« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. »
Carl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général prussien, stratège et théoricien, De la Guerre (1832)
« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »
André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)
Les hommes se font la guerre depuis la préhistoire et les guerres antiques sont aussi historiques que légendaires.
L’histoire de la France à venir commence avec la guerre des Gaules et l’occupation du territoire par les Romains. Après les guerres féodales du Moyen Âge et la guerre de Cent Ans, la Renaissance lance les guerres de conquête en Italie, suivies des guerres (civiles) de Religion : le XVIe siècle totalise 85 années de guerre ! La Fronde est une vraie guerre civile de cinq ans. La monarchie absolue de Louis XIV multiplie les guerres de conquête. Le siècle des Lumières est le moins guerrier, mais la Révolution déclare la guerre à toutes les monarchies européennes et Napoléon enchaîne, multipliant les guerres de conquête jusqu’en Russie. Au XIXe, la guerre franco-prussienne met fin au Second Empire. La IIIe République sort victorieuse de la Première guerre mondiale, définit les lois de la guerre… et s’écroule sous la Seconde, finalement gagnée par de Gaulle et les Alliés. La IVe République gère l’après-guerre, survit à la guerre d’Indochine, mais tombe avec la guerre d’Algérie. La Ve République du général de Gaulle donne l’indépendance à l’Algérie, met fin à la guerre civile et dote la France de l’arme atomique. La Guerre froide et les tensions géopolitiques entre blocs cessent après la chute du mur de Berlin, l’Union européenne reçoit le prix Nobel de la paix… Mais la guerre redevient sujet d’actualité !
24 février 2022 : guerre d’Ukraine, conflit post-soviétique avec la Russie de Poutine.
7 octobre 2023, guerre Israël-Gaza après l’attaque du Hamas, dans le cadre du conflit israélo-palestinien. C’est aussi le retour des guerres à l’ancienne : après la guerre moderne des combats à distance, « guerre propre » avec SCUDS et ripostes ciblées (guerre du Golfe en 1990-1991), on retrouve le siège destiné à affamer les populations à Gaza, les tranchées occupées par l’envahisseur en Ukraine, les combats au corps à corps et l’infanterie, essentielle à la progression des forces sur le terrain.
Restauration (1814-1830)
« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815. Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de mémoires et documents écrits par l’empereur Napoléon (1821-1822)
Les Cent Jours. L’empereur exilé débarque de l’île d’Elbe et annonce la couleur dès le premier jour, se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Charte constitutionnelle : « Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées […] Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna. »
Il n’en faut pas plus, pas moins non plus, pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence le vol de l’Aigle, sur la route Napoléon. C’est le plus étonnant come-back de l’Histoire.
« [Napoléon déclaré] hors des relations civiles et sociales et livré à la vindicte publique comme ennemi et perturbateur du monde. »1935
Les souverains alliés, Congrès de Vienne, 13 mars 1815. Le Moniteur universel (1815)
Les souverains présents au Congrès de Vienne - François Ier l’empereur d’Autriche (beau-père de Napoléon), le tsar Alexandre de Russie, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III - sont unanimes à mettre Napoléon hors-la-loi. Cependant que Louis XVIII, à Paris, tient encore à son trône et joue son rôle avant de repartir à son tour en exil (à Gand, en Belgique).
« Ce n’était pas une bataille, c’était une boucherie. »1941
Capitaine COIGNET, Cahiers (1851-1853)
Ce grognard, avec ses Mémoires authentiquement pris sur le vif, inspirera le personnage du grenadier Flambeau, dans L’Aiglon de Rostand.
