Épisode 10 : les femmes historiques de la seconde moitié du XXe siècle
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1. Yvonne de Gaulle (1900-1979), surnommée Tante Yvonne, la première « première Dame » de France.
« Pleine d’idéal et de droiture, de caractère régulier et consciencieux. »
Bulletin d’Yvonne VENDROUX, élève chez les Dominicaines d’Asnières-sur-Seine, cité par Bertrand Meyer-Stabley, Les Dames de l’Élysée - Celles d’hier et de demain (1987)
Bon résumé d’un caractère somme toute classique. Mais la jeune bourgeoise calaisienne d’une riche famille industrielle va rencontrer un personnage hors norme, d’où un destin historique tout à fait inattendu.
« Ce sera lui ou personne. »
Yvonne de GAULLE (1900-1979) en 1920, Yvonne de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour (Archives nationales)
C’est décidé lors de sa première rencontre – arrangée par la famille - avec le capitaine de Gaulle, son aîné de dix ans.
Elle inaugure ce que sera plus tard le gaullisme politique : lien inconditionnel à un homme plutôt qu’à un parti, avec ce que cela suppose de fidélité, de foi, de sacrifice et parfois d’intransigeance. En vertu de quoi Yvonne de Gaulle est une gaulliste de la première heure et même la première de tous les gaullistes.
Son fils Philippe de Gaulle confirme que « par éducation et par réflexe, elle partage les mêmes convictions et les mêmes façons de vivre que son mari. »
Autre constat : de tous les intimes, tous les proches du général et tous les gaullistes, c’est celle qui a connu le personnage sur la plus longue durée, de 1920 à 1970. Ajoutons, le plus constamment et de plus près, vu le couple soudé et la vie de famille traditionnelle, mais quand même très particulière.
« Dès 14 ans, j’ai su que j’avais un monument historique à la maison. »
Philippe de GAULLE (né en 1921), cité par Marcel Jullian, Dimanche magazine, 17 janvier 1982
En 1935, Madame de Gaulle devait en être déjà consciente, mais cette conviction familiale ne fera que se confirmer au fil de l’Histoire… qui commence véritablement en juin 1940.
« Lorsque la France est livrée à l’ennemi, avec une intuition inouïe du rôle que s’apprête à jouer son mari, sans nouvelles de lui, elle gagne l’Angleterre seule, avec leurs trois enfants. »
Geneviève MOLL (1942), Yvonne de Gaulle
C’est l’une des biographies les plus justes de « tante Yvonne », femme de courage et de fidélité.
Quand la guerre semblait perdue et finie, elle part avec ses trois enfants pour rejoindre le Général sans savoir où il est, s’embarquant sur un ferry néerlandais à Brest, dernier navire quittant le port pour les conduire à Falmouth. Le Daily Mirror leur apprend que la veille, 18 juin, Charles de Gaulle a lancé un appel à la radio de Londres. Le lendemain, ils arrivent dans la capitale britannique. La famille est réunie.
Yvonne et les deux filles, Élisabeth et Anne, vont suivre le Général dans les déplacements du gouvernement provisoire, tandis que leur fils Philippe s’engage dès le 20 juin dans les Forces navales françaises libres (FNFL).
« La Fondation n’est pas faite pour les gens à millions. »
Yvonne de GAULLE (1900-1979), Lettre à la sœur Madeleine du Calvaire, 19 octobre 1955. Frédérique Neau-Dufour, Charles de Gaulle, Archives et Histoire. Publications des Archives nationales (Source remarquable)
Drame intime de ce couple public, Anne leur seconde fille, atteinte de trisomie, meurt en 1948 – âgée de 20 ans. De Gaulle, très catholique et mystique comme sa femme, avait dit en 1940 au père Lenoir, aumônier de la France libre : « Pour un père, Monsieur l’aumônier, c’est une bien grande épreuve. Mais pour moi, cette enfant est aussi une grâce ; elle est ma joie, elle m’aide à dépasser tous les échecs et tous les honneurs et à voir toujours plus haut. »
Quant à sa femme élevée selon les préceptes de la charité chrétienne, cette fille de riche visitait déjà les malades et les démunis. Plus tard, femme d’officier, elle vient personnellement en aide aux familles de soldats dans la peine. Devenue Première dame, elle inscrira son action dans cette filiation, pour apporter son soutien aux cas les plus désespérés.
Dans cette logique, après la guerre, elle va créer une fondation pour favoriser l’accueil de jeunes filles handicapées : « Yvonne de Gaulle cachait sa fille, pour la préserver. Elle culpabilisait beaucoup. Elle pensait que c’était de sa faute, car à l’époque le handicap d’un enfant était toujours la faute d’un parent ! Elle voulait comprendre » selon Stéphanie qui travaille pour la Fondation Anne de Gaulle.
Mais la bienfaitrice cible son action : « exclusivement des jeunes filles indigentes bénéficiant des secours de l’Assistance publique », condition résumée plus abruptement par cette lettre : « La Fondation n’est pas faite pour les gens à millions. »
« Désormais, il va nous falloir vivre en meublé. »
Yvonne de GAULLE (1900-1979), après la victoire du Général à l’élection présidentielle du 21 décembre 1958
Le couple emménage au palais de l’Élysée le 8 janvier 1959. De Gaulle vérifiait le soir que les lumières étaient bien fermées, par économie. Sa femme qui a connu le luxe bourgeois dans son enfance et s’est habituée à s’en « guérir » ne se sentira jamais à l’aise dans ce cadre officiel. Pour retrouver l’humilité de la vraie vie et « avoir l’air d’une femme normale », il lui arrive de laver les chaussettes de son mari dans le lavabo des appartements privés. Mais ça ne se fait pas, à l’Élysée : « Tout le monde y est chez soi, sauf nous » confiera-t-elle au président Eisenhower en visite.
La fonction présidentielle a d’autres inconvénients plus graves. La guerre d’Algérie est finie, mais après l’indépendance de l’Algérie (3 juillet 1962), le couple prêt à regagner la Boisserie échappe de peu au fameux « attentat du Petit-Clamart ».
« J’espère que les poulets n’ont rien eu »1
Yvonne de GAULLE (1900-1979), cité dans toute la presse au lendemain du 22 août 1962
Sur les 187 balles tirées par le commando de l’OAS, 14 impacts sont identifiés sur la DS présidentielle. Arrivés sains et saufs à la base aérienne de Villacoublay, le général dit à ceux qui les accueillent : « Cette fois, c’était tangent. ».
À la surprise des forces de l’ordre les encadrant, Yvonne de Gaulle prononce cette seule phrase restée célèbre… Précisons que les poulets désignaient non pas les policiers, mais des volailles en gelée achetées chez Fauchon, destinées à la table familiale dans leur propriété de Colombey et transportées dans le coffre de la voiture.
« Vous êtes brave Yvonne ! »
Général de GAULLE (1890-1970), 22 août 1962, cité par Bertrand Meyer-Stabley, Les Dames de l’Élysée - Celles d’hier et de demain (1987)
Dans l’avion du retour, le Général glisse ses mots à l’oreille de son épouse assise à ses côtés. Moins connu, un détail « miraculeux » remarqué par le couple : une balle qui devait atteindre sa femme dans le dos fut arrêtée par le cadre d’une photo de leur fille Anne, objet que sa mère tenait à garder toujours près d’elle, y compris en voyage.
« Il y avait pour Madame de Gaulle trois sujets inépuisables. Il s’agissait, sans ordre de préférence, des enfants, des fleurs et des voyages. »
Colonel Jean d ESCRIENNE (1922-2014), aide de camp du Général, 4 juin 2009. Yvonne de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour (Archives nationales)
Épistolière assidue, la plupart de ses lettres se résument à des commentaires sur ses thématiques préférées. Seuls les voyages étaient en relation avec les incessants déplacements du président qu’elle suivait aux quatre coins de la France, de l’Europe et du monde.
Mais rien qui puisse nous renseigner sur sa vision (géo)politique. Maladivement discrète, elle a construit un mur infranchissable entre sa vie privée et sa vie publique. Vis-à-vis des journalistes vus comme des fouineurs prêts à tout pour récolter des informations, sa méfiance frôle la paranoïa. Ses prises de parole sont inexistantes et ses apparitions télévisuelles ou photographiques systématiquement liées à celles de son époux - elle apparaît comme la compagne, l’ombre portée, presque caricaturale à force d’être protocolaire.
