Entre-deux-guerres
Prologue
La France garde les institutions de la Troisième République, mais l’esprit a changé. La guerre a coûté très cher en hommes et en argent, l’Allemagne ne paie pas ses dettes de guerre, la dénatalité devient dramatique.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« À l’issue d’une longue guerre nationale, la victoire bouleverse comme la défaite. »2617
(1872-1950), A l’échelle humaine (1945)
(Texte écrit en 1941 par le leader socialiste en internement administratif).
Au lendemain de 1918, l’humiliation de 1871 est vengée, le pays est vainqueur, de nouveau entier, mais exsangue, dévasté, divisé, moralement bouleversé après l’épreuve (…)
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618
Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)
L’angoisse de l’intellectuel dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un pays. Valéry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dès la paix revenue, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho (…)
« L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique, ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ? »2619
Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)
Voilà posé le destin de l’Europe, dans cette phrase célèbre, sitôt qu’écrite. Devant les ruines matérielles et morales de l’après-guerre, une question capitale se pose : « L’Europe va-t-elle garder sa prééminence ? ».
Cette conscience européenne aiguë replace le destin de la France dans un contexte plus large (…)
« Il y a manifestement une crise de l’Europe : après une longue période de prédominance, qui semblait aux contemporains devoir durer toujours, le Vieux Monde voit, pour la première fois, son hégémonie contestée. Mais ce qui risque d’être mis en cause de ce fait, c’est, avec la destinée d’un continent, celle de toute une forme de civilisation. Sous son aspect le plus grave, la crise est là. »2620
André SIEGFRIED (1875-1959), La Crise de l’Europe (1935)
Économiste et sociologue, professeur au Collège de France, il répond, quinze ans après, à l’interrogation de Valéry devenue plus cruciale, d’autres dangers menaçant l’Europe et même le monde, en marche vers une autre guerre.
« Les nations, comme les hommes, meurent d’imperceptibles impolitesses. C’est à leur façon d’éternuer ou d’éculer leurs talons que se reconnaissent les peuples condamnés. »2621
Jean GIRAUDOUX (1882-1944), La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935)
Diplomate, bien placé pour voir venir les périls et savoir que la guerre aura lieu, auteur de roman et (ici) de théâtre, recourant au mythe pour aborder les questions de l’actualité brûlante, Giraudoux témoigne à sa manière apparemment légère – un parmi tant d’autres intellectuels saisis par l’évidence de cette Troisième République finissante.
« Toute classe dirigeante qui ne peut maintenir sa cohésion qu’à la condition de ne pas agir, qui ne peut durer qu’à la condition de ne pas changer […] est condamnée à disparaître de l’histoire. »2622
Léon BLUM (1872-1950), À l’échelle humaine (1945)
Blum parle en socialiste. Son analyse s’applique à la bourgeoisie sur la défensive dans l’entre-deux-guerres, classe gagnante depuis des générations et qui a « cessé d’être heureuse » (Marc Bloch). Se sentant menacée dans ses revenus, ses rentes et dividendes, sa culture, son mode et son niveau de vie, elle manque d’esprit d’entreprise, de dynamisme créateur, elle refuse une éducation secondaire plus ouverte, une législation sociale mieux adaptée. Dès 1930, Georges Bernanos titrait sur La Grande peur des bien-pensants (…)
« Au lieu de treize régimes en quatre-vingts ans, il n’y a eu depuis 1871 qu’un seul régime en soixante-cinq ans […] Tandis que les régimes antérieurs tombaient avant de vieillir, le régime actuel a vieilli avant de tomber. »2623
André TARDIEU (1876-1945), Le Souverain captif (1936)
Retiré de la vie politique en 1935, Tardieu dresse déjà le constat de mort d’un régime qui, installé provisoirement en 1871, a quand même survécu mieux que prévu aux crises, scandales et autres affaires.
