25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.
Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution.
VI. Cinquième République après de Gaulle : les années Pompidou, VGE, Mitterrand, avec l’idée force d’une présidence toujours gaullienne.
Président n° 19. Georges Pompidou.
« Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une. Mais je ne suis pas du tout pressé. »3084
Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration à la fin de son séjour à Rome, 17 janvier 1969. Année politique (1970)
Pompidou a bien mérité de la France et acquis une vraie popularité comme Premier Ministre du général de 1962 à 1968. Remplacé après mai 68 par Couve de Murville, il vise plus haut : la présidence. Peu après, il dit à Genève : « J’ai un passé politique. J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national. »
Pompon dit aussi Œil touffu (pour ses gros sourcils) mérite déjà son surnom de Rastignac auvergnat. En attendant et « en réserve de la République », il siège à l’Assemblée comme député du Cantal.
Après la démission du général suite à l’échec du référendum en avril 1969, Pompidou est élu avec plus de 58 % des suffrages face à Poher, président du Sénat qui assurait l’intérim ès qualités, « tout gonflé de modestie » (vu par Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde).
« Après la décision du général de Gaulle de renoncer à son mandat, et dans l’incertitude que connaît actuellement le pays, j’ai résolu de me présenter aux suffrages des Français. En le faisant, j’ai le sentiment d’obéir à mon devoir, la volonté de maintenir une continuité et une stabilité nécessaire, l’espoir de préparer l’avenir. »3109
Georges POMPIDOU (1911-1974), premier candidat à se déclarer, 29 avril 1969
Raymond Aron écrira (Le Figaro, 6 mai) : « Les événements de Mai [68] ont entamé le prestige du général de Gaulle et forgé la popularité de Georges Pompidou […] À partir de juin 1968, les Français connaissaient désormais une réponse probable à la question : « Après de Gaulle, qui ? » »
Poher, président du Sénat, assure l’intérim ès qualités, « tout gonflé de modestie » (vu par Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde, lors de son élection). Pompidou ne sera pas plus indulgent.
« Quel interprète il aurait fait du rôle de Tartuffe ! »
Georges POMPIDOU (1911-1974), Lettres, notes et portraits : 1928-1974 (2012)
« Je ne sais ce qu’il adviendra de ce personnage, mais j’ai rarement rencontré quelqu’un de plus dissimulé, de plus tortueux, de plus assoiffé d’honneurs et prêt à tout pour les obtenir. Son hypocrisie, durant l’intérim de 1969, était odieuse. Bien décidé à se présenter dès le premier jour, il a joué le rôle du brave homme arraché, malgré lui, à sa tranquillité avec l’impudeur de celui qui sait que l’opinion est dupe des apparences. Son attitude de père noble, au-dessus des mesquineries et des compromissions politiciennes, dissimule un sens aigu de ses intérêts et une claire perception de ses ambitions. »
Le Tartuffe pourra rejouer son rôle gratifiant de président par intérim à la mort de Pompidou, le 2 avril 1974. Alain Poher reste donc comme « doublure présidentielle » à deux reprises : cas unique dans l’Histoire.
« Je suis aujourd’hui un Français parmi d’autres. »3114
Georges POMPIDOU (1911-1974), première conférence de presse du président de la République à l’Élysée, 10 juillet 1969. La Vie politique sous la Ve République (1981), Jacques Chapsal
D’entrée de jeu, il se démarque de son illustre prédécesseur qu’il n’est surtout pas question de « singer », dit-il. Face à une centaine de journalistes (au lieu des quelques centaines qu’invitait de Gaulle), il paraît seul avec son Premier ministre et le porte-parole du gouvernement (au lieu du gouvernement au grand complet). Il n’en affirme pas moins « la primauté du chef de l’État, qui lui vient de son mandat national et qu’il est de son devoir de maintenir, à la fois arbitre et premier responsable national ».
La presse lui accorde la mention bien, la crise de régime n’aura pas lieu, les institutions tiennent le coup. Leur solidité va même se révéler à toute épreuve, au fil des présidences et des majorités.
« Comprenne qui voudra, mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés. »
Georges POMPIDOU (1911-1974), fin de sa conférence de presse, 22 septembre 1969
Un journaliste lui demande son avis sur le suicide de Gabrielle Russier, jeune enseignante emprisonnée pour avoir eu une relation avec l’un de ses élèves mineurs – ce fait divers très médiatisé inspirera en 1971 le film d’André Cayatte, Mourir d’aimer, interprété par Annie Girardot.
Visiblement ému à l’évocation de ce drame, il répond par ces quelques mots entrecoupés de longs silences : » Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé sur cette affaire. Ni même ce que j’ai fait. Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup, eh bien, comprenne qui voudra ! Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. C’est de l’Éluard. Merci. »
Le poème cité « Comprenne qui voudra », figure dans l’anthologie de la poésie française publiée par ce président fin lettré, homme par ailleurs très sensible. Premier ministre, il avait beaucoup souffert des attaques diffamatoires contre sa femme très aimée, destinées à le déstabiliser – affaire Marković en 1968. Son entourage ne l’avait pas prévenu de ces rumeurs, même pas de Gaulle à qui il en a toujours voulu. Fait relaté en détail dans ses Lettres, notes et portraits.
« Le général de Gaulle est mort. La France est veuve. »3127
Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration du président de la République, Allocution radiotélévisée, 10 novembre 1970
Cette mort remonte au soir du 9 novembre, alors que le général, avant le dîner, faisait une patience (jeu de cartes), dans sa résidence personnelle de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises. Il est pris d’un malaise, c’est une rupture d’anévrisme. Il meurt 20 minutes après, à 79 ans.