Il évoque ici la bataille de Ligny, commune de Belgique où les Prussiens de Blücher sont battus pour la seconde fois par Napoléon, le 16 juin 1815. Les troupes de Ney n’arrivent pas comme prévu, la bataille est indécise, quand Napoléon décide d’engager la garde impériale, l’arme de la dernière chance. « Ce hourra général de 3 000 hommes de grosse cavalerie sur un seul point avait quelque chose de prodigieux et d’effrayant ; il y eut plusieurs chocs des plus violents entre cette cavalerie et la cavalerie prussienne. La terre tremblait sous leurs pieds, le cliquetis des armes et des armures, tout rappelait ces descriptions fabuleuses de l’Antiquité » (témoignage de Mauduit, autre grenadier de la Garde).
La fantastique mêlée se prolonge jusqu’à la nuit. Bilan de cette sanglante journée : 20 000 Prussiens et 13 000 Français blessés ou morts. Ligny est la dernière victoire de Napoléon, deux jours avant Waterloo. Napoléon charge Grouchy de poursuivre les Prussiens : faute tactique, mais le maréchal obéit aveuglément à son empereur qui va lui-même affronter le duc de Wellington, commandant des armées alliées.
« Derrière un mamelon, la garde était massée.
La garde, espoir suprême, et suprême pensée […]
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise. »1943Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments, L’Expiation (1853)
Napoléon engage contre l’anglais Wellington la Vieille Garde (l’élite, à côté de la Jeune et de la Moyenne Garde). À la tête de l’infanterie alliée, le duc de Wellington résiste à la cavalerie du général Kellermann (fils du héros de Valmy), tandis que le maréchal Ney cause de grosses pertes à l’ennemi.
La Garde, décimée, recule en ordre. Elle attend les secours de Grouchy, mais Grouchy ne peut empêcher la jonction des armées alliées. Et c’est Blücher qui arrive (feld-maréchal autrichien, âgé de 72 ans, surnommé Vorwärts, « En avant »).
Il faut bien parler de trahison ! Le général Louis de Bourmont, ancien chef chouan rallié à Napoléon en mai dernier, passe aux Prussiens et sera par ailleurs accusé (dans le Mémorial de Sainte-Hélène) d’avoir communiqué le plan français à Blücher. Les soldats ont répandu le bruit d’autres trahisons de généraux : Soult, Vandamme, Dhérin (Grouchy lui-même sera mis en cause plus tard). D’où les premiers cris de « Sauve-qui-peut ! », puis « Nous sommes trahis ! » L’armée napoléonienne se débande, pour la première fois. Seule la partie de la garde commandée par Cambronne tient encore les lignes – avant de se rendre à son tour.
« Waterloo n’est point une bataille : c’est le changement de front de l’univers. »1949
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Dans ce roman en dix volumes, Hugo brosse une vaste fresque historique, sociale, humaine. Et Waterloo demeure à jamais l’un des moments clés de l’histoire de la France.
Monarchie de Juillet (1830-1848)
« Soldats, ils sont six mille, vous êtes trois cents. La partie est donc égale. Regardez-les en face et tirez juste. »2092
Général CHANGARNIER (1798-1877), Première expédition de Constantine, 24 novembre 1836. Le Crapouillot (1958)
Le général commande l’arrière-garde, lors de la retraite. Guerre coloniale qui ne finira que sous la Cinquième République avec le général de Gaulle.
Au lendemain de la prise d’Alger en 1830, Louis-Philippe se contenta de l’occupation d’une frange côtière. Mais la résistance s’organise autour d’Abd el-Kader devenu l’« émir des croyants », tandis que le bey de Constantine, Ahmad, contraint le maréchal Clausel, gouverneur de l’Algérie, à la retraite – et bientôt Bugeaud à la négociation avec Abd el-Kader (convention de la Tafna en mai 1837). La trêve sera de courte durée.
« L’idée napoléonienne n’est point une idée de guerre, mais une idée sociale, industrielle, commerciale, humanitaire. »2100
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Idées napoléoniennes (1839)
Sous l’influence du socialisme utopique des saint-simoniens et des séjours qu’il fit en Angleterre, le futur Napoléon III, entre deux coups de force (Strasbourg en 1836 et Boulogne en 1840), porte un réel intérêt aux problèmes économiques et sociaux qui agitent et divisent la France.
