »

Louis PASTEUR (1822-1895), La Revue des cours scientifiques, 1er février 1868

Il défendra notamment le nouveau principe très controversé de la vaccination consistant à inoculer « des virus affaiblis ayant le caractère de ne jamais tuer, de donner une maladie bénigne qui préserve de la maladie mortelle ».

« Le virus est constitué par un parasite microscopique qu’on multiplie aisément par la culture, en dehors du corps des animaux que le mal peut frapper. »

Louis PASTEUR (1822-1895), Comptes rendus de l’Académie des Sciences (1880)

En 1878, il mit au point sa méthode de l’atténuation de la virulence des microbes contre le choléra des poules, par vieillissement au contact de l’oxygène de l’air qui donnera lieu à un vaccin dès 1878. En 1881, ce sera un vaccin contre le charbon des moutons, par la culture de la bactéridie charbonneuse à 43° atténuée par l’oxygène de l’air.

Par l’application de sa méthode à l’étude des maladies infectieuses (agents microbiens), à leur prévention (asepsie) et leur prophylaxie par immunisation (vaccination), Louis Pasteur venait d’inventer l’immunologie.

« La grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les fait naître. Heureux celui qui porte en soi un dieu, un idéal de la beauté et qui lui obéit : idéal de l’art, idéal de la science, idéal de la patrie, idéal des vertus de l’Évangile ! »

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours de réception à l’Académie française, 27 avril 1882

Et d’ajouter dans le même discours : « Le hasard porte quelquefois en avant ceux que la modestie retient en arrière. » Mais « La science et la passion de comprendre sont-elles autre chose que l’effet de l’aiguillon du savoir qui met en notre âme le mystère de l’Univers ? »

C’est dans ce même discours qu’il prononce la phrase souvent citée : « Les Grecs nous ont légué un des plus beaux mots de notre langue, le mot enthousiasme - un dieu intérieur ».

Pasteur est un homme de passion (comme beaucoup de scientifiques et de chercheurs entièrement voués au travail d’une vie). Ce qui est plus rare, c’est aussi un homme heureux qui a triomphé de tous les obstacles et finalement réussi sa vie en relevant les innombrables défis lancés. Dernier en date, le vaccin contre la rage, maladie mortelle.

« Quand on est enfin arrivé à la certitude, on éprouve l’une des plus grandes joies que puisse ressentir l’âme humaine, et la pensée que l’on contribuera à l’honneur de son pays rend cette joie plus profonde encore. »

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours d’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888

Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter, toujours vigilant : « Ayez le culte de l’esprit critique. »

Trois ans plus tôt, le 6 juillet 1885, un garçon de neuf ans, Joseph Meister, venu d’Alsace et mordu quatorze fois par un chien enragé, donna l’occasion à Pasteur de tester son traitement chez l’homme. N’étant pas médecin, il confia au Dr Grancher le soin d’inoculer à l’enfant le traitement : en 10 jours, treize injections de moelles rabiques de moins en moins atténuées.

Cette première vaccination est un succès : Joseph Meister ne développera jamais la rage et deviendra le premier être humain vacciné. Louis Pasteur restera discret sur ce succès… Mais en septembre 1885, un berger de 15 ans, Jean-Baptiste Jupille, se présente au laboratoire de la rue d’Ulm, profondément mordu par un chien enragé qui avait attaqué six autres petits bergers. Il s’était jeté sur l’animal pour couvrir la fuite de ses camarades. Pasteur applique son traitement pour la deuxième fois, avec le même succès,  et fait connaître cette histoire au monde entier.

Bientôt, une multitude de « mordus » se présentent à l’École normale supérieure, venant de France et de l’étranger. Pasteur décide de fonder un centre spécialement dédié à la vaccination contre la rage, qui soit également un centre de recherche et un centre d’enseignement. Trois ans plus tard, l’Institut Pasteur est inauguré. C’est l’ultime couronnement de sa vie.

« Les peuples s’entendront, non pour détruire, mais pour édifier. »

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours du 27 décembre 1892 à la Sorbonne, à l’occasion de son 70e anniversaire

Laissons-lui le mot de la fin, sous une Troisième République installée, qui a foi dans le progrès scientifique en marche sur tous les fronts et n’imagine pas encore les deux guerres mondiales du XXe siècle : « Je crois invinciblement que la science et la paix triompheront de l’ignorance et de la guerre. »

2. Émile Zola

Émile Zola citations

Un petit mystère : selon sa fiche Wikipédia en anglais… il fut « nominé » en 1901 et 1902. Mais pas trace de cette information en VF.

« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »2515

Émile ZOLA (1840-1902), Le Figaro, 25 novembre 1897

Zola est l’un de nos plus grands romanciers (naturaliste), très populaire en France et traduit dans le monde entier. L’Affaire va changer sa vie. Il commente la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus.

L’histoire, complexe et longue, commence fin septembre 1894, quand une femme de ménage française de l’ambassade allemande, travaillant pour le Service de renseignements, découvre un bordereau prouvant la trahison d’un officier de l’état-major français. Le 10 octobre, le général Mercier, ministre de la Guerre, met en cause Alfred Dreyfus. On lui fait faire une dictée, il y a similitude entre son écriture et celle du bordereau en cause. Dreyfus est condamné à la déportation en Guyane par le Conseil de guerre de Paris, le 22 décembre 1894. Ni lui ni son avocat n’ont eu accès à des pièces d’un « dossier secret ». Diverses irrégularités sont ensuite mises en évidence. Sa qualité de juif joue contre lui, à une époque où l’antisémitisme a ses hérauts, ses journaux, ses réseaux.

« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516

Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime

Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus qui deviendra l’« Affaire » de la Troisième République et la plus grave crise pour le régime. Méline refuse la demande en révision du procès. Les dreyfusards (très minoritaires) vont mobiliser l’opinion publique par une campagne de presse.

