« Nul doute que notre patrie ne doive beaucoup à l’influence étrangère. Toutes les races du monde ont contribué pour doter cette Pandore. […] Races sur races, peuples sur peuples. »
Jules MICHELET (1798-1874 ), Histoire de France, tome I (1835)
Le phénomène de l’immigration n’est pas traité en tant que tel. Il mérite pourtant d’être repensé à l’aune de ces noms plus ou moins célèbres.
- Diversité d’apports en toute époque, avec une majorité de reines (mères et régentes) sous l’Ancien Régime, d’auteurs et d’artistes (créateurs ou interprètes) à l’époque contemporaine.
- Parité numérique entre les femmes et les hommes, fait historique exceptionnel.
- Origine latine (italienne, espagnole, roumaine), slave (polonais) et de proximité (belge, suisse), plus rarement anglo-saxonne et orientale.
- Des noms peuvent surprendre : Mazarin, Lully, Rousseau, la comtesse de Ségur, Le Corbusier, Yves Montand, Pierre Cardin… et tant d’autres à (re)découvrir.
IV. XIXe siècle : une richesse culturelle et artistique dont nous profitons encore.
Rossini, comtesse de Ségur, Bellini, Marie Taglioni, la Malibran, Frédéric Chopin, Franz Liszt, Jacques Offenbach, Carlotta Grisi, Eugénie de Montijo, Vincent Van Gogh.
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Gioachino Rossini (1792-1868), compositeur lyrique italien venu finir sa carrière internationale en France et prendre à 37 ans une étonnante retraite « tout-parisienne ».
« Comme l’opéra serait merveilleux s’il n’y avait pas les chanteurs ! »1
Gioachino ROSSINI (1791-1868). Un mot souvent cité, jamais sourcé
Vu les trop fameux caprices des divas et divos, bien des compositeurs lyriques ont dû penser de même, y compris le génial Offenbach à venir… Le cas Rossini est quand même particulier. Il demande l’impossible aux interprètes, des prouesses vocales « pyrotechniques » et une présence scénique hors norme dans la comédie.
Deux remarques : il est marié à une cantatrice italienne, Isabella Colbran … et il donne le beau rôle à la femme, dès ses premiers opera buffa. C’est toujours elle l’héroïne la plus maligne qui finit par l’emporter sur les hommes, telle la Rosine du célèbre Barbier de Séville. Notable exception à la règle dans l’opéra (italien et français) où la femme est fatalement la perdante et la victime, même quand elle donne son nom à l’œuvre (Norma, Traviata, Carmen…).
Aujourd’hui encore, tout apprenti chanteur connaît « l’arpège Rossini » : une grande vocalise, un échauffement qui stimule la souplesse vocale, en souvenir d’un maestro exigeant. Ses interprètes doivent maîtriser leur voix, connaître leur partition et ne jamais modifier les notes écrites pour leur personnage. Pour s’assurer le respect de ses œuvres, Rossini écrit toutes les vocalises, tous les ornements jusqu’alors improvisés sur scène par les chanteurs.
« Depuis la mort de Napoléon, il s’est trouvé un autre homme duquel on parle tous les jours à Moscou comme à Naples, à Londres comme à Vienne, à Paris comme à Calcutta. »2
STENDHAL (1783-1842), Premier paragraphe de la préface de sa « Vie de Rossini », écrite et publiée en 1823. BNF
« Le Cygne de Pesaro » naît en Italie d’un musicien d’orchestre (corniste) et d’une cantatrice. Il étudie la musique et va gagner sa vie comme chanteur, puis répétiteur et accompagnateur de théâtre, pratiquant le clavecin, le violon et l’alto, le cor et le violoncelle, tout en composant diverses cantates et œuvres instrumentales avec autant de facilité que d’originalité. D’où son autre surnom de « Signor Crescendo ».
Pour devenir un grand compositeur en Italie, il faut se consacrer à l’opéra, genre véritablement populaire depuis deux siècles : toute ville a son théâtre, ses chanteurs, son orchestre. L’opéra fait la loi. Rossini se voue corps et âme à la composition lyrique. Près de 40 opéras naîtront de son imagination en moins de 20 ans. S’il faut parfois reprendre une œuvre pour la remettre au goût du jour, rien de plus simple. Il se plagie avec bonheur. Il écrit en 15 jours à la commande, orchestration et copie comprise ! Au XXe siècle, on donnera deux ans au compositeur pour accoucher d’une œuvre souvent oubliée sitôt que créée.
Lassé par les critiques apportées à ses innovations, Rossini quitte Naples pour Vienne en 1822. Il déchaine l’enthousiasme du public autrichien, provoque la jalousie de Weber, rencontre Beethoven et « fit pleurer Hegel » ! Devenu célèbre, il se rend à Londres : fiasco financier. Il accepte alors les propositions de Charles X et se fixe à Paris sous la Restauration qui apporte un dernier parfum d’Ancien Régime à citoyen conservateur, effrayé par les mouvements insurrectionnels, alors même qu’il s’affirme toujours révolutionnaire et porteur d’innovations dans l’écriture musicale. Stendhal, fasciné par le personnage, va lui consacrer une biographie quelque peu romancée.
« Un succès fou au théâtre, c’est chez le public de Paris la curiosité de porter un jugement sur une pièce dont on va parler pendant un mois ; on y court pour la juger et non pour avoir des transports et des larmes. »
STENDHAL (1783-1842), Vie de Rossini (1823)
Paris vu par Rossini ! Cette dernière citadelle sur le chemin de la gloire est conquise en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Il compose Il viaggio a Reims (Le Voyage à Reims) en 1825, pour célébrer le fastueux sacre du roi Charles X, devenu aussitôt l’un des compositeurs les plus en vue de la capitale. Il prend la direction du Théâtre-Italien et s’engage à écrire une œuvre par an pour l’Opéra de Paris !
Il adapte en français plusieurs de ses œuvres italiennes, revues et corrigée, tenant compte des impératifs du style français et des possibilités relativement limitées de ses chanteurs. Il doit aussi prendre soin des chanteurs, grands favoris du public. Leurs caprices le lassent parfois, mais c’est bien à la voix humaine qu’il consacre toujours tout son génie de compositeur. L’orchestre accompagne les récitatifs et les grands numéros vocaux s’enchaînent, en solo, trio, quatuor ou quintet. La voix devient un instrument de l’orchestre et un vecteur dramatique. Ainsi et sans vraiment en avoir conscience, Rossini laisse une empreinte indélébile sur la grande histoire de la musique
Il ajoute à son catalogue un ultime opéra (politique) en 1829 – Guillaume Tell qui devint le prototype du grand opéra français (dépassant l’opera buffa et l’opera seria). Demi-succès ou semi-échec, comparé à ses précédents triomphes et à ce qu’on attendait d’« El Signor Crescendo »… Il décide de prendre sa retraite à 37 ans, composant quand même quelques morceaux de musique sacrée et ses irrésistibles « Péchés de vieillesse », recueil de 150 pièces vocales et pour piano solo. Il meurt dans sa villa de Passy, bien connue (et fréquentée) du tout Paris.
« La Grande Renonciation… phénomène unique dans l’histoire de la musique et difficile à comparer dans toute l’histoire de l’art »
Francis TOYE (1883-1934), Rossini : A Study in Tragi-Comedy (1934)
Le critique et musicologue anglais est formel. « Existe-t-il un autre artiste qui ait ainsi délibérément, dans la fleur de l’âge, renoncé à cette forme de production artistique qui l’avait rendu célèbre dans le monde civilisé ? »
Il est possible de trouver des raisons. La Révolution de 1830 mit implicitement fin à son contrat, cependant que Rossini assistait, étonné, au triomphe de Meyerbeer (qu’il avait personnellement appelé à Paris) et ouvrait les portes du succès à ses confrères Bellini et Donizetti. Hostile à la pompe du nouvel opéra français, il préféra abandonner la place. Le voilà sujet à l’anxiété et la dépression, traversant de graves crises nerveuses et physiques, consécutives à ses abus de jeunesse et à l’incessant labeur mené pendant vingt années au cours desquelles il avait écrit messes, cantates et œuvres diverses, outre la quarantaine d’opéras dont il assurait la réalisation à la scène, avec tous les remaniements consécutifs aux reprises en d’autres théâtres.
Rossini s’installe définitivement à Paris en 1848 et ses dîners gastronomiques deviennent légendaires. Quand il ne s’attable pas à la Tour d’argent ou à la Maison dorée - deux grands restaurants parisiens où il a toujours sa table retenue -, il invite ses amis chez lui pour souper. Il réussit à inscrire son nom dans l’histoire de la gastronomie française avec le tournedos Rossini (créé en son honneur par Casimir Moisson, chef de la Maison Dorée) : tournedos de bœuf accompagné de foie gras poêlé et de lamelles de truffe, servi avec une sauce madère. Citons aussi la tarte Guillaume Tell. Lui-même improvise au gré de son inspiration. Mais à un dîner chez Victor Hugo, voyant le maître de maison mêler, selon son habitude et sur la même assiette, les ragoûts, les légumes et « une notable portion de truffes à la serviette », Rossini ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Comme poète, je vous admire, mais je vous méprise comme mangeur. »
Comtesse de Ségur (1799-1874), née Sophie Rostopchine, best-seller de la littérature pour enfants qui débute à 57 ans et fait miracle dans le genre avec ses « petites filles modèles ».