Hugo qui l’a d’abord soutenu, devenu ensuite son plus farouche opposant, mettra toujours en doute la sincérité de cet engagement social. Impossible de trancher sur ce « détail de l’histoire ».
« Ou la conquête, ou l’abandon. »2104
Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), Chambre des députés, 15 février 1840. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
La politique algérienne de la France est trop hésitante, aux yeux du futur maréchal. Le traité signé en 1837 entre Bugeaud et l’émir Abd el-Kader a été violé. La France y faisait pourtant d’importantes concessions, reconnaissant la souveraineté de l’« émir des croyants » sur près des deux tiers de l’Algérie et se contentant d’une occupation du littoral. Abd el-Kader a profité de la trêve pour se constituer une armée, proclamant en 1839 la guerre sainte contre les Français qui occupent l’Algérie depuis 1830. Le militaire met donc les politiques face à leurs responsabilités.
Bugeaud considère pourtant l’Algérie comme « le plus funeste des présents que la Restauration ait fait à la Révolution de juillet », prônant l’occupation restreinte de quelques bases stratégiques pour empêcher les raids barbaresques.
Victor Hugo, le 15 janvier 1840, balaie ses réticences, entraînant la France sur la voie de la colonisation par l’émigration civile massive : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur. »
Impossible de juger sans commettre le péché d’anachronisme, trop fréquent en matière historique.
« Cent mille hommes et cent millions pendant sept ans ! »2106
Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849) à Louis-Philippe. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Le général pose ses conditions pour accepter d’être gouverneur de l’Algérie. Le roi cède. Bugeaud est nommé gouverneur, le 29 décembre 1840. Partisan de la guerre acharnée, dix ans après la prise d’Alger, Bugeaud fait la conquête de l’Algérie et y gagne son bâton de maréchal, en 1843.
« Ense et aratro. »
« Par l’épée et par la charrue. »2107Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), devise du maréchal, gouverneur de l’Algérie. Ismayl Urbain : une autre conquête de l’Algérie (2001), Michel Levallois
Cela signifie que l’on sert son pays en temps de guerre par les armes, en temps de paix par les travaux de l’agriculture. Bugeaud est le premier des officiers coloniaux à mener de front les opérations de sécurité et les travaux de colonisation : défrichements, routes, concessions de terre pour attirer de nouveaux colons, etc.
Deuxième République (1848-1852)
« Toute l’Europe est sous les armes,
C’est le dernier râle des rois :
Soldats, ne soyons point gendarmes,
Soutenons le peuple et ses droits […]
Refrain
Aux armes, courons aux frontières,
Les peuples sont pour nous des frères ! »2143Pierre DUPONT (1821-1870), Chant des soldats. Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont
La révolution française de 1848 – après celle de 1830 – entraîne une flambée de mouvements révolutionnaires un peu partout en Europe : Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie, Pologne. C’est le « printemps des peuples » et la France qui retrouve sa mission libératrice chante : « Que la République française / Entraîne encore ses bataillons / Au refrain de La Marseillaise / À travers de rouges sillons / Que la victoire de son aile / Touche nos fronts et, cette fois / La République universelle / Aura balayé tous les rois / Aux armes, courons aux frontières… »
Mais l’été qui suit ce printemps sera celui de toutes les répressions.
« Tremblez tyrans portant culotte !
Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote
Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout,
Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain
Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux,
Respect aux cotillons ! »2162Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet
Les « Vénusiennes » chantent et défilent, jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne.
La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon du succès, disons même de la gloire.
« Par esprit de défiance, certaines personnes se disent : l’Empire, c’est la guerre. Moi, je dis : L’Empire, c’est la paix. »2228
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Bordeaux, 9 octobre 1852. Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913), Gustave Flaubert
Le message est destiné aux puissances étrangères qui assistent à l’irrésistible ascension d’un nouveau Bonaparte et peuvent s’en inquiéter, vu les guerres napoléoniennes dont le souvenir est toujours vivant.
