Naissance de la monarchie absolue - Règne de Louis XIII et Richelieu (fin).
Heurs et malheurs d’une fin de règne.
Voici enfin le Dauphin espéré (futur Louis XIV) et l’apparition d’un Mazarin qui fera bientôt ses preuves. L’armée restaurée permet de ruiner la trop puissante maison d’Autriche par la guerre « couverte » (diplomatie), puis « ouverte » (les armes). Mais l’impopularité du cardinal grandit, la guerre coûte trop cher à un pays où l’augmentation des impôts et les disettes entraînent désordres et révoltes. Le dernier complot du règne - l’affaire Cinq-Mars - sera aussi cruel pour Richelieu que pour Louis XIII. Épuisés, les deux hommes se suivent dans la mort à six mois d’intervalle (1642-1643).
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« En tout cas, pour ma consolation, il me reste de savoir qu’au galant homme tout pays est patrie. »724
MAZARIN (1602-1661), Lettre à de Montagu, septembre 1637, Londres (…)
Diplomate au service d’Urbain VIII, il rencontre Richelieu qui le remarque (1630). Nonce à Paris en 1635-1636, il est de nouveau apprécié de Richelieu qui le fait nommer cardinal (alors qu’il n’a jamais été ordonné prêtre). Devenu son principal collaborateur, il prend la place du père Joseph à sa mort, en 1638. Et celle de Richelieu quand il mourra en 1642 (…)
« Nous avons un Dauphin,
Le bonheur de la France,
Rions, buvons sans fin
À l’heureuse naissance. »725SAINT-AMANT (1594-1661), La Naissance de Louis XIV (1638), chanson (…)
La naissance d’un enfant royal est toujours une occasion de fêtes pour le peuple. Quand c’est un fils, attendu depuis plus de vingt ans, l’événement est salué par une explosion de joie, ce 5 septembre 1638 (…) Et toujours chantant, le peuple prédit : « Lorsque ce Dieu-Donné / Aura pris sa croissance / Il sera couronné / Le plus grand roi de France (…) »
« Ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d’État. »726
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV (1877)
L’historien remet l’événement en perspective. La très longue stérilité du mariage royal faisait craindre pour la succession (…) Le roi étant peu empressé auprès de la reine, les bonnes âmes murmurent les noms d’amants supposés (…) Un doute planera toujours sur la filiation entre Louis XIII le Juste et ce petit Dieudonné qui deviendra Louis XIV le Grand.
« Quand les Français prendront Arras,
Les souris mangeront les chats. »727Message en deux octosyllabes, affiché par les Espagnols sur une des portes de la ville d’Arras, printemps 1640 (…)
L’Artois (chef-lieu Arras), province réunie à la couronne sous Philippe Auguste, passa aux ducs de Bourgogne, puis aux Habsbourg d’Espagne, par héritage. Le siège d’Arras est un épisode de la guerre de Trente Ans qui déchire l’Allemagne de 1618 à 1648. Richelieu entre en « guerre ouverte » (…) Il faut éviter l’encerclement de la France par les possessions des Habsbourg (…)
« Quand les Français rendront Arras
Les souris mangeront les chats. »728Écrit sur une des portes de la ville d’Arras que les Français ont prise, le 9 août 1640 (…)
On a seulement enlevé le « p », ce qui change tout. Cette victoire et quelques autres mènent à un renversement des forces en Europe, au bénéfice de la France et au détriment de l’Empire d’Allemagne et de l’Espagne, donc de la puissante maison d’Autriche (les Habsbourg).
« Tant plus on témoigne l’aimer et le flatter, tant plus il se hausse et s’emporte. »729
LOUIS XIII (1601-1643). Cinq-Mars ou la passion et la fatalité (1962), Philippe Erlanger
Il parle à Richelieu de son favori (…) Cinq-Mars va conspirer contre Richelieu, avec son ami et complice le magistrat de Thou, le duc de Bouillon et l’inévitable frère du roi, Gaston d’Orléans, qui a cherché alliance auprès des Espagnols. L’affaire Cinq-Mars, dernier grand complot du règne, attriste les derniers mois du cardinal, épuisé à la tâche (…)
« Je me rends, parce que je veux mourir, mais je ne suis pas vaincu. »730
Marquis de CINQ-MARS (1620-1642). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri Robert
C’est le héros revu, corrigé, idéalisé, immortalisé par Alfred de Vigny dans son roman historique, Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII (1826), inspiré de Walter Scott (…) La conjuration est dénoncée. Le cardinal triomphe (…) La réalité est quelque peu différente du roman, mais pas moins dramatique.
« Je voudrais bien voir la grimace que Monsieur le Grand doit faire à cette heure. »731
LOUIS XIII (1601-1643), à Paris, apprenant l’exécution de son favori à Lyon. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux
Monsieur le Grand, c’est Cinq-Mars. Il a 22 ans. Condamné à mort, décapité à Lyon, le 12 septembre 1642. Favori du roi, c’est Richelieu qui organisa la rencontre pour distraire un souverain fatigué, malade. Le jeune homme est comblé d’honneurs, ce n’est jamais assez. Il cède à la tentation du complot (…) Le roi ne peut pardonner une si grave traîtrise (…)
À son confesseur qui lui demande de pardonner à ses ennemis : « Je ne m’en connais d’autres [ennemis] que ceux de l’Église et de l’État. »732
Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), mourant, 4 décembre 1642. Son mot de la fin. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970)
Cela fait encore beaucoup d’ennemis au cardinal et « principal ministre d’État » qui a dirigé la France et le roi pendant vingt ans, détesté autant que craint, et admiré.