« Mes Petites Filles modèles ne sont pas une création ; elles existent bien réellement : ce sont des portraits ; la preuve en est dans leurs imperfections mêmes. Elles ont des défauts, des ombres légères qui font ressortir le charme du portrait et attestent l’existence du modèle. Camille et Madeleine sont une réalité dont peut s’assurer toute personne qui connaît l’auteur. »3
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Petites filles modèles (1859), Préface
Sophie Rostopchine, née à Saint-Pétersbourg, est la fille du comte Fédor Rostopchine, général impliqué dans l’incendie de Moscou lors de la campagne de Russie de Napoléon (septembre 1812). Tombé en disgrâce et forcé à l’exil en 1814, il fait venir sa famille en France. À 19 ans, Sophie épouse le comte de Ségur. Mère de huit enfants, fuyant les mondanités, la comtesse se retire dans sa propriété de Nouettes dans l’Orne pour se consacrer aux joies de la famille qui s’agrandit avec quatre petits-enfants, dont Camille et Madeleine (de Malaret).
À 55 ans, elle écrit ses premières histoires à leur intention : Les Nouveaux contes de fées illustrés par Gustave Doré, publiés par Louis Hachette en 1857 - cet ami de la famille a obtenu le monopole des bibliothèques de gare dans le réseau des premiers chemins de fer. Le succès est immédiat et la comtesse de Ségur ne cessera plus d’écrire ses histoires pour enfants, quelque vingt titres publiés dans la nouvelle collection « Bibliothèque rose » créée en 1860 chez Hachette. Les cinq premiers titres totalisent plus de 6 millions d’exemplaires vendus : un « long-seller » littéraire incontestable et une icône culturelle durable qui peut être diversement commentée. Pour s’en tenir à une seule question : peut-on faire de la bonne littérature avec de bons sentiments ? Oui… et elle le prouve.
« On n’avait jamais vu un enterrement plus gai. Il est vrai que la morte était une vieille poupée, sans couleur, sans cheveux, sans jambes et sans tête, et que personne ne l’aimait ni ne la regrettait. »
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Malheurs de Sophie (1858)
C’est le premier volume de la célèbre trilogie qui se poursuit avec Les Petites Filles modèles et Les Vacances.
Le récit est très inspiré de sa propre enfance. Sophie a tout pour être heureuse, une maman qui veille sur son éducation, un papa qui l’adore, un cousin qui la défend toujours, une bonne aux petits soins pour elle, un château magnifique… Mais Sophie n’a rien d’une petite fille modèle, au contraire de ses amies Camille et Madeleine. Elle n’en fait qu’à sa tête et invente les pires bêtises. Elle coupe en morceaux les petits poissons de sa mère, manque de se brûler en pataugeant dans la chaux vive, décide de se couper les sourcils pour devenir plus belle… et fait souffrir le martyr à sa poupée de cire. Elle accumule les bêtises et fait preuve de vilains défauts, la gourmandise, la paresse, le mensonge. Sa mère, inflexible sur les principes d’une bonne éducation, ne laissera rien passer à la pauvre Sophie forcée d’assumer les conséquences de ses actes.
« Le fouet est le meilleur des maîtres […] et le seul moyen d’élever des enfants. »
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Petites filles modèles (1859)
Les vrais malheurs de Sophie vont commencer avec Madame Fichini. Sa mère étant morte dans un naufrage avec sa tante et son oncle, Sophie est élevée par cette belle-mère sadique et stupide qui tente de la dresser, lui infligeant des punitions qui ne font que la rendre encore plus rebelle, querelleuse, menteuse et querelleuse que nature. Heureusement que Madeleine et Camille, les « petites filles modèles », sont là en attendant que leur mère, Madame de Fleurville, ne s’interpose avec une autre femme également compréhensive et intelligente, Madame de Rosbourg, mère de la petite Marguerite moins compréhensive face à Sophie.
« Mes pauvres enfants, c’est toujours ainsi dans le monde ; le Bon Dieu envoie des peines, des chagrins, des souffrances, pour nous empêcher de trop aimer la vie et pour nous habituer à la pensée de la quitter. »
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Vacances (1859)
Les grandes vacances sont arrivées au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, accompagnées de leurs amies Sophie Fichini et Marguerite de Rosbourg accueillent leurs cousins. Pêche, chasse aux papillons, construction de cabanes… Vacances bien remplies et pleines de surprises. La meilleure sera le retour inespéré de deux naufragés… grâce à quoi Sophie pourra enfin faire la paix avec son passé difficile. Tout est bien qui finit bien et moralement. Jusqu’au livre suivant…
« Vous verrez enfin que lorsqu’on aura lu ce livre, au lieu de dire : Bête comme un âne, ignorant comme un âne, têtu comme un âne, on dira : De l’esprit comme un âne, savant comme un âne, docile comme un âne, et que vous et vos parents vous serez fiers de ces éloges. »
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Les Mémoires d’un âne (1860)
C’est l’âne qui s’exprime, tout au long de ce roman à la première personne. « Je ne suis pas mauvaise bête mais je n’aime pas être maltraité. Aussi je me suis enfui de chez la fermière qui me rouait de coups… Vivant dans les bois, couchant à la belle étoile, j’ai eu cependant l’occasion de rendre quelques services. J’ai tiré une petite fille d’un incendie, secouru une vieille femme… Ma bonne volonté se heurte souvent à l’ingratitude des hommes, mais, bah ! après tout, il est vrai que je ne suis qu’un âne ! »
Peut-on parler d’anthropomorphisme pour la bonne cause – la cause animale, naturellement ? C’est aussi une leçon d’écologie avant l’heure, l’observation d’une bête victime des pires préjugés, qui se révèle finalement plus humaine (au sens figuré) que la plupart des gens. L’âne métaphorique va se retrouver dans un prochain roman.
« Un âne à deux pieds peut devenir général et rester âne. »
Comtesse de SEGUR (1799-1874), Le Général Dourakine (1863)
Le général Dourakine est un homme aux colères terribles… qui dissimulent une réelle bonté et surtout un grand souci de la justice. Revenu à Gromiline en Russie, en compagnie de la famille française Derigny, le voilà contraint d’accueillir en son château sa nièce Papofski et ses huit garnements.
Plus d’une fois, la patience du général sera mise à rude épreuve et il se débarrasserait volontiers de cette intruse… mais il craint qu’elle ne dénonce un prince polonais réfugié clandestinement au château. Sur le conseil de son fidèle intendant Derigny, le général usera d’un subterfuge qui trompe l’odieuse Papofski et permet au général de vivre en France une vieillesse heureuse auprès de ceux qu’il aime. Happy end de rigueur.
Vincenzo Bellini (1801-1835), « génie lyrico-dramatique, mais incomparablement plus lyrique que dramatique. »
« Le drame musical doit faire pleurer, trembler, mourir, par le chant. »41
Vincenzo BELLINI (1801-1835) cité par Camille Bellaigue, Revue musicale - Hommage à Bellini. Revue des Deux Mondes (1918)
Ce compositeur né en Sicile, élève au Conservatoire de Naples, invité au théâtre San Carlo à 25 ans, obtient un tel succès que la Scala de Milan accueille Il Pirata en 1827. Premier triomphe. Ils vont désormais s’enchaîner.
Au siècle du romantisme, le jeune Bellini incarne la recherche exclusive de la sensibilité poussée au paroxysme et l’exprime clairement : « Les artifices musicaux sont mortels à l’effet des situations… Poésie et musique, pour produire leur effet, ne demandent que le naturel, et rien d’autre. Celui qui s’en éloigne est perdu et finira par mettre au jour une œuvre pesante et stupide. Elle ne plaira qu’au monde des pédants, jamais au cœur, ce poète qui reçoit directement l’impression des passions. Si le cœur est ému, il aura toujours raison contre toutes les paroles du monde, lesquelles ne prouveront pas seulement un iota. »
« Pour lui la véritable forme de l’expression ne pouvait être qu’une : la forme linéaire, le canto puro. »
Camille BELLAIGUE (1858-1930), critique musical et musicographe français, Hommage à Bellini. Revue des Deux Mondes (1918)
Il donne la clé de son inspiration pour conclure : « Bellini, génie lyrico-dramatique, mais incomparablement plus lyrique que dramatique. »
Mort à 33 ans, ce surdoué nous laisse quatre opéras parmi les plus joués du répertoire lyrique : I Capuleti e i Montecchi (Les Capulets et les Montaigus) (1830), La Sonnambula (La Somnambule) (1831), Norma (1831) son œuvre la plus célèbre qui triomphe lors de son retour à la Scala de Milan et I puritani (Les Puritains), créé à Paris. Son confrère Rossini, alors directeur du Théâtre-Italien de Paris, l’invite, l’installe chez lui à Puteaux pour écrire. Nouveau triomphe du jeune compositeur à qui tout semble réussir… Quand il meurt quelques jours plus tard d’une dysenterie.
Son ami Chopin est bouleversé. Les deux artistes se sont mutuellement influencés. Et Musset le poète prend acte à sa manière : « Bellini tombe et meurt. »
Inhumé au Père-Lachaise, exhumé quarante ans après, ses restes sont transportés à Catane, sa ville natale où il est enterré dans la cathédrale Sainte-Agathe. Le cercueil ayant servi à transporter sa dépouille est exposé au Musée Bellini - dans la maison où il vécut. Le mausolée du Père-Lachaise est resté tel qu’il était aux premières obsèques.