Mais la présidence de la République assurée pour dix ans, ce n’était pas suffisant pour l’ambitieux héritier. La propagande se remobilise. Le 15 août, jour de la Saint-Napoléon, devient fête nationale. Et le prince refait sa « campagne de France », triomphalement accueilli aux cris de « Vive l’empereur ! » Les préfets veillent, actifs, dociles. Le personnage brocardé lors de ses premiers discours a incontestablement acquis autorité et popularité.
Second Empire (1852-1870)
« L’armée est la véritable noblesse de notre pays. »2262
NAPOLÉON III (1808-1873), Allocution à la garde impériale, 20 mars 1855. La Politique impériale exposée par les discours et proclamations de l’empereur Napoléon III (1868), Napoléon III
L’armée doit être, avec l’Église, l’administration et la police, un appui pour l’empereur. Le 2 décembre 1851, elle n’a fait qu’obéir aux civils qui firent le coup d’État. Il va donc la mettre à l’honneur et la rendre bonapartiste, la mesure la plus notoire étant de rétablir la garde impériale en 1854. Ce sera le dernier corps d’élite et d’essence monarchique possédé par la France, associé aux fastes du Second Empire, avec des uniformes aux couleurs éclatantes où dominent le rouge des pantalons et le bleu des vestes. Très beau à la parade, trop voyant sur le terrain… Cette noblesse date vraiment d’une autre époque.
On retrouve l’essentiel de la structure pensée par Napoléon : cavalerie (chasseurs à cheval, cuirassiers, carabiniers, lanciers, dragons, guides, hussards, chasseurs d’Afrique, spahis) ; infanterie (grenadiers, voltigeurs, chasseurs à pied, zouaves) ; artillerie plusieurs fois réorganisée ; enfin génie (logistique) et train des équipages (transportant matériel, munitions, ravitaillement). Sans oublier les troupes de la marine (4 régiments d’infanterie et un régiment d’artillerie).
Les officiers, fiers d’être ce qu’ils sont, resteront à leur place au lieu de vouloir se mêler de politique. Et ils feront bien leur métier dans les premières guerres du Second Empire, et d’abord en Crimée.
« Il est impossible d’être plus beau sous le feu. »2263
Aimable PÉLISSIER (1794-1864), admirant Mac-Mahon, Fort de Malakoff, 8 septembre 1855. Campagne de Piémont et de Lombardie en 1859, volume XXX (1860), Amédée Barthélemy Gayet de Cesena
Militaire qui participa à la conquête de l’Algérie, Pélissier se retrouve en Russie, commandant en chef à la tête de l’armée de Crimée. Il suit à la lorgnette les péripéties du combat de Mac-Mahon, à l’assaut du fort de Malakoff qui défend l’entrée de la ville de Sébastopol. Apprenant que la position est minée, il a ordonné à Mac-Mahon de renoncer, à cinq reprises. Mais le général s’obstine.
« J’y suis, j’y reste. »2264
MAC-MAHON (1808-1893), au fort de Malakoff, surplombant la citadelle de Sébastopol, 8 septembre 1855. Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1960), Jacques Silvestre de Sacy
Mot attribué au général qui a fini par prendre le fort de Malakoff et ne veut pas le rendre, alors que les Russes annoncent qu’ils vont le faire sauter ! Le siège de Sébastopol durait depuis 350 jours, quand Mac-Mahon prend la tête des colonnes d’assaut et part à l’attaque, entouré de ses zouaves.
Le commandant de l’armée de Crimée, Pélissier, va y gagner son bâton de maréchal, le titre de duc de Malakoff, sa place au Sénat, une pension annuelle de 100 000 francs et d’autres honneurs. Mac-Mahon, pour ce mot et ce fait de guerre, entre dans l’histoire – il aura d’autres occasions de manifester son caractère militaire et entêté, comme président de la République sous le prochain régime.
