Corday : « Marat pervertissait la France. J'ai tué un homme pour en sauver cent mille... » | L’Histoire en citations
Corday : « Marat pervertissait la France. J'ai tué un homme pour en sauver cent mille... »
Citation du jour

 

Charlotte Corday et Marat : un duel à deux morts.

L’héroïne, surgie de la France profonde et montée à Paris, naît de cet assassinat et entre dans l’histoire du jour au lendemain. Courte carrière de (contre) révolutionnaire et authentique personnage de tragédie cornélienne.

« Marat pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille, un scélérat pour sauver des innocents, une bête féroce pour donner le repos à mon pays. J’étais républicaine bien avant la Révolution. »1522

Charlotte CORDAY (1768-1793), à son procès devant le Tribunal révolutionnaire, 17 juillet 1793

Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert.

En un jour, la jeune fille devient une héroïne et restera l’une des figures de la Révolution. Chénier la salue en poète : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, qui la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud, s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.

Au siècle suivant, Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. » Mais rien ne pouvait plus freiner cette marche programmée vers la Terreur.

Comment expliquer ce geste désespéré, ce sacrifice d’une vie que rien ne prédisposait à un tel destin ?

« Vous savez l’affreuse nouvelle, ma bonne Rose […] Tous ces hommes qui devaient nous donner la liberté l’ont assassinée. »1486

Charlotte CORDAY (1768-1793), Lettre à une amie, 28 janvier 1793

Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Louis XVI a été guillotiné le 21 janvier, au terme d’un procès solennel, mais perdu d’avance. La jeune fille de 25 ans exprime le cri du cœur d’une partie de la France, épouvantée d’avoir tué son roi : « Votre cœur, comme mon cœur, en a tressailli d’indignation. Voilà donc notre pauvre France livrée aux misérables qui nous ont déjà fait tant de mal… »

Autre conséquence directe, imprévue sinon imprévisible, et la plus dramatique de toutes, la guerre de Vendée (très catholique et royaliste), une guerre civile qui va déchirer, endeuiller, marquer profondément le pays.

« Les factions éclatent de toutes parts : la Montagne triomphe par le crime et par l’oppression ; quelques monstres abreuvés de notre sang conduisent ces détestables complots […] Si je ne réussis pas dans mon entreprise, Français, je vous ai montré le chemin : vous connaissez vos ennemis. Levez-vous, marchez et frappez. »1519

Charlotte CORDAY (1768-1793), Adresse aux Français, amis des lois et de la paix

La jeune Normande, venue à Paris pour tuer Marat, écrit le 12 juillet 1793 un long texte dans le style épique de l’époque – descendante de Corneille, elle a aussi beaucoup lu Plutarque, Tacite, et Rousseau. On trouve ces pages sur elle le lendemain, lors de son arrestation près de la baignoire où elle vient de poignarder Marat – un eczéma géant l’obligeait à passer des heures dans l’eau pour moins souffrir et il a reçu la visiteuse, censée lui apporter une liste de traîtres à la patrie.

Elle va en quelque sorte venger le roi, venger la France : en assassinant l’assassin, le plus extrémiste des révolutionnaires, elle fait acte de justice. Le retentissement de ce « fait divers politique » est considérable.

« Ici repose Marat, l’Ami du Peuple, assassiné par les ennemis du peuple, le 13 juillet 1793. »1520

Épitaphe sur la tombe de Marat

Marat, l’ami du peuple (1865), Alfred Bougeart

Son journal s’intitulait L’Ami du peuple et l’homme était idolâtré des sans-culottes de Paris. Une chanson en fait foi. « De l’aristocratie, / Marat fut la terreur, / De la démocratie, / Il fut le défenseur. / Du peuple, il fut le père, / L’ami le plus ardent, / Marat fut sur la terre / L’appui de l’indigent. » Il était tout autant détesté de ses confrères.

« Ce fanatique énergumène nous inspirait à nous-mêmes une sorte de répugnance et de stupeur […] Ses vêtements en désordre, sa figure livide, ses yeux hagards avaient je ne sais quoi de rebutant et d’épouvantable qui contristait l’âme. »1302

LEVASSEUR de la Sarthe (1747-1834)

Mémoires de R. Levasseur de la Sarthe, ex-conventionnel (1829)

Témoignage d’un montagnard robespierriste qui ajoute : « Lorsqu’on me le montra pour la première fois, s’agitant avec violence au sommet de la Montagne, je le considérai avec cette curiosité inquiète qu’on éprouve en contemplant certains insectes hideux. » Marat, à l’inverse de Mirabeau ou de Danton, est affligé d’une laideur irrémédiablement repoussante, en raison de la dermatose chronique qui l’obligeait à passer des heures dans son bain.

« Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »1301

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

Dans la galerie des révolutionnaires, Marat, c’est le méchant. Pas un ami de son vivant. Pas un historien pour en faire un héros. Pas un théoricien pour se dire « maratiste », comme on peut être dantoniste ou robespierriste. Il fut pourtant l’« Ami du peuple » et Lamartine explique cette popularité, dans son Histoire des Girondins : « Marat personnifiait en lui ces rêves vagues et fiévreux de la multitude qui souffre. Il introduisait sur la scène politique cette multitude jusque-là reléguée dans son impuissance. » Il joua le rôle du journaliste redresseur de torts et formateur de l’opinion publique, critiquant toujours tout et tous, voulant ouvrir les yeux, ne cessant de réclamer des têtes, inventant le langage de la Terreur, cherchant à détruire tous ses adversaires. En cela, il incarne le révolutionnaire type jusqu’à la caricature.

Révolution

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