« Bellini est un de mes favoris, parce que sa musique est tout cœur, profondément sentie et liée étroitement aux paroles. »
Richard WAGNER (1813-1883), Lettre sur la musique, à Frédéric Villot (1861)
Surprenante, l’admiration du célèbre musicien allemand qui semble aux antipodes de l’Italien de Paris ! Et pourtant, il s’exprime clairement : « On me croit un ogre pour tout ce qui regarde l’école musicale italienne et l’on me pose spécialement en antagoniste de Bellini. Mais non, non, mille fois non. Bellini même est un de mes favoris, parce que sa musique est tout cœur, profondément sentie et liée étroitement aux paroles. »
Du temps qu’il était chef d’orchestre au théâtre de Riga, vers 1838, Wagner annonçait en ces termes la mise au répertoire de Norma : « Cet opéra, parmi toutes les créations de Bellini, est celui qui joint à la veine mélodique la plus riche, la plus profonde réalité et la passion la plus intime. Tous les adversaires de la musique italienne rendront justice à cette grande partition en disant qu’elle parle au cœur et qu’elle est une œuvre de génie. C’est pourquoi j’invite le public à venir en grand nombre l’écouter. » On en revient à cette évidence : « Bellini, génie lyrico-dramatique, mais incomparablement plus lyrique que dramatique. » Les plus belles pages de son œuvre confirment ce jugement.
Comment quitter Bellini sans rappeler, fidèle à l’admiration, à l’émotion qu’elle causera toujours, la plus fameuse peut-être et peut-être aussi la plus belle de ses mélodies ! Rien qu’à s’en souvenir, on comprend qu’un compatriote du maître écrive, ou s’écrie : « Et maintenant relisons la Casta diva ; relisons-la pour notre pure joie spirituelle et pour notre orgueil sacré d’Italiens. »
« Pour sauver du néant l’œuvre du musicien de Sicile, quelle qu’en soit, par moments, la faiblesse ou la misère même, c’est assez qu’il ait dessiné par les sons deux ou trois figures de femme. Autant que des symphonies, il est des mélodies où peut tenir, en quelques lignes de chant, un infini de beauté. »
Camille BELLAIGUE (1858-1930), Revue musicale - Hommage à Bellini. Revue des Deux Mondes (1918)
Au siècle suivant, Maria Callas interprète dès 1949 Norma, rôle-titre qui la suivra toute sa carrière : « Bellini a composé Norma pour moi » dit-elle. L’aria-cavatine du « Casta Diva » (« Chaste déesse »), vrai « tube lyrique mondial », a droit à sa fiche Wikipédia !
Callas ressuscite aussi I Puritani (rôle principal d’Elvira) à la Scala (1953) et La Sonnambula en 1955 à Cologne. Début 1960, Joan Sutherland, autre diva du XXe siècle, interprètera Beatrice di Tenda, permettant sa redécouverte. En 1966, le rôle de Roméo dans I Capuleti e i Montecchi (Les Capulets et les Montaigus) est retranscrit pour un ténor, contribuant à la nouvelle renommée de cet opéra.
Marie Taglioni (1804-1884) créatrice de la Sylphide en 1832, archétype du « ballet blanc » romantique, triomphe artistique de la femme sur pointes et en tutu.
« En vérité, il n’y avait qu’elle au monde qui dansât ainsi. »4
Jules JANIN (1804-1874), Notice sur la Sylphide, Les Beautés de l’Opéra, ou Chefs-d’œuvre lyriques illustrés par les premiers artistes de Paris et de Londres (1845)
Italienne, née en 1804 à Stockholm, Marie Taglioni a reçu la danse en héritage avec son grand-père, son père Filippo et son oncle chorégraphes, sa mère Sophie Karsten danseuse, musicienne et peintre, son frère Paolo également danseur.
Elle fait ses premiers pas de danseuse à Paris, mais… Elle a le dos voûté, les bras trop longs… et manque d’assiduité aux cours. Reste sa sensibilité naturelle et ses inspirations innées sur la musique. Convaincu de son talent, son père décroche un engagement de première danseuse à ses côtés au Théâtre Impérial de Vienne et revoit sa formation. Pour masquer ses défauts de naissance, il développe avec elle une technique particulière dans les ports de bras et les postures de buste – devenues caractéristiques du ballet romantique, avec l’emploi des pointes. Marie n’est pas la première à porter ce type de chaussons, mais à force de maîtrise technique, elle réussit à les utiliser sans effort physique apparent. L’illusion d’une suspension aérienne est telle que le critique Jules Janin l’imaginera « courant sur les fleurs sans les courber » (Journal des Débats) Cette artiste incroyable va marquer à jamais l’histoire de la danse.
« Mademoiselle Taglioni, ce n’était pas une danseuse, c’était la danse même. »
Théophile GAUTIER (1811-1872), Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans (1858)
12 mars 1832, Marie Taglioni danse le rôle-titre du ballet-pantomime la Sylphide, créé par son père sur un livret d’Adolphe Nourrit et une musique de Jean Schneitzhoeffer. Un jeune Écossais à la veille de son mariage, voit paraître en songe une sylphide, fée évanescente symbolisant l’idéal féminin et la liberté. Le dénouement tragique et la mise en scène onirique expriment l’inaccessibilité de l’univers de la sylphide toute en voiles blancs et tulle vaporeux… Pour accentuer le caractère immatériel de son personnage, la danseuse réalise l’intégralité de la chorégraphie sur pointes, comme si elle volait. Tutu blanc (signé Eugène Lami) et pointes (technique perfectionnée à l’extrême par Marie) : l’archétype de la ballerine vient de naître.
Critique et public s’enthousiasment : la Sylphide devient LE ballet romantique de référence, inspirant toute une génération de poètes et d’écrivains dont Théophile Gautier, futur librettiste de Giselle.
L’identité même de la Taglioni se confond avec l’image de son personnage. Le phénomène va gagner l’ensemble de la société : coiffures, poupées, bonbons, biscuits, journaux… prennent le nom de « Sylphide ». Objets utilitaires, décoratifs ou ludiques, reproduisent l’image de la danseuse adulée.
La carrière de la ballerine se poursuit, invitée dans les plus grands théâtres européens de Londres, Berlin, Milan, Saint-Pétersbourg. La renommée de « la Taglioni » s’étend alors à l’Europe entière, de 1832 à 1847.
« Lorsqu’elle entre en scène, on voit toujours apparaître ce brouillard blanc ennuagé de mousseline transparente, cette vision chaste et éthérée que nous connaissons bien. »
Théophile GAUTIER (1811-1872) Marie Taglioni, Encyclopédie Universalis
« Taglioni est un génie, si nous nous mettons d’accord pour entendre par ce mot les dons naturels poussés jusqu’à leurs dernières limites ; elle nous montre des ronds de jambe et des ports de bras qui valent de longs poèmes. Mlle Taglioni est une danseuse chrétienne. Elle voltige comme un esprit au milieu des transparentes vapeurs des blanches mousselines dont elle aime s’entourer, elle ressemble à une âme heureuse qui fait ployer à peine du bout de ses pieds roses la pointe des fleurs célestes. » Dans une chronique parisienne de 1836, il en fera « l’un des plus grands poètes de notre temps ».
Deux autres ballerines romantiques succèderont à Marie Taglioni, l’Italienne Carla (ou Carlotta) Grisi créera Giselle à Paris (1841) et l’Autrichienne Fanny Elssler (1810-1884), la plus comédienne et tragédienne des trois, subjugue ses contemporains par sa sensualité et sa capacité à jouer les situations les plus dramatiques. Tout aussi admiratif de cette nouvelle Giselle, Théophile Gautier salue « la ballerine païenne » opposée à Taglioni, « ballerine chrétienne », la Sylphide incarnant le rêve et la poésie sublimée. La postérité continue de les opposer, mais la comparaison de Gautier résume tout ce que l’on peut en dire : « Elssler est la danseuse aimée des hommes, comme Mlle Taglioni l’était des femmes. »
« Ô terre ne pèse pas trop sur elle, elle a si peu pesé sur toi »
Épitaphe sur la tombe de Marie TAGLIONI, cimetière du Père Lachaise (94ème division)
Ces mots résument le mythe construit sur cette danseuse exceptionnelle et pionnière du romantisme. Après vingt-cinq années de succès ininterrompus, elle quitte la scène en 1847 pour donner des leçons et chorégraphier son unique ballet en 1860, le Papillon sur une musique de Jacques Offenbach. Mais la création féminine reste l’objet de fortes censures. Malgré son réseau professionnel, elle ne peut obtenir le titre officiel de chorégraphe, se heurtant à des normes de genre qui assignent les femmes à l’interprétation des œuvres et les excluent de l’accession à l’emploi de maître de ballet.
Il n’empêche que le XIXe siècle romantique marque l’apogée artistique de la ballerine, l’homme étant souvent relégué au rôle de « porteur » mettant en valeur sa partenaire. Il prendra sa revanche avec les Ballets russes de Diaghilev au début du XXe siècle.
La Malibran (1808-1836), première diva du siècle d’or de l’Opéra à Paris : sa mort accidentelle à 28 ans bouleversa le monde.
« Le Ciel de ses élus devient-il envieux ?
Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères,
Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ? »5Alfred de MUSSET (1810-1857), Stances à la Malibran, Poésies nouvelles (1837)
L’Enfant du siècle romantique fut au nombre de ses admirateurs et ses soupirants, avec Delacroix, Wagner, Rossini, Stendhal, Lamartine… Mais le monde entier pleura cette jeune morte.
D’origine espagnole, la Malibran est la plus célèbre cantatrice du siècle. D’une remarquable beauté, elle acquiert une voix exceptionnelle de colorature au prix d’un travail acharné qui lui permet toutes les acrobaties vocales, sans jamais perdre son timbre velouté lui permettant d’exprimer toute la gamme des sentiments.