« La masse est pour la guerre. Les soldats partent comme pour le bal. »2275
Prosper MÉRIMÉE (1803-1870). Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
La guerre contre l’Autriche est déclarée le 3 mai 1859. Napoléon III prend personnellement le commandement et défait les Autrichiens à Magenta le 4 juin (Mac-Mahon arrivant au bon moment) et à Solferino, le 24 juin. L’armistice est signé le 8 juillet.
L’Autriche cède la Lombardie, l’Italie devient une confédération (le Piémont veut davantage, mais la véritable unité n’est pas encore possible, à cause de la Prusse) et la France recevra Nice et la Savoie – si les populations en sont d’accord. Deux plébiscites massivement approbateurs acteront ces conquêtes pacifiques, à porter au crédit du Second Empire.
« Encore une fois notre drapeau français
Vient de remporter la victoire,
Je sommes vainqueurs et ce nouveau succès
Fait que je nageons dans la gloire.
Fallait entendr’ notre brutal,
Aux Mexicains, jouer un p’tit air de bal.
Refrain
J’avons Puebla, mais foi d’Pico
Dans peu, nous aurons Mexico. »2286Alexis DALÈS (1813-1893), paroles, et Charles COLMANCE (1805-1870), musique, J’aurons Mexico (1863), chanson. Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français (1867), Charles Nisard
On chante, mais l’aventure mexicaine sera le premier grave échec en politique extérieure.
L’empereur, avec les libéraux, croit sincèrement à cette expédition du Mexique et au rôle jouable par la France dans le Nouveau Monde. La gauche fait des réserves, mais rêve aussi…
Les pays alliés du début nous lâchent, les États-Unis se fâchent, Napoléon III retire ses troupes et abandonne Maximilien d’Autriche, marié à la princesse Charlotte, fille du roi des Belges : il finira fusillé en 1867, elle en deviendra folle. « Plus de six mille morts, trois cent trente-six millions de dépenses. Rien n’a davantage contribué à l’impopularité du Second Empire » écrira l’historien Georges Pradalié (Le Second Empire).
« Vous voulez donc faire de la France une caserne ?
— Et vous, prenez garde d’en faire un cimetière. »2291Maréchal NIEL (1802-1869), à Jules FAVRE (1809-1880), Corps législatif, 2 janvier 1868. Les Causes politiques du désastre (1915), Léon de Montesquiou
Héros de la campagne d’Italie, le maréchal répond lors d’un débat sur l’armée au député républicain contestant l’utilité des périodes d’exercice. Plus fondamentalement, l’opposition républicaine demande la suppression des armées permanentes, malgré la puissance militaire menaçante de la Prusse et l’échec de notre diplomatie. Pour Gambetta, « les armées permanentes sont cause de ruines et source de haine ».
Ministre de la Guerre depuis 1867, Niel fera passer deux mesures de réorganisation militaire, le 14 janvier 1868 : extension du recrutement et création de la garde mobile. Il meurt en 1869, avant d’avoir pu achever la modernisation jugée indispensable.
Napoléon III a cessé d’être un « aventurier heureux » (pour reprendre le mot de Thiers en 1864). Sa diplomatie devient brouillonne et l’expédition du Mexique est le premier grave échec extérieur.
« J’ai dans ma main le ministère
Et dans ma manche le Sénat,
Je fais la paix, je fais la guerre,
Enfin c’est moi qui suis l’État !
Mon peuple est un mouton docile
Dont je sais tondre la toison.