« Ceux qui m’ont voulu perdre ont senti ma puissance,
Pour dompter l’Espagnol j’ai ruiné la France,
Jugez si j’en étais ou l’ange ou le démon. »733Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis XIV (1835), Jean Baptiste Honoré Raymond Capefigue
Scarron, poète pensionné comme « malade de la reine », le fait parler dans sa tombe. La guerre contre l’Espagne a coûté cher au pays. Mais ce fut l’occasion de réformer l’administration (…) avec des intendants préposés aux finances, à la police et la justice. Représentants du pouvoir royal en province, fort diligents pour faire exécuter les ordres du Conseil du roi (…)
« Les Grands du royaume eurent joie de sa mort, et quasi tout le peuple s’en réjouit. »734
Marquis de MONTGLAT (1610-1675), Mémoires (1635-1654)
On fait des feux de joie à la mort de Richelieu – son successeur, Mazarin, connaîtra le même sort post mortem. L’autorité du cardinal, son ascendant sur le roi et ses méthodes de gouvernement l’ont rendu fort impopulaire, surtout les dernières années : avec la guerre, le désespoir et la misère du peuple, mais aussi le mécontentement des privilégiés (…)
« Ci-gît un fameux cardinal
Qui fit plus de mal que de bien :
Le bien qu’il fit, il le fit mal
Le mal qu’il fit, il le fit bien. »735Isaac de BENSERADE (1612-1691), Épitaphe
La plus connue des inscriptions funéraires et vengeresses qui accueillirent la mort de Richelieu, signée d’un gentilhomme normand, écrivain précieux et académicien français que le cardinal avait protégé.
« Grand ministre ! Que n’es-tu né de mon temps ! Je te donnerais la moitié de mon empire pour m’apprendre à gouverner l’autre. »736
PIERRE le Grand (1672-1725). Histoire de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand (posthume, 1831), Voltaire
Tsar de Russie à la fin du XVIIe siècle, très européen, admirateur de la France, autocrate et autoritaire, Pierre Ier, dit Pierre le Grand, viendra s’incliner devant la tombe du cardinal et lui rendra cet hommage. Artisan de la grandeur russe, promoteur de réformes centralisatrices, pratiquant un « dirigisme de guerre », il devait se sentir frère en politique de ce grand homme d’État.
« Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »737Pierre CORNEILLE (1606-1684), Poésies diverses (posthume)
Auteur célèbre (…) il compose ce quatrain, à la mort de Richelieu. Il se rappelle la protection dont il a bénéficié, quand il était totalement inconnu (…) mais ne peut oublier la cabale et la querelle du Cid qui s’ensuivit, en 1637 (…) Le mécénat artistique, véritable politique culturelle, encourage les créateurs (…) L’art classique nait à cette époque, contribuant au rayonnement de la France en Europe.
« Je vois bien qu’il faut mourir, par votre silence. »738
LOUIS XIII (1601-1643), à son médecin, 27 mars 1643. Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois
Malade d’une tuberculose dont il souffrit toute sa vie, « appauvri d’âme et de sang » (Henri Blaze de Bury), il interroge en vain son médecin, Bouvard. Il ne va survivre que six mois à Richelieu.
« Comment vous appelez-vous à présent ?
— Louis XIV, mon papa.
— Pas encore, mon fils, pas encore, mais ce sera peut-être pour bientôt. »739LOUIS XIII (1601-1643), au futur roi qui n’a pas 5 ans, 21 avril 1643 (…)
À peine âgé de 40 ans, le roi n’a plus deux mois à vivre. Mais sa piété lui enlève toute crainte. C’est un fait assez rare dans l’histoire et son fils, l’heure et le jour venus (en 1715), fera preuve du même courage. Il demande à Vincent de Paul de le confesser, et meurt dans ses bras.
« C’est par votre ignorance, l’état où je suis maintenant. »740
LOUIS XIII (1601-1643), à son médecin, 9 mai 1643 (…)
Il meurt le 14 mai, jour anniversaire de l’assassinat de son père Henri IV, et donc de son propre avènement. Louis XIII le Juste est le dernier roi de France que le peuple va pleurer.
« La France a bien fait voir qu’étant unie elle est invincible, et que de son union dépend sa grandeur, comme sa ruine de sa division. »741
LOUIS XIII (1601-1643). Traité de la majorité de nos rois et des régences du royaume (1722), Pierre Dupuy
Jusqu’à la fin, il a poursuivi la politique du ministériat et tiré la leçon de l’Histoire. Il semble que Richelieu parle encore par sa bouche. D’autres hommes d’État tiendront ce langage et justice sera rendue à ce règne.
« En dépit de tous, sinon de tout, l’action du cardinal [Richelieu] conjuguée avec celle du roi [Louis XIII] avait été décisive pour l’avenir du pays, en l’engageant dans la voie qui allait faire de lui un état moderne. »742
Charles de GAULLE (1890-1970). Encyclopædia Universalis, article « Richelieu »
Autre hommage qui rejoint l’idée de l’historien Buchez : Richelieu « acheva ce que Louis XI avait commencé […] Il rendit le pouvoir absolu ».
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