Et après la crise ?
Qu’importe le nom - épidémie, pandémie, guerre, catastrophe naturelle ou angoisse collective ! Toute épreuve majeure laisse des traces. Les peuples réagissent de manière différente et originale. L’Histoire en garde la mémoire et l’Histoire en citations s’en fait l’écho.
Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.
La Grande Peur de l’An Mille - mythe ou réalité ?
« C’était une croyance universelle au Moyen Âge, que le monde devait finir avec l’an mille de l’incarnation […] Cette fin d’un monde si triste était tout ensemble l’espoir et l’effroi du Moyen Âge. »140
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Cette croyance en une fin du monde pour l’an mille (ou mil) aurait fortement marqué les esprits de cette époque. Elle se fonde sur le millénarisme, doctrine selon laquelle le Jugement dernier devait avoir lieu mille ans après la naissance du Christ, d’après une interprétation du chapitre XX de l’Apocalypse de saint Jean (Nouveau Testament). Certes, la foi est grande alors, et les superstitions plus encore. Mais la majorité des contemporains, illettrés, ne sont pas sensibles aux dates.
Il faut ajouter que les auteurs romantiques du XIXe siècle auront contribué à renforcer ce mythe de la Grande Peur de l’an mille, sur la foi de quelques textes douteux, mal interprétés, parfois postérieurs. L’an deux mille déclenchera moins de fantasmes, mais leur diffusion se fera à la vitesse d’Internet, et l’obsession des dates est une nouvelle religion au XXIe siècle.
« La millième année après la Passion du Seigneur […] les pluies, les nuées s’apaisèrent, obéissant à la bonté et la miséricorde divines […] Toute la surface de la terre se couvrit d’une aimable verdeur et d’une abondance de fruits. »141
RAOÛL le Glabre (985-avant 1050), Histoires
Ce moine historien décrit la fin des terreurs du tournant millénariste. Rien ne s’est passé, comme il en a toujours été pour ce genre de superstition.
Lui qui a craint le pire et contribué à la Grande Peur, il témoigne, en termes poétiques, d’un renouveau de civilisation : « Comme approchait la troisième année qui suivit l’an Mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les basiliques des églises ; bien que la plupart, fort bien construites, n’en eussent nul besoin, une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celle des autres. C’était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d’église. » Georges Duby, grand médiéviste du XXe siècle, appelle cela « le printemps du monde ».
La Renaissance succède au Moyen Âge - évidence historique et européenne.
« Voyez, voyez tout à la ronde
Comment le monde rit au monde,
Ainsi est-il en sa jeunesse. »386Clément MAROT (1496-1544), Colloque de la Vierge méprisant le mariage (publication posthume)
C’est la Renaissance, l’aube des temps nouveaux, appelée par les historiens le « beau XVIe siècle » : de 1480 à 1560. Salué par Marot, aimable poète et courtisan, et nombre de contemporains : « Ô siècle ! les lettres fleurissent, les esprits se réveillent, c’est une joie de vivre ! » s’exclame l’humaniste Ulrich de Hutten. Seule règle morale de l’abbaye de Thélème chère à Rabelais : « Fais ce que voudras. »
« Le peuple par la longueur de la paix est tant multiplié. »406
Claude de SEYSSEL (vers 1450-1520). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
Malgré les guerres à venir, le nombre joue en faveur de la France, jusqu’à la fin de la période napoléonienne.
Dans ses frontières du XVIe siècle, le pays compte 15 à 18 millions d’habitants – 12 millions pour l’Italie, 8 pour l’Espagne, 5 pour l’Angleterre et l’Écosse réunies, et moins de 15 pour l’Allemagne. « Plusieurs lieux et grandes contrées qui souloient estre [étaient habituellement] inutiles et en friche ou en bois sont à présent tous cultivés et habités de villages et de maisons. » Cette richesse en hommes, en plus du sentiment national très fort qui les unit, va permettre au pays de triompher des épreuves.
La Régence après la triste fin du siècle de Louis XIV - que la fête commence !
« Voici le temps de l’aimable Régence,
Temps fortuné marqué par la licence. »1069VOLTAIRE (1694-1778), La Pucelle, chant XIII (posthume, 1859)
Le jeune libertin néglige ses études de droit et se fait une réputation de bel esprit dans les salons, au grand dam de son père. Il salue le nouveau régime, en décasyllabes allègres : « Le bon Régent, de son Palais-Royal / Des voluptés donne à tous le signal… » En 1715, l’arrivée de Philippe d’Orléans au pouvoir libère d’un coup les mœurs d’une société lasse du rigorisme imposé par Mme de Maintenon à la cour, laquelle donnait le ton au pays. Cependant, la fête concerne les classes privilégiées, plus que le peuple.