« En 1940, le général de Gaulle a sauvé l’honneur, il nous a conduits à la libération et à la victoire. En 1958, il nous a gagné la guerre civile. Il a donné à la France ses institutions, sa place dans le monde. En cette heure de deuil pour la patrie, inclinons-nous devant la douleur de Mme de Gaulle, de ses enfants et petits-enfants. Mesurons les devoirs que nous impose la reconnaissance. Promettons à la France de n’être pas indignes des leçons qui nous ont été dispensées, et que, dans l’âme nationale, de Gaulle vive éternellement », déclare le président Pompidou.
Le petit village de Colombey-les-Deux-Églises, département de Haute-Marne, va devenir un lieu de pèlerinage national.
« Nous avons un objectif qui doit dominer tous les autres : faire de la France une grande nation industrielle […] le reste sera donné de surcroît. »3118
Georges POMPIDOU (1911-1974). L’Audace économique : propositions pour un capitalisme éclairé (2001), Stéphane Jacquemet
L’« impératif industriel » est l’idée-force, voire l’idée fixe de Pompidou. Cela passe par la modernisation du pays. Airbus, TGV, entre autres grands projets et réussites incontestées ; mais aussi priorité donnée à l’automobile dans les villes qui doivent s’adapter (tunnels, voies express, destruction des vieux quartiers) ; et encore développement d’une agriculture intensive et de l’industrie agro-alimentaire, avec mécanisation poussée, utilisation d’engrais et de pesticides.
La planification est le moyen qui s’impose plus que jamais : le VIe Plan sera tout entier orienté dans cette direction.
« Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, je souhaiterais que les historiens n’aient pas trop de choses à dire sur mon mandat. »
Georges POMPIDOU (1911-1974), cité dans Les Années Pompidou (2014), Sabrina Tricaud
Mission accomplie. N’ayant rien du héros national, Pompidou reste comme le vrai « président normal » sans autre ambition qu’une présidence normale ! Dans Le Nœud gordien, il s’interrogeait sur la capacité des institutions de 1958-1962 à procéder à ce qu’il appelait lui-même un « retour à la normale. » Devant ses collègues du groupe gaulliste à l’Assemblée, il expliquait en 1969 qu’après « un très grand homme », on est condamné « au mieux à un semi-échec historique ». Il mettra donc tout en œuvre pour essayer d’adapter les institutions à une nouvelle pratique du pouvoir.
Souvent qualifiées d’heureuses, les années de son mandat s’inscrivent dans les Trente glorieuses (1945-1975) et correspondent au temps du plein-emploi, à la naissance de l’informatique, la création des régions, la mensualisation des salaires, l’émergence des villes nouvelles, la « fin des paysans ». Mais c’est aussi la « société bloquée » où domine toujours une élite énarchique ayant le contrôle de l’appareil d’État et des grandes entreprises qui en dépendent. C’est aussi le début de la crise pétrolière, l’inflation, la question du pouvoir d’achat, les dangers environnementaux de la croissance, le début des « Années ravageuses » etc.
Président n° 20. Valéry Giscard d’Estaing.
« Il n’est plus ministre, il n’est plus député et c’est le moment où, en quarante-cinq minutes de télévision, M. Valéry Giscard d’Estaing a pris soudain la physionomie d’un homme politique […] Nous avons assisté mardi soir à la naissance d’un dauphin. »3030
Françoise GIROUD (1916-2003), « Naissance d’un dauphin », L’Express, 21 février 1966
Séduite à la suite de l’émission télévisée « Face à face » entre Giscard d’Estaing et quatre journalistes, la journaliste vedette en tire une conclusion prophétique. Pour l’heure, Giscard retourne à l’Inspection générale des Finances.
Ces années de Gaulle sont aussi les « années médias » : la télé fait et défait les destins politiques.
« La France souhaite être gouvernée au centre. »3088
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Discours de Charenton, 8 octobre 1972
Idée-force, idée simple, mais paradoxe apparent dans un pays fortement bipolarisé, gauche contre droite et vice versa. Giscard d’Estaing, seul président centriste, déclinera ce thème tout au long du septennat : La France souhaite, veut, doit être, sera… gouvernée au centre. Jusqu’à sa Déclaration à la Foire de Lyon, 23 mars 1980 : « J’entends me tenir à la ligne du juste milieu. Celle de la synthèse des propositions, de la rencontre des hommes, de la mobilisation des forces pour aider la France, et non pour déchirer la France. Ce n’est pas une ligne neutre. C’est une ligne de paix et d’entente, à suivre avec beaucoup de soin dans ces temps de tempêtes. ». Que dirait-il aujourd’hui !
« Je voudrais regarder la France au fond des yeux, lui dire mon message et écouter le sien. »3150
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Proclamation de Chamalières (Puy-de-Dôme), 8 avril 1974
Dans un délai calculé, en des termes pesés, de sa mairie de Chamalières, commune du Puy-de-Dôme, le candidat s’exprime : « Je m’adresse à vous aujourd’hui, dans cette mairie de la province d’Auvergne […] La France a besoin d’une majorité élargie […] Je m’efforcerai de mener une campagne exemplaire. »
Giscard d’Estaing avait pris ses distances avec de Gaulle : soutien critique, symbolisé par le « oui, mais »… avant de voter « non », au référendum de 1969 qui entraîna le départ du général. Revenu au gouvernement comme ministre des Finances de Chaban-Delmas, puis de Messmer, il a le soutien des Républicains indépendants (RI) et d’une partie de l’UDR – Chirac en tête, ministre de l’Intérieur qui joue contre son camp et enlève toute chance à Chaban-Delmas.
