Siècle de Louis XIV.
Fin de règne digne d’une tragédie où le vieux roi fait son métier jusqu’à l’agonie.
Un ultime sursaut national permet de sauver l’honneur face à l’ennemi anglais. Les deuils se succèdent à la cour et il ne reste plus que son arrière petit-fils de 5 ans pour succéder à Louis XIV, obsédé par la pérennité de l’État. Ce roi très chrétien, qui se repent d’avoir trop aimé la guerre, n’a pas peur de mourir. Il acquiert une nouvelle grandeur aux yeux de ses (rares) opposants (tel Saint-Simon), mais le peuple se réjouit ouvertement de sa mort. L’histoire tirera la leçon de ce règne et la France est prête pour le siècle des Lumières.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« Dieu a donc oublié tout ce que j’ai fait pour lui ? »936
(1638-1715), apprenant l’hécatombe à la bataille de Malplaquet, septembre 1709
Œuvres choisies de Chamfort (1826).
Malplaquet n’est qu’une semi-défaite. Les Français peuvent se replier en bon ordre et les deux camps revendiquent la victoire. « Encore une défaite comme ça, Sire, et nous avons gagné la guerre », assure Villars (…) L’invasion par le nord de la France est stoppée. Deux siècles après, le maréchal Foch comparera cette bataille à la première victoire de la Marne (…)
« S’il faut faire la guerre, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants. »937
LOUIS XIV (1638-1715), Manifeste au peuple, juillet 1710 (…)
Les alliés exigent que Philippe V renonce au trône d’Espagne et, en cas de refus, que Louis XIV le fasse détrôner par ses armées. Le roi rend public l’outrage. Un sursaut national permet un redressement franco-espagnol. Encore quelques années d’une succession de défaites et de victoires (…) Les traités d’Utrecht (1713) et de Radstadt (1714) créent un nouvel équilibre européen (…) La France retrouve ses limites de la paix de Nimègue (1679) et sauve ses frontières stratégiques. Philippe V garde son royaume, mais renonce aux Pays-Bas, à ses possessions italiennes, et à ses droits à la succession au trône de France (…)
« Les jansénistes, voulant faire des saints de tous les hommes, n’en trouvent pas dix, dans un royaume, pour faire des chrétiens tels qu’ils les veulent. »938
SAINT-ÉVREMOND (vers 1615-1703), Conversation de M. d’Aubigny avec M. de Saint-Évremond (1662). Œuvres mêlées de Saint-Évremond (1706)
C’est parole de libertin réfugié à Londres. En fait, le jansénisme est l’une de ces affaires religieuses qui empoisonnent le siècle de Louis XIV. Les derniers actes sont dramatiques en cette fin de règne : ultime expulsion des sœurs de Port-Royal (1709), abbaye rasée (1711), condamnation par Clément XI, le 243e pape, qui divise le clergé français (…)
« Le plus grand nombre [des courtisans], c’est-à-dire les sots, tiraient des soupirs de leurs talons, et, avec des yeux égarés et secs, louaient Monseigneur […] et plaignaient le roi de la perte d’un si bon fils. Les plus fins d’entre eux, ou les plus considérables, s’inquiétaient déjà de la santé du roi. »939
Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume)
Le mémorialiste nous laisse un portrait sans pitié d’une fin de règne difficile. Le Grand Dauphin, Louis de France, vient de mourir à 50 ans, ce 14 avril 1711. La prophétie est accomplie : « Fils de roi ; père de roi ; jamais roi ». Fils de Louis XIV et père de Philippe V d’Espagne, Saint-Simon décrit ce Monseigneur en tout insignifiant (…)
« Accablé des plus funestes revers et d’une cruelle famine, hors de pouvoir de continuer la guerre, ni d’obtenir la paix […], ce prince vit périr sous ses yeux son fils unique, une princesse qui seule fit toute sa joie, ses deux petits-fils, deux de ses arrière-petits-fils. »940
Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume)
Triste fin de règne (…) La princesse en question est Marie-Adélaïde de Savoie, femme de l’aîné de ses petits-fils, le duc de Bourgogne. Les époux mourront de la rougeole à six jours d’intervalle en février 1712. Suivis un mois après par leur fils aîné, Louis, duc de Bretagne. Au terme de tous ces décès, l’héritier de la couronne sera l’arrière-petit-fils du roi (…)
« La plus éclatante victoire coûte trop cher, quand il faut la payer du sang de ses sujets. »941
LOUIS XIV (1638-1715), Lettre à l’intention du Dauphin, août 1715 (…)
Écrite peu de jours avant sa mort, confiée au maréchal de Villeroi son ami de toujours, pour être remise à Louis XV à ses 17 ans. Cet arrière-petit-fils n’a que 5 ans, seul héritier survivant après l’hécatombe familiale, autre malédiction de cette fin de règne.