« Parbleu ! voilà un foutu royaume bien gouverné, par un ivrogne, par une putain, par un fripon, et par un maquereau ! »1074
Philippe d’ORLÉANS (1674-1723) répondant à un ministre venu lui demander de signer un décret. L’Amour au temps des libertins (2011), Patrick Wald Lasowski
Le Régent (l’ivrogne) soupe et boit avec une de ses maîtresses préférées, Mme de Parabère (la putain), en compagnie de John Law (le fripon), banquier écossais qui fait la politique financière de la France, et de l’abbé Dubois (le maquereau), vénal et libertin, mais supérieurement intelligent, responsable de la politique extérieure – le « maquereau » deviendra bientôt « rouget », autrement dit cardinal, de manière non orthodoxe…
Le maître de la France est dans un tel état d’ébriété qu’il ne peut même pas signer le décret ! Il tend la plume à ses trois compères, et finalement s’exécute, étant malgré tout le Régent de ce « foutu royaume ». Que la fête commence ! (1975) : le film de Bertrand Tavernier est une chronique historique fidèle à cette époque.
« On vit en débauche ouverte à Versailles. »1088
Mathieu MARIAS (1665-1737), Journal, 31 juillet 1722
Versailles donne le ton à Paris, la Régence est une période frénétique, pleine de misères, d’excès, de folies. La « vieille Madame » (la Palatine, mère du Régent) écrit : « La débauche est générale et affreuse. Toute la jeunesse de l’un et l’autre sexe mène en France une vie des plus répréhensibles ; plus elle est déréglée, mieux cela vaut […], leur conduite me semble celle des cochons et des truies. »
Mais la France profonde, c’est aussi celle dont Chardin donne l’image, dans ses tranquilles tableaux d’intérieur ; celle des salons littéraires, des cafés et des clubs où les philosophes affûtent et répandent leurs idées.
Le Directoire succède à la Révolution - finie la Terreur, la jouissance est à l’ordre du jour.
« Notre Montagne enfante un Directoire
Applaudissons à son dernier succès !
Car sous ce nom inconnu dans l’histoire
Cinq rois nouveaux gouvernent les Français […]
En adoptant un luxe ridicule
Ils font gémir la sainte Égalité ;
À leur aspect la Liberté recule
Et dans leur cœur plus de Fraternité ! »1641Le Directoire (1795), chanson. Poésies révolutionnaires et contre-révolutionnaires (1821), À la Librairie historique éd.
La France vit une transition entre la Révolution et l’Empire. Phénomène récurrent : après le Moyen Âge vint la Renaissance où « le monde rit au monde » (Marot) ; après Louis XIV et une fin de règne très sombre, le temps de l’aimable Régence rimait bien avec licence ; après les horreurs de la Première Guerre mondiale, les Années folles se déchaîneront. Et en 1795, au lendemain de la Terreur, la jouissance est à l’ordre du jour, du moins pour la bonne société.
En tant que nouveau régime né de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795), ce Directoire présente deux inventions, une mauvaise et une bonne. Les « cinq rois » qui gouvernent, appelés Directeurs, ne vont cesser de se disputer, ce qui fragilise ou paralyse le pouvoir exécutif. À l’inverse, le bicamérisme cher à Montesquieu, pouvoir législatif confié à deux Chambres, sur le modèle anglais, instaure une formule toujours reprise : la Chambre basse (élue au suffrage direct, par le peuple) est tempérée par la Chambre haute (élue au suffrage indirect, représentant les régions et les départements). En 1795, on a le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens – sous la Cinquième République, la Chambre des députés et le Sénat.
« La goinfrerie est la base fondamentale de la société actuelle. »1642
Louis-Sébastien MERCIER (1740-1814), Nouveau Paris (1799-1800)
Auteur dramatique connu avant la Révolution, il juge ainsi la bonne société du Directoire. Selon un policier, « le débordement des mœurs dépasse toute idée ».
La danse fait fureur : 645 bals à Paris, dont le bal des Zéphirs au cimetière Saint-Sulpice et le bal des Victimes, réservés aux parents d’un guillotiné. C’est le temps des « Muscadins » (le mot désignait sous la Révolution les jeunes royalistes lyonnais usant de riches parfums au musc). Sur les boulevards parisiens, on voit se pavaner les « Merveilleuses » (élégantes aux perruques de toutes les couleurs) et les « Incroyables » (excentriques à l’extrême). Ils s’étourdissent dans des fêtes coûteuses. C’est une réaction normale, après les années d’austérité et de terreur, mais ce beau monde est frelaté et le reste du pays souffre.
« Au sein de l’abondance
Le Directoire dépense
Plus que jamais en France
Prince ne dépensa. »1652L’Intérieur du Directoire, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
La chanson a souvent valeur de gazette. La France va mal. Le pays est en guerre, les Directeurs se disputent, les Jacobins s’opposent aux royalistes… et les spéculateurs s’enrichissent.
Après la Grande Guerre de 14-18, la France fête les Années folles.