« J’accuse. »2517

Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898

L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui. Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est l’œuvre de Zola : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’ » avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ». Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.

« Un jour la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur. »2518

Émile ZOLA (1840-1902), La Vérité en marche, déclaration au jury. L’Aurore, 22 février 1898

Le procès Zola en cour d’assises (7-21 février 1898) fit connaître l’affaire Dreyfus au monde entier. Formidable tribune pour l’intellectuel converti aux doctrines socialistes et aux grandes idées humanitaires ! « Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai. »

En attendant, Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.

« L’intervention d’un romancier, même fameux, dans une question de justice militaire m’a paru aussi déplacée que le serait, dans la question des origines du romantisme, l’intervention d’un colonel de gendarmerie. »2519

Ferdinand BRUNETIÈRE (1848-1906), Après le procès (1898)

Intellectuel type, historien de la littérature et critique français, professeur à l’École normale supérieure et à la Sorbonne, directeur de la Revue des Deux Mondes, Brunetière est antidreyfusard par respect des institutions, comme il est conservateur en littérature, par fidélité aux classiques.

Rejetant l’engagement dreyfusard de Zola, et refusant lui-même de se prononcer sur la culpabilité du capitaine Dreyfus, il déclare seulement que « porter atteinte à l’armée, c’est fragiliser la démocratie. » Beaucoup d’antidreyfusards vont aller plus loin.

« Aujourd’hui, la vérité ayant vaincu, la justice régnant enfin, je renais, je rentre et reprends ma place sur la terre française. »2524

Émile ZOLA (1840-1902), L’Aurore, 5 juin 1899

Le 3 juin, la Cour de cassation, « toutes Chambres réunies », s’est prononcée pour « l’annulation du jugement de condamnation rendu le 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus ». Dreyfus a été sauvé par les « dreyfusards » ou « révisionnistes » : gracié par le président de la République, il sera réintégré dans l’armée en 1906. Mais l’Affaire a littéralement déchiré en deux la France, tous les partis, les milieux, les familles.

« Envions-le [Zola], sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine. »2536

Anatole FRANCE (1844-1924), Éloge funèbre d’Émile Zola, 5 octobre 1902. Réhabilitation d’Alfred Dreyfus par la Chambre des députés [en ligne], Assemblée nationale

Discours prononcé au cimetière de Montmartre, lors de l’enterrement de Zola. Anatole France fait naturellement allusion au combat mené par son confrère pour que la vérité éclate enfin dans l’affaire Dreyfus. Lui-même fit partie de ces intellectuels engagés dans le camp des « révisionnistes ».

3. Charles Péguy

Charles Péguy citations

Il a eu peu de chance de son vivant. On peut rêver d’une réhabilitation post mortem.

« L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. »2540

Charles PÉGUY (1873-1914), Cahiers de la Quinzaine, 5 novembre 1905

Rejeté de tous les groupes constitués, parce que patriote et dreyfusard, socialiste et chrétien, suspect à l’Église comme au parti socialiste, isolé par son intransigeance et ignoré jusqu’à sa mort du grand public, c’est l’un des rares intellectuels de l’époque échappant aux étiquettes.

Voyant d’abord pour seul « remède au mal universel l’établissement de la République socialiste universelle », il crée ses Cahiers de la Quinzaine pour y traiter tous les problèmes du temps, y publier ses œuvres et celles d’amis proches (Romain Rolland - prix Nobel, Julien Benda, André Suarès).

« La mystique républicaine, c’est quand on mourait pour la République, la politique républicaine, c’est à présent qu’on en vit. »2556

Charles PÉGUY (1873-1914), Notre jeunesse (1910)

Et « l’essentiel est que […] la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance ». C’est dire si Péguy, l’humaniste qui se voudra toujours engagé jusqu’à sa mort (aux premiers jours de la prochaine guerre), dut souffrir de la politique politicienne née sous la Troisième République ! De plus en plus isolé, il témoigne à la fois contre le matérialisme du monde moderne, la tyrannie des intellectuels de tout parti, les manœuvres des politiques, la morale figée des bien-pensants.

« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre !
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ! »2588

Charles PÉGUY (1873-1914), Ève (1914)

Deux derniers alexandrins d’un poème qui en compte quelque 8 000. Le poète appelle de tous ses vœux et de tous ses vers la « génération de la revanche ». Lieutenant, il tombe à la tête d’une compagnie d’infanterie, frappé d’une balle au front, à Villeroy, le 5 septembre 1914, veille de la bataille de la Marne.

4. Jean Jaurès

Jean Jaurès citations

Une pétition fut lancée pour une attribution à titre posthume du Nobel de la paix, tant elle est méritée.

« La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise. »1634

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume 1, La Constituante (1908)

C’est d’abord un grand historien. La Révolution française est la conséquence d’un processus séculaire, la prise de pouvoir politique d’une classe qui avait déjà le pouvoir économique. « Une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir », voilà une des leçons de l’histoire qui vaut bien au-delà de la Révolution et de la France.

« [La Commune] fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout […] qu’elle fut vaincue et que, vaincue, elle fut égorgée. »2384

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh (1908)

Jaurès, qui dirige ce travail en 13 volumes, juge à la fois en historien et en socialiste, ce qui est logique. Homme politique, il sera toujours du côté du Travail et des travailleurs. Il aurait été Communard, malgré son pacifisme.

« À mesure que l’égalité politique devenait un fait plus certain, c’est l’inégalité sociale qui heurtait le plus les esprits. »2405

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste (1789-1900), volume 4, La Convention (1908)

Député de Carmaux en 1893, très actif au sein du Parti socialiste unifié créé en 1905 (SFIO), il mène toutes les grandes batailles socialistes du temps. Sans exclure le recours à la force insurrectionnelle, il préfère, au nom d’un socialisme libéral et démocratique, la solution d’un prolétariat assez fort pour transformer la démocratie républicaine en une démocratie socialiste.