« Vous n’avez pas le monopole du cœur. »3152
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), à François Mitterrand, ORTF, 10 mai 1974. Convaincre : dialogue sur l’éloquence (1997), Jean-Denis Bredin, Thierry Lévy
Les deux candidats restant en lice s’opposent dans un débat télévisé entre les deux tours des élections présidentielles. C’est une première et ça va devenir un classique du genre.
Le ministre libéral et le député socialiste sont au coude à coude dans l’opinion publique dûment sondée : Ifop et Sofres donnent Giscard gagnant à 51 %, Publimétrie, exactement l’inverse. C’est dire l’importance du débat : un mot, un geste, un regard, un silence peut tout changer… Dans ce duel médiatique, Giscard se montre plus à l’aise que son aîné en politique et à l’état civil (58 ans). Autre petite phrase meurtrière, conforme à la stratégie de Giscard (48 ans) : « Monsieur Mitterrand, vous êtes un homme du passé. » La politique est un spectacle (ici, en direct devant 25 millions de téléspectateurs !) et deviendra d’ailleurs théâtre, au théâtre de la Madeleine, Jacques Veber et Jean-François Balmer rejouant au mot près les duels de 1974 et 1981.
« Vous serez surpris par l’ampleur et la rapidité du changement. »3153
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), ORTF, 10 mai 1974
Le débat télévisé se termine sur cette promesse de Giscard qui incarne aussi le « changement sans le risque », rassurant pour son électorat, droite et centre. La campagne se clôt sur cette question de Mitterrand dont le doute habilement exprimé peut toucher au-delà de la gauche : « Pas une idée neuve depuis quinze ans, pourquoi demain en auraient-ils ? »
Résultat du scrutin, au soir du 19 mai : Giscard d’Estaing obtient 50,81 % des suffrages exprimés et Mitterrand, 49,19 %. Soit une différence de 425 000 voix sur plus de 26 millions. Jamais la France ne fut si nettement partagée entre droite et gauche. Mitterrand n’a plus qu’à préparer sa revanche, sept ans après !
« De ce jour date une ère nouvelle de la politique française, celle du rajeunissement et celle du changement de la France. »3154
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Premier discours présidentiel, 27 mai 1974
Nouveau style : le président en personne présente le gouvernement à la télévision. Une page d’histoire semble tournée : il n’y a que 5 UDR sur 16 ministres et aucun « baron » du gaullisme dans le gouvernement formé par Jacques Chirac choisi pour neutraliser les gaullistes et pour sa jeunesse (42 ans).
Dans ce discours d’investiture, le président revient sur l’idée forte de son septennat : « J’entends encore l’immense rumeur du peuple français qui nous a demandé le changement. Nous ferons ce changement avec lui, pour lui, tel qu’il est dans son nombre et sa diversité. »
Le changement est déjà visible dans le style du pouvoir et la décrispation de l’homme que l’on appelle volontiers VGE. C’en est fini du cérémonial monarchique hérité du gaullisme. Il descend à pied les Champs-Élysées le jour de son intronisation et on le verra sortir de l’Élysée, ou entrer à grandes foulées. Il troque la jaquette pour le veston et porte aussi le pull-over. Il change le tempo de La Marseillaise, au défilé du 14 Juillet à la Bastille, et joue de l’accordéon à la télévision. Il invite même les éboueurs à sa table au petit-déjeuner, il s’invite à dîner chez les Français ordinaires – il en fait peut-être un peu trop et ça finira par agacer.
« La France doit devenir un immense chantier de réformes. »3156
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Conseil des ministres, 25 septembre 1974
On lance d’innombrables projets dans les premiers mois du septennat, certains aboutiront : abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité (électorale et civile), statut de la ville de Paris (qui retrouve un maire élu et unique), éclatement de l’ORTF, simplification des procédures de divorce. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) déchaînera des passions.
« Radio et télévision ne sont pas la voix de la France. Leurs journalistes sont des journalistes comme les autres. »3160
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Déclaration du 8 janvier 1975
Le président veut rompre avec un symbole gaulliste. La loi du 7 août 1974 fait éclater l’ORTF (Office de radiodiffusion – télévision française) en trois chaînes de télévision, une société de radiodiffusion, un service technique de diffusion et une société de production. Mais la libéralisation de l’audiovisuel ne suit pas automatiquement la réforme.
Le monopole d’État sur les ondes demeure et le pouvoir poursuit deux buts : l’affaiblissement des syndicats et le contrôle de l’information. Quelque 250 journalistes licenciés, des centaines d’autres mis « au placard », nombreuses pressions sur l’information durant tout le septennat. La gauche au pouvoir en 1981 mettra fin en 1982 au monopole de la programmation, proclamant la liberté de la communication audiovisuelle : naissance des radios libres, mais côté télévision, le pouvoir socialiste s’empressera d’offrir cette nouvelle liberté à de grands groupes industriels.
« Les bonnes lois ne doivent rien à l’humeur ; elles sont le fruit de l’observation attentive, de la discussion sérieuse, de la méditation renouvelée. Les bonnes lois ne se font pas à la hâte ; elles supposent le concours du temps. »3161
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), au Sénat, 27 mai 1975
À l’occasion du centenaire du Sénat, le président fait l’éloge du rôle de sage tenu par cette « Seconde Chambre […] chambre de réflexion, garante de la qualité de l’ouvrage législatif. » Au-delà de cette déclaration de circonstance, il est juste de dire l’inutilité d’ajouter des lois aux lois, pour plaire à l’opinion émue par tel ou tel fait divers ou rendre service à des amis, copains ou coquins. Les lois de circonstance sont rarement de « bonnes lois » et la frénésie législative n’est même pas suivie de décret d’application. Cela vaut naturellement de nos jours.