Elle connaît une ascension fulgurante et une vie sentimentale tumultueuse, mariée à moins de 18 ans (pour échapper à son père) avec Eugène de Malibran, financier quinquagénaire bientôt en faillite. Elle lui doit quand même sa seconde passion après l’opéra : l’équitation.
Elle triomphe sur toutes les scènes lyriques, multipliant les rôles et les tournées, remariée avec le violoniste belge Charles-Auguste de Bériot, son amant depuis six ans et le père de son premier fils. De nouveau enceinte, elle fait une chute de cheval, mais refuse de se soigner pour honorer ses engagements : concerts à Liège, Aix la Chapelle, Paris, jusqu’au festival de Manchester. C’est là qu’elle meurt des suites de l’accident - formation d’un caillot de sang au cerveau.
« Beauté, génie, amour furent son nom de femme,
Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix.
Sous trois formes au ciel appartenait cette âme.
Pleurez, terre ! Et vous, cieux, accueillez-la trois fois ! »Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), quatrain sur la tombe de La Malibran à Bruxelles (1836)
Lamartine ne saurait être plus lyrique ! En termes moins romantiques et plus techniques, un musicien lui rend le plus bel hommage.
« Depuis Mozart, on n’a jamais vu de vocation si énergiquement prononcée pour la musique. »
Louis-Joseph-Ferdinand HEROLD (1791-1833), Mémoires
Connu avant tout pour ses musiques d’opéras et de ballets, Hérold débuta comme jeune pianiste virtuose et continua de composer pour cet instrument, mourant peu après quarante ans de phtisie (tuberculose pulmonaire, le mal du siècle).
Frédéric Chopin (1810-1849), le Polonais de Paris, frère artistique de Bellini, confrère et ami de Liszt, amant de George Sand.
« Bach est un astronome qui découvre les plus merveilleuses étoiles. Beethoven se mesure à l’univers. Moi, je ne cherche qu’à exprimer l’âme et le cœur de l’homme. »6
Frédéric CHOPIN (1810-1849), Cité par Pascale Fautrier, Chopin, (2010)
Prodige encensé dès son plus jeune âge, Chopin est l’auteur d’une œuvre parmi les plus jouées de tout le répertoire. Au-delà des stéréotypes de l’artiste romantique, compositeur novateur et pianiste virtuose, c’est un témoin de son temps qui sut transformer le sentiment tragique de la rupture et de l’exil en une source de création et de joie.
De père français et de mère polonaise, né à Varsovie, il vécut la première partie de sa vie en Pologne, la seconde en France, tout en restant très attaché à sa première patrie - avec ses mazurkas et polonaises. La veille de sa mort, il demande que son cœur revienne à la Pologne, son corps étant inhumé au cimetière du Père Lachaise.
Il compose à 7 ans ses premières œuvres. Signe particulier, sa signature musicale : en quelques notes, on peut dire que « c’est du Chopin ». À 17 ans, il se rend à Berlin et découvre ce goût des voyages qui lui permettra de se faire connaître à l’étranger, avec une insatiable curiosité pour la musique des autres.
Chopin quitte son pays en 1830 et part pour Vienne, Munich, Stuttgart, s’installant finalement à Paris en octobre 1831. Il rencontre aussitôt l’autre grand compositeur et pianiste Franz Liszt né un an après lui en Hongrie - ils deviennent amis avec une mutuelle admiration, d’autant que tout oppose les deux virtuoses à l’origine de la technique moderne du piano.
« Je ne suis point propre à donner des concerts. La foule m’intimide ; je me sens asphyxié par ses haleines précipitées, paralysé par ces regards curieux, muet devant ces visages étrangers. Mais toi, tu y es destiné, car quand tu ne gagnes pas ton public, tu as de quoi l’assommer. »
Frédéric CHOPIN (1810-1849) à Liszt, cité par Henri Blaze de Bury, Études et Souvenirs - Frédéric Chopin, Revue des Deux Mondes (1883)
Sa discrétion le pousse à préférer aux grandes salles l’intimité des salons privés. Il ne fera que quelques concerts publics et ce, avec peu d’enthousiasme. L’appréhension le conduisait à s’enfermer deux semaines avant chaque prestation, pour jouer essentiellement du Bach. Littéralement malade en (grand) public, il joue dans les salons et donne des leçons, très apprécié de la société parisienne.
Épris de Maria Wodzinska, bientôt fiancé, il se heurte à la famille de la jeune fille qui s’oppose au mariage – ce serait une mésalliance. Autre drame, la chute de Varsovie en septembre 1831 : la ville est rasée, après une guerre de huit mois contre l’armée impériale russe. Bouleversé, Chopin compose l’étude n°12 en do mineur, dite « la Révolutionnaire » : un déferlement de notes qui rappelle pour une fois le style flamboyant de Liszt le Hongrois, l’autre compositeur et interprète vedette de l’époque romantique.
Hiver 1936, Liszt rend visite à son ami Chopin accompagné de George Sand. « Elle est antipathique, cette Sand ! Est-ce vraiment une femme ? » lui écrira Chopin, choqué de la voir fumer comme une locomotive (dit Balzac) et s’habiller en homme… Et pourtant, au printemps 1838, Sand et Chopin commencent à se fréquenter. Ils ont souffert tous les deux de leurs précédentes relations comme en témoigne une certaine tristesse dans les œuvres du compositeur, notamment dans ses Nocturnes.
Sand la première tombe sous le charme de Chopin, avec un regard tendre et quasi maternel, écrivant à une amie : « Quant au petit [Chopin ], il viendra s’il veut ». Il vint. Leur relation va durer dix ans, entrecoupée de quelques orages.
« Ce Chopin est un ange, sa bonté, sa tendresse et sa patience m’inquiètent quelquefois ; je m’imagine que c’est une organisation trop fine, trop exquise et trop parfaite pour vivre longtemps de notre grosse et lourde vie terrestre. »
George SAND (1804-1876), à la comtesse Marliani, Paris. Marseille, 28 avril 1839
Après sa tumultueuse aventure vénitienne avec Musset « l’enfant terrible » du siècle romantique, la très populaire romancière a rencontré le second génie de sa vie d’artiste, elle qui n’a que du talent. Elle y est infiniment sensible. Tout Paris vibre à ce romantisme exacerbé, mais George veille sur lui en garde-malade d’un enfant surdoué, entre Paris et sa chère propriété de Nohant, en passant par leur voyage amoureux aux Baléares, dans des conditions de froid et d’inconfort terribles pour le tuberculeux.
Témoignage bouleversant de Sand : « Il a fait à Majorque, étant malade à mourir, de la musique qui sentait le paradis à plein nez, mais je suis tellement habituée à le voir dans le ciel qu’il ne me semble pas que sa vie ou sa mort prouve quelque chose pour lui. Il ne sait pas bien lui-même dans quelle planète il existe, il ne se rend aucun compte de la vie comme nous la concevons et comme nous la sentons. »
« La simplicité est la réussite absolue. Après avoir joué une grande quantité de notes, toujours plus de notes, c’est la simplicité qui émerge comme une récompense venant couronner l’art. »
Frédéric CHOPIN (1810-1849), cité par Arthur Hedley, Chopin (1947)
Simplicité, maître mot de son répertoire - on croirait aussi entendre son ami Bellini, compositeur d’opéra invité à Paris par Rossini et dont la mort à 31 ans le bouleversa. Chopin meurt à 39 ans de tuberculose dans un appartement parisien, entouré de sa sœur et de quelques amis. Sand vivait alors une passion politique pour la Révolution et la (Deuxième) République.
Franz Liszt (1811-1886), compositeur, transcripteur et pianiste virtuose hongrois, père de la technique pianistique moderne et du récital, capable de casser quatre pianos par concert… et grand mystique.
« Paris impose à l’Europe attardée ses révolutions et ses modes ; Paris est le Panthéon des vivants, le temple où l’homme devient dieu pour un siècle ou pour une heure, le foyer brûlant qui éclaire et consume toute renommée. »7
Franz LISZT (1811-1886), cité par Brigitte François-Sappey, Chopin à Paris, Séance du 7 avril 2010, Académie des Beaux-Arts
Parole de grand mystique, éternel torturé entre ses multiples passions : « Je n’ai pas de famille, je n’ai que la religion et la musique… Les arts sont le plus sûr moyen de se dérober au monde ; ils sont aussi le plus sûr moyen de s’unir avec lui. » C’est oublier les femmes et ses nombreux amis célèbres. Une vie bien remplie.
Enfant de santé fragile, manquant de succomber à ses fièvres, il se révèle surdoué au piano, assimilant en moins de deux ans l’essentiel du répertoire de Bach, Mozart et Beethoven ! Son père, violoncelliste d’orchestre, souhaite faire de lui un enfant prodige comme Mozart. Avec le soutien financier de quelques nobles hongrois, la famille Liszt s’installe à Vienne en 1822. Franz suit les cours de piano de Czerny et les cours de composition de Salieri – deux références. Il donne son premier concert public à 12 ans et entreprend une première tournée européenne en 1823, interrompue par un long séjour à Paris, la ville des grandes rencontres de sa vie.
Son statut d’étranger lui interdit l’accès à l’École royale de musique et de déclamation. Il multiplie les concerts privés et publics. Le 7 mars 1824, il joue au Théâtre-Italien. L’interprétation du « petit Liszt » séduit la presse. Il enchaîne avec de nombreuses tournées en Angleterre et en France. Il rencontre Berlioz, George Sand, Musset, Chopin, Balzac, Byron. Le violoniste Paganini aura une grande influence sur le développement de son art. Il devient aussi l’ami du peintre Eugène Delacroix. Remède à la crise mystique de 1828, son engagement social correspond à sa rencontre avec Lamennais, prêtre et théologien révolté. Liszt sera le disciple ardent du nouveau catholicisme social jusqu’à la fin de ses jours.