Refrain
Majesté, répondit Émile,
Majesté, vous avez raison ! »2303Paul AVENEL (1823-1902), Le Plébiscite (1870), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
La chanson brocarde Émile Ollivier, hier républicain, aujourd’hui ministre, croyant œuvrer pour un empire plus libéral. Mais la suite est fort cruelle pour l’empereur : « Les effluves républicaines / Font à la France un sang nouveau / Et le mien, vieilli dans mes veines / Ne monte plus à mon cerveau / Mais malgré mon état sénile / Je reste au Louvre en garnison / Majesté, répondit Émile / Majesté, vous avez raison ! »
Napoléon III est à ranger dans la longue liste de « ces malades qui nous gouvernent ». Après l’« abcès » de François Ier (sans doute la vérole), la tuberculose de tous les fils de Catherine de Médicis et celle de Louis XIII, la fistule de Louis XIV, et avant la maladie de Waldenström de Pompidou et le cancer (longtemps caché) de Mitterrand, c’est la très douloureuse maladie de la pierre (calculs de la vessie) qui ôte toute énergie à l’homme. Et face à lui, l’adversaire est redoutable.
« Ce n’est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, mais par le fer et par le sang. »2306
Otto von BISMARCK (1815-1898), chancelier de la Confédération d’Allemagne du Nord. Bismarck (1961), Henry Valloton
Ces mots posent le personnage, surnommé le Chancelier de fer. « Par le fer et par le sang » est une expression qui lui est chère, tout comme « la force prime le droit » – traduction de sa Realpolitik.
Bismarck a déjà ravi à l’Autriche sa place à la tête de l’ex-Confédération germanique : la défaite autrichienne à Sadowa (1866) fut un « coup de tonnerre » en Europe. Il veut faire l’unité allemande sous l’égide de la Prusse. Pour cela, il lui faut prouver sa force : écraser la France est le moyen le plus sûr. Il manœuvre pour monter contre elle les États du sud de l’Allemagne et les rassembler dans sa Confédération.
Face au futur chancelier du Reich, il y a Napoléon III. « L’empereur est une grande incapacité méconnue » disait Bismarck en 1864. C’est surtout un homme prématurément vieilli, physiquement atteint et devenu maladivement indécis.
« On vient de jeter un gant à la face de quelqu’un qu’on veut forcer à se battre ! »2307
Adolphe THIERS (1797-1877), après avoir pris connaissance de la dépêche d’Ems, Corps législatif, 13 juillet 1870. Napoléon III et le Second Empire : la catastrophe, 1868-1873 (1976), André Castelot
C’est une provocation et une manœuvre de Bismarck, mais la dépêche est prise comme une insulte et la France va tomber dans le panneau !
Le roi de Prusse, Guillaume Ier, a rencontré l’ambassadeur de France Benedetti au sujet de la succession au trône d’Espagne. Il rend compte de son rendez-vous à Bismarck qui est à Berlin, par un télégramme envoyé de la ville d’eaux de Bad Ems lui annonçant qu’il renonce à soutenir la candidature de son cousin au trône d’Espagne. Le chancelier (qui désapprouve par ailleurs cette faiblesse) résume et déforme le texte dans un sens injurieux : « Le roi a refusé de voir l’ambassadeur de France et lui a fait dire qu’il n’avait plus rien à lui communiquer. »
Sitôt connue, cette dépêche est commentée dans les couloirs de la Chambre, après une séance houleuse. Thiers, politicien dans l’âme et hostile à la guerre, semble avoir compris qu’il y a manipulation de l’opinion. La guerre déclarée par la France aurait pour effet de souder les États allemands et le traité d’alliance défensive au sein de la Confédération jouerait automatiquement. C’est bien ce que veut Bismarck. L’opinion publique se déchaîne.
« Jamais vous ne pourriez retrouver de plus belle occasion, il faut en profiter ! Vous avez envoyé vos conditions : en garde maintenant ! »2308
Maréchal VAILLANT (1790-1872), à Napoléon III. L’Empire libéral : la guerre (1909), Émile Ollivier
C’est un vétéran de Waterloo (1815). L’empereur, pacifiste, mais malade, laisse faire, malgré les conseils de modération de certains hommes politiques et l’opposition de la gauche républicaine au Corps législatif. Quant à l’impératrice, elle souhaite la guerre – la victoire assurerait à son fils tant aimé l’accession au trône.