« Je gouverne et gouvernerai la France au centre […] et sachez que la main tient la barre. »3163
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), réunion de presse, 4 décembre 1975. (avant démission Chirac). La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal
Sous le gouvernement Chirac et pendant que s’affirme la gauche unitaire, les distorsions s’aggravent entre le président et sa majorité naturelle. L’UDR qui domine à l’Assemblée a perdu l’Élysée, mais garde Matignon et le président n’a qu’un seul noyau pur et dur, inconditionnel, le RI, parti des Républicains indépendants : soit 60 députés. Reste le centre, flou, mouvant, divisé : la renaissance du radicalisme qui fit les bonnes (et moins bonnes) années de la Troisième République n’aura pas lieu.
« Gouverner, c’est réformer. »3165
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Conseil des ministres, janvier 1976
Dit la première fois dans une déclaration à la presse, le 19 avril 1974.
Le gouvernement est remanié pour la cinquième fois, et dans le sens d’une plus grande ouverture. 1975 fut l’année « des occasions perdues et des illusions entretenues », selon Françoise Giroud dans La Comédie du pouvoir. La secrétaire d’État à la Condition féminine n’est naturellement pas la seule à le penser. Malgré l’optimisme et la volonté présidentielle, le train de réformes s’essouffle.
« Je ne dispose pas des moyens que j’estime aujourd’hui nécessaires pour assurer efficacement mes fonctions de Premier ministre et, dans ces conditions, j’ai décidé d’y mettre fin. »3169
Jacques CHIRAC (1932-2019), Déclaration à l’hôtel Matignon, 25 août 1976. Bréviaire de la cohabitation (1986), Maurice Duverger
Il parle face à la presse convoquée après la remise de sa lettre de démission au président. L’initiative vient du Premier ministre : c’est une première sous la Cinquième République et c’est inhabituel dans l’histoire des institutions. Sa lettre de démission est un acte d’accusation contre le laxisme du président qui ne manquera pas d’accuser à son tour son ex-partenaire d’imprévision face à l’inflation et au chômage.
Le divorce est consommé dans le couple Giscard-Chirac. Il y a des raisons extrapolitiques dans ce jeu pervers : « Chacun trompant l’autre et se trompant sur l’autre » écrira Catherine Nay (La Double méprise). Mais l’on peut s’en tenir à l’explication de Jacques Fauvet, prémonitoire : « Un Premier ministre qui est avant tout un homme d’action, mais a peu d’idées personnelles, et un président qui en a trop parfois, mais n’a guère de capacité d’action sur l’administration et sur la majorité » (Le Monde, 8 juin 1976).
« L’homme public le plus apte à résoudre le problème le plus important pour la France à l’heure actuelle, qui est celui de la lutte contre l’inflation. »3170
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Déclaration du 25 août 1976
Le président présente Raymond Barre, nouveau Premier ministre, breveté « meilleur économiste français ». Professeur d’économie à la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris, vice-président de la Commission européenne, responsable des Affaires économiques et financières, c’est un européen convaincu et reconnu pour ses capacités : le premier « plan Barre » sert de base à une nouvelle Union économique et monétaire, tandis que « le Barre », manuel d’économie pour les étudiants, restera longtemps un petit classique du genre.
Barre vient à peine d’entrer en politique – le 12 janvier 1976, comme ministre du Commerce extérieur du gouvernement Chirac. Il prend donc la place. Chirac qui pense déjà à la présidence s’en va refonder l’UDR en RPR (Rassemblement pour la République) en vue des batailles électorales à venir. Le chemin sera encore long pour l’homme pressé.
« La France vit au-dessus de ses moyens. »3171
Raymond Barre (1924-2007), TF1, allocution du 22 septembre 1976. La Dérive de l’économie française : 1958-1981 (2003), Georges Dumas
Depuis le choc pétrolier de 1973, « le coq gaulois faisait l’autruche » (Olivier Chevrillon), négligeant les mesures qui s’imposent, la sauvegarde du pouvoir d’achat entraînant l’économie dans une spirale suicidaire : gonflement des salaires nominaux, laminage des profits (donc des capacités de reconversion), déficit du commerce extérieur, effondrement certain, à terme, du niveau de vie.
Le Premier ministre, toujours très professeur, expose le 5 octobre à l’Assemblée son plan d’assainissement économique et financier, nouveau plan Barre : « La lutte contre l’inflation est un préalable à toute ambition nationale. Aucun pays ne peut durablement s’accommoder de l’inflation sans risquer de succomber à de graves désordres économiques et sociaux et de perdre sa liberté d’action. » Les réalités sont enfin prises à bras-le-corps, alors que le taux d’inflation menaçait d’atteindre 12-13 % dans l’année – il sera limité à 9,6 %. Mais les mesures d’austérité annoncées provoquent l’hostilité des syndicats et de l’opposition.
« Ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l’histoire. »3093
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), vœux télévisés du 31 décembre 1976
De tous les présidents de la Cinquième, c’est le seul à avoir explicitement considéré le passé comme un poids dont il faut se libérer. Pour preuve, en 1975, il supprime la commémoration du 8 mai 1945 (rétablie par son successeur Mitterrand, dès 1981). Giscard d’Estaing, élu président à 48 ans (le plus jeune avant Macron), se veut moderne et sensible au désir de changement dans le pays. Une nation ne peut se tourner vers l’avenir si elle ressasse constamment son histoire : « Conduisons-nous comme un peuple jeune et fier, ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l’histoire. »
Les autres présidents assignent à l’histoire, « passion française », une fonction pédagogique, voire thérapeutique, depuis de Gaulle qui évoquait la grandeur passée alors que le pays devait faire le deuil de son empire colonial, jusqu’à Sarkozy, pour qui l’évocation des heures glorieuses doit conjurer le spectre du « déclinisme ». Hollande et Macron se positionnent moins clairement face à l’Histoire.