Dans cette Histoire socialiste qu’il a entreprise et dirigée, Jaurès s’est réservé la partie correspondant à la Révolution française (les 4 premiers volumes) et le bilan social du XIXe siècle (fin du volume 12), ainsi que le début du volume 11, consacré à la Guerre franco-allemande de 1870-1871.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »2411

Jean JAURÈS (1859-1914). Le Socialisme selon Léon Blum (2003), David Frapet

Socialiste à la fois internationaliste et pacifiste, il va vivre dramatiquement l’approche de la guerre de 1914, cherchant appui auprès du mouvement ouvrier pour l’éviter, avant d’être assassiné le 31 juillet 1914 par un nationaliste. Ce que n’a pas su faire la République, cahotant de crises en « affaires » et d’ » affaires » en scandales, la guerre l’accomplit alors : l’union sacrée des Français, l’unité nationale retrouvée.

« Un peu d’internationalisme écarte de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. »2539

Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)

Pour lui, le socialisme ne s’oppose pas au patriotisme et peut être considéré comme un enrichissement de l’internationalisme. Il se distingue en cela de Marx, pour qui « les ouvriers n’ont pas de patrie ».

Député socialiste de Carmaux en 1893, Jaurès adhère au parti ouvrier français de Jules Guesde, avant de devenir l’un des chefs de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). On l’appelle aussi le Parti socialiste unifié (PSU), pour rappeler à la fois le socialisme et l’unification de tous les courants jadis dispersés.

« Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la Révolution sociale. C’est par la force des hommes. »2548

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume 1, La Constituante (1908)

Jaurès s’est incliné devant la loi du parti socialiste : pas de participation au gouvernement – et des hommes comme lui manqueront à la République radicale. C’est donc en député d’opposition qu’il mène les grands combats pour les lois ouvrières. Sans écarter le recours à la force insurrectionnelle (ce que veut la CGT), il croit que la révolution sociale peut et doit passer par une évolution de la démocratie républicaine en démocratie socialiste. Le renforcement de la classe ouvrière en est la condition.

« Le capitalisme n’est pas éternel, et en suscitant un prolétariat toujours plus vaste et plus groupé, il prépare lui-même la force qui le remplacera. »2557

Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)

Idée-force dans la pensée de Jaurès, très sensible à la société en train de se faire sous ses yeux. Il parle aussi en historien visionnaire : « L’ouvrier n’est plus l’ouvrier d’un village ou d’un bourg… Il est une force de travail sur le vaste marché, associé à des forces mécaniques colossales et exigeantes… Par sa mobilité ardente et brutale, par sa fougue révolutionnaire du profit, le capitalisme a fait entrer jusque dans les fibres, jusque dans la chair de la classe ouvrière, la loi de la grande production moderne, le rythme ample, rapide du travail toujours transformé. » L’œuvre fait scandale. L’auteur suscite des haines au sein de la droite nationaliste. Il en mourra, assassiné trois ans plus tard.

« Jaurès est tué ! Ils ont tué Jaurès. »2569

Mme POISSON (fin XIXe-début XXe siècle.), Café-restaurant du Croissant, 31 juillet 1914 à 21 h 40. Arrêté du 18 novembre 1999 relatif à la frappe et à la mise en circulation de pièces commémoratives de 500 francs

Jaurès dînait rue Montmartre, près de son journal, L’Humanité. Raoul Villain, étudiant de 24 ans, a tiré au revolver sur le dirigeant socialiste. Exalté par les campagnes nationalistes qui, en pleine crise antiallemande, appelaient au meurtre contre l’homme incarnant le pacifisme, il explique : « J’ai voulu faire justice à cet antipatriote. » Le monde ouvrier reprend le mot : « Ils ont tué Jaurès ! C’est la guerre. » L’Allemagne va déclarer la guerre à la France, le conflit va devenir mondial et le pays, si divisé dans la paix, se retrouvera uni dans l’épreuve.

Léon Blum, hostile au « blanquisme à la sauce tartare » et chef du gouvernement du Front populaire, se réfèrera au grand socialiste assassiné en 1914 : « C’est de Jaurès que je tiens tout ce que je pense et tout ce que je suis. »

« Il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’Histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum pour un an, Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »2897

François MITTERRAND (1916-1996), Cour d’honneur de l’Assemblée nationale, Discours du 27 octobre 1982. Le Pouvoir et la rigueur : Pierre Mendès France, François Mitterrand (1994), Raymond Krakovitch

Tel sera l’hommage solennel de François Mitterrand, devenu président de la République et ramenant la gauche au pouvoir en 1981. À la mort de Pierre Mendès France, il rappelle les grands noms de son panthéon républicain. Cependant que Badinter, dans sa plaidoirie d’illustre mémoire pour l’abolition de la peine de mort, s’est plu à citer Jaurès : « La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution. »

5. Paul Valéry

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Favori sur la liste des Nobel de Littérature en 1945… il meurt quelques mois avant l’attribution du prix.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

L’angoisse de l’intellectuel dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un pays. Valéry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dès la paix revenue, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho. « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences […] Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. »

« L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique, ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ? »2619

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

Voilà posé le destin de l’Europe, dans cette phrase célèbre, sitôt qu’écrite. Devant les ruines matérielles et morales de l’après-guerre, une question capitale se pose : « L’Europe va-t-elle garder sa prééminence ? ». Cette conscience européenne aiguë replace le destin de la France dans un contexte plus large. Pour des raisons politiques et idéologiques, aussi bien qu’économiques et commerciales, il est, il sera, de moins en moins permis de raisonner en termes d’ » histoire de France ».

« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »2630

Paul VALÉRY (1871-1945), Regards sur le monde actuel, « Fluctuations sur la liberté » (1938)

Observateur toujours lucide des problèmes qui se font drames de ce temps, Valéry se refuse à tout engagement politique, mais tire (dans cet ensemble de textes rédigés à partir de 1930) une des leçons de l’histoire. Le dilemme est d’autant plus terrible que la faiblesse des démocraties fait la force des dictatures.

« L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. »2660

Paul VALÉRY (1871-1945), Discours de l’histoire (1932)

« Espèce de poète d’État » (dit-il de lui-même), croulant sous les honneurs, il demeure plus que jamais lucide au monde. Cette leçon d’histoire est paradoxalement signée d’un intellectuel qui refuse à l’histoire le nom de vraie science et lui dénie toute vertu d’enseignement, car « elle contient tout, et donne des exemples de tout ». Donc, se méfier des prétendues leçons du passé, d’autant que « nous entrons dans l’avenir à reculons ».

« Le temps du monde fini commence. »2693

Paul VALÉRY (1871-1945). Regards sur le monde actuel (1931)

Nommé en 1937 professeur au Collège de France – un honneur entre tant d’autres – ce « poète d’État » est chargé la même année des inscriptions qui ornent le nouveau Palais de Chaillot, ouvert pour l’Exposition internationale « Arts et Techniques dans la vie moderne » et renfermant, outre un théâtre, trois musées (des Monuments français, de la Marine et de l’Homme).

Cette réflexion sur le destin de notre civilisation et le devenir de la science figure en bonne place sur le fronton. C’est l’une des plus citées de Valéry : mise en abyme intellectuelle, éternellement d’actualité.

« Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens ; il ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés. »2846

André SIEGFRIED (1875-1959), citant Paul Valéry (1871-1945), De la Quatrième à la Cinquième République au jour le jour (1958)

Telle est la loi de la pratique parlementaire dans les démocraties libérales, notamment sous la Troisième et la Quatrième Républiques : les libéraux de droite et du centre servent de forces d’appoint, faisant pencher le fléau tantôt à gauche, tantôt à droite, d’où les majorités fragiles et fluctuantes.

6. André Malraux

malraux citations

Bien placé pour le Nobel de Littérature en 1971 (selon Le Monde du 16 octobre), mais le poète chilien Pablo Neruda lui est préféré. Malraux aurait été trop gaulliste… Selon d’autre sources, il n’était plus romancier en activité depuis trop longtemps.

« L’esprit donne l’idée d’une nation ; mais ce qui fait sa force sentimentale, c’est la communauté de rêves. »2656

André MALRAUX (1901-1976), La Tentation de l’Occident (1926)

Malraux, 25 ans, a déjà flirté avec l’Action française et le surréalisme, fait la contrebande de statues khmères en Indochine, croisé les révolutionnaires communistes en Chine. Il confronte ici deux cultures, Extrême-Orient face à Occident, et va participer à l’histoire en train de se faire. Il appartient à la dernière grande génération d’écrivains français qui fait rimer aventure et littérature : Malraux et Montherlant, Camus et Saint-Exupéry, Sartre et Aragon, d’autres noms encore, chacun suivant un itinéraire personnel.

« Les grandes manœuvres sanglantes du monde étaient commencées. »2684

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

L’écrivain aventurier s’est engagé aux côtés des républicains qui combattent au cri de « Viva la muerte », dans cette guerre civile qui va durer trois ans, et servir de banc d’essai aux armées fascistes et nazies.

Contrairement à tous ses confrères qui ont cru à la paix du monde, Malraux, des Conquérants (1928) à L’Espoir (1937), en passant par La Condition humaine (prix Goncourt 1933), se fait l’écho fidèle et prémonitoire de ce temps d’apocalypse. Lui-même devient un héros révolutionnaire, à l’image des héros de ses livres, avec un très grand talent dans l’aventure comme dans la littérature – et une mythomanie d’ailleurs avouée.

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »2690

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Après un voyage à Berlin, il dénonce le nazisme en 1935, ses atteintes à la dignité humaine et ses prisons dans Le Temps du mépris, puis le fascisme espagnol dans ce nouveau roman. Il y témoigne aussi de son engagement dans le camp des Républicains, organisant et commandant l’aviation étrangère avec une aptitude à l’action remarquable chez un intellectuel.

Bien des années après, l’ancien combattant de la guerre civile d’Espagne dit qu’elle a été la dernière « guerre juste » de notre temps, une des raisons de l’ » espoir » étant cet afflux de volontaires de tous pays (estimés à 40 000 hommes), unis pour une juste cause, dans la fraternité confiante des brigades internationales. Comme le dit un anarchiste de L’Espoir, « le courage aussi est une patrie ».

« Les communistes disent toujours de leurs ennemis qu’ils sont des fascistes. »2692

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Très indépendant d’esprit, il ne sera jamais au nombre des inconditionnels du communisme, comme tant d’intellectuels de son temps. Il est surtout du côté de l’homme aux prises avec l’Histoire. Il se détournera bientôt de l’idéologie révolutionnaire, plus soucieux de construire un humanisme moderne, exaltant le génie de l’homme, assurant la victoire des forces de l’espoir sur celles du mépris.

« La vraie barbarie, c’est Dachau ; la vraie civilisation, c’est d’abord la part de l’homme que les camps ont voulu détruire. »2719

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

Témoin et acteur de ce temps, prisonnier de guerre en 1939, évadé d’un camp après l’armistice de 1940, aventurier au sens noble comme de Gaulle et rallié inconditionnel du général incarnant la Résistance, blessé dans les rangs du maquis, commandant la brigade d’Alsace-Lorraine à la libération.

Le camp de concentration, institution type des régimes totalitaires, est l’un des instruments de la terreur instaurée par le nazisme : on y enferme les juifs, les gitans et les homosexuels, les résistants, tous les opposants. Dachau, près de Munich, est l’un des premiers camps ouverts en 1933. Au total, 203 camps, entre 6 et 9 millions de morts (selon les sources), juifs en majorité.