« Mon piano, c’est pour moi ce qu’est au marin sa frégate, c’est ce qu’est à l’Arabe son coursier, c’est ma parole, c’est ma vie. »
Franz LISZT (1811-1886), Lettre à Adolphe Pictet, septembre 1837, dans Lettres d’un bachelier ès musique, 1835-1841
En 1836, il s’est lancé dans une nouvelle tournée à travers l’Europe (Suisse, Italie, Russie, etc.), donnant des concerts dans toutes les grandes villes. Outre ses propres œuvres - ses Rhapsodies datent de cette époque - il joue de la musique allemande et Chopin dont il admire les Études que son ami lui dédie.
L’artiste est partout adulé – seul équivalent contemporain, le violoniste Paganini. On lui demande la permission de baiser ses doigts à la fin des concerts, on récolte le fond de ses tasses dans des fioles ! Ancêtre du star system, on parle de « lisztomanie », tandis que Balzac oppose Liszt le « Démon hongrois » à Chopin « l’Ange polonais ».
Liszt se révèle le soliste par excellence et l’un des plus grands pianistes de son temps. Au plan technique, il possède une main hors norme, se déployant sur 19,6 cm de la paume au majeur, soit 12 notes – on lui a même prêté huit doigts par main. Il interprète des œuvres non encore déchiffrées, improvise sur des thèmes donnés par le public. Il se confronte aux plus grands pianistes vivants, notamment Thalberg dans le cadre de duels pianistiques. Ancêtre des rocks stars, il enflamme les salles de concert et peut casser trois ou quatre pianos en un soir. Il invente la forme du récital.
Durant sa période de gloire - entre 1839 et 1847 -, le séducteur invétéré se donnera corps et âme dans plus de 1 000 concerts, sans compter les concerts de bienfaisances.
« Mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés ; Homère, la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber, sont tous à l’entour de moi. Je les étudie, les médite, les dévore avec fureur ; de plus, je travaille quatre à cinq heures d’exercices (tierces, sixtes, octaves, trémolos, notes répétées, cadences, etc.). Ah ! pourvu que je ne devienne pas fou, tu retrouveras un artiste en moi. »
Franz LISZT (1811-1886), lettre à l’un de ses premiers élèves, Pierre Wolf
Il a tenté toute sa vie de développer au maximum les capacités expressives du piano, instrument avec lequel il a entretenu un rapport obsessionnel, à la fois intime et passionné.
Comme en témoignent une abondante correspondance, l’artiste est aussi un grand séducteur. Outre sa longue liaison avec Marie d’Agoult qui défraie la chronique à divers titres, il multiplie les conquêtes avant d’embrasser la carrière religieuse, au terme d’une série de crises mystiques.
Comprenant, ou croyant comprendre qu’il avait fait fausse route jusque-là, Liszt se réfugie à Rome pour devenir membre du Tiers-Ordre franciscain.
« Après m’être douloureusement privé pendant trente années, de 1830 à 1860, du sacrement de pénitence, c’est avec une pleine conviction qu’en y recourant de nouveau, j’ai pu dire à mon confesseur : ‘Ma vie n’a été qu’un long égarement du sentiment de l’amour’. J’ajoute : singulièrement mené par la musique – l’art divin et satanique à la fois – plus que tous les autres il nous induit en tentation. »
Franz LISZT (1811-1886) résumant sa vie en 1877, cité dans Le Mysticisme, l’art & l’amour, ou l’Âme romantique de Franz Liszt, Librairie Le Feu follet
Jacques Offenbach (1819-1880), né juif allemand, le « petit Mozart des Champs-Élysées » enchanta le Second Empire et fut victime de xénophobie après la guerre de 1870, avant sa revanche posthume.
« La foule des hommes distingués qui l’ont accompagné lors de son dernier voyage, au milieu de la sympathie générale du public, montre que le regretté compositeur était compté parmi les maîtres de son art. »8
Le Times de Londres, rendant hommage au compositeur à la renommée internationale, mort à Paris à 61 ans, cité par Wikipédia
Offenbach composa plus de cent œuvres lyriques (et quelque 600 œuvres orchestrales). Il nommait opérette ses œuvres en un acte, opéra bouffe ses œuvres plus longues et opéra-comique 24 titres en un, deux ou trois actes. Il reste mondialement célèbre pour une dizaine, dont le dernier, les Contes d’Hoffmann, chef d’œuvre posthume qui lui tenait le plus à cœur.
Né à Cologne dans une fratrie de dix enfants, le jeune Jakob se révèle doué pour le violoncelle et à 14 ans, son père Isaac Offenbach, violoncelliste d’orchestre, l’envoie poursuivre ses études musicales à Paris, seule ville où un artiste juif peut espérer faire carrière à l’époque. Admis au Conservatoire, mais indiscipliné, il part rejoindre un an après l’orchestre de l’Ambigu-Comique, puis de l’Opéra-Comique.
Ayant francisé son prénom en « Jacques », il mène une carrière de soliste virtuose. En 1847, le voilà directeur musical de la Comédie-Française, grâce à la notoriété acquise par ses premières œuvres. Il crée son (premier) théâtre en 1855, petite salle de 300 places sur les Champs-Élysées, bien loin du centre de Paris. C’est l’année d’une Exposition universelle qui attirera le monde. Baptisée « les Bouffes-Parisiens », la salle du « petit Mozart des Champs-Élysées » toujours applaudi sera destinée à son répertoire. Mais impossible d’amortir les frais d’un spectacle musical digne de ce nom et des ambitions artistiques d’Offenbach.
Trois ans après, ses Bouffes-Parisiens trouveront place au cœur de Paris, rue Monsigny, 2e arrondissement. Fin 1858, le gouvernement lève les restrictions sur le nombre d’artistes dans les spectacles et Offenbach peut enfin présenter une œuvre à la mesure de ses ambitions. Premier triomphe avec son Orphée aux Enfers, aux antipodes de la légende. Pari audacieux.
« Eurydice : Il faut qu’une bonne fois je vous dise votre fait, maître Orphée, mon chaste époux ! Apprenez que je vous déteste ! Que j’ai cru épouser un artiste et que je me suis unie à l’homme le plus ennuyeux de la création.… Est-ce que vous croyez que je passerai ma jeunesse à vous entendre réciter des songes classiques et racler l’exécrable instrument que voilà ?
Orphée : Mon violon !… Ne touchez pas cette corde, madame !
Eurydice : Il m’ennuie, comme vos vers, votre violon !… Allez charmer de ses sons les bergères de troisième ordre dont vous raffolez. Quant à moi, qui suis fille d’une nymphe et d’un demi-dieu, il me faut la liberté et la fantaisie ! »Jacques OFFENBACH (1819-1980), Orphée aux Enfers (1858), livret d’Hector Crémieux et Ludovic Halévy
Premier opéra-bouffe dont le livret repose sur une satire de la mythologie. La troupe est à court d’argent, après une mauvaise saison à Berlin et « l’extravagance incorrigible d’Offenbach en tant que manager » selon son biographe Alexander Faris. Décors signés Gustave Doré, costumes somptueux, plateau de vingt protagonistes, plus un grand chœur et un orchestre. Offenbach dépense l’argent sans compter, renouvelle les velours de la salle… Il est urgent d’obtenir un grand succès pour rémunérer les comédiens !
Dans le Journal des Débats, Jules Janin signe une critique outragée, fustigeant l’opérette pour profanation et irrévérence à la mythologie romaine. En fait, la satire qui défie la censure vise Napoléon III et son gouvernement. Peu importe. Offenbach et son librettiste s’emparent de cette publicité gratuite et participent à un débat public dans les colonnes du Figaro. Pari gagnant. Le public se précipite pour voir Orphée, l’empereur lui-même réservera une représentation en avril 1860. Immense succès populaire de ce bijou comico-musical : les valses rappellent Vienne, avec une nouvelle saveur française et l’irrésistible cancan parisien au final. Total, plus de1 000 représentations du vivant d’Offenbach.
Après ce premier triomphe, il va créer son équipe, embauchant des stars du chant et travaillant avec les librettistes dont il aime reconnaître le talent.
« Je suis sans doute le père, mais chacun des deux est mon fils et plein d’esprit. »
Jacques OFFENBACH (1819-1980) rendant hommage à ses librettistes, Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908)
Offenbach les appelait « Meil » et « Hal ». Il sait tout ce qu’il doit à la « trinité » qui signe ses principaux chefs d’œuvre pendant près de vingt ans. Un spectacle est toujours une œuvre d’équipe et les collaborations se pratiquent couramment au XIXe siècle, y compris dans le roman (Dumas père avait tout un atelier de « nègres »).
Meilhac et Halévy, ce duo de plumes signera aussi Carmen le chef d’œuvre (posthume) de Georges Bizet et chacun fera carrière en solo, trouvant également place à l’Académie française et fréquentant les mêmes salons bourgeois : une grande famille !
Les années 1860 seront une décennie exceptionnelle pour Offenbach. Il reçoit la nationalité française par ordre personnel de Napoléon III, nommé l’année suivante Chevalier de la Légion d’honneur. Suivent trois chefs d’œuvres : La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Grande duchesse de Gerolstein.