Elle apporte cependant au Général un véritable ancrage dans le terrain. Cette femme pragmatique qui fait ses courses elle-même, connaît les prix et parle avec les « vrais » gens, incarne le bon sens populaire. Aux côtés du grand Charles, de son domaine réservé et de sa capacité à façonner une France présente dans le monde, Yvonne reste plus facile d’accès et contribue à humaniser le grand homme – sans que cela soit prémédité et moins encore joué.
« Que les communistes usent de la rue pour arriver à leurs fins, je m’y oppose. »
Yvonne de GAULLE (1900-1979), cité par Bertrand Meyer-Stabley, Les Dames de l’Élysée - Celles d’hier et de demain (1987)
Pendant les évènements de mai 1968, elle accompagne naturellement son mari dans son déplacement (tenu secret) à Baden-Baden et elle émet une opinion politique. Mais la femme est ici le reflet de son mari, un président littéralement dépassé par « les événements » pour la première fois de sa vie !
Le gaullisme d’Yvonne de Gaulle est rarement pris en considération par les collaborateurs du Général et par les historiens. Discrète et conservatrice, elle semble à mille années lumières de l’élan, l’audace et la modernité constitutifs du gaullisme politique. Elle incarne avant tout, pour la majeure partie de l’opinion, la « femme de » par excellence, vouée à son mari et n’ayant d’autre mission que de le servir. La jeune Yvonne Vendroux fut éduquée dans ce seul objectif par sa famille de la haute société calaisienne. Le personnage a quand même fait preuve d’une personnalité certaine, parfaitement adaptée à la personnalité hors norme d’un conjoint dont l’ego fut souvent moqué par ses contemporains. Et au final, elle gagna au jeu de la sympathie.
« Chère Tante Yvonne… »
Yvonne de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour (Archives nationales)
« Le général de Gaulle est mort. La France est veuve. » Déclaration du président de la République Georges Pompidou, allocution radiotélévisée, 10 novembre 1970. Cette mort remonte au soir du 9 novembre, alors que le général, avant le dîner, faisait une patience (jeu de cartes), dans sa résidence personnelle de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises. Il est pris d’un malaise, c’est une rupture d’anévrisme. Il meurt 20 minutes après, à 79 ans.
Les dizaines de milliers de lettres reçues par Madame de Gaulle témoignent des sentiments que les Français lui portent. Beaucoup s’adressent à « Chère madame », « Madame la Présidente », « Madame la Générale » et même « Mon Général » (!), mais les plus nombreuses sont simplement intitulées : « Chère tante Yvonne ».
Les Français lui ont toujours beaucoup écrit : en 1965, 645 lettres en moyenne par mois, dont la plupart émanent de laissés-pour-compte et rédigées dans un français approximatif. C’est à eux que la femme du Président accorde le plus d’attention, allant jusqu’à leur répondre personnellement et leur accordant les subsides qu’ils réclament. Le lien qu’Yvonne de Gaulle entretient avec ceux qu’elle appelle « les plus humbles » est constitutif de sa personnalité… et de sa véritable popularité.
« Je n’admets pas qu’il y ait des arrangements avec ceux qui ont combattu le Général. On manque de fermeté. »
Yvonne de GAULLE (1900-1979), à Georges Galichon, 15 novembre 1972. Publications des Archives nationales, Yvonne de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour (citant les archives privées de ce diplomate, membre du Conseil d’État)
Se sentant « gardienne du temple » et fidèle au-delà de la mort qui n’existe pas, on retrouve la jeune fille « pleine d’idéal et de droiture, de caractère régulier et consciencieux » qu’elle n’a jamais cessé d’être et qu’elle peut enfin paraître. En vertu de quoi elle critique la politique politicienne et les arrangements entre les partis qui autorisent certains gaullistes à devenir giscardiens.
De manière plus générale, imaginons ce qu’elle penserait de tous les politiciens qui se proclament héritiers du gaullisme. Mais le Général l’avait bien dit : « Tout le monde a été, est ou sera gaulliste. » Phrase également attribuée à André Malraux, assurément gaulliste de la première heure à la dernière.
2. Joséphine Baker (1906-1975), artiste, politique et combattante tout terrain, dernière panthéonisée pour une vie bien remplie.
« J’ai deux amours : mon pays et Paris. »,
Joséphine BAKER (1906-1975), J’ai deux amours, chanson, paroles de Géo Koger et Henri Varna, musique de Vincent Scotto
C’est son refrain fétiche et jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle entre sur un plateau de télévision, dans un restaurant ou une boîte de nuit, l’orchestre joue aussitôt les premières mesures : « J’ai deux amours / Mon pays et Paris / Par eux toujours / Mon cœur est ravi / Ma savane est belle / Mais à quoi bon le nier / Ce qui m’ensorcelle / C’est Paris, Paris tout entier. »
Le Panthéon lui a ouvert ses portes le 30 novembre 2021. Elle « coche toutes les cases » comme l’on dit : artiste populaire, star mondiale, femme libre, descendante d’esclave noire, bisexuelle assumée, naturalisée française, résistante triplement décorée, protectrice des animaux, mère de douze enfants adoptés et chacun d’ethnie différente… Sa vie est un feuilleton dont l’héroïne est douée de tous les talents, avec un sacré caractère et une énergie hors norme dont elle a quand même abusé jusqu’à la limite de ses forces.
« Eh oui ! Je danserai, chanterai, jouerai, toute ma vie, je suis née seulement pour cela. Vivre, c’est danser, j’aimerais mourir à bout de souffle, épuisée, à la fin d’une danse ou d’un refrain. »
Joséphine BAKER (1906-1975), Les Mémoires de Joséphine Baker recueillies par Marcel Sauvage (1949)
Elle a tenu parole, ses dernières apparitions sont pathétiques, telle est sa (riche) nature ! Mais ce n’est pas la raison de sa panthéonisation, ni même l’essentiel chez ce personnage hors norme ! Ses racines sont plus profondes. Elle nous donne la clé de l’énigme qu’est sa vie.
« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »
Joséphine BAKER (1906-1975). Alliages culturels : la société française en transformation (2014), Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil
Dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est à la mode et la première exposition d’art nègre va influencer les artistes Fauves et Cubistes. Le peintre Fernand Léger conseille à l’administrateur du Théâtre des Champs-Élysées de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : la Revue nègre, vingt-cinq artistes dont douze musiciens parmi lesquels le trompettiste Sidney Bechet et une danseuse de 19 ans à l’incroyable présence. Paul Colin crée l’affiche de la revue. Joséphine Baker y apparaît dans une robe blanche ajustée, poings sur les hanches, cheveux courts et gominés, entre deux noirs, l’un portant un chapeau incliné sur l’œil et un nœud papillon à carreaux, l’autre arborant un large sourire. Cette œuvre folklorique est l’une des grandes réussites de l’Art déco : les déformations cubistes rendent admirablement le rythme du jazz, nouveau en France à cette époque.
La « Vénus noire » est lancée en 1925 : elle a le diable au corps, vêtue d’une ceinture de plumes blanches, dansant le charleston avec son partenaire Joe Alex. Scandale… et succès immédiat. La salle affiche complet. Forte de sa renommée, Joséphine devient la meneuse des Folies Bergère en 1926 : les plumes laissent place à la ceinture de bananes. Encore plus provoquant ! Le tout Paris des Années folles n’a plus que ce nom à la bouche : Joséphine Baker. D’autres artistes afro-américains vont séjourner en Europe : peintres, sculpteurs, poètes, romanciers trouvent à Paris le lieu où prolonger la « renaissance nègre » de Harlem et y apprécient une société libérale qui ignore la ségrégation.
« C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »
Joséphine BAKER (1906-1975) à Jacques Abtey chef du contre-espionnage militaire à Paris qui la cite dans « Les Français Libres ». La Guerre secrète de Josephine Baker (1948), Jacques Abtey
Septembre 1939. Le capitaine Abtey est chargé de recruter des « Honorables Correspondants » susceptibles de se rendre partout sans éveiller les soupçons afin de recueillir des renseignements sur l’activité des agents allemands. Elle se présente à lui en toute simplicité, lors de leur première rencontre, villa Beau Chêne au Vésinet. Elle expliquera ensuite sa méthode pour faire passer des messages secrets : « C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent à l’hôtel. A Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant… Ces papiers seraient sans doute compromettants si on les trouvait. Mais qui oserait fouiller Joséphine Baker jusqu’à la peau ? Ils sont bien mis à l’abri, attachés par une épingle de nourrice (à son soutien-gorge). D’ailleurs mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction… Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes ! » À ce petit jeu, elle risque quand même la prison et parfois sa vie.