« Le drame de Giscard est qu’il ne sait pas que l’histoire est tragique. »3094
Raymond ARON (1905-1983). Le Pharaon (1983), Jean Bothorel
Conception trop sereine du monde ? Volonté ou plutôt illusion de pouvoir toujours tout arranger ? Ou trait de caractère positif, tranchant sur une opinion globalement pessimiste ? « Il n’y aurait pas tant de malaise, s’il n’y avait pas autant d’amateurs de malaise. » (Libération, 10 décembre 1990). « Je vous demande de vous souvenir de ceci : pendant ces sept ans, j’avais un rêve. » Ce « mot de la fin » du président partant laisse à penser que sa devise pouvait être : « Gouverner, c’est rêver. » Mais la part du rêve ne fait-elle pas partie du jeu politique ?
« Chaque fois qu’il s’agira d’un choix fondamental pour la France, j’indiquerai quel est, selon moi, le bon choix. »3176
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), réunion de presse, 17 janvier 1977
La France vit à l’heure des élections à répétition et la politisation passionne chaque scrutin : cantonales en 1976, municipales en 1977, législatives en 1978. Sans parler des sénatoriales de 1977 et des européennes de 1979 !
Horizon mars 1978, on peut craindre une majorité de gauche à l’Assemblée, avec un président de droite – ce qu’on appellera plus tard la cohabitation, bizarrerie institutionnelle à la française. Giscard se refuse à dramatiser comme le fit de Gaulle : quoiqu’il arrive, il restera en fonction. On imagine déjà Mitterrand Premier ministre de Giscard président. Cette perspective excite les esprits, affûte les plumes, réjouit les lecteurs : la « politique-fiction » est un genre littéraire.
« Valéry Giscard d’Estaing a pour rôle historique d’assurer la domination des couches sociales qui l’ont placé là où il est. Il n’y peut rien et moi non plus. »3162
François MITTERRAND (1916-1996), L’Abeille et l’Architecte (1978)
Dans cette chronique politique, ces mots sont datés du 20 avril 1975. Le député socialiste de la Nièvre observe son précédent et futur adversaire aux présidentielles. À chacun sa voie, son destin, et la référence marxiste à la lutte des classes garde une part de vérité, même pour les non marxistes.
Il faut cependant reconnaître un certain mérite à VGE d’avoir fait voter, dans les deux premières années de son septennat, des lois allant à l’encontre de son électorat – donc des classes sociales qui l’ont mis au pouvoir – et valant réformes de société, même vu de gauche : majorité civique à 18 ans, remboursement de la contraception par la Sécurité sociale, légalisation de l’avortement, divorce par consentement mutuel.
« Les Français ne vivront pas heureux au paradis des idées fausses. »3183
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Discours de Verdun-sur-le-Doubs, 27 janvier 1978
On parle d’une cohabitation Giscard-Mitterrand. Début février, selon la Sofres, 60 % des Français seraient pour ce ticket choc – ils seront friands de ce mi-gauche mi-droite redouté par les dirigeants qui en savent les limites.
Refusant toujours de dramatiser, mais craignant le « front du refus » prêt à faire le mauvais choix, le président met en garde les Français : « Vous pouvez choisir l’application du Programme commun. C’est votre droit. Mais, si vous le choisissez, il sera appliqué. Ne croyez pas que le président de la République ait, dans la Constitution, les moyens de s’y opposer. »
« Rien n’est perdu, rien n’a été gagné. »3184
Raymond BARRE (1924-2007), entre les deux tours des élections législatives (12 et 19 mars 1978). L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1978)
Petite phrase passe-partout, prononcée dans nombre d’entre-deux-tours. Le Premier ministre se dépense beaucoup. Le président se tait. La gauche se met d’accord sur le désistement automatique en faveur du candidat le mieux placé : « En six minutes, on a mis fin à six mois de querelle », écrit un peu vite Politique-Hebdo. Le replâtrage ne fait pas illusion.
Le 19 mars, la gauche reçoit 49,36 % des suffrages exprimés, la majorité 50,47 %. René Rémond, historien du présent, professeur et politologue médiatique, rappelle cette vérité qui fait loi, une fois de plus : « Le pays se partage de longue date à peu près par moitié entre les deux grandes tendances qui se disputent son adhésion. L’écart entre elles a toujours été faible et il tend à se réduire encore : de ce fait, il appartient à quelques centaines de milliers d’électeurs de les départager et de faire pencher le fléau de la balance. La portée du déplacement d’une minorité est incalculable. »
Cela dit, la majorité sortante est confortée. Comme aux lendemains des élections de mars 1977, Giscard d’Estaing opère un vaste remaniement ministériel (30 avril 1978). C’est le gouvernement Barre III, qui gouvernera jusqu’à l’élection présidentielle de 1981. L’échec de la gauche met un terme à l’aventure du Programme commun. Désormais, Parti socialiste et Parti communiste poursuivent des trajectoires distinctes.