« Hélène (dirigeant le chœur des pleureuses d’Adonis) :
Il nous faut de l’amour,
N’en fût-il plus au monde,
Il nous faut de l’amour,
Nous voulons de l’amour ! (…)
Dis-moi, Vénus, quel plaisir trouves-tu
À faire ainsi cascader, cascader ma vertu ? »Jacques OFFENBACH (1819-1980), La Belle Hélène (1864), livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Hortense Schneider crée le rôle-titre de La Belle Hélène, le 17 décembre. Cette star de la scène musicale française a des exigences financières importantes et des caprices sans fin, mais Offenbach est persuadé qu’aucune autre chanteuse ne peut l’égaler dans le rôle d’Hélène.
Les répétitions pour la création au théâtre des Variétés sont tumultueuses, émaillées de disputes avec les autres protagonistes. La censure fustige la satire de la cour impériale et le directeur du théâtre tente de freiner l’extravagance d’Offenbach en réduisant les dépenses. Une fois de plus, le succès de la pièce est assuré par le critique Janin. Son avis scandalisé est contré par les critiques libéraux et la publicité qui suit ramène le public en masse à ce spectacle. Bien joué ! En attendant la suite, le directeur du Palais-Royal passant commande en vue de l’Exposition universelle à Paris à venir (1867).
« Le Chœur : Et pif, et pif, et pif, et paf.
Oui, voilà la vie parisienne,
Du plaisir à perdre l’haleine,
Oui voilà la vie parisienne ! »Jacques OFFENBACH (1819-1980), La Vie parisienne (1866), livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Nouveau triomphe avec Zulma Bouffar, une enfant de la balle surnommée par Offenbach « La Patti de l’opérette » (allusion à une diva italienne) et par Alphonse Daudet, « fille de l’Amour et de Polichinelle », plus spirituelle que belle et adorée du public. Elle crée le rôle difficile de la gantière, au milieu d’une troupe aux moyens plus limités.
C’est un nouveau pari pour Offenbach et ses librettistes : un décor moderne pour une aventure contemporaine et pas besoin d’un coup de pouce accidentel de Jules Janin. Succès instantané et prolongé auprès du public parisien : 265 représentations de suite (rare pour cette époque où les créations s’enchainent). La critique est quasi-unanime, y compris à l’étranger. Et Zulma Bouffar entame une longue liaison avec le compositeur qui enchaîne les créations et les défis. Nouvelle commande, pour le théâtre du Palais-Royal.
« Il est délicieux, ce premier acte, d’une fantaisie incroyable et d’une étincelante gaieté. C’est la charge la plus bouffonne qui puisse se rêver de la gloriole militaire, de ses plumets, de ses galons et de toutes ses fanfreluches. »
Francisque SARCEY (1827-1897), critique du 15 avril 1867, Francisque Sarcey, Quarante ans de théâtre (Feuilletons dramatiques), Bibliothèque des Annales (1901)
La Grande-Duchesse de Gerolstein est créée au (grand) théâtre des Variétés deux jours après l’ouverture de l’Exposition universelle. Hortense Schneider a naturellement le rôle-titre et toutes les qualités pour l’imposer. La troupe est à l’unisson, le public reprend les couplets en chœur.
« De ma vie je n’ai entendu rire et applaudir comme pendant ce premier acte », il « est rempli d’excellente musique ; peu importe si le genre est léger ; le talent est grand » (Eugène Tarbé, Le Figaro du 14 avril). Seule critique : « La partition est une des plus lourdes que M. Offenbach ait écrites ; heureusement qu’elle n’est lourde que par la quantité de mélodies très-légères qui s’y trémoussent. » (Gustave Bertrand, Le Ménestrel, 21 avril).
« Bismarck aide à doubler nos recettes, cette fois c’est la guerre à laquelle on rit, et la guerre est à nos portes. »
Ludovic HALEVY (1834-1908), Journal, BNF, Gallica
Avec son expérience de haut fonctionnaire, le librettiste de La Grande duchesse voit clairement les menaces imminentes de la Prusse.
En attendant… cette satire du militarisme enchante le public parisien, les visiteurs étrangers se précipitent pour assister à la nouvelle opérette sous-titrée « Le Passage des Princes », fine allusion aux mœurs libertines d’Hortense Schneider visitée par toutes les têtes régnantes… y compris le roi de Prusse, accompagné de son ministre Otto von Bismarck. Célèbre grâce à Napoléon III, Offenbach est immanquablement associé à l’ancien régime. On le surnomme « l’oiseau moqueur du Second Empire ».
Quand l’empire s’effondre après la victoire écrasante de la Prusse à Sedan (1870), la musique d’Offenbach tombe en disgrâce. La France amputée de son Alsace-Lorraine est devenue violemment antiallemande. Malgré sa citoyenneté française et sa Légion d’honneur, Offenbach né à Cologne est suspect. Ses opérettes incarnent toute la superficialité du régime de Napoléon III. Et La Grande-Duchesse de Gerolstein se retrouve interdite à cause de sa satire antimilitariste, dans un pays avide de revanche.
Son public parisien l’abandonne, mais Offenbach est très populaire en Angleterre, invité du prince de Galles (le futur Édouard VII). Entre 1870 et 1872, le Gaiety monte quinze de ses œuvres. À Vienne, régulièrement joué, il supervise lui-même les productions. En 1875, quasiment ruiné par des montages toujours trop coûteux, il part six mois aux États-Unis pour une grande tournée à 1000 dollars par concert. Un accueil exceptionnel lui permettra d’éponger ses dettes.
« Je donnerais tout pour assister à la première. »
Jacques OFFENBACH (1819-1880), à son chien Kleinzach (nom d’un personnage grotesque des Contes d’Hoffmann)
Offenbach a moins de temps pour travailler sur le projet qui lui tient tant à cœur, la création d’un véritable opéra-comique - rappelons que c’est toujours un drame qui mélange l’opéra (chanté) et la comédie (parlée).
Il souffre de la goutte. On est obligé de le porter dans le théâtre sur une chaise. Conscient de son état, il espère passionnément vivre assez longtemps pour achever Les Contes d’Hoffmann, son ultime chef-d’œuvre. Le destin en décide autrement. Il ne sera jamais représenté ni publié de son vivant. Revanche posthume, c’est l’un des opéras français aujourd’hui les plus joués dans le monde. Après la création à l’Opéra-Comique (10 février 1881), il remporte un succès mondial, dans des versions différentes – Offenbach avait achevé sa partition sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, mais pas le montage scénique et divers arrangements, d’où les variantes de cet « opéra fantastique » inspiré du conteur allemand E.T.A. Hoffmann (1776-1822).
« Il y a de tout dans son inépuisable répertoire : l’entrain qui soulève une salle, les gros éclats de rire qui plaisent aux uns, l’esprit parisien qui charme les autres et la note tendre qui plaît à tous, parce qu’elle vient du cœur et va droit à l’âme. »
Albert WOLFF (1825-1891), préface de Notes d’un musicien en voyage (1877) de Jacques Offenbach
Richard Wagner n’est pas à un paradoxe près. Il écrit dans ses Souvenirs (1884) : « Offenbach possède la chaleur qui manque à Auber ; mais c’est la chaleur du fumier ; tous les cochons d’Europe ont pu s’y vautrer » pour ajouter plus tard : « Regarde Offenbach ; il écrit comme le divin Mozart. »
Carlotta Grisi (1819-1899), star de la danse après la Taglioni et avant la révolution des ballets russes de Diaghilev, elle crée Giselle, incarnation idéale du ballet romantique.
« Elle rase le sol sans le toucher. On dirait une feuille de rose que la brise promène. »9
Théophile GAUTIER (1811-1872), cité par sa fille Judith Gautier, Le Collier des jours (1904)
Poète et romancier, c’est aussi un critique d’art, adepte fervent du romantisme qui s’épanouit au XIXe siècle aussi bien en littérature que sur scène – théâtre et danse.
Il fréquente le foyer de l’Opéra, bientôt fasciné par la jeune danseuse. Il loue sa grâce et sa technique dans de nombreux articles. Il en tombe amoureux, elle devient sa muse, il lui vouera une admiration et une fidélité sentimentale sans faille. Tout le séduit en elle : « Son teint est d’une fraîcheur si pure, qu’elle n’a jamais mis d’autre fard que son émotion. » À la ville, peut-être, mais sur scène, une danseuse est toujours maquillée.
En 1841, elle lui inspire le livret de Giselle (musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot)
« Ce rôle est désormais impossible à toute autre danseuse et le nom de Carlotta est devenu inséparable de celui de Giselle. »
Théophile GAUTIER (1811-1872), Portrait de Carlotta Grisi
Le rôle-titre sera naturellement repris par toutes les étoiles à venir, mais Grisi (avec des cachets de star) règne sur la scène qu’elle quittera à 35 ans, au sommet de sa carrière et enceinte d’un prince. Elle aura deux enfants et vivra une longue retraite dorée en Suisse, après une carrière internationale qui culmine avec Giselle.
Giselle est un véritable triomphe, « un bijou, poétique, musical et chorégraphique » selon Tchaïkovski. Paysanne naïve éprise d’Albrecht, Giselle devient folle en apprenant qu’il est fiancé à une princesse et se poignarde après solo éblouissant. Au second acte, la reine des Willis (esprits de jeunes filles mortes vierges) condamne le prince à danser jusqu’à la mort par épuisement, mais le fantôme de Giselle le sauve en dansant avec lui, pour disparaître au lever du jour. C’est le thème à la fois classique et romantique de l’amour plus fort que la mort.