« Si la Prusse refuse de se battre, nous la contraindrons, à coups de crosse dans le dos, à repasser le Rhin et à céder la rive gauche ! »2309
La Presse. Histoire générale de la presse française : de 1871 à 1940 (1969), Claude Bellanger
En cette mi-juillet 1870, les journaux sont unanimes, reflet d’une opinion publique trop sûre d’elle. « À l’insolence de la Prusse, il n’y a qu’une réponse : la guerre », écrit Le Constitutionnel. D’autres titrent : « À Berlin ! »
« Nous sommes prêts et archiprêts, il ne manque pas à notre armée un bouton de guêtre. »2310
Maréchal LEBŒUF (1809-1888), lors du vote de la mobilisation et des crédits de guerre, Corps Législatif, 15 juillet 1870. Revue des deux mondes, volume XXI (1877)
Ministre de la Guerre et major général de l’armée, il répond au doute de Thiers affirmant : « Vous n’êtes pas prêts. » Et il insiste : « De Paris à Berlin, ce serait une promenade la canne à la main. »
C’est une illusion et Bismarck, bien informé par Moltke son chef d’état-major, connaît les forces ou plutôt les faiblesses de la France. Ses canons de bronze se chargent encore par la gueule et non par la culasse comme les canons Krupp en acier ; les traditions tactiques de l’armée d’Afrique sont impropres à une guerre européenne et l’expédition du Mexique a désorganisé l’administration militaire ; ses généraux sont vieux et routiniers ; enfin, le Corps législatif n’a jamais voté les crédits nécessaires à l’armée.
C’est un peu tard pour se rattraper, alors que la Prusse prépare cette guerre depuis quatre ans.
« Nous l’acceptons le cœur léger. »2311
Émile OLLIVIER (1825-1913), Corps législatif, le jour de la déclaration de guerre à la Prusse, 19 juillet 1870. Les Causes politiques du désastre (1915), Léon de Montesquiou
Porté par l’opinion publique, le président du Conseil et garde des Sceaux accepte la responsabilité de la guerre, alors que des intervenants (républicains et pacifistes) évoquaient le sang bientôt versé. Il insiste sur ces mots qui lui seront reprochés jusqu’à sa mort : Émile Ollivier reste à jamais pour l’histoire « l’homme au cœur léger ».
« Prussiens ! vous fuirez, battant la retraite,
Devant nos drapeaux
Et nos Chassepots,
Oui, notre aigle altier qui n’a qu’une tête
S’ra victorieux,
Et pourtant le vôtre en a deux !
Refrain
Zim la la, zim la la, les beaux militaires,
Zim la la, zim la la, que ces Prussiens-là ! »2312Ces beaux Prussiens (1870), chanson. La Commune en chantant (1970), Georges Coulonges
Les chansons font partie de la propagande patriotique, au même titre que la presse. Le chassepot français (du nom de son inventeur) est en effet le fusil à aiguille le plus efficace à l’époque… mais c’est notre seule supériorité.
450 000 Prussiens très armés et très entraînés vont aussitôt infliger les premières défaites aux 350 000 Français pleins d’ardeur. Les Allemands envahissent l’Alsace et la Lorraine. L’armée de Mac-Mahon est défaite en Alsace – battue à Wissembourg (4 août 1870), Reichshoffen et Froeschwiller (6 août) – et l’armée de Bazaine en Lorraine – à Forbach (6 août).