« Quoi Madame, vous vous affligez de me voir en état de bientôt mourir ? N’ai-je pas assez vécu ? M’avez-vous cru immortel ? »942
LOUIS XIV (1638-1715), à Mme de Maintenon, 25 août 1715 (…)
La santé du roi décline rapidement et Fagon, son médecin personnel, semble le seul à ne pas le voir ! La cour et l’Europe guettent. Louis XIV, à presque 77 ans, malgré une ancienne goutte et une récente gangrène à la jambe, fait jusqu’au bout son métier de roi et les gestes de l’étiquette.
« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943
LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon
Le roi reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il lui donne une ultime leçon. Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre (…) semble être son grand remords.
« Je m’en vais, Messieurs, mais l’État demeurera toujours. »944
LOUIS XIV (1638-1715), à ses courtisans les plus proches, 26 août 1715 (…)
Le roi les remercie de leurs services et s’inquiète de ce qu’il adviendra après lui. Il leur recommande de servir le Dauphin : « C’est un enfant de cinq ans, qui peut essuyer bien des traverses, car je me souviens d’en avoir beaucoup essuyé pendant mon jeune âge. » Il leur demande enfin d’être « tous unis et d’accord ; c’est l’union et la force d’un État ».
« Mon neveu, je vous fais Régent du royaume. Vous allez voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire de l’un et des intérêts de l’autre. »945
LOUIS XIV (1638-1715), à Philippe d’Orléans, Testament, 1715 (…)
Le texte sera lu au lendemain de sa mort. Le roi a institué un Conseil de régence dont le Régent en titre est président, la réalité du pouvoir allant au duc du Maine (fils légitimé de Mme de Maintenon). Son neveu, dont il se méfie non sans raison, ne s’en satisfera pas et le roi mourant a peu d’illusion sur l’avenir de ses dernières volontés royales.
« J’ai toujours ouï dire qu’il est difficile de mourir ; pour moi qui suis sur le point de ce moment si redoutable aux hommes, je ne trouve pas que cela soit difficile. »946
LOUIS XIV (1638-1715), à Mme de Maintenon, 28 août 1715. Son mot de la fin (…)
(…) Il mourra le 1er septembre. La grandeur du roi face à l’adversité dans les dernières années et la dignité de l’homme devant la mort jusqu’aux dernières heures frappent ses ennemis les plus intimes : Saint-Simon saluera « cette fermeté d’âme, cette égalité extérieure, cette espérance contre toute espérance, par courage, par sagesse, non par aveuglement ».
« Dieu seul est grand, mes frères. »947
Jean-Baptiste MASSILLON (1663-1742), Oraison funèbre de Louis XIV, 2 septembre 1715, à la Sainte-Chapelle de Paris (…)
L’évêque de Clermont, nouveau Bossuet, semble plus moraliste qu’apologiste, au début de l’hommage rendu à Louis le Grand (…) C’est finalement un panégyrique ambigu, reflet de la complexité du règne, du personnage – et du métier de prédicateur.
« Enfin, Louis le Grand est mort !
La Parque a terminé son sort.
O reguingué, o lon la la,
Elle vient de trancher sa vie,
Toute l’Europe en est ravie. »948La Mort de Louis XIV (1715), chanson. Une histoire de la chanson française, des troubadours au rap (2004), Jean-Pierre Moulin
Autre écho, autre vérité. Louis XIV aura fort inquiété l’Europe par ses ambitions territoriales et commerciales, ses guerres de conquête et sa politique des « réunions ». Et la rue qui chante à sa mort ne s’embarrasse pas de subtilités rhétoriques. Louis le Grand, adoré dans sa jeunesse, aimé et admiré au sommet de sa gloire, finit détesté du peuple (…)
« Louis XIV fit plus de bien à sa nation que vingt de ses prédécesseurs ensemble ; et il s’en faut beaucoup qu’il fît ce qu’il aurait pu. »949
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Le jugement n’est pas sans nuance (…) Laissons le mot de la fin à l’historien du règne qui, né en 1694, élève des jésuites, inquiétant déjà ses maîtres par un esprit libertin, poète mondain et génie précoce, va devenir le philosophe numéro un du siècle des Lumières : malgré toutes les ombres au tableau du siècle de Louis XIV, Voltaire y voit « le siècle le plus éclairé qui fut jamais ».
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