« Je ne veux pas être le diviseur des Français. »3089
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), interview à La Croix, 25 novembre 1979
Le président prêche la « décrispation », multiplie les contacts avec les dirigeants syndicaux et politiques, les apparitions à la télévision en renouvelant le style « causeries au coin du feu », les déplacements en province et ne manque pas une occasion de se présenter comme l’homme en charge de la France, au-dessus des partis. « Le président de la République ne se mêle pas au tohu-bohu des discussions politiques. »
« Pour définir mon attitude, je dirai que je suis un traditionaliste réformateur. »3090
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Deux Français sur trois (1984)
Exercice toujours délicat de l’autoportrait – ici, à mi septennat. Cette dichotomie ne vaut pas contradiction, mais complémentarité : « Traditionaliste, parce que je crois qu’il existe des valeurs que notre histoire et notre civilisation ont accumulées et formées et qui constituent le « fonds » culturel et social de la France ; réformateur, parce que je sais que la vie est un renouvellement, une poussée biologique continue que nous avons la responsabilité d’accompagner et, lorsque les obstacles la contrarient, de faciliter et de diriger. » Macron ne désavouerait pas cet « en même temps ».
Au-delà des réformes purement formelles et médiatiques, même les observateurs les plus critiques doivent reconnaître les vraies réformes de société dans les deux premières années du septennat : dépénalisation de l’avortement et loi sur l’IVG, majorité civique à 18 ans, divorce par consentement mutuel : « Je suis un libéral inguérissable », dit-il en remettant le prix Tocqueville à un sociologue américain, le 5 décembre 1980. Phrase répétée au cours de l’émission télévisée « Le Grand Débat » de TF1 sur le bilan du septennat et son programme pour l’élection présidentielle de mars1981. Reste que le mot « libéral » peut s’entendre au sens politique (tolérance) et/ou économique (non-intervention de l’État).
« Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison. »3193
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), interrogé sur l’« affaire des diamants », Antenne 2, 27 novembre 1979
Le 10 octobre, Le Canard enchaîné publie que Bokassa, président déchu de la République centrafricaine, fit cadeau de diamants à Giscard d’Estaing, ministre des Finances en 1973. Valeur, un million de francs, selon une note de Bokassa. « C’est grotesque », selon VGE. Les diamants, oubliés dans un tiroir, ont été estimés entre 4 000 et 7 000 francs. La note est un faux grossier. Mais Le Monde reprend l’information et dénonce le silence de l’Élysée.
La semaine suivante, Le Canard publie une nouvelle note de Bokassa sur des diamants remis à Giscard devenu président et la presse internationale se déchaîne sur ce « Watergate parisien ». VGE ne change pas de ligne de défense - autrement dit, il ne se défend même pas. Le Point publiera une contre-enquête infirmant la plupart des accusations. La DST révélera qu’on a aidé Bokassa dans cette manipulation. Trop tard, le mépris silencieux de l’accusé l’a rendu suspect : « J’imaginais que les Français écarteraient d’eux-mêmes l’hypothèse d’une telle médiocrité » (Le Pouvoir et la vie, tome II, L’Affrontement, 1991).
« J’entends me tenir à la ligne du juste milieu. Celle de la synthèse des propositions, de la rencontre des hommes, de la mobilisation des forces pour aider la France, et non pour déchirer la France. Ce n’est pas une ligne neutre. C’est une ligne de paix et d’entente, à suivre avec beaucoup de soin dans ces temps de tempêtes. »3194
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Déclaration à la Foire de Lyon, 23 mars 1980
Un an avant la présidentielle, dans une interview à L’Express (10 mai 1980), il estime avoir réalisé les trois quarts de ce qu’il souhaitait faire malgré les divisions de la droite, les deux chocs pétroliers, l’agitation des jeunes, l’opposition des syndicats. Divers sondages le donnent largement vainqueur face à la gauche (Rocard et plus encore Mitterrand). Cela ne peut que l’encourager à persévérer dans sa « ligne du juste milieu » et son centrisme réformateur. Mais l’affaire des diamants écorne irrémédiablement son image.
VGE posera la question : « Pourquoi ai-je échoué ? En raison du chômage ? d’une lassitude des Français ? J’étais crédité de 60 % de bonnes opinions et puis tout à coup une tornade s’est levée. » C’est injuste, si l’on pense à la série d’affaires beaucoup plus graves qui vont concerner les trois présidents à venir ! Le bilan économique joue aussi en sa défaveur, et l’impopularité de Barre, son Premier ministre prêchant toujours la rigueur.
« Je ne serai pas un Président-candidat, mais un citoyen-candidat. »3200
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), annonce officielle de sa candidature, 2 mars 1981
Il a retardé sa déclaration pour apparaître le plus longtemps possible comme l’homme en charge de la France – tactique classique. À présent, il se refuse à être l’homme d’un parti, sachant qu’il ne peut pas compter sur la majorité : « Je ne solliciterai l’investiture d’aucune formation. Je ne cherche pas à recruter des partisans ; je cherche à réunir les Français ».
Constatant qu’il a en face de lui « neuf candidats anti-Giscard », il dénonce « les professionnels du scepticisme ». Les attaques venant de toutes parts, il doit se résoudre à défendre son bilan de président, alors qu’il souhaitait se présenter en candidat porteur d’un projet. Porté à l’autosatisfaction sur sa personne et sur son action, il reconnaîtra pourtant qu’il a fait une mauvaise campagne, plutôt bâclée. Chirac va se révéler le meilleur dans le jeu de massacre et séduire l’électorat de droite qui découvre un homme neuf et battant.
« Je vous demande de vous souvenir de ceci : pendant ces sept ans, j’avais un rêve. »3206
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), message télévisé au pays, 19 mai 1981
Son adversaire a donc gagné le 10 mai, avec 51,75 % des suffrages exprimés. Selon les commentateurs, Mitterrand doit sa victoire à la discipline communiste, à un transfert d’électeurs chiraquiens, au report d’une majorité d’écologistes. Ajoutons : à son entêtement, son talent personnel et au slogan de Jacques Séguéla, « la force tranquille » - la publicité politique fait une entrée médiatique dans l’histoire.