L’amour de Théophile Gautier pour Carlotta Grisi est très émouvant. Faute d’être son amant, mais pour la voir plus aisément, il sera pendant 22 ans le compagnon de sa sœur Ernesta Grisi, cantatrice qui a plus de voix que d’âme et dont il encourage la carrière par ses articles. Il aura deux enfants d’elle… Et rien de Carlotta qu’il suit à l’Opéra entre Paris et Londres, toujours courtisée par l’amoureux éconduit : « Que faut-il faire pour gagner tout à fait votre cœur. Quelle parole dire, quel philtre employer ? Il y a si longtemps que je vous aime ! N’attendez pas que je sois mort pour avoir pitié de moi… » Reste un chef d’œuvre éternellement repris au répertoire mondial.
Eugénie de Montijo (1826-1920), espagnole mariage d’amour avec Napoléon III, impératrice plutôt impopulaire.
« Ce n’est pas la peine d’avoir risqué le coup d’État avec nous tous pour épouser une lorette. »2254
Duc de PERSIGNY (1808-1872), ministre de l’Intérieur, à Napoléon III, décembre 1852. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
La « lorette », Eugénie de Montijo, est quand même une jeune fille de vraie noblesse espagnole (par son père, trois fois Grand d’Espagne), fort belle et moins sotte qu’on ne le dira. Mais sa mère irlandaise, quelque peu aventurière, promenait sa fille en Europe dans l’espoir d’un bon mariage. Et l’empereur en est fou !
« On peut tomber amoureux de mademoiselle de Montijo, mais on ne l’épouse pas. »2255
Princesse MATHILDE (1820-1904). Napoléon III ou l’empire des sens (2010), Michel de Decker
Fille de Jérôme Bonaparte (roi de Westphalie et frère de Napoléon Ier), cousine germaine de Napoléon III, elle se montre également bien méprisante. Épouse d’un richissime parvenu russe dont elle s’est séparée en 1845 avec une pension de 200 000 roubles, elle vit avec un sculpteur, tient fort élégamment la maison de son cousin Président et va perdre son rôle à la cour quand Eugénie entre dans sa vie : « Je l’aime, c’est elle que je veux. »
« Douée de toutes les qualités de l’âme, elle sera l’ornement du trône, comme, au jour du danger, elle deviendrait un de ses courageux appuis. Je viens donc, Messieurs, dire à la France : J’ai préféré une femme que j’aime et que je respecte, à une femme inconnue dont l’alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. Sans témoigner de dédain pour personne, je cède à mon penchant, mais après avoir consulté ma raison et mes convictions. »
NAPOLÉON III (1808-1873), communication du 22 janvier 1853 devant le Sénat, le Corps législatif et le Conseil d’État
On a rarement vu souverain plus enthousiaste avant le mariage. Celui-ci échappe à la raison d’État, mais l’empereur ne manque pas d’arguments : « Celle qui est devenue l’objet de ma préférence est d’une naissance élevée. Française par le cœur, par l’éducation, par le souvenir du sang que versa son père pour la cause de l’Empire, elle a, comme Espagnole, l’avantage de ne pas avoir en France de famille à laquelle il faille donner honneurs et dignités… Catholique et pieuse, elle adressera au ciel les mêmes prières que moi pour le bonheur de la France ; gracieuse et bonne, elle fera revivre dans la même position, j’en ai le ferme espoir, les vertus de l’Impératrice Joséphine. »
Cette allusion à Napoléon n’est peut-être pas très opportune… Et l’auteur de « Napoléon le Petit », Victor Hugo en exil à Jersey, ne rate pas le mot juste : « L’Aigle épouse une cocotte. » Cependant qu’une épigramme malveillante et anonyme court dans Paris.
« Montijo, plus belle que sage,
De l’Empereur comble les vœux :
Ce soir s’il trouve un pucelage,
C’est que la belle en avait deux. »Pamphlet anonyme. Les femmes galantes des Napoléons (1856), Eugène de Mirecourt, Jules Abelsdorf, Berlin
D’une éclatante beauté, la future impératrice avait acquis une grande liberté d’allure, passionnée et séductrice, voire provocante, mais avec une forme de retenue conforme aux canons de l’époque.
Le mariage aura donc lieu, le 29 janvier 1853. Épouse bientôt déçue (et trompée), mère passionnée, catholique dans l’âme et conservatrice convaincue, elle se mêlera un peu trop de politique, étant surtout une mère exemplaire.
« L’Impératrice venait de remplir sa principale mission. Elle avait donné à son époux un fils, et à l’Empire un héritier. L’enfant était né un jour de triomphe, le jour des Rameaux… Ce qui charmait surtout l’heureuse mère, c’est que cet enfant si désiré était non seulement un fils de France, mais un fils de l’Église et que, filleul du Pape, la bénédiction du Saint-Père planait sur son berceau. »
Arthur-Léon Imbert de SAINT-AMAND (1834-1900), La Cour du Second Empire (1856-1858) (1898)
Diplomate et historien, il s’est surtout intéressé aux femmes de la cour. Eugénie a quelque peu tardé à enfanter – une fausse couche, une chute de cheval – mais l’enfant est enfin né. En 1858, le prince impérial étant malade, elle envoie à Lourdes une de ses dames d’honneur quérir un peu d’eau réputée miraculeuse. Suite à la guérison de leur fils, l’impératrice convainc Napoléon III de faire rouvrir la grotte fermée aux pèlerins. Le drame de sa vie – sans doute plus que la défaite de Sedan – sera la perte de ce fils en 1879.
Autre mission impériale, le mécénat, et elle y veille.
À l’impératrice qui lui demande de quel style peut bien être ce projet d’Opéra pour Paris :
« C’est du Napoléon III, Madame. »2283Charles GARNIER (1825-1898), 1861. Napoléon III et le Second Empire : l’aube des temps (1975), André Castelot
Un concours public est lancé pour l’édification d’un opéra digne du nouveau Paris haussmannien : 171 concurrents déposent un millier de dessins. Viollet-le-Duc, ami du couple impérial, est favori. Un inconnu l’emporte, à l’unanimité du jury. Et l’empereur s’incline, séduit par la maquette.
Les plus grands artistes, peintres, décorateurs, sculpteurs œuvrent pour le monument. Mais le chef-d’œuvre est bien signé Garnier, illustrant l’éclectisme en architecture : au lieu de se référer à un style unique, on dresse un répertoire des modèles les plus achevés, pour combiner les éléments issus des différentes époques et civilisations, en les adaptant à la réalité contemporaine. Ainsi, Garnier utilise les nouveaux matériaux pour leur aspect fonctionnel, mais à l’inverse des modernistes (tels Eiffel, Baltard), il dissimule le fer de la charpente sous le stuc et la pierre de taille. « Cathédrale mondaine de la civilisation » selon Théophile Gautier, l’Opéra de Paris va fasciner le monde, et sera « copié » une centaine de fois.
« Bon voyage, vieux Badinguet,
Porte aux Prussiens ta vieille Badinguette !
Bon voyage, vieux Badinguet,
Ton p’tit bâtard ne régnera jamais. »2334Les Actes de Badinguet (1870), chanson. La Commune en chantant (1970), Georges Coulonges
Ces couplets vengeurs s’adressent à l’empereur déchu dont la popularité s’est écroulée en quelques jours – Badinguet est le nom du maçon dont Louis-Napoléon Bonaparte emprunta les vêtements pour s’enfuir du fort de Ham, en 1846. Quant à l’impératrice, elle ne fut jamais aimée du peuple.
Réfugiée en exil au Royaume-Uni depuis la fin du Second Empire, elle meurt à 94 ans au palais de Liria à Madrid, dans son pays natal. Elle aura eu le temps de voir la revanche de la France sur l’Allemagne en 1918.
Vincent Van Gogh (1853-1890), né aux Pays-Bas, archétype du peintre maudit, sauvé de la misère par son frère Théo, « suicidé de la société » devenu l’un des plus cotés sur le marché de l’art.
« Je ne me sens nulle part aussi étranger que dans ma famille et dans mon pays. »10
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettres à son frère Théo
Fils de pasteur, Vincent porte le prénom d’un frère mort-né l’année précédant sa naissance. Quatre ans après vient un autre frère, Theodorus (1857-1891) qu’il appelle Théo et qui le soutiendra moralement et financièrement.
Enfant instable mais doué pour le dessin, Vincent a parmi ses oncles le fondateur à Paris de la galerie d’art Goupil, qui compte de nombreuses succursales en Europe. Il est envoyé dans la succursale de La Haye (en 1869), puis Bruxelles et Londres (1873-1876), pour s’initier au commerce de l’art. Mais sa vocation est ailleurs !
« J’ai compris que, même pauvre et nécessiteux aux regards du monde, on peut s’enrichir en Dieu et que ce trésor-là, nul ne peut vous l’enlever. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettres à son frère Théo
Prédicateur trop mystique pour ne pas effrayer la hiérarchie protestante, il se réfugie dans la peinture et va vivre plusieurs passions douloureuses. Revenu à Londres, le voilà instituteur dans le quartier ouvrier d’Isleworth. Il part ensuite en Belgique pour évangéliser les mineurs du Borinage, mais son zèle heurte les autorités ecclésiastiques au bout d’un an (1879).
Après plusieurs années d’errance solitaire et de galères, Vincent rejoint en France son frère Théo devenu marchand d’art : la peinture va s’imposer comme Vocation à la vie à la mort, même si la foi continue de le hanter.
