L’Affaire des décorations, crise typique de la Troisième République.
Prétexte à chansons, plus drôle que dramatique, mais politiquement grave : elle atteint le sommet de l’État en la personne du président Grévy - Jules, prénom le plus porté à l’époque. D’où les plaisanteries sur la « République des Jules », camarades, copains et coquins.
« Jadis on était décoré et content. Aujourd’hui on n’est décoré que comptant ! »2486
(1857-1922), Le Gaulois, 7 octobre 1887
La Chanson en son temps : de Béranger au juke-box (1969), Georges Coulonges.
Ce journal, comme bien d’autres, dénonce le scandale de l’Élysée. La corruption, tant reprochée aux (républicains) opportunistes qui sont au pouvoir, atteint la famille du président Grévy. Son gendre, Daniel Wilson, est accusé d’avoir créé à l’Élysée un « ministère des Recommandations et Démarches ». Bien entendu, il fait payer ses services. Ce trafic des décorations, découvert en septembre 1887, porte notamment sur la Légion d’honneur, très prisée à l’époque.
Le temps des crises parlementaires va de pair avec celui des sales affaires et le personnel politique est gravement déconsidéré - le pire viendra en 1892 avec le scandale de Panama, « la plus grande flibusterie du siècle, de l’or, de la boue et du sang » (Édouard Drumont), 150 députés accusés d’être achetés, dénoncés par la presse comme « chéquards », et parmi eux Clemenceau. L’opinion publique s’émeut, mais aucune loi ne moralise ces pratiques si peu républicaines.
Toutes les citations qui suivent
sont commentées dans nos Chroniques.
« Ah ! quel malheur d’avoir un gendre […] / Avec lui, j’en ai vu de grises,
Fallait qu’j’emploie à chaque instant / Mon nom, mon crédit, mon argent
À réparer toutes ses sottises. »2487Émile CARRÉ, Ah ! quel malheur d’avoir un gendre (1887), chanson
Ainsi fait-on chanter le vieux président de la République : « J’suis un honnête père de famille / Ma seule passion, c’est l’jeu de billard / Un blond barbu, joli gaillard / Une fois m’demande la main d’ma fille […] / Y sont mariés, mais c’que j’m’en repens ! / Ah ! quel malheur d’avoir un gendre ! »
« Vous regretterez le beau temps des crises / Quand, pauvres sans pain et riches gavés
Nous serons aux prises ! […] Profitez-en bien du beau temps des crises
Où le peuple jeûne et pense en rêvant / Aux terres promises ! »2488Jules JOUY, Le Temps des crises (1886), chanson
Sur l’air du Temps des cerises (né sous la Commune), l’humour se fait menaçant. L’instabilité des gouvernements tourne au jeu politique et lasse l’opinion. C’est aussi une tactique encouragée par le président Grévy, jusqu’à sa chute provoquée par la crise qui l’atteint personnellement.
« Votons pour Carnot, c’est le plus bête, mais il porte un nom républicain ! »2491
Georges CLEMENCEAU, Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Marie François Sadi Carnot est petit-fils de Lazare Carnot (le Grand Carnot, célèbre révolutionnaire), fils de Lazare Hippolyte Carnot (député, ministre, sénateur), neveu de Sadi Carnot (physicien qui laisse son nom à un théorème), lui-même polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, préfet, député républicain, plusieurs fois ministre. « Bête » n’est pas le mot juste, mais le Tigre (surnom de Clemenceau) a la dent dure et l’humour féroce.
« Ils m’ont étranglé avec la cravate. »2537
Clément ADER, Lettre ouverte à mon grand-père qui avait le tort d’avoir raison (1995), Marcel Jullian
Légion d’honneur « pas volée », mais mal prise par le décoré pas du tout content ! Pionnier de l’aviation (premier vol au monde d’un mètre de haut sur cinquante de long, sur Éole I, petit monomoteur, en 1890), héros honoré plus tard, mais découragé par l’incompréhension des politiques. Cas tristement banal, même cette République multiplie les prouesses techniques.
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