« Les plaies, la neige, la faim, les poux, la soif ; puis la soif, la faim, les poux, la neige, les maladies et les plaies […] l’hallucination qui fait prendre la schlague meurtrière des kapos pour un bâton de chocolat, le petit morceau de bois indéfiniment sucé, le corps qui n’est plus que faim […], la faim a été la compagne quotidienne des déportés jusqu’à la limite de la mort. »2795

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

Malraux, ministre de la Culture en voyage diplomatique, mais aussi en dépression, se lance dans la rédaction de ses mémoires à caractère autobiographique, monument littéraire original, discuté, discutable, mais passionnant.

Risque extrême du « métier » de résistant. On estime à 100 000 le nombre de déportés civils pour raisons politiques, parmi les Français. Mais certains qui étaient pris mouraient avant.

« Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. »2797

André MALRAUX (1901-1976), Discours au Panthéon, lors du transfert des cendres de Jean Moulin, 19 décembre 1964. André Malraux et la politique : L’être et l’Histoire (1996), Dominique Villemot

Le corps fut renvoyé à Paris en juillet 1943, incinéré au Père-Lachaise. Ses cendres (supposées telles) ont été transférées au Panthéon. Cette « panthéonisation », reconnaissance suprême de la patrie à ses héros, est l’acte final des célébrations du 20e anniversaire de la Libération. Jean Moulin, coordinateur des réseaux de Résistance en métropole, en fut à la fois le chef, le martyr, et le symbole.

« Je sais mal ce qu’est la liberté, mais je sais bien ce qu’est la libération. »2810

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

La libération de la France (métropolitaine) a commencé par la Normandie. Le général de Gaulle est arrivé le 14 juin à Bayeux, première ville libérée par les Alliés (le 8), pour affirmer sa qualité de chef du gouvernement.

Le mur de l’Atlantique étant percé, les forces alliées, après le raid de Patton en Bretagne, progressent vers la Seine. La division Leclerc débarque le 1er août. La libération de Paris apparaît comme l’urgence numéro un aux yeux des Français. Paris occupé s’impatiente.

« Les États-Unis d’Europe se feront dans la douleur, et les États-Unis du monde ne sont pas encore là. »2874

André MALRAUX (1901-1976), Appel aux intellectuels, 5 mars 1948 à la salle Pleyel. André Malraux (1952), Pierre de Boisdeffre

Les rêves du XIXe siècle, ceux de Michelet, Hugo, Jaurès et autres apôtres des « États-Unis du monde », sont révolus selon Malraux : « Pour le meilleur comme pour le pire, nous sommes liés à la patrie. » Il défend la notion d’héritage culturel, au nom de quoi la France doit retrouver son rôle en Europe. C’est aussi de Gaulle qui parle par sa voix. Mais l’appel n’est pas entendu. Autre tentative vaine : le Rassemblement du peuple français (RPF) créé le 14 avril 1947 par de Gaulle. Sous la houlette de Malraux, il rassemble des hommes d’origine sociale et de tendance politique très diverses. Mais l’heure du retour n’est pas encore venue pour le général.

Malraux, inaccessible à la tentation des honneurs politiques, seul des écrivains de grand renom à s’associer aussi étroitement au gaullisme, reste le plus fidèle des compagnons, durant « la traversée du désert ». Sa carrière politique coïncidera avec le retour de De Gaulle sous la Cinquième République.

« Les peuples sont en train de demander la culture, alors qu’ils ne savent pas ce que c’est. »2959

André MALRAUX (1901-1976), ministre de la Culture, Assemblée nationale, 27 octobre 1966. La Culture et le rossignol (1970), Marie-Claire Gousseau

Présentant son budget, il note ce « fait extrêmement mystérieux [qui] se produit aujourd’hui dans le monde entier ». Mais les crédits restent dérisoires face aux ambitions d’une culture de masse digne de ce nom. Comme le dira Jacques Duhamel passant du ministère de l’Agriculture à celui de la Culture : « Ce sont les mêmes chiffres, mais les uns sont libellés en nouveaux francs, alors que les autres le sont en anciens francs » - autrement dit, cent fois inférieurs.

« Autant qu’à l’école, les masses ont droit au théâtre, au musée. Il faut faire pour la culture ce que Jules Ferry faisait pour l’instruction. »3031

André MALRAUX (1901-1976), Discours à l’Assemblée nationale, 27 octobre 1966. André Malraux, une vie dans le siècle (1973), Jean Lacouture

De Gaulle a créé le ministère de la Culture pour Malraux. Leur dialogue au sommet, que seule la mort interrompra, est l’une des rencontres du siècle, saluée par François Mauriac : « Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. »

Ministre des Affaires culturelles de 1958 à 1968, chaque automne, lors de la discussion du budget, Malraux enchante députés et sénateurs par des interventions communément qualifiées d’éblouissantes sur les crédits de son département – en fait notoirement insuffisants au regard des ambitions proclamées pour une véritable culture de masse. Il faudra attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir pour que ce ministère frôle le 1 % du budget de l’État.

Malraux définit ici la mission des maisons de la Culture implantées dans les villes moyennes, lieux de rencontre, de création, de vie, chargées de donner à chacun les « clés du trésor ». Ce rêve de démocratie culturelle est toujours actuel, à la fois vital et irréalisable.

7. Général de Gaulle

charles de gaulle citations

De source sûre (l’Académie suédoise), il figurait en bonne place sur la liste… en 1963, et en Littérature. Son entrée dans la Pléiade vaut déjà titre de gloire littéraire.

Reste son rôle dans l’Histoire en deux guerres. Était-il trop « politique » pour le Nobel de la Paix ?

Ses Mémoires (de guerre et d’espoir) sont la seule source ici mentionnée. Fond et forme, elles expriment l’essentiel du personnage sur le podium de l’Histoire en citations (entre Napoléon et Victor Hugo).