Lors de son passage à Alger en 1943, le général de Gaulle, reconnaissant pour ses actions dans la Résistance, lui offre une petite Croix de Lorraine en or. Titulaire d’un brevet de pilote pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, elle rejoint les Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air (IPSA) et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.
À ses funérailles en 1975, elle fut la première femme d’origine américaine à recevoir les honneurs militaires.
« Quelle importance y a-t-il à ce que je sois noire, blanche, jaune ou rouge ? Dieu, en nous créant, n’a pas fait de différence. Pourquoi l’homme voudrait-il le surpasser en créant des lois auxquelles Dieu même n’a pas songé ? »
Joséphine BAKER (1906-1975), Discours du 28 décembre 1953 – Meeting de la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) (LICA) devenue en 1980 LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme)
Dans son château des Milandes (où elle perd tout l’argent gagné en tournées et plus encore…), elle est fière de sa « tribu arc-en-ciel ». Faute de pouvoir être mère, elle a adopté ses douze enfants, chacun d’une ethnie différente (coréen, finnois, français, japonais, ivoirien, colombien, canadien, algérien, marocain, vénézuélien, juif français…).
Elle retourne aux USA en 1963 et participe à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté organisée par Martin Luther King - elle prononce un discours, avec son uniforme de l’Armée de l’air française et ses médailles de résistante.
Tout le reste de sa vie, elle mettra sa popularité au service de ses idées inlassablement répétées : « Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n’importe où je la trouve, car je suis profondément contre et je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut pas se défendre dans ce domaine. Du reste, je suis navrée d’être obligée de combattre car, à l’époque où nous vivons, de telles situations ne devraient pas exister. Je lutte de toutes mes forces pour faire abolir les lois existantes dans différents pays qui soutiennent la discrimination raciale et religieuse parce que ces lois font croire à ces citoyens qu’ils ont raison d’élever leurs enfants dans cet esprit. » Bref, une belle personne, à tout point de vue et un personnage politique au meilleur sens du terme.
3. Simone Weil (1909-1943), philosophe mystique et passionnément humaniste, passée ouvrière sous le Front populaire dans la joie, mais éternellement insatisfaite et morte prématurément à bout de forces.
« La politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. ».
Simone WEIL (1909-1943), Œuvres (1999), éditions Gallimard (posthumes)
Agrégée de philosophie et enseignante en province, elle participe aux combats sociaux et syndicaux des années trente véritablement « en crise ». Critique envers le marxisme, elle se place résolument au côté du monde ouvrier. En 1932, sa rencontre avec Boris Souvarine, militant communiste hostile à Staline, la conforte dans son opposition politique aussi bien contre la bourgeoisie au pouvoir dans les démocraties occidentales que contre le stalinisme imposé à l’Union soviétique.
« Le mot de révolution est un mot pour lequel on tue, pour lequel on meurt, pour lequel on envoie les masses populaires à la mort, mais qui n’a aucun contenu. »
Simone WEIL (1909-1943), Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934)
Elle écrit aussi : « On pense aujourd’hui à la révolution, non comme à une solution des problèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes. » Oppression et liberté. Et pourtant : « Rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense. »
C’est dire le dilemme à la fois politique, philosophique, existentiel qui constitue le drame de sa vie, en même temps que tout en elle la pousse à l’action – en pure perte ? N’oublions pas qu’elle vit douloureusement et en pleine conscience cette période qualifiée par les historiens d’« entre-deux-guerres ».
Dès l’été 1932, elle passe quelques semaines en Allemagne pour tenter de comprendre la montée de l’hitlérisme. Au retour, elle écrit plusieurs articles très lucides pour dire les risques à venir.
En 1936, pendant la guerre d’Espagne, elle s’engage dans la camp des républicains et des anarchistes après le coup d’État du général Franco, mais blessée accidentellement, elle doit bientôt rentrer en France.
Elle va vivre l’expérience la plus marquante dans sa courte vie, le Front populaire « à la française ».
« Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes pendant quelques jours… Cette grève est en elle-même une joie. »
Simone WEIL (1909-1943), La Révolution prolétarienne, 10 juin 1936. Histoire de la Troisième République, volume VI (1963), Jacques Chastenet
L’agrégée de philo s’est faite ouvrière chez Renault un an avant pour être au contact du réel et elle écrira son article sous le pseudonyme de Simone Galois.
Plus que jamais passionnée de justice, toujours contre la force et du côté des faibles, des vaincus et des opprimés, la jeune femme vibre à cette aventure et – comme elle le fera jusqu’à sa mort prochaine – participe pleinement : « Joie de vivre parmi ces machines muettes, au rythme de la vie humaine. Bien sûr, cette vie si dure recommencera dans quelques jours. Mais on n’y pense pas, on est comme des soldats en permission pendant la guerre. Joie de pénétrer dans l’usine avec l’autorisation souriante d’un ouvrier. Joie de trouver tant de sourires, tant de paroles d’accueil fraternel. Joie de parcourir ces ateliers où on était rivé sur sa machine. » Les acquis du Front populaire vont réellement améliorer la condition ouvrière - augmentation des salaires, semaine de 40 heures, congés payés de 15 jours. Oui, l’été 36 sera beau. Mais l’espoir est de courte durée.
« Nous ne possédons rien au monde - car le hasard peut tout nous ôter - sinon le pouvoir de dire “je”. »
Simone WEIL (1909-1943), La Pesanteur et la grâce (1940-1942)
L’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale mettant sa famille (juive) en danger, elle se réfugie avec elle à Marseille. Elle publie dans la revue littéraire Les Cahiers du Sud sous le pseudonyme d’Émile Novis, anagramme de son nom. Elle émigre ensuite aux États-Unis avec ses parents, puis rejoint la France Libre du général de Gaulle à Londres où elle travaille comme rédactrice. Mais son intransigeance dérange…
« L’enfer c’est de s’apercevoir qu’on n’existe pas et de ne pas y consentir. »
Simone WEIL (1909-1943), La Connaissance surnaturelle (1942-1943)
Elle écrit aussi, dans La Pesanteur et la grâce : « L’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar. » Pensait-elle à de Gaulle ou à ceux qui s’en réclament ? Elle démissionne de l’organisation du général de Gaulle en juillet 1943. Désireuse de partager les conditions de vie de la France occupée, elle souhaite rejoindre les réseaux de résistance intérieure sur le territoire français : refus de l’entourage du Général (Maurice Schumann, Jean Cavaillès, André Philip). Elle risque d’être rapidement capturée par la police française, identifiée comme juive puis déportée. De surcroît, elle ne peut plus ignorer qu’elle est gravement malade…
« Toutes les tragédies que l’on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l’écoulement du temps. »
Simone WEIL (1909-1943), Leçons de philosophie (1933-1934)
Elle parle ces mots à 24 ans, comme professeur au lycée de Roanne. Sa quête personnelle sera incessante. Née juive, agnostique proclamée, mais profondément mystique, elle ne pouvait adhérer au christianisme : « J’ai eu soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, que les esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi les autres. » Elle se convertit à partir de 1936 à ce qu’elle nomme l›« amour du Christ » et ne cesse d’approfondir sa quête de la spiritualité chrétienne. Elle s’est également passionnée pour l’hindouisme, le bouddhisme, intéressée aussi aux religions des Antiquités égyptienne et grecque.
Mais le temps lui était inexorablement compté. De santé défaillante depuis sa jeunesse, exigeant beaucoup trop de son corps et perpétuellement torturée par ses contradictions et sa quête d’impossible, elle est déclarée tuberculeuse et transférée le 17 août 1943 dans un sanatorium anglais où elle meurt une semaine après, à l’âge de 34 ans : crise cardiaque. Les causes de sa mort sont aussi complexes que sa vie. Le médecin légiste a constaté une privation de nourriture. Ce jeûne avait-il des raisons psychologiques ? Pour faire preuve de solidarité envers ses concitoyens, elle refusait de se nourrir plus que les tickets de rationnement ne le permettaient alors en France. Mais Simone Weil a toujours condamné le suicide : « Ne jamais désirer sa propre mort. Le suicide n’est permis que quand il est seulement apparent, quand il y a contrainte et qu’on a pleinement conscience de cette contrainte… » Rien ne fut simple dans cette existence tourmentée.
