Napoléon et la Culture : mauvaises relations avec les auteurs vivants, Mme de Staël étant l’exemple du pire.
Les grands romantiques du XIXe siècle seront fascinés par Napoléon. Chateaubriand (royaliste) s’opposera à lui après l’assassinat du duc d’Enghien, mais Hugo, mieux que nul autre, servira la légende napoléonienne, renforcée par la médiocrité du personnel politique à venir.
« L’Empereur, si puissant, si victorieux, n’est inquiet que d’une chose au monde : les gens qui parlent et, à leur défaut, les gens qui pensent. »1861
(1755-1813), à Vuillemain, lors d’une visite à l’École normale en 1812
Revue des deux mondes, volume II (1874).
Napoléon, au faîte de sa gloire, voudrait que son règne soit « signalé par de grands travaux, de grands ouvrages littéraires ». Mais jamais la liberté de parole et de pensée ne fut plus surveillée, la presse davantage censurée : il reste quatre journaux à Paris depuis 1811, et leurs actions ont été confisquées et réparties entre la police et les courtisans les plus dévoués. Encore Napoléon s’indigne-t-il de ce qu’il lit, du « mauvais esprit » et de la « maladresse » des journalistes.
« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758
NAPOLÉON Ier (1769-1821)
Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer
L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul, déçu par la production littéraire de son temps. Sans doute veut-il trop diriger la pensée des créateurs et des intellectuels - le miracle du siècle de Louis XIV ne se reproduit pas !
La plupart des auteurs sont dociles et les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent sont aujourd’hui illisibles. Seuls grands talents, des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804), Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française, et mondiale.
Même pauvreté dans le domaine théâtral. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais nul auteur ne peut rivaliser, même de très loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur, Talma.
Napoléon a plus de chance dans le domaine des beaux-arts : David, peintre officiel, d’ailleurs issu de la Révolution, reste magnifiquement inspiré, dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, chef-d’œuvre de l’école néoclassique.
« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806
Précisons que c’est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 périodiques paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.
La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception.
Chateaubriand est devenu hostile au régime. Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.
« Bonaparte n’est point grand par ses paroles, ses discours, ses écrits, par l’amour des libertés qu’il n’a jamais eu […] Il est grand pour avoir créé un gouvernement régulier, un code de lois, des cours de justice, des écoles, une administration forte, active, intelligente […] Il est grand pour avoir fait renaître en France l’ordre au sein du chaos […] Il est grand surtout pour être né de lui seul, pour avoir su, sans autre autorité que celle de son génie, se faire obéir par trente-six millions de sujets […] Il est grand pour avoir surpassé tous les vainqueurs qui le précédèrent, pour avoir rempli dix années de tels prodiges qu’on a peine aujourd’hui à les comprendre. »1685
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)
Chateaubriand le styliste manie en maître l’anaphore (répétition, en termes de rhétorique). Les relations personnelles du grand écrivain et du grand homme se gâteront sous l’Empire, mais quand l’émigré, enfin radié de la liste, rentre en France en 1800, l’admiration est totale pour Bonaparte - jusqu’à la veille de l’Empire et l’exécution du duc d’Enghien, en 1804. Malgré tout : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire dans ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant. »
« Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte. / Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du Premier Consul déjà par maint endroit / Le front de l’empereur brisait le masque étroit. »1728Victor HUGO (1802-1885), Les Feuilles d’automne (1831)
1802. C’est aussi l’année de naissance du poète qui domine le siècle. Son père deviendra général et comte d’Empire. Chantre de la légende napoléonienne, Hugo jouera à ce titre – et à bien d’autres – un vrai rôle politique, dans notre histoire de France.
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