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. »2710

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Premiers mots des Mémoires de guerre rédigés entre l’échec du RPF (1953) et le retour au pouvoir (mai 1958), parus de 1954 à 1959. L’Appel (1940-1942), L’Unité (1942-1944), Le Salut (1944-1946) : six années d’histoire de France et du monde en trois tomes – suite de récits, portraits, méditations et formules – signés d’un personnage historique qui est aussi un écrivain parmi les grands du siècle. Son entrée dans la prestigieuse collection de La Pléiade (Gallimard, 2002) en fait foi.
Le début est devenu page d’anthologie…

« Le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »

Autres citations, même source.

« Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »2749

« La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. »2751

« Pour chacune des nations d’Europe que submergeaient les armées d’Hitler, l’État avait emporté sur des rivages libres l’indépendance et la souveraineté. »2771

« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »2775

Discours du 1er mars 1941 à la Réunion des Français de Grande-Bretagne

« Un seul combat, pour une seule patrie ! »2806

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

(Suite des Mémoires de guerre) Un seul chef aussi : le 3 juin 1944, de Gaulle devient président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Terme d’une bataille de quatre ans pour l’unité du pouvoir et bientôt la fédération des diverses résistances (dont les FTP, Francs-tireurs et Partisans ) en Forces françaises de l’Intérieur (FFI), la création hors métropole d’une armée (qui atteindra 500 000 hommes) pour aider les Alliés à nous aider à nous libérer – armée déjà présente à leurs côtés, au débarquement en Afrique du Nord, en Tunisie, à la libération de la Corse (septembre 1943).

« Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France. »2808

Déclaration radiodiffusée du 6 juin 1944 à Londres, jour du débarquement en Normandie

« Je n’ai pas à proclamer la République. Elle n’a jamais cessé d’exister. »2814

Hôtel de Ville de Paris, 26 août 1944, à Georges Bidault

« Qu’entre la mer du Nord et la Méditerranée, depuis l’Atlantique jusqu’au Rhin, soit libérée de l’ennemi cette nation […] Nous rapportons à la France l’indépendance, l’empire et l’épée. »2816

« Les problèmes innombrables et d’une urgence extrême que comporte la conduite du pays émergeant du fond de l’abîme se posent au pouvoir, à la fois de la manière la plus pressante, et cela dans le temps même où il est aussi malaisé que possible de les résoudre. »2815

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

(Fin des Mémoires de guerre) Au lendemain de la libération de Paris, il y a trois séries d’urgences pour le gouvernement : remise en place de l’État, reconstruction de la France et fin de la guerre.

« Les problèmes innombrables et d’une urgence extrême que comporte la conduite du pays émergeant du fond de l’abîme se posent au pouvoir, à la fois de la manière la plus pressante, et cela dans le temps même où il est aussi malaisé que possible de les résoudre. »2815

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Refusant la grâce de Robert Brasillach

« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau ! »2830

« Chacun, quelle que fût sa tendance, avait, au fond, le sentiment que le Général emportait avec lui quelque chose de primordial, de permanent, de nécessaire, qu’il incarnait de par l’Histoire, et que le régime des partis ne pouvait pas représenter. »2862

« Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie. De quelle autre se contenter, quand on a rencontré l’Histoire ? »2863

« Je quitte, par intervalles, le cortège officiel afin d’aborder la foule et de m’enfoncer dans ses rangs. »2977

« Tout de même qu’à bord du navire l’antique expérience des marins veut qu’un second ait son rôle à lui à côté du commandant, ainsi dans notre nouvelle République, l’exécutif comporte-t-il après le président voué à ce qui est essentiel et permanent un Premier ministre aux prises avec les contingences. »2936

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires d’espoir, tome I, Le Renouveau, 1958-1962 (1970)

(Suite des Mémoires de guerre, le second tome – L’Effort - restant inachevé en raison de la mort de l’auteur) Come-back du général de Gaulle sous la Cinquième République.

Division du travail, et problème fondamental du fonctionnement de nos institutions que l’existence d’un « domaine réservé » au chef de l’État, cependant que le « second », qui n’est plus président du Conseil, mais seulement le Premier des ministres de son gouvernement, gère le quotidien, rôle moins prestigieux et plus ingrat. Cette Constitution sert toujours de cadre à notre vie politique.

8. Pierre Mendès France

Pierre Mendès France citations

« Le prix Nobel de la paix sera-t-il donné à M. Mendès-France et à Sir Anthony Eden ? » Le Monde, 3 janvier 1955. Ils furent seulement nominés. Prix non décerné cette année.

« Gouverner, c’est choisir. »2885

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Discours à l’Assemble nationale, 3 juin 1953. Gouverner, c’est choisir (1958), Pierre Mendès France

« La cause fondamentale des maux qui accablent le pays, c’est la multiplicité et le poids des tâches qu’il entend assumer à la fois : reconstruction, modernisation et équipement, développement des pays d’outre-mer, amélioration du niveau de vie et réformes sociales, exportations, guerre en Indochine, grande et puissante armée en Europe, etc. Or, l’événement a confirmé ce que la réflexion permettait de prévoir : on ne peut pas tout faire à la fois. Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. »

Cette formule empruntée (involontairement ?) au duc Gaston de Lévis (Maximes politiques, 1808) accompagne désormais l’homme politique bientôt au pouvoir. Quelques jours plus tôt, dans le premier numéro de L’Express (16 mai 1953), Mendès France écrit : « À prétendre tout faire, nous n’avons réussi qu’à détériorer notre monnaie, sans satisfaire aucun de nos objectifs […] Ce n’est pas sur des conférences diplomatiques, mais sur la vigueur économique que l’on fait une grande nation. »

Quelques mois plus tard, devant la déroute française dans la guerre d’Indochine, il ajoutera : « Nous sommes en 1788 », cependant que Paul Reynaud voit alors en la France « l’homme malade de l’Europe ».