Le ton du président sortant se veut apaisé, serein, mais ce jeune retraité (55 ans) demeure à la disposition du pays. « Et dans ces temps difficiles, où le mal rôde et frappe dans le monde, je souhaite que la Providence veille sur la France, pour son bonheur, pour son bien et pour sa grandeur. Au revoir ! » Un fauteuil vide reste en gros plan, cependant qu’il s’éloigne de dos et sort du champ de la caméra. Une sortie de scène bien jouée, presque trop.
« Aucun roi de France n’aurait été réélu au bout de sept ans. »3095
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), à ses fidèles, confidence citée dans Le Nouvel Observateur (1984)
Inconsolable de ce septennat non renouvelé, il en parle et se confie à la télévision : « On ne guérit pas les plaies en les léchant avec une langue de bois » (« Face à la 3 », 7 novembre 1984). En 1995, il obtient le prix de l’humour politique pour cette phrase adressée à Benazir Bhutto (Premier ministre du Pakistan) : « Votre peuple a eu l’intelligence de vous élire deux fois. » Mais elle sera victime d’un attentat suicide, dans un pays où le terrorisme fait loi.
Toujours jeune, encore très actif, le retraité de 55 ans dirige le parti (centriste) de l’UDF, est élu député, se consacre à son Auvergne natale, mais reste plus que jamais militant de la cause européenne – seul point commun qui le rapproche de son successeur.
« Il avait une très haute conception de la fonction présidentielle et l’assuma avec la plus grande conscience. Il était par-dessus tout soucieux de l’unité des Français et de leur bonheur […] Il veilla à ce que notre pays s’adaptât au nouvel état du monde et demeurât dans le peloton de tête des nations. Justice à cet égard lui sera rendue. »3092
Raymond BARRE (1924-2007), Questions de confiance. Entretiens avec Jean-Marie Colombani (1988)
Témoignage de son Premier ministre. À la décharge du président, Barre plaide la conjoncture défavorable et une crise qui met fin aux Trente glorieuses : « Il souffrait de ne pouvoir faire le bonheur des Français, alors que l’économie française était soumise à de grands bouleversements : disparition du système monétaire international, premier puis deuxième choc pétrolier. »
« Pendant mon septennat, j’ai été amoureux de 17 millions de Françaises. »
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), VGE : une vie (2011), George Valance
Cette déclaration illustre l’attitude de « Valéry Folamour » croqué par le Canard enchaîné. Séducteur assumé, sa liste de conquêtes supposées s’allongera bien au-delà de son septennat, au petit et grand bonheur de la presse people.
En 2009, le toujours « jeune » Académicien français décrit la love-story d’une princesse anglaise avec un président de la République française dans son roman La Princesse et le Président. Fantasme ou réalité ? L’œuvre crée une rumeur sans précédent qui affole la presse britannique : la princesse Patricia de Cardiff, jeune femme médiatique et malheureuse en ménage, ressemble follement à l’iconique Lady Di et Henry Lambertye, président de la République française dans les années 1980 a tout de Valy - autre surnom de VGE. Tout cela fait vendre et parler.
Président n° 21. François Mitterrand.
« Quand la France rencontre une grande idée, elles font ensemble le tour du monde. »3099
François MITTERRAND (1916-1996), Ici et maintenant (1980)
Document pour l’histoire, un an avant la présidentielle, ce livre dépeint l’État-Giscard et la France malade, dans un monde esclave du couple dollar-pétrole. Reste à se battre, « ici et maintenant », pour vivre autrement et maîtriser le progrès. Le leader de la gauche peaufine son image et sa « grande idée » : rester dans l’histoire comme l’homme du « socialisme à la française » voulu exemplaire pour le monde. Il emploie ce terme dans son premier entretien télévisé présidentiel, le 9 décembre 1981, précisant que ce n’est pas le marxisme – qui a échoué un peu partout dans le monde – mais pas non plus la social-démocratie – qui a vécu son âge d’or en 1970-1980 et se réconciliera avec l’économie de marché, pour se compromettre avec elle dans les crises à venir.
« Qu’appelez-vous pouvoir ? Un logement dans un palais ? Le grand cordon de la Légion d’honneur ? Le droit de grâce régalien ? La curiosité des foules ? La maîtrise des décrets ? Les hommes qui se courbent ? Les hommes qui se couchent ? La télévision à la botte ? La chasse au lièvre, au tigre, au pauvre ? […] Le doigt sur le bouton de la guerre atomique ? Un Président qui règne, qui gouverne, qui juge, qui légifère, qui commente lui-même les nouvelles qu’il inspire, monarque souverain d’un pouvoir absolu ? J’ai prononcé le mot qu’il fallait taire, l’absolu. »3102
François MITTERRAND (1916-1996), Ici et maintenant (1980)
Il fournit ses clés pour comprendre, savoir où il en est et où il veut aller. « Je fais partie, dit-il, du paysage de la France. » Il n’a pas l’intention d’en sortir. Un an plus tard, il aura ce pouvoir « absolu » tant désiré, lui imprimant une marque personnelle qui l’oppose au giscardisme plus qu’au gaullisme.
Remarquons au passage le style Mitterrand, dernier de nos présidents appartenant à cette tradition littéraire.
« Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans, « l’homme du passé ». C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle, vous soyez devenu l’homme du passif. »3204
François MITTERRAND (1916-1996), débat télévisé de l’entre-deux-tours, 5 mai 1981
Il déstabilise l’adversaire avec cet argument, aussi évidemment que Giscard l’avait déstabilisé en lui déniant le « monopole du cœur ».