« Le seul grand esprit de notre temps. »
Albert CAMUS (1913-1960), l’un des premiers à avoir révélé l’importance des écrits de Simone Weil
C’est pour faire connaître sa pensée qu’il obtint de fonder la collection « Espoir » aux éditions Gallimard. Pour cet autre philosophe également lucide et torturé par des exigences extrêmes et contradictoires (au contraire de Sartre qui s’interdit de « désespérer Billancourt »), L’Enracinement est « l’un des livres les plus lucides, les plus élevés, les plus beaux qu’on ait écrits depuis fort longtemps sur notre civilisation. Ce livre austère, d’une audace parfois terrible, impitoyable et en même temps admirablement mesuré, d’un christianisme authentique et très pur, est une leçon souvent amère, mais d’une rare élévation de pensée. »
On cite toujours Simone Weil, même s’il est parfois difficile de la lire… cependant que sa quasi homonymie avec une autre Simone Veil à venir (1927-2017) peut prêter à confusion.
4. Simone de Beauvoir (1908-1986), « Notre-Dame de Sartre », philosophe politiquement très engagée et féministe du Deuxième sexe.
« J’accepte le grande aventure d’être moi. »
Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Cahiers de jeunesse (1926-1930), publiés en 2008 chez Gallimard
Comment devient-on soi quand on s’appelle Simone de Beauvoir ? C’est st la question posée dans ces Cahiers.
Quand ils commencent, Simone a dix-huit ans. De page en page, cette jeune bourgeoise catholique du début du XXe siècle va se métamorphoser en une femme libre, bientôt surnommée par ses ami(e)s « le Castor ». On peut littéralement parler d’une « invention de soi » aussi lucide que déterminée, à son image.
Cette petite phrase symbolise la difficile entreprise où elle se jette en prenant tous les risques, avec sa prodigieuse vitalité et son ardent amour de la vie. Elle se cherche, bien avant La rencontre avec Sartre, en 1929. À la dernière page, en 1930, un être nouveau est né, dont l’assurance et l’autonomie étonnent : « Conscience de toute ma force… Étrange certitude que cette richesse sera reçue, que cette vie sera source où beaucoup puiseront. Certitude d’une vocation. » À croire que le doute n’existe pas – ou guère.
En cela, elle pourra dire : mission accomplie, bien que le dernier volume de sa trilogie autobiographique (Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, La Force de l’âge, 1960, La Force des choses, 1963) se termine par ces mots : « J’ai été flouée. » Cette franchise diversement commentée fait honneur au personnage qui a quand même beaucoup menti et trompé, au plan personnel et politique. Une seule citation en fait foi…
« La vérité est une, seule l’erreur est multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme. »
Simone de BEAUVOIR (1908-1986). Les Temps modernes, nos 109 à 115 (1955), Jean-Paul Sartre
Ces mots datent de 1955, belle époque du terrorisme intellectuel. Le sectarisme de la gauche communiste sévit naturellement contre la droite, mais se déchaîne aussi en guerre des gauches. Il faudra attendre les années 1980 – démobilisation, désillusion, dépolitisation – pour voir le déclin de tous les « ismes ». Mais Simone de Beauvoir reste véritablement dans l’Histoire pour une autre raison.
« Le présent enveloppe le passé et dans le passé toute l’Histoire a été faite par des mâles. »
Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Le Deuxième Sexe (1949)
Livre événement dans l’histoire du féminisme, mouvement qui ne s’est pas arrêté au vote attribué aux femmes, après la Libération. Une femme est ministre (éphémère) pour la première fois en 1947 : Germaine Poinso-Chapuis (à la Santé publique, dans le gouvernement Schuman). C’est la Cinquième République qui, dans les années 1970, verra aboutir l’essentiel des luttes au féminin, d’où une égalité de droit, sinon de fait. Combat toujours à suivre.
« À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. »
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), cité en exergue par Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1949)
Romancière existentialiste dont toutes les œuvres se veulent « signifiantes », Notre-Dame de Sartre fait scandale avec ce livre – dont Sartre a trouvé le titre. Elle démontre que la femme est à l’homme ce que le Nègre est au Blanc, un Autre infériorisé, irresponsable. Mais les femmes, à l’inverse des autres exploités de la terre, colonisés ou prolétaires, sont restées soumises, complices des structures qui les oppriment, tombant dans les pièges du mariage et de la maternité.
Message prémonitoire : la génération suivante remettra en question le mariage traditionnel, cependant que par la contraception et l’IVG, la femme aura pour la première fois le droit d’avoir des enfants comme et quand elle le veut.
5. Françoise Giroud (1916-2003), journaliste de gauche et patronne de presse, ministre de droite, romancière à succès, personnalité complexe cachée sous son sourire médiatique.
« Bonheur : faire ce que l’on veut et vouloir ce que l’on fait. »:
Françoise GIROUD (1916-2003), Ce que je crois (1978)
Une belle devise pour une vie bien remplie et somme toute très réussie, malgré quelques drames : la mort d’un fils et la rupture avec JJSS, patron et co-créateur de l’Express, d’où sa tentative de suicide en 1960, une grave dépression et une longue psychanalyse avec Lacan à partir de 1963.
Françoise Giroud déclare avec l’intelligence et la lucidité qui caractérisent cette grande professionnelle : « Je ne crois pas à l’importance de ce que je fais, mais je crois important de savoir ce que je fais. » Et elle ajoute avec franchise et pudeur : « Agir, c’est se protéger. »
Fille d’un réfugié politique d’origine turque, tous ses emplois se résument en une vocation, écrire : articles, scénarios, romans, essais, témoignages et autobiographie sous divers titres et formes.
Personnalité parisienne très influente, elle est connue pour avoir la dent dure et le mot juste – elle invente en 1958 l’expression « nouvelle vague » qualifiant la jeunesse et bientôt les cinéastes issus des Cahiers du cinéma.
Vice-présidente du Parti radical, mais deux fois secrétaire d’État sous la présidence centriste de Giscard d’Estaing, c’est la seule femme restée durablement à la tête d’un groupe de presse en France.
« Choisir, pour une femme, la morale de gauche, c’est voter pour l’homme réel contre le mythe du Prince Charmant, pour le droit de vivre contre le droit de rêver. »
Françoise GIROUD (1916-2003), « Voter pour le Prince Charmant », l’Express, 18 décembre 1955
La journaliste tente de mobiliser l’électorat féminin en lui prouvant à quel point gauche et droite font la différence, dans sa vie quotidienne. Rappelons que sous la Quatrième République, le régime des partis rend le paysage politique plutôt confus et les gouvernements impuissants – avant le retour au pouvoir du Général de Gaulle, pour en finir avec la guerre d’Algérie.
Résultat des élections du 2 janvier 1956 ? Percée de 51 poujadistes (11 députés seront invalidés), effondrement des gaullistes (correspondant à la traversée du désert pour le Général), renforcement des communistes (exclus du gouvernement). Les partis classiques de la Quatrième se retrouvent plus ou moins perdants (SFIO, radicaux, MRP) ou gagnants (indépendants et modérés). Aucune majorité ne se dégage vraiment, mais le PCF est redevenu premier parti de France. Le président Coty aurait pu s’adresser à Mendès France pour former le gouvernement, mais il lui préfère Guy Mollet, secrétaire du Parti socialiste.
« Il n’est plus ministre, il n’est plus député et c’est le moment où, en quarante-cinq minutes de télévision, M. Valéry Giscard d’Estaing a pris soudain la physionomie d’un homme politique […] Nous avons assisté mardi soir à la naissance d’un dauphin. »
Françoise GIROUD (1916-2003), « Naissance d’un dauphin », L’Express, 21 février 1966
Séduite à la suite de l’émission télévisée « Face à face » entre Giscard d’Estaing et quatre journalistes, la journaliste en tire une conclusion prophétique. Notons que ces années de Gaulle sont aussi les « années médias » : la télé fait et défait les destins politiques.
« On ne tire pas sur une ambulance. »
Françoise GIROUD (1916-2003), L’Express, 24 avril 1974
Le trait d’une charité sans pitié vise Chaban-Delmas dont la cote ne cesse de baisser dans les sondages. Lei 4 avril, avant même la fin du discours d’hommage d’Edgar Faure (président de l’Assemblée nationale) au président défunt, Chaban-Delmas avait annoncé par un communiqué : « Ayant été trois ans Premier ministre sous la haute autorité de Georges Pompidou et dans la ligne tracée par le général de Gaulle, j’ai décidé d’être candidat à la présidence de la République. Je compte sur l’appui des formations politiques de la majorité présidentielle. » Candidature lancée trop tôt ? Pas assez solide face à Mitterrand à gauche ? Concurrencée par d’autres candidats à droite ?