« La démocratie, c’est d’abord un état d’esprit. »2890

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), La République moderne (1962)

Sa déclaration d’investiture, le 17 juin 1954 à l’Assemblée nationale, est plutôt musclée : « Je ferai appel à des hommes capables de servir, à des hommes de caractère, de volonté et de foi. Je le ferai sans aucune préoccupation de dosage […] Il n’y aura pas de ces négociations interminables que nous avons connues ; je n’admettrai ni exigence ni vetos. Le choix des ministres, en vertu de la Constitution, appartient au président du Conseil investi, et à lui seul. Je ne suis pas disposé à transiger sur les droits que vous m’auriez donnés par votre investiture. » Bref, Mendès France refuse d’emblée de devenir un homme du système.

Dans son cabinet, il prend des gaullistes (le général Koenig à la Défense), des radicaux (François Mitterrand à l’Intérieur). Edgar Faure reste aux Finances et Mendès prend le portefeuille des Affaires étrangères.

« En ce jour anniversaire qui est aussi celui où j’assume de si lourdes responsabilités, je revis les hautes leçons de patriotisme et de dévouement au bien public que votre confiance m’a permis de recevoir de vous. »2891

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Télégramme au général de Gaulle, 18 juin 1954. Mendès France au pouvoir (1965), Pierre Rouanet

Son premier jour au pouvoir coïncide avec celui de l’Appel il y a quatorze ans et Mendès France avoue alors avoir trois grands hommes comme modèle : Poincaré, Blum et de Gaulle. Mais le troisième homme est sceptique sur les chances du nouveau chef du gouvernement : « Vous verrez, ils ne vous laisseront pas aller jusqu’au bout », lui dira-t-il le 13 octobre. Sept mois et dix-sept jours : le titre donné par Mendès France au recueil de ses discours dit très exactement la durée de son ministère, renversé le 5 février 1955.

« Il cherche plutôt à trancher qu’à s’accommoder, ce qui lui vaut, surtout auprès des jeunes, un prestige certain. Quand on l’aura vu à l’œuvre, on s’apercevra qu’il est dans sa manière de prendre les problèmes l’un après l’autre, en quelque sorte à la gorge, sans s’y attarder. Son attitude est celle d’un liquidateur. »2892

André SIEGFRIED (1875-1959), Préface à l’Année politique 1954

Mendès France prend d’abord l’affaire indochinoise à bras-le-corps : il s’engage à en finir avant le 20 juillet, sinon il démissionnera. Les accords de Genève sont signés dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954. Le Vietnam est partagé en deux zones, le Nord étant abandonné au communisme et à l’influence chinoise (et bientôt soviétique), l’influence occidentale (et bientôt américaine) prévalant dans le Sud.

« Six ans et demi de guerre, 3 000 milliards de francs, 92 000 morts et 114 000 blessés », tel est le bilan de cette guerre, dressé par Jacques Fauvet (La Quatrième République). Le Figaro parle d’un « deuil » pour la France, mais l’opinion soulagée sait d’abord gré à Mendès d’avoir sorti le pays de ce guêpier où les USA vont s’enliser. Plus tard, il sera traité de « bradeur ».

« Les hommes passent, les nécessités nationales demeurent. »2896

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Assemblée Nationale, nuit du 4 au 5 février 1955. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

L’Assemblée vient de lui refuser la confiance (319 voix contre 273) : par peur d’une politique d’ » aventure » en Afrique du Nord. On l’accuse, dans son discours de Carthage, d’avoir encouragé la rébellion des Tunisiens et des fellagas d’Algérie, alors qu’il est partisan déclaré de l’Algérie française dont il a renforcé la défense. Contrairement aux usages et sous les protestations, il remonte à la tribune pour justifier son action.

Mendès France est resté populaire dans le pays, mais de nombreux parlementaires déplorent ses positions cassantes, aux antipodes des compromis et compromissions de la Quatrième République. Le « syndicat » des anciens présidents du Conseil et anciens ministres lui reproche de ne pas jouer le jeu politicien et de semer le trouble dans l’hémicycle et ses coulisses. De Gaulle l’avait prédit : « Ils ne vous laisseront pas faire ! » Et Mendès France, pour la dernière fois à la tribune, défie les députés : « Ce qui a été fait pendant ces sept ou huit mois, ce qui a été mis en marche dans ce pays ne s’arrêtera pas… »

« Il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’Histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum pour un an, Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »2897

François MITTERRAND (1916-1996), Cour d’honneur de l’Assemblée nationale, Discours du 27 octobre 1982. Le Pouvoir et la rigueur : Pierre Mendès France, François Mitterrand (1994), Raymond Krakovitch

Tel sera l’hommage solennel de François Mitterrand, devenu président de la République, à la mort de Pierre Mendès France.

9. Joséphine Baker

joséphine baker citations

Notre dernière candidate au Nobel de la Paix.

Ce n’est pas Mère Teresa (fondatrice des Missionnaires de la Charité, Nobel 1979), mais elle la valait bien. Il y a un Baker en 1959, mais ce n’est pas elle ! Philip Noel-Baker, membre du Parlement britannique, fervent travailleur pour la paix internationale et la coopération.

Joséphine Baker eut quand même droit au Panthéon et ce n’est que justice, vu le personnage exceptionnel à divers tires (voir les éditos Femmes et Panthéon).