« Se réveiller le matin et réaliser qu’on n’est pas seul… Voilà qui rend le monde plus agréable. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettres à son frère Théo
Par son intermédiaire, il rencontre les impressionnistes. Exalté par la ferveur du climat artistique, il s’essaye au néo-impressionnisme auprès de Signac et Pissarro, apprécie les toiles exotiques peintes par Gauguin en Martinique.
Entré dans l’atelier du peintre Cormon (1845-1924), il se lie avec Émile Bernard et Henri de Toulouse-Lautrec qui auront sur lui une nette influence. Les trois amis organisent une première exposition en 1887. Ils ne vendent aucune toile. Conscients que leur heure n’est pas encore venue, ils continuent de travailler.
« On dit, et je le crois volontiers, qu’il est difficile de se connaître soi-même. Mais il n’est pas non plus aisé de se peindre soi-même. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettres à son frère Théo
Et pourtant, à partir de 1886, il va réaliser 35 autoportraits, s’interrogeant sur sa propre identité, l’art du portrait devenant une constante dans sa vie en quête de l’autre et de sa vérité humaine.
Régénéré par la modernité artistique ambiante, il vit une période fertile et s’oriente vers l’impressionnisme, mais l’absinthe et la fatigue aggravent un état mental toujours fragile. Au contact de son ami Gauguin, Van Gogh affine ses recherches sur la couleur, sa palette s’éclaircit et se diversifie, sa facture s’assouplit, donnant lieu à des expérimentations sur des natures mortes, des paysages et des portraits. Pour parfaire son travail, il part s’installer à Arles, prêt à réaliser son rêve méditerranéen.
« Je suis en train de peindre avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse, ce qui ne t’étonnera pas lorsqu’il s’agit de peindre de grands tournesols. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettres à son frère Théo. Août 1888
Le 20 février 1888, Vincent s’est installé à Arles, au cœur de la vieille ville. Il parcourt à pied la région et peint des paysages, des moissons, des portraits. Il envoie toujours ses tableaux à Théo, aucun ne trouve acquéreur, mais trois sont quand même présentés à l’Exposition annuelle de la Société des artistes indépendants.
« Je laboure mes toiles comme les paysans leurs champs. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettre à sa sœur Willemien – aout- septembre 1888
Pour affiner son art, il se lance dans des séries (devenues célèbres) : vergers fleurissants, portraits, iris, tournesols. Il habite « la Maison jaune » et rêve depuis longtemps d’une communauté d’artistes unissant leurs recherches.
Il finit par décider Gauguin à venir le rejoindre. Le maître de Pont-Aven arrive à Arles le 23 octobre 1888 et s’installe dans l’atelier de son hôte. Mais il ne supporte pas son caractère cyclothymique et le soir du 23 décembre, après une dispute plus violente que les précédentes, il part à l’hôtel. Peu après, Van Gogh se saisit d’un couteau et se tranche une partie de l’oreille gauche. Deux autoportraits témoigneront de l’automutilation - version la plus vraisemblable. De nouvelles crises le feront interner d’office à l’hôpital d’Arles.
« Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettre à sa sœur Willemiena, 1888
Incessant besoin de communiquer et de faire le point, phrase terrible alors qu’il espérait, peignant en plein air sous le soleil et dans le mistral, développer des forces primitives de résistance… Ses autoportraits donnent à voir un quasi vieillard de 35 ans. Il poursuit malgré tout, ébloui par la lumière du Midi.
Il va faire de la couleur l’objet même de son œuvre, et non plus une composante Il recherche la plus grande intensité possible des tons et des rapports chromatiques. Il travaille aussi la peinture en tant que matériau : la touche du peintre, c’est sa façon de poser la peinture sur la toile. Elle se caractérise par l’outil utilisé : pinceau, brosse, couteau, etc., par le geste et par la consistance de la peinture. Reste le constat quasi désespérant.
« Mes tableaux sont sans valeur, ils me coûtent il est vrai des dépenses extraordinaires, même en sang et cervelle peut-être parfois. Je n’insiste pas, et que veux-tu que je t’en dise ? »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettre à son frère Théo
Vivant seul parmi des Arlésiens qui se méfient de plus en plus de cet étranger, Van Gogh s’abîme dans la dépression. Son frère organise son retour non loin de Paris, dans une commune rurale du Vexin français déjà connue par les paysagistes de l’école de Barbizon et les impressionnistes.
« Mon cher, réflexion faite, je ne dis pas que mon travail soit bien, mais c’est ce que je peux faire de moins mauvais. Tout le reste, relations avec les gens, est très secondaire, parce que je n’ai pas de talent pour ça. A cela je n’y peux rien. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettre à son frère Théo, (21 mai 1890)
Terriblement affaibli, Van Gogh est pris en charge et en affection par le Dr Paul Gachet. Médecin, mais aussi amateur d’art et peintre à ses heures, il est lié à de nombreux impressionnistes. Une réelle amitié se noue entre les deux hommes. Le peintre réalise un premier portrait de son bienfaiteur qui, rempli d’admiration, lui en commande un second. Il a conscience que son talent est reconnu et son art compris par un homme de qualité. Au sommet de sa maîtrise artistique, il donne à voir la vie paysanne et l’architecture de cette commune. Grâce aux soins du docteur Gachet, il travaille intensément : 74 tableaux plus ou moins achevés, 45 dessins et une gravure. Quelques articles paraissent dans la presse parisienne et bruxelloise. Mais la dépression le mine.
Le 27 juillet, il se tire une balle en pleine poitrine et malgré les soins, expire deux jours plus tard, dans un quasi-anonymat. L’artiste n’aura vendu qu’une seule toile, La Vigne rouge, peinte en 1888, achetée à Bruxelles en 1890 pour 400 francs français par Anna Boch, peintre et sœur d’Eugène Boch, impressionniste et ami de Van Gogh qui fit son portrait (Le Peintre aux étoiles) à Arles en 1888. Adjugée pour 16 millions de dollars à Londres chez Christie’s, La Vigne rouge est exposée au musée Pouchkine, le plus grand musée d’art européen de Moscou.
« Nous serons pauvres et nous souffrirons la misère aussi longtemps qu’il le faut, comme une ville assiégée qui n’entend pas capituler, mais nous montrerons que nous sommes quelque chose. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890), Lettre prémonitoire à son frère Théo
Theo, atteint de syphilis et de complications neurologiques, hospitalisé en octobre 1890 dans une clinique à Utrecht, meurt le 25 janvier 1891 à 34 ans. Les deux frères reposent ensemble au cimetière d’Auvers-sur-Oise
Au fil des ans, plus de 150 psychiatres ont tenté d’identifier la maladie de Vincent : schizophrénie, trouble bipolaire, syphilis, saturnisme, épilepsie… aggravée par la malnutrition, le surmenage, l’insomnie et l’absinthe.
Van Gogh aura produit plus de 2 000 œuvres d’art en dix ans : quelque 900 peintures et 1 100 dessins et croquis. Son Autoportrait au visage glabre (fin septembre 1889), est l’une des toiles les plus chères au monde, vendue 71,5 millions de dollars en 1998 à New York. Le revolver avec lequel il a tenté de se suicider, estimé entre 40 et 60 000 euros, est vendu aux enchères à 130 000 euros le 19 juin 2019 à Paris, Hôtel Drouot.
« Il avait absorbé la nature en lui ; il l’avait forcée à s’assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre : le style. »
Octave MIRBEAU (1848-1917), article de l’Écho de Paris , publié le 31 mars 1891, huit mois après la mort de Van Gogh
Sa vie digne d’un héros romantique en fait un mythe, peintre incompris ou artiste maudit. Pauvre, dépressif, asocial, au tempérament explosif… Quand d’autres voient en lui un artiste complexe, intelligent et cultivé, accomplissant un travail long, méticuleux, acharné et référencé. Quel que soit le point de vue choisi, Van Gogh est reconnu et admiré, voire encensé. Il a influencé la peinture moderne, l’expressionnisme et le fauvisme, contribuant aussi à l’élaboration du symbolisme par sa volonté d’exprimer une émotion grâce à son art.
« Il avait raison, Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies. »
Antonin ARTAUD (1896-1948), Van Gogh, le suicidé de la société (1947)
Bouleversé par l’exposition de ses œuvres, un autre grand illuminé artistique, acteur marquant au théâtre et au cinéma, lui rend fraternellement hommage.
VAN GOGH PAR VAN GOGH, AUTOPORTRAIT en 10 citations.
Source principale : ses Lettres à son frère Théo sans qui l’artiste n’aurait pu vivre.
« La normalité est une route pavée : on y marche aisément, mais les fleurs n’y poussent pas. »
« J’ai un besoin terrible de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles. »
« Encore une fois je me laisse aller à faire des étoiles trop grandes. »
« Ah ! mon cher frère, quelquefois je sais tellement bien ce que je veux. Je peux bien dans la vie et dans la peinture aussi me passer de bon Dieu, mais je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer. »
« Je ne connais pas de meilleure définition du mot art que celle-ci : ‘L’art c’est l’homme ajouté à la nature’, la nature, la réalité, la vérité, mais avec une signification, avec une conception, avec un caractère que l’artiste fait ressortir et auxquels il donne de l’expression, ‘qu’il dégage’, qu’il démêle, affranchit, illumine. »
« Une bonne image est équivalente à une bonne action. »
« Oui, j’ai fait cela en deux heures, mais j’ai travaillé des années pour pouvoir le faire en deux heures. »
« Je rêve ma peinture, ensuite je peints mon rêve. »
« Je me suis instruit aux cours gratuits de la grande université de la misère ! »
« Je préfère mourir de passion que d’ennui. »
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