L’instabilité ministérielle frappe les contemporains de l’entre-deux-guerres : 42 gouvernements en vingt et un ans ! C’est le parlementarisme vécu avec tous ses excès, entraînant la dépendance d’un exécutif faible vis-à-vis d’un législatif souverain (…)
« Sans doute faut-il incriminer d’abord les institutions qui, d’avance, détruisent les chefs. Nul régime n’aura, autant que le nôtre, usé d’individus plus rapidement. »2624
François MAURIAC (1885-1970), Mémoires politiques (1967)
(…) Selon André Tardieu, on a « substitué la souveraineté parlementaire à la souveraineté populaire ». Le journal Ordre nouveau se déchaîne en février 1934 (époque de l’affaire Stavisky) : « Il n’y a plus de politique ; il n’y a plus que des politiciens, six cents bavards soit inconscients, soit trop malins, toujours impuissants. Élire un député signifie trop souvent aujourd’hui donner l’impunité parlementaire à un escroc, un receleur, un dangereux imbécile. » (…)
« Les poisons sont quelquefois des remèdes, mais certains poisons ne sont pourtant que des poisons. »2625
Léon BLUM (1872-1950), À l’échelle humaine (1945)
Le socialiste parle ainsi des doctrines nazie (Allemagne) et fascistes (Italie et Espagne) qui sont autant de « barbaries totalitaires » (…)
« Comme dans toutes les grandes crises de l’histoire, les âmes tourmentées étaient à la recherche d’une mystique : elles venaient de la trouver. Moscou représentait pour elles désormais “le maximum de religion”. »2626
Ludovic-Oscar FROSSARD (1889-1946), De Jaurès à Lénine. Notes et souvenirs d’un militant (1931)
Premier secrétaire général du Parti communiste français, qui rejoindra ensuite la social-démocratie et finira ministre de Pétain, il évoque le désarroi des militants ouvriers, après la défaite du parti socialiste aux élections de novembre 1919 et l’échec de l’action syndicale de la CGT en 1920 (…)
« Il n’est pas une idée née d’un esprit humain qui n’ait fait couler du sang sur la terre. »2627
Charles MAURRAS (1868-1952), La Dentelle du rempart (1937)
Une des leçons de l’histoire, de France, d’ailleurs et de toujours, mais qui prend une vérité plus dramatique au cœur du XXe siècle, où la guerre des idéologies l’emporte sur la guerre des patries (…)
« Les nations ont le sort qu’elles se font. Rien d’heureux ne leur vient du hasard. Ceux qui les servent sont ceux qui développent leur force profonde. »2628
Édouard HERRIOT (1872-1957), Jadis, tome II, D’une guerre à l’autre, 1914-1936 (1952)
(…) Le choix des chefs, pour le meilleur mais aussi le pire, va déterminer le sort des États et le destin du monde, jusqu’à la guerre et son issue.
Président de la Chambre des députés, Herriot lancera en 1940 un appel à l’union autour du maréchal Pétain, avant de se séparer du gouvernement de Vichy et de se retrouver en résidence surveillée, puis déporté en Allemagne en 1944.
« Le Français se fait rare. »2629
Jean GIRAUDOUX (1882-1944), 1939. Le Siècle des intellectuels (1997), Michel Winock
La dénatalité le hante à partir de 1935 : après les coupes sombres de la guerre de 1914-1918 (1,4 million de morts ou disparus), la population française diminue, fait sans précédent dans les annales d’un pays industrialisé (…)
On peut parler de catastrophe nationale, si on compare les populations de la France et de l’Allemagne en 1939 : 41 millions face à 70 millions ! La démographie ne risque-t-elle pas de faire la loi à la démocratie ?
« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »2630
Paul VALÉRY (1871-1945), Regards sur le monde actuel, « Fluctuations sur la liberté » (1938)
Observateur toujours lucide des problèmes qui se font drames de ce temps, Valéry se refuse à tout engagement politique, mais tire (dans cet ensemble de textes rédigés à partir de 1930) une des leçons de l’histoire.
Le dilemme est d’autant plus terrible que la faiblesse des démocraties fait la force des dictatures.
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