Mitterrand, profession avocat avant d’avoir la vocation politique, se régale au jeu du chat et de la souris, usant de l’effet boomerang face à l’adversaire : « Vous ne voulez pas parler du passé, je comprends bien, naturellement et vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans « l’homme du passé ». C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu l’homme du passif. Cela gêne un peu votre démonstration d’aujourd’hui. Vous m’avez reproché d’avoir exercé un ministère de la parole, mais j’étais dans l’opposition et j’ai rempli mon rôle démocratiquement. Et ce n’est pas rien l’opposition dans une République. J’ajoute que j’ai utilisé ce temps pour faire avec d’autres un grand parti qui est devenu menaçant pour la majorité presque ancienne que vous représentez aujourd’hui. Si je pouvais faire demain pour la France, à la mesure de la France, ce que j’ai fait pour le socialisme, ce ne serait pas perdu. »
Le débat fut courtois, le résultat reste indécis, les derniers meetings de campagne se font plus violents, la presse est majoritairement favorable à Mitterrand, servi par l’impopularité du couple Giscard-Barre usé par le pouvoir.
« Il est dans la nature d’une grande nation de concevoir de grands desseins. Dans le monde d’aujourd’hui, quelle plus haute exigence pour notre pays que de réaliser la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté, quelle plus belle ambition que l’offrir au monde de demain ? »3208
François MITTERRAND (1916-1996), Discours d’investiture à l’Élysée, 21 mai 1981
Le nouveau président doit rassurer ceux qui ne l’ont pas élu et craignent les réformes annoncées dans son programme électoral (nationalisations, impôt sur les grandes fortunes…). Il poursuit et précise : « C’est convaincre qui m’importe et non vaincre. Il n’y a eu qu’un vainqueur le 10 mai 1981, c’est l’espoir. Puisse-t-il devenir la chose de France la mieux partagée ! Pour cela, j’avancerai sans jamais me lasser sur le chemin du pluralisme, confrontation des différences dans le respect d’autrui. Président de tous les Français, je veux les rassembler pour les grandes causes qui nous attendent et créer en toutes circonstances les conditions d’une véritable communauté nationale. »
Ce souci de réunir tous les Français fait partie du discours (et du dessein politique) de chaque nouveau président élu. Mais Mitterrand se distingue, du fait qu’il incarne la gauche au pouvoir pour la première fois sous la Cinquième République.
« Regarde : Quelque chose a changé. / L’air semble plus léger. / C’est indéfinissable.
Regarde : Sous ce ciel déchiré, / Tout s’est ensoleillé. / C’est indéfinissable.
Un homme, Une rose à la main, / A ouvert le chemin, / Vers un autre demain… »3209BARBARA (1930-1997), Regarde. Chanson dédiée à François Mitterrand et ovationnée en novembre 1981 à l’hippodrome de Pantin, emplacement actuel du Zénith de Paris
Le 21 mai, 11 jours après l’élection, Mitterrand prend officiellement ses fonctions de président de la République. Journée ponctuée par des cérémonies officielles et des manifestations publiques. Presque trop bien mis en scène, le président remonte la rue Soufflot au milieu de la foule et se retrouve seul, franchit la porte du Panthéon pour se rendre dans la crypte et déposer une rose sur les tombes de Jean Jaurès, Victor Schœlcher et Jean Moulin… La rose, symbole du PS, naturellement présente dans Regarde : « Et l’homme, Une rose à la main, / Étoile à son destin, / Continue son chemin. / Seul, Il est devenu des milliers, / Qui marchent, émerveillés, Dans la lumière éclatée… »
« Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi. »3210
François MITTERRAND (1916-1996), Le Monde, 2 juillet 1981
De Gaulle a dit, évoquant dans une conférence de presse (1967) l’après de Gaulle : « Un jour viendra, sans doute, où notre Constitution avec tout ce qu’elle implique sera devenue comme notre seconde nature. »
Mitterrand l’antigaulliste a exprimé tout le mal qu’il pensait de cette Constitution, dans ce pamphlet dont le titre seul fait provocation : Le Coup d’État permanent (1964). Il assimilait le régime gaulliste à une dictature et ne reniera jamais sa démonstration polémique. Pourtant, à peine élu, son principal opposant donne raison au père de la Cinquième République, déclarant dans le même élan : « J’exercerai dans leur plénitude les pouvoirs que me confère la Constitution. » Il dira et agira de même, lors de ce nouveau cas de figure politique : la cohabitation avec un gouvernement de droite (dès 1986). En attendant, le camp socialiste ne doute même pas de sa victoire aux législatives – la vague rose s’annonce triomphale – et fait assaut de déclarations plus lyriques qu’institutionnelles.
« Le 10 mai, les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière. »3211
Jack LANG (né en 1939), ministre de la Culture, présentant son budget (en forte hausse) le 17 novembre 1981
Formule devenue célèbre et quelque peu moquée d’un personnage toujours aussi lyrique que médiatique. Dans le même esprit, le même élan, Pierre Mauroy, fervent Premier ministre de Mitterrand : « C’est une aube nouvelle qui se lève. Avec nous, la vérité voit le jour. » Chevènement, très sérieux ministre de la Recherche et de l’Industrie, fait chorus : « Si nous n’étions pas arrivés, la France était condamnée à disparaître en 1990. » Restent d’importantes réformes à porter au crédit du premier septennat de Mitterrand.
« Tout est culture. »2960
Jack LANG (né en 1939), ministre de la Culture, Assemblée nationale, 17 novembre 1981. Demain comme hier (2009), Jack Lang
Présentant son budget, il défend une notion à la fois sociale et socialiste, opposée à la culture réputée élitiste et bourgeoise. « Culturelle, l’abolition de la peine de mort que vous avez décidée ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! Culturel, le respect