« Il y eut quelque chose d’effréné, une fièvre de dépense, de jouissance et d’entreprise, une intolérance de toute règle, un besoin de nouveauté allant jusqu’à l’aberration, un besoin de liberté allant jusqu’à la dépravation. »2631
Léon BLUM (1872-1950), À l’échelle humaine (1945)
Socialiste témoin de son temps, il évoque le bouleversement moral qui suit la Première Guerre mondiale durant dix ans. Le jazz entre en scène. Le tango chavire les corps. Le charleston fait rage. Les dancings font fortune. Les artistes se doivent d’être anarchistes, dadaïstes, bientôt surréalistes. Les femmes ont l’air de garçons. « C’est bien parce que c’est mal ; c’est m »al parce que c’est bien. » C’est le début des « Années folles ».
« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »2633
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours de Verdun, 14 juillet 1919. Discours de paix (posthume), Georges Clemenceau
Le « Père la Victoire » est toujours à la tête du gouvernement d’une France épuisée par l’épreuve des quatre ans de guerre, même si une minorité artiste et privilégiée fête la décennie des Années folles d’après guerre.
Le vieil homme est devenu le « Perd la Victoire » : piètre négociateur au traité de Versailles signé le 28 juin, il a laissé l’Anglais Lloyd George et l’Américain Wilson l’emporter sur presque tous les points. Et il ne sera pas président de la République, l’Assemblée préférant voter en 1920 pour un homme qui ne lui portera pas ombrage, Deschanel.
Les paroles de Clemenceau sont prophétiques d’une autre réalité qui marque les vingt ans à venir : « L’Allemagne, vaincue, humiliée, désarmée, amputée, condamnée à payer à la France pendant une génération au moins le tribut des réparations, semblait avoir tout perdu. Elle gardait l’essentiel, la puissance politique, génératrice de toutes les autres » (Pierre Gaxotte, Histoire des Français).
Au début d’une crise climatique enfin reconnue - une prise de conscience institutionnelle.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »3377
Jacques CHIRAC (1932-2019), Sommet mondial de Johannesburg, Afrique du Sud, 2 septembre 2002
Plus de 100 chefs d’État (et quelque 60 000 participants) font le bilan du Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992, et du Protocole de Kyoto (Japon) en 1997, les États signataires s’engageant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, dioxyde de carbone en tête (le fameux CO2).
Centré sur le développement durable, le Sommet adopte un plan d’action écologiquement et généreusement ambitieux : lutte contre la paupérisation, contrôle de la globalisation, gestion des ressources naturelles, respect des droits de l’homme, etc.
« Au regard de l’histoire de la vie sur Terre, celle de l’humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l’homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L’Homme, pointe avancée de l’évolution, peut-il devenir l’ennemi de la Vie ? Et c’est le risque qu’aujourd’hui nous courons par égoïsme ou par aveuglement. Il est apparu en Afrique voici plusieurs millions d’années. Fragile et désarmé, il a su, par son intelligence et ses capacités, essaimer sur la planète entière et lui imposer sa loi. Le moment est venu pour l’humanité, dans la diversité de ses cultures et de ses civilisations, dont chacune a droit d’être respectée, le moment est venu de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d’harmonie, et donc d’apprendre à maîtriser la puissance et les appétits de l’homme. »
Discours du président français, bien écrit par Jean-Paul Deléage, physicien, géopoliticien, maître de conférences universitaire, militant et historien de l’écologie.
« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »3384Charte de l’environnement (élaborée à l’initiative de Jacques Chirac), articles 1 et 2, 2005
Texte défendu par les ministres de l’Écologie, Roselyne Bachelot, puis Serge Lepeltier, présenté et adopté en première lecture par l’Assemblée et le Sénat, entériné par le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 28 février 2005. L’environnement entre dans la Constitution, au même niveau que les droits de l’homme et du citoyen de 1789, et les droits économiques et sociaux de 1946, au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » (article 3).
« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi » (article 4).
À la fin d’un quinquennat embourbé dans les affaires, et de son propre aveu « pourri » par Sarkozy, Chirac prend de la hauteur… Utopie ? Ou foi dans l’avenir, pari politique et humaniste, pour que l’écologie entre véritablement dans les mœurs. En créant la Fondation à son nom, Jacques Chirac, retraité de la vie politique en 2008, prouvera que la cause lui tient vraiment à cœur.
Et après la crise sanitaire de 2020, inédite et mondiale ?
Les futuro-socio-politologues s’interrogent et se contredisent, entre optimisme et pessimisme, utopie et réalisme. Tout est pensable ! Mondialisation revue et corrigée, nouvelle fraternité universelle, respect de l’environnement, écologie bien comprise, ou repli sur soi, nationalisme et populisme renforcés, inégalités économiques croissantes, capitalisme effréné ?
Laissons le mot de la fin à Jacques Chirac, l’éternel battant : « Les crises sont des choses qui arrivent régulièrement. Le grand avantage, c’est qu’en général, on en sort renforcé. » 3348
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