« J’ai deux amours : mon pays et Paris. »10

Joséphine BAKER (1906-1975), J’ai deux amours, chanson, paroles de Géo Koger et Henri Varna, musique de Vincent Scotto

C’est son refrain fétiche et jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle entre sur un plateau de télévision, dans un restaurant ou une boîte de nuit, l’orchestre joue aussitôt les premières mesures : « J’ai deux amours / Mon pays et Paris / Par eux toujours / Mon cœur est ravi / Ma savane est belle / Mais à quoi bon le nier / Ce qui m’ensorcelle / C’est Paris, Paris tout entier. »

Le Panthéon lui a ouvert ses portes le 30 novembre 2021. Elle « coche toutes les cases » comme l’on dit : artiste populaire, star mondiale, femme libre, descendante d’esclave noire, bisexuelle assumée, naturalisée française, résistante triplement décorée, protectrice des animaux, mère de douze enfants adoptés et chacun d’ethnie différente… Sa vie est un feuilleton dont l’héroïne est douée de tous les talents, avec un sacré caractère et une énergie hors norme dont elle a quand même abusé jusqu’à la limite de ses forces.

« Eh oui ! Je danserai, chanterai, jouerai, toute ma vie, je suis née seulement pour cela. Vivre, c’est danser, j’aimerais mourir à bout de souffle, épuisée, à la fin d’une danse ou d’un refrain. »

Joséphine BAKER (1906-1975), Les Mémoires de Joséphine Baker recueillies par Marcel Sauvage (1949)

Elle a tenu parole, ses dernières apparitions sont pathétiques, telle est sa (riche) nature ! Mais ce n’est pas la raison de sa panthéonisation, ni même l’essentiel chez ce personnage hors norme ! Ses racines sont plus profondes. Elle nous donne la clé de l’énigme qu’est sa vie.

« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »

Joséphine BAKER (1906-1975). Alliages culturels : la société française en transformation (2014), Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil

Dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est à la mode et la première exposition d’art nègre va influencer les artistes Fauves et Cubistes. Le peintre Fernand Léger conseille à l’administrateur du Théâtre des Champs-Élysées de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : « la Revue nègre », 25 artistes dont 12 musiciens parmi lesquels le trompettiste Sidney Bechet et une danseuse de 19 ans à l’incroyable présence. Paul Colin crée l’affiche de la revue. Joséphine Baker y apparaît de blanc vêtue, poings sur les hanches, cheveux courts et gominés, entre deux Noirs bon enfant. Cette œuvre folklorique est l’une des grandes réussites de l’Art déco.

La « Vénus noire » est lancée : elle a le diable au corps, dansant le charleston avec son partenaire Joe Alex. Scandale… et succès immédiat. La salle affiche complet. Forte de sa renommée, Joséphine devient la meneuse des Folies Bergère en 1926 : les plumes laissent place à la ceinture de bananes. Encore plus provoquant ! Le tout Paris des Années folles n’a plus que ce nom à la bouche : Joséphine Baker. D’autres artistes afro-américains vont séjourner en Europe : peintres, sculpteurs, poètes, romanciers trouvent à Paris le lieu où prolonger la « renaissance nègre » de Harlem et y apprécient une société libérale, sans ségrégation.

« C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Joséphine BAKER (1906-1975) à Jacques Abtey chef du contre-espionnage militaire à Paris. La Guerre secrète de Joséphine Baker (1948), Jacques Abtey

Septembre 1939. Le capitaine Abtey est chargé de recruter des « Honorables Correspondants » susceptibles de se rendre partout sans éveiller les soupçons afin de recueillir des renseignements sur l’activité des agents allemands. Elle se présente à lui en toute simplicité, exposant sa méthode pour faire passer des messages secrets : « C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent à l’hôtel. À Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant… Ces papiers seraient compromettants si on les trouvait. Mais qui oserait fouiller Joséphine Baker jusqu’à la peau ? Ils sont bien mis à l’abri, attachés par une épingle de nourrice [à son soutien-gorge]. D’ailleurs mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction… Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes ! » À ce petit jeu, elle risque quand même la prison et parfois sa vie.

Lors de son passage à Alger en 1943, le général de Gaulle, reconnaissant pour ses actions dans la Résistance, lui offre une petite Croix de Lorraine en or. Titulaire d’un brevet de pilote pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, elle rejoint les Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air (IPSA) et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.

« Quelle importance y a-t-il à ce que je sois noire, blanche, jaune ou rouge ? Dieu, en nous créant, n’a pas fait de différence. Pourquoi l’homme voudrait-il le surpasser en créant des lois auxquelles Dieu même n’a pas songé ? »

Joséphine BAKER (1906-1975), Discours du 28 décembre 1953 – Meeting de la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) (LICA) devenue en 1980 LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme)

Dans son château des Milandes (où elle perd tout l’argent gagné en tournées et plus encore…), elle est fière de sa « tribu arc-en-ciel ». Faute de pouvoir être mère, elle a adopté 12 enfants, chacun d’une ethnie différente (coréen, finnois, français, japonais, ivoirien,  colombien, canadien, algérien, marocain, vénézuélien, juif français…).

Elle retourne aux USA en 1963 et participe à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté de Martin Luther King - elle prononce un discours, avec son uniforme de l’Armée de l’air française et ses médailles de résistante. Tout le reste de sa vie, elle mettra sa popularité au service de ses idées inlassablement répétées.

« Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n’importe où je la trouve, car je suis profondément contre et je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut pas se défendre dans ce domaine. Du reste, je suis navrée d’être obligée de combattre car, à l’époque où nous vivons, de telles situations ne devraient pas exister. »

Joséphine BAKER (1906-1975), Discours lors d’un meeting à la Mutualité (Paris), le 28 décembre 1953, et publié dans » Le Droit de Vivre » (janvier, février, mars 1954)

« Je lutte de toutes mes forces pour faire abolir les lois existantes dans différents pays qui soutiennent la discrimination raciale et religieuse parce que ces lois font croire à ces citoyens qu’ils ont raison d’élever leurs enfants dans cet esprit. » Bref, une belle personne, à tout point de vue et un personnage politique au meilleur sens du terme.

À ses funérailles en 1975, elle fut la première femme d’origine américaine à recevoir les honneurs militaires.

Le Nobel à titre posthume honorerait cette institution.

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