« Le drame de Giscard est qu’il ne sait pas que l’histoire est tragique. »
Raymond ARON (1905-1983). Le Pharaon (1983), Jean Bothorel
Le 26 juin 1979, Aron s’est rendu à l’Élysée avec Sartre, son ami ennemi de toujours, et quelques camarades, pour sensibiliser le président à la situation d’extrême péril des « boat people » vietnamiens : réfugiés fuyant le régime communiste d’Hanoï par la mer, victimes des gardes-côtes, des pirates, ou tombant des embarcations surchargées. Au total, quelque 200 000 morts, hommes, femmes et enfants, en quatre ans.
C’est à l’occasion de ce rendez-vous que Raymond Aron, journaliste engagé, fait cette remarque. Et le président promet d’accorder les visas aux réfugiés du bateau français Île de Lumière, affrété par Bernard Kouchner et Médecins sans Frontière.
Conception trop sereine du monde ? Volonté ou plutôt illusion de pouvoir toujours tout arranger ? Ou trait de caractère positif, tranchant sur une opinion globalement pessimiste ? « Il n’y aurait pas tant de malaise, s’il n’y avait pas autant d’amateurs de malaise » (Libération, 10 décembre 1990).
Rappelons le message d’adieu au pays, le 19 mai 1981 : « Je vous demande de vous souvenir de ceci : pendant ces sept ans, j’avais un rêve. »
Ce « mot de la fin » de président partant laisse à penser que sa devise pouvait être : « Gouverner, c’est rêver. » Mais la part du rêve ne fait-elle pas partie du jeu politique ?
« Le premier des droits de l’homme, c’est le devoir pour certains d’aider les autres à vivre. »
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), au président Giscard d’Estaing, 26 juin 1979. Génération, tome II, Les Années de poudre (1988), Hervé Hamon, Patrick Rotman
Un groupe d’intellectuels est reçu à l’Élysée. Ils sont venus dire la détresse des réfugiés vietnamiens.
Depuis deux mois, à l’initiative de Bernard Kouchner et de Médecins du Monde, le bateau Île de Lumière recueille et soigne les damnés de la mer, ces « boat people » fuyant le régime communiste du Vietnam réunifié. Le président promet que la France fournira autant de visas qu’Île de Lumière abrite de réfugiés.
Cette croisade humanitaire est l’occasion d’un rapprochement (sans lendemain) entre Aron et Sartre, après des décennies de divorce intellectuel.
Accueil des réfugiés sans patrie, régularisation des étrangers sans papier, gestion de l’émigration clandestine : problèmes récurrents et toujours brûlants. Le clivage entre la gauche (généreuse ou laxiste) et la droite (plus réaliste) se double d’une autre division, entre partis au pouvoir et opposition.
La phrase de Sartre s’applique également aux laissés pour compte de la croissance et du progrès, innombrables victimes de toutes les crises : populations du tiers-monde, ou quart monde dans les pays les plus développés, y compris la France.
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