« Oh ! les braves gens ! »2316
GUILLAUME Ier (1797-1888), roi de Prusse, devant les charges héroïques de la cavalerie française, quand le général Margueritte tombe à Sedan, 1er septembre 1870. La Bataille de Sedan : les véritables coupables (1887), Emmanuel-Félix de Wimpffen, Émile Corra
Mac-Mahon, au lieu d’aller défendre Paris, va porter secours à Bazaine sur ordre de l’impératrice qui ne veut pas voir l’empereur revenir vaincu. Ce qui conduit Mac-Mahon à Sedan, ville de triste mémoire dans l’histoire de France. Le maréchal défend la ville encerclée par les Prussiens. Blessé, il laisse le commandement au général Ducrot. Écrasés par l’artillerie allemande, les Français sont impuissants à desserrer l’étau. Bilan final : 15 000 morts ou blessés français et 90 000 prisonniers.
L’empereur qui souffre le martyre monte à cheval et affronte la mitraille d’une allure « morne et indifférente », cherchant la mort qui se refuse à lui. Napoléon a vécu ce drame, lors de la sixième coalition, (dernière) campagne de France : « J’ai tout fait pour mourir à Arcis ».
« Je sais le désastre. L’armée s’est sacrifiée. C’est à mon tour de m’immoler. Je suis résolu à demander un armistice. »2317
NAPOLÉON III (1808-1873), encerclé à Sedan, 1er septembre 1870. Histoire contemporaine (1897), Samuel Denis
Il prend cette décision, alors que le général de Wimpffen « le plus ancien dans le grade le plus élevé », voulait forcer la ligne ennemie pour libérer Sedan et ouvrir le passage à son empereur. Tentative héroïque, mais désespérée, que l’état-major n’osait pas déconseiller. Le bilan aurait été de 60 000 morts, une boucherie comme au temps de Napoléon.
L’artillerie allemande continue de tirer sur la ville, 400 pièces de canon font pleuvoir des tonnes de projectiles, quand les premiers drapeaux blancs sont hissés sur les murailles. Guillaume donne l’ordre de faire cesser le feu, envoie deux officiers à Wimpffen pour le sommer de rendre la place. Ils vont se retrouver devant l’empereur, à la sous-préfecture.
« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre les mains de Votre Majesté. Je suis, de Votre Majesté, le bon frère, Napoléon. »2318
NAPOLÉON III (1808-1873), Lettre à Guillaume Ier, Sedan, 1er septembre 1870. La Débâcle (1893), Émile Zola
L’empereur vient d’écrire ces mots. Lettre immédiatement portée au vainqueur qui répond : « Monsieur mon frère, en regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous rencontrons, j’accepte l’épée de Votre Majesté, et je la prie de vouloir bien nommer un de vos officiers muni de vos pleins pouvoirs, pour traiter de la capitulation de l’armée qui s’est si bravement battue sous vos ordres. De mon côté, j’ai désigné le maréchal de Moltke, à cet effet. Je suis, de Votre Majesté, le bon frère. » Signé, Guillaume Ier.
La capitulation est signée au château de Bellevue, dans la nuit du 1er septembre 1870. Conditions terribles : toute l’armée de Sedan sera internée en Allemagne, y compris l’empereur, désormais prisonnier. La capitulation est publiée le 2, rendue effective le 3.
« V’là le Sire de Fish-ton-Kan,
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments
Sens devant derrière […]
Badinguet, fich ton camp. »2319Paul BURANI (1845-1901), paroles, et Antonin LOUIS (1845-1915) musique, Le Sire de Fich-ton-kan (1870), chanson
La capitulation de Sedan est accueillie par les applaudissements de la gauche, le 3 septembre à la Chambre : l’opposition sait que le régime ne survivra pas à la défaite de l’armée impériale. De fait, l’opinion se retourne aussitôt : plébiscité en mai, l’empereur qui tombe est insulté. La rue chante et brocarde « Le Sire de Fich-ton-kan. »
« Le prétendu dieu des armées est toujours pour la nation qui a la meilleure artillerie, les meilleurs généraux. »2320
Ernest RENAN (1823-1892), Dialogues et fragments philosophiques (1876)
Cette guerre de 1870 va ébranler bien des certitudes et des enthousiasmes chez les hommes qui en seront témoins. Et le drame continue après la chute de l’Empire.
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