Et Françoise Giroud de commenter : « Alors que MM. Giscard d’Estaing et Mitterrand provoquent des mouvements intenses d’admiration ou d’hostilité, parfois d’admiration et d’hostilité mêlées, on a envie de demander, sans acrimonie, à M. Chaban-Delmas : « Et vous, qu’est-ce que vous faites au juste dans cette affaire ? » Il encombre. Comment le battant a-t-il viré à l’ancien combattant ? » Résultat ? Au premier tour, avec 15,1 % de suffrages, il arrive en troisième position, largement distancé par Giscard d’Estaing (32,6 %) et Mitterrand (43,2 %). En vue du second tour, il apporte au candidat de centre droit son « soutien conditionnel ». Cette défaite entraîne la naissance du néologisme « chabanisation » ou « se faire chabaniser ».
« [La femme sera] vraiment l’égale de l’homme le jour où à un poste important on désignera une femme incompétente. »
Françoise GIROUD (1916-2003), citée dans Le Monde, 11 mars 1983
Innovation intéressante du nouveau président Giscard d’Estaing : un poste de secrétaire d’État à la Condition féminine, créé en juillet 1974 pour la directrice de L’Express qui avait pourtant appelé à voter Mitterrand. C’est l’une des plus intelligentes militantes du féminisme et c’est un petit événement politique, sociologique, médiatique. Bien joué ! Les socialistes au pouvoir en 1981 reprendront cette idée, avec un ministère des Droits de la femme.
Elle lance « cent une mesures » en faveur des femmes : mise en place de droits propres, lutte contre les discriminations, ouverture des métiers dits masculins, etc. ; 80 sont retenues par le gouvernement Chirac afin de « conduire progressivement la moitié des Français au niveau de formation, de rétribution, d’intégration à la vie sociale et économique et de responsabilités où se trouve l’autre ». Mais le secrétariat d’État est doté de moyens limités et peine à faire aboutir ses projets, par manque de coordination avec les autres ministères. Questionnée sur son bilan, elle répondra : « Il n’y a pas de secrétariat d’État aux miracles. »
D’août 1976 à mars 1977, on la retrouve secrétaire d’État à la Culture, dans le gouvernement de Raymond Barre. Juste le temps d’entériner des décisions prises avant elle, loi sur l’architecture du 31 janvier 1977, création des DRAC (Directions générales des Affaires culturelles). Elle ne sera pas reconduite dans le nouveau gouvernement en raison d’un scandale (concernant sa médaille de la Résistance). Affaire classée sans suite, mais elle se retire de la politique pour revenir à l’écriture et au journalisme. Raymond Aron éditorialiste à L’Express qui a changé de patron s’oppose à son retour. Elle va signer des chroniques dans le JDD.
« Tout chef politique doit avoir l’instinct du tueur ! »
Françoise GIROUD (1916-2003), La Comédie du pouvoir (1977)
Pour ce premier roman, elle a bien observé les coulisses politiciennes sous les gouvernements Chirac et Barre. Chirac le dira lui-même : « Le monde politique est une jungle », et « Il ne faut jamais blesser une bête, on la caresse ou on la tue. » L’homme est de la race des grands fauves et sa rupture avec (ou plutôt contre) le président Giscard d’Estaing le prouve.
Autre roman situé dans les coulisses politique, Le Bon Plaisir (1983), adapté au cinéma : l’histoire d’un président de la République qui cache l’existence d’un enfant adultérin. La romancière a toujours déclaré qu’elle ignorait l’existence de Mazarine, l’enfant cachée de Mitterrand – la rumeur courait pourtant dans les milieux « bien informés ». Ironie ou hasard de l’histoire : le livre est publié aux éditions Mazarine. En tout cas, Giroud est virée du JDD pour avoir critiqué Paris Match trahissant le « secret d’État ». Jean Daniel l’invite au Nouvel Observateur (devenu le journal d’opinion de gauche à la place de l’Express). Elle écrit durant vingt ans des chroniques de télévision, produit plusieurs émissions, publie essais, biographies et romans à succès, devenant membre du jury du prix Femina en 1992.
« À travailler on s’ennuie moins qu’à s’amuser. »
Françoise GIROUD (1916-2003), Journal d’une parisienne (1994)
Elle écrit ce Journal à la fin d’une vie toujours bien remplie, presque trop… pour oublier le temps qui passe, la vieillesse mal supportée : « La jeunesse est courte. C’est la vie qui est longue… » avoue-t-elle aussi. Vu son succès, il y aura deux suites chez le même éditeur : Chienne d’année (1995) et Gais-z-et contents (1996). La série continuera chez un autre éditeur, Fayard, et sous un autre titre…
« C’est un drôle de pays, la France, où les négociations ont toujours lieu après le déclenchement des grèves et non avant. »
Françoise GIROUD (1916-2003), La Rumeur du monde, journal (1997 et 1998)
Autre réflexion et même inspiration : « Que cela plaise ou non, les Français n’aiment pas les étrangers. Les pauvres, bien sûr. Les riches, on les appelle des touristes. »
Dans un genre de littérature plus romanesque, mais toujours avec humour, elle écrit un roman d’amour au vitriol inspiré de sa fréquentation des milieux littéraires : « Connu ou pas, talentueux ou besogneux, un auteur est toujours un sac de nerfs. » Mon très cher amour (1994).
En janvier 2003, à 86 ans, Françoise Giroud travaille toujours - un livre d’entretiens avec Albina du Boisrouvray, productrice de films à succès jusqu’à la mort de son fils François-Xavier Bagnoud le 14 janvier 1986, dans le cadre du Rallye Dakar. Il pilotait l’hélicoptère pris dans une tempête de sable au Mali et s’écrasant sur une dune - avec le chanteur Daniel Balavoine et Thierry Sabine, l’organisateur du rallye.
Françoise Giroud meurt suite à plusieurs chutes, la dernière en sortant d’une générale à l’Opéra-Comique. Le lendemain 17 janvier, elle travaille encore chez elle jusqu’au soir, tombe dans le coma, transportée à l’Hôpital américain de Neuilly. Six jours après, la presse titrera sur « la grande émotion aux obsèques de Françoise Giroud ».
6. Danielle Mitterrand (1924-2011), une première Dame plus politisée (à gauche) que le président.
« La gauche est dans mes gènes. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011), février 1996, interview à l’Express
En mars 1944, la jeune Danielle Gouze rencontre par l’intermédiaire de sa sœur Christine un certain Morland qui anime un réseau de résistance à Paris – c’est François Mitterrand. Deux mois plus tard, il doit fuir Paris. Dans le train qui les emmène en Bourgogne, ils jouent les amoureux enlacés pour tromper la vigilance de la Gestapo. À l’arrivée, le faux couple se fiance pour de vrai. Ils se marient après la Libération de Paris en octobre 1944. Ils seront désormais des compagnons de route (avec trois enfants : Pascal, mort en 1945 deux mois après sa naissance, Jean-Christophe, né en 1946, et Gilbert, en 1949).
Mitterrand, homme de gauche, s’engage en politique et Danielle participe à sa longue ascension. En 1946, enceinte, elle s’implique dans la campagne pour soutenir son mari qui devient député de la Nièvre, puis conseiller général. L’année suivante, elle le suit à Paris où il occupe le poste de ministre des Anciens Combattants dans le gouvernement socialiste de Ramadier. Au sein du cabinet, elle gèrera la commission pour la répartition des subventions aux orphelins.
Elle participe activement aux trois campagnes présidentielles. En 1981, elle pose pour « Paris Match » afin de mettre en avant sa simplicité, affichant son opposition radicale au style bourgeois et « pot de fleurs » de la Première Dame, Anne-Aymone Giscard d’Estaing.
« Je ne suis pas une potiche. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011) en mai 1981, quand le couple s’installe à l’Élysée. « Premières dames sous la Ve République : de la discrétion à la lumière, » Notre temps, 18/08/2017
Elle entend bien imposer son style et être indépendante. Peut-être trop au goût de certains ! Elle assume toutes ses obligations d’épouse présidentielle et se plie au protocole (réceptions à l’Élysée, visites officielles, représentation), mais la « Présidente » comme on l’appelle possède son bureau personnel, bien que vivant toujours dans leur appartement rue de Bièvres.
En 1986, elle crée sa fondation France-Libertés qui a pour mission de défendre les droits de l’homme et le droit à l’autodétermination des minorités ethniques. Dès ses débuts, l’association soutient le peuple tibétain et lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. L’une des premières à prendre conscience du fléau que constitue le virus du Sida, elle lutte pour une meilleure diffusion des antirétroviraux. En d’autres domaines plus politiquement sensibles, elle n’hésite pas à prendre parti.
« Si aujourd’hui deux cents ans après la Révolution, la laïcité ne pouvait accueillir toutes les religions, toutes les expressions en France, c’est qu’il y aurait un recul. Si le voile est l’expression d’une religion, nous devons accepter les traditions quelles qu’elles soient. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011), Libération, 23 octobre 1989
L’affaire du voile (islamique) fait déjà la une. Ses interventions pour la cause kurde ou tibétaine, ses visites personnelles à Fidel Castro finissent par agacer le Quai d’Orsay. En 1993 (cohabitation avec la droite), elle critiquer publiquement la politique d’immigration de Charles Pasqua et le Président ne vante plus la liberté de parole de sa Première dame. Dans une tribune intitulée « Qui veut faire taire Danielle ? » plusieurs députés de la majorité de droite, dont Pierre Mazeaud, critiquent les prises ses positions : ce n’est pas son rôle. Mais la « Pasionaria » s’en moque…
« L’expropriation des compagnies américaines ne m’a pas déplu. Oui, j’ai applaudi l’échec de la tentative de déstabilisation menée par les cubains anticastristes de Miami pilotée par la CIA. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011) « Danielle Mitterrand, une Première dame à la parole très libre », Le Parisien, 22 novembre 2011
Mars 1995. Quelques semaines avant la fin du second mandat présidentiel de son mari qui l’appelle sa « conscience de gauche », elle l’a poussé à recevoir Fidel Castro. Et elle fait polémique en embrassant le dirigeant cubain à son arrivée sur le perron de la résidence Marigny où il réside. Un an après, résumant son action ou activisme politique, elle écrit…
« Certains diront que je suis entêtée, mais comment ne pas l’être quand on croit à la cause que l’on défend. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011), En toutes libertés (1996)
Elle n’est plus Première Dame et Mitterrand est mort le 8 janvier. En dépit des multiples aventures extra-conjugales du président, les époux Mitterrand furent compagnons de route toute leur vie. Avec délicatesse, elle laisse Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand pendant vingt ans, assister aux obsèques de l’ancien président à Jarnac, en la plaçant entre ses deux fils.
Elle reste militante dans l’âme, toujours active avec sa Fondation, et publie deux derniers livres témoignages pour dire sa vérité… et toutes ses vérités essentielles.
« Ne point confondre la résistance avec l’opposition politique. L’opposition ne s’oppose pas au pouvoir, et sa forme la plus aboutie est celle d’un parti d’opposition ; tandis que la résistance, par définition, ne peut être un parti : elle n’est pas faite pour gouverner, mais … pour résister. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011), Le Printemps des insoumis (1998)
Son livre témoin, la philosophie de ses actions et la somme de ses pensées : « Le fait de rétablir une justice sociale doit-il être assimilé à une œuvre de charité ? » Et encore : « Comment pouvons-nous admettre que des êtres humains renoncent à toute réflexion, à toute intelligence, à toute compassion dès que l’argent fait retentir à leurs oreilles les sirènes du rappel à l’ordre ? « Ce mot de finance est un mot d’esclave », écrivait, il y a bien longtemps déjà, Jean-Jacques Rousseau. » Enfin, « Est-il donc nécessaire que des milliers d’hommes meurent pour que d’autres puissent vivre de leur travail ? »
« Chemin faisant, je m’interroge sur la capacité des pouvoirs et des hommes de décision à mettre en œuvre une construction pacifique du monde. Ils en parlent tous en toutes occasions mais se résoudre à toucher aux causes de l’injustice, origine des révoltes et des insurrections, ne leur vient pas à l’esprit. »
Danielle MITTERRAND (1924-2011), Le Printemps des insoumis (1998)
Au final, cette question de femme (politique et très politisée) pose le vrai problème. Elle meurt à 87 ans, toujours fidèle à cette gauche qui était véritablement dans ses gènes.
7. Gisèle Halimi (1927-2020), avocate et féministe toujours active et souvent activiste, en attente de reconnaissance, au seuil du Panthéon.
« J’étais déterminée à aller mon chemin, que ça plaise ou non. Et mon chemin passait d’abord par cet appétit démesuré de connaissances, et par les livres pour lesquels j’avais une passion. C’était ça, la vraie nourriture! »;
Gisèle HALIMI (1927-2020), Une farouche liberté (2020, Annick Cojean et Gisèle Halimi
Dernier livre bilan, après soixante-dix ans de combat pour la cause des plus faibles et notamment des femmes. Ses origines seront la clé de ses combats à venir.
Geneviève Halimi a grandi en Tunisie alors française, dans une famille juive très traditionaliste pour qui avoir une fille est un manque de chance : à sa naissance, le père mit plusieurs semaines à avouer le sexe de l’enfant à son entourage ! Destinée à un mariage arrangé à 15 ans et à servir ses frères en attendant, elle refuse l’injustice de ce destin déterminé par son genre. À 10 ans, elle fait sa première grève de la faim pour avoir le droit de lire et à 13 ans elle récidive, pour ne plus devoir faire les lits de ses frères. Adolescente, elle gagne de quoi quitter sa terre natale pour rejoindre Paris en 1945 et y étudier le droit.
« J’ai très tôt choisi mon camp, celui des victimes. mais attention ! des victimes qui relèvent la tête, s’opposent, combattent. »
Gisèle HALIMI (1927-2020), La Cause des femmes (1992)
« Nous étions dans un monde coupé en deux, cela m’apparaissait clairement. D’un côté ceux qui opprimaient et en tiraient profit, et de l’autre, les humiliés, les offensés, bref, les victimes. J’ai très tôt choisi mon camp… »
Devenue avocate, elle défend les militants des indépendances tunisienne et algérienne et dénonce la torture, au péril de sa propre sécurité alors qu’elle est déjà maman de deux enfants. Mais c’est la « cause des femmes » qui sera son principal combat et le plus personnel. Elle s’engage en faveur de l’avortement et de la répression du viol, dans son métier aussi bien que dans son association « Choisir la cause des femmes ». En 1971, c’est la seule avocate à signer le Manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement en France – vu le risque de sanctions déontologiques du Barreau. L’année suivante, une plaidoirie emblématique va faire date l’histoire.
« Quand j’entre dans le prétoire, j’emporte ma vie avec moi… »
Gisèle HALIMI (1927-2020), procès de Bobigny (1972)
(…) Monsieur le Président, il m’échoit aujourd’hui un très rare privilège. Je ressens aujourd’hui un parfait accord entre mon métier, qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme.”
Ces phrases sont le début de sa plaidoirie pour la jeune Marie-Claire Chevalier (morte en janvier 2022). Gisèle Halimi s’apprête à révéler au juge qu’elle est aussi « coupable » que sa cliente qui a avorté (« acte citoyen de désobéissance civique ») et qu’elle vient défendre ses droits en même temps que ceux de toutes les femmes. Pour cette avocate, on ne peut exercer son métier sans une totale cohérence entre nos valeurs et notre travail : « Quand j’entre dans le prétoire, j’emporte ma vie avec moi… Ce n’est pas de l’héroïsme, c’est de la cohérence. Ma liberté n’a de sens que si elle sert à libérer les autres. »
Toute sa vie, sa raison d’être et de combattre s’inscrivent clairement dans la même logique passionnée, avec des mots très forts destinés à frapper l’opinion et les premières concernées – les femmes qui n’ont pas pris la conscience de leur situation et de leurs droits.
« Fichez-vous des railleries et autres jalousies. vous êtes importantes, devenez prioritaires. Ensuite, soyez égoïstes ! »
Gisèle HALIMI (1927-2020) La Cause des femmes (1992)
(…) Je choisis ce mot à dessein. Il vous surprend ? Tant pis. Les femmes ont trop souvent le sentiment que leur bien-être doit passer après celui des autres, les parents, les enfants, les compagnons, le cercle professionnel et familial. Elles craignent se s’imposer, d’exiger, de révéler leurs envies ou ambitions, de se mettre clairement en avant. Ce n’est pas qu’elles soient naturellement modestes. C’est juste que l’Histoire leur a dicté cette attitude de réserve, voire de retrait : une femme ne doit pas faire de bruit, ne pas déranger, ne pas se faire remarquer, ne pas avoir l’esprit de compétition, ne pas chercher la gloire. Ça, c’est réservé aux hommes. Mais rebellez-vous ! Pensez enfin à vous. À ce qui vous plaît. À ce qui vous permettra de vous épanouir, d’être totalement vous-mêmes et d’exister pleinement. Envoyez balader les conventions, les traditions, et le qu’en dira-t-on… Fichez-vous des railleries et autres jalousies. Vous êtes importantes. Devenez prioritaires. »
« Soyez dans la conquête. gagnez de nouveaux droits sans attendre qu’on vous les concède. »
Gisèle HALIMI (1927-2020), Une farouche liberté (2020, Annick Cojean et Gisèle Halimi
Vingt ans après , il semble que rien n’ait fondamentalement changé à ses yeux et elle le démontre dans ce livre-témoignage qui résonne comme une ultime plaidoirie à la barre de l’Histoire : « Les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez donc sur le qui-vive, attentives, combatives ; ne laissez pas passer un geste, un mot, une situation, qui attente à votre dignité. La vôtre et celle de toutes les femmes. Organisez-vous, mobilisez-vous, soyez solidaires. Pas seulement en écrivant « Me Too » sur les réseaux sociaux. C’est sympathique, mais ça le change pas le monde. Or c’est le défi que vous devez relever. Soyez dans la conquête. Gagnez de nouveaux droits sans attendre qu’on vous les concède »… ou qu’on vous les enlève – comme le droit à l’avortement remis en question aux États-Unis en mai 2022, sans parler de tous les pays islamiques où les femmes sont encore discriminées.
« J’attends que [les femmes] fassent la révolution. Je n’arrive pas à comprendre qu’elle n’ait pas déjà eu lieu. »
Gisèle HALIMI (1927-2020), Une farouche liberté (2020, Annick Cojean et Gisèle Halimi
« … Des colères se sont exprimées, des révoltes ont éclaté çà et là, suivies d’avancées pour les droits des femmes. Mais nous sommes encore si loin du compte. Il nous faut une révolution des mœurs, des esprits, des mentalités. Un changement radical dans les rapports humains, fondés depuis des millénaires sur le patriarcat : domination des hommes, soumission des femmes. Car ce système n’est plus acceptable. Il est même devenu grotesque. Pendant longtemps, la soi-disant incompétence des femmes a servi à justifier leur exclusion des lieux de pouvoir et de responsabilité. Forcément, une femme instruite étant réputée dangereuse, on s’arrangeait pour les priver d’instruction ou d’accès aux meilleures écoles. »
Quelques mois avant son décès, Gisèle Halimi livrait un testament aux femmes du XXIème siècle, invitées à reprendre le flambeau des luttes qu’elle a menées toute sa vie.
« N’ayez pas peur de vous dire féministes. c’est un mot magnifique. »
Gisèle HALIMI (1927-2020), Une farouche liberté (2020, Annick Cojean et Gisèle Halimi
Morte à 93 ans, l’avocate se raconte dans ce dernier livre en collaboration avec la journaliste du Monde Annick Cojean qui partage ses convictions. Elle pourrait nous réconcilier avec ce mot, cette idée dont on use, mésuse et abuse parfois dans la société française. « Enfin, n’ayez pas peur de vous dire féministes. C’est un mot magnifique, vous savez. C’est un combat valeureux qui n’a jamais versé de sang. Une philosophie qui réinvente les rapports hommes-femmes enfin fondés sur la liberté. Un idéal qui permet d’entrevoir un monde apaisé où le destin des individus ne serait pas assigné à leur genre, et où la libération des femmes signifierait aussi celle des hommes, désormais soulagés des diktats de la virilité. »
L’historien Benjamin Stora suggéra au président Macron de donner sa place au Panthéon à Gisèle Halimi, comme « grande figure du féminisme et de l’anticolonialisme ». Joséphine Baker lui fut préférée. C’était aussi une femme de combat et de passion. Comme Simone Veil…
8. Simone Veil (1927-2017), juriste, plusieurs fois ministre et première présidente du Parlement européen, image et icône très consensuelles « à justes titres ».
« Quand j’ai vu qu’elle évoluait en Formule 1, je suis retourné au fond de la classe. »..
Antoine VEIL (1926-2013), interview à Paris Match, 1974
Centriste et européen convaincu, cet énarque va goûter à la politique, élu conseiller de Paris en 1971, réélu. Mais quand son épouse est nommée ministre de la Santé en 1974, il préfère s’écarter et se concentrer sur le monde des affaires. Pour un fois, la femme passe avant, dans le couple – dans le cas des Curie, deux grands scientifiques, Pierre et Marie ont vécu « à égalité », reposant de même au Panthéon.
Mariés à la vie à la mort et au-delà, après plus de 66 ans d’union, les Veil sont pareillement panthéonisés à la mort de Simone. Les épreuves ont cimenté cette union déjà solide, avec une blessure intime, la mort de leur fils Claude-Nicolas en 2002. Il y a aussi tous les aléas du combat politique… qui ne pèsent guère comparés à la tragédie de la Seconde Guerre mondiale dont Simone Veil parlait peu, de par sa nature pudique, mais aussi par principe. Elle a quand même écrit son autobiographie (vendue à 550 000 exemplaires en France et traduite en 15 langues).
« La bonne mesure est impossible à trouver ; soit on parle trop de sa déportation, soit on en parle trop peu. Nombreux sont ceux qui en ont été tellement meurtris qu’ils n’en parlent jamais. »
Simone VEIL (1927-2017), Une vie (2007)
« Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s’étonner : Comment, ils sont revenus ? Ça prouve bien que ce n’était pas si terrible que ça. »
Les premières années sont sans histoire, à Nice dans une famille bourgeoise, père architecte et mère au foyer, même si la crise de 1929 compromet le niveau de vie des Français de l’entre-deux-guerres. « Les photos conservées de mon enfance le prouvent : nous formions une famille heureuse. Plus tard, mais très vite, le destin s’est ingénié à brouiller des pistes qui semblaient si bien tracées, au point de ne rien laisser de cette joie de vivre. »
Née Simone Jacob, juive arrêtée à 16 ans (en 1944), déportée à Auschwitz, elle perd ses parents et son frère – c’est l’une des trois survivantes de la famille, avec ses deux sœurs aînées, Madeleine et Denise.
« Je n’aime pas l’expression » devoir de mémoire ». Le seul » devoir », c’est d’enseigner et de transmettre. »
Simone VEIL (1927-2017), Nouvel Observateur, 2005
De retour en France, elle fait des études de droit et de science politique pour entrer dans la magistrature comme haut fonctionnaire. Nommée Ministre de la Santé par le président Giscard d’Estaing, elle marque à jamais son action et l’histoire des mœurs, faisant adopter la loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Les avortements clandestins tuaient une femme par jour.
« Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement […] lorsque des services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter l’interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charters des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer. »
Simone VEIL (1927-2017), ministre de la Santé, Assemblée nationale, 26 novembre 1974
Le baptême du feu est rude pour une femme trop pudique pour avoir vraiment le don de la parole en public. Le débat sur l’IVG enflamme l’Assemblée, c’est l’« un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». Amendements au projet de loi repoussés, loi finalement votée le 17 janvier 1975. Elle n’a rien cédé, mais sous les insultes, on la verra pleurer à la tribune. Un académicien très féministe en gardera un souvenir ému.
« Je vous revois, Madame, faisant front contre l’adversité avec ce courage et cette résolution qui sont votre marque propre. Les attaques sont violentes. À certains moments, le découragement s’empare de vous. Mais vous vous reprenez toujours. Vous êtes une espèce d’Antigone qui aurait triomphé de Créon. »
Jean d’ORMESSON (1925-2017), Discours pour l’entrée de Simone Veil à l’Académie française, 18 mars 2010
Il rappelle le combat pour l’IVG en l’accueillant dans cette assemblée presque exclusivement masculine, lui qui s’est battu pour Marguerite Yourcenar première femme académicienne. Il a évoqué la guerre, l’horreur des camps de concentration et d’extermination. Puis l’épreuve de la ministre à la tribune de l’Assemblée. « Une minorité de l’opinion s’est déchaînée – et se déchaîne encore – contre vous. L’extrême droite antisémite restait violente et active. Mais d’autres accusations vous touchaient peut-être plus cruellement. « Comment vous, vous disait-on, avec votre passé, avec ce que vous avez connu, pouvez-vous assumer ce rôle ? » Le mot de génocide était parfois prononcé. Beaucoup d’entre nous, aujourd’hui et ici, se souviennent encore de ce spectacle où la grandeur se mêlait à la sauvagerie. Votre projet finit par être adopté à l’Assemblée nationale. » C’était le 17 janvier 1975. L’« un des problèmes les plus difficiles de notre temps » était réglé, la vie des femmes en était changée.
« Ma revendication en tant que femme, c’est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m’adapter au modèle masculin. »
Simone VEIL (1927-2017), Contact, l’encyclopédie de la création (Émission de TV canadienne)
Interrogée sur son engagement féministe en 2005 par la journaliste du Monde Annick Cojean (co-auteur du dernier livre témoignage de Gisèle Halimi, pasionaria du féminisme), Simone Veil affirme l’évidence, avec son assurance tranquille : « Je ne suis pas une militante dans l’âme, mais je me sens féministe, très solidaire des femmes quelles qu’elles soient. ». Autre confidence murmurée : « .Je me sens plus en sécurité avec des femmes, peut-être est-ce dû à la déportation ? Au camp, leur aide était désintéressée, généreuse, pas celle des hommes. Et la résistance du sexe dit faible y était aussi plus grande. » Elle avoue encore : « On me reproche d’être autoritaire. Mais les regrets que j’ai, c’est de ne pas m’être battue assez sur tel ou tel sujet. » La journaliste tirera de ses entretiens avec Simone Veil un beau livre, simple et sincère à son image : La Force d’une femme (2020).
« Il n’y rien de plus ennuyeux qu’une réunion électorale. Un jour, je me suis endormie pendant mon propre discours. »
Simone VEIL (1927-2017), Le Nouvel Observateur, 14 Mars 1986
Était-ce à la tête du Parlement européen, poste qu’elle inaugure entre 1979 et 1982, œuvrant à la réconciliation franco-allemande et à la construction européenne ? Ce n’est pas une « bête de scène » ni une oratrice née, mais elle possède une présence naturelle, une insoumission tranquille, un charisme personnel qui en impose à tous – et un regard bouleversant. Femme à la fois exceptionnelle et simple, « Momone » reste incroyablement populaire auprès des Français.
Elle meurt le 30 juin 2017. Sa panthéonisation est aussitôt demandée par pétition et vite annoncée par Emmanuel Macron, comme si la chose allait de soi – ce n’est que la cinquième femme ayant cet honneur. Les anonymes sont invités à la cérémonie, mais le nombre, la qualité et la diversité des grands noms présents, français comme étrangers, est impressionnante. Selon l’un de ses deux fils, le mot de la fin de Simone Veil fut simplement « Merci ».
9. Françoise Sagan (1935-2004), le « charmant petit monstre », la « Mlle Chanel » de la littérature, un phénomène de société qui a réussi ses romans et raté sa vie sans regret.
« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »
Françoise SAGAN (1935-2004), Bonjour tristesse (1954)
Première phrase d’un premier roman. Une jeune fille de 18 ans décrit son univers bien à elle, doré, plein de belles voitures, d’alcool, de soleil et de spleen. François Mauriac s’enthousiasme pour « le charmant petit monstre » et contribue à sa célébrité précoce : « Elle fait tenir dans les mots les plus simple, le tout d’une jeune vie. Et il est vrai que ce tout n’est rien et que ce rien, c’est pourtant la jeunesse, la sienne, celle de tant d’autres, en fait de tous ceux qui ne se donnent pas. »
Au fil des succès littéraires et des frasques médiatiques, Françoise Quoirez dite Sagan (pseudo emprunté à Proust) crée un personnage de roman intense, pur, généreux, excessif et tendre : elle-même. L’autre surnom de « Mademoiselle Chanel » (dû à son ami et journaliste Bernard Frank) fait allusion à la créatrice de mode qui s’inventa elle aussi une vie et un personnage hors normes. « Quand on est ivre, on dit la vérité et personne ne vous croit » écrit Sagan dans ce premier roman. L’ivresse et la vérité, elle les pratiquera en virtuose.
« Adulte, gâtée par le succès, elle restera un Petit Poucet androgyne, qui sème des trous de cigarettes partout sur son passage. »
Tristan SAVIN (né en 1965). Revue Lire (février 1008)
Sa scolarité fut chaotique et fantaisiste, mais elle avait de bonnes lectures : Les Nourritures terrestres de Gide à 13 ans, L’Homme révolté de Camus à 15 ans, Les Illuminations de Rimbaud à 16 ans, et bientôt tout Cocteau, les poèmes de Shakespeare, Proust, Benjamin Constant, Nietzsche, Faulkner, Colette, Prévert, Stendhal, la Série noire, Flaubert, Hemingway, Fitzgerald, un peu Malraux et beaucoup Sartre, avec qui elle deviendra amie plus tard.
Le public la confond avec ses personnages et elle devient le symbole d’une génération insouciante et désinvolte, sexuellement libérée, un James Dean au féminin. Éternelle ado, elle incarne un mode de vie et même une mode pour les jeunes avec ses jeans, ses marinières à rayures, ses espadrilles sans chaussettes. Dans ces années de prospérité de l’immédiat après-guerre, Sagan vire au phénomène de société. Comme BB, dans un autre style… Toute une génération se reconnaît en elle. Elle contredit dans une interview : « Je ne suis le porte-drapeau de personne. Écrire est une entreprise tellement solitaire. » Pourtant, elle déteste la solitude et elle adore écrire. Elle n’est pas à une contradiction près.
« Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954 avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même. »
Françoise SAGAN (1935-2004), épitaphe écrite en 1993, Le Dictionnaire de littérature française contemporaine (1988), Jérôme Garcin
Son œuvre ? Le besoin d’écrire la taraude : « Écrire est la seule vérification que j’ai de moi-même… J’ai toujours l’impression d’aller à un échec relatif. C’est à la fois fichu et gagné. Désespérant et excitant. » La critique est agacée par « l’incontournable désinvolture » de sa fameuse « petite musique ».
Au total, quand même une vingtaine de romans : 30 millions d’exemplaires vendus en France, avec des traductions en 15 langues. Au théâtre, elle joue de cette alternance et s’en amuse : un flop, un succès, un flop, un succès, etc. Elle écrit aussi des nouvelles, des scénarios, des biographies, des fragments d’autobiographie… et des chansons pour Juliette Gréco, muse des nuits de Saint-Germain-des-Prés.
« Tout ce que je fais pour moi est contre moi, c’est assez épouvantable. »
Françoise SAGAN (1935-2004), Toxique (1964)
Sa vie ? Elle n’avait pas trente ans et encore quarante à vivre quand elle écrit ces mots. Ça ne fera qu’empirer. Mais Toxique est surtout le journal de son terrible accident en 1957 : lancée à 160 km/h, elle perd le contrôle de son Aston Martin. Les secours peinent à la désincarcérer, elle reçoit les derniers sacrements, entre la vie et la mort plusieurs jours. Victime de multiples fractures, elle prend un dérivé de la morphine pendant trois mois. Elle suivra ensuite une cure de désintoxication.
Ce sera un échec, elle se mettra à boire plus qu’avant, d’où une polynévrite douloureuse. La voilà devenue dépendante des médicaments, de l’alcool et des drogues : « La seule chose que je trouve convenable - si on veut échapper à la vie de manière un peu intelligente – c’est l’opium. » Le suicide manque généralement d’élégance, selon elle.
« Si tout était à recommencer, je recommencerais bien sûr, en évitant quelques broutilles : les accidents de voiture, les séjours à l’hôpital, les chagrins d’amour. Mais je ne renie rien. »
Françoise SAGAN (1935-2004), Je ne renie rien (2014, posthume), regroupant Réponses (1975) et Répliques (1992)
Elle montrait son amour du jeu (qui l’a plusieurs fois ruinée) et sa passion des belles voitures (qui a survécu au premier accident). Elle a enchaîné les chagrins d’amour avec deux mariages et deux divorces, des déceptions sentimentales, mais elle cachait plus ou moins sa bisexualité - la styliste Peggy Roche, journaliste de mode et ex-femme de l’acteur Claude Brasseur, sera sa plus fidèle compagne jusqu’à sa mort en 1991, un drame pour Françoise qui ne supporte plus la solitude. Elle défraie encore la chronique mondaine et la chronique judiciaire avec des affaires de drogues en 1995 et de fraude fiscale en 2002. Elle a finalement perdu tout ce qu’elle a gagné, trop généreuse ou inconsciente, sa fin de vie ressemble à un roman qu’elle n’aurait jamais imaginé, et pourtant, c’est aussi du Sagan. Itinéraire d’une enfant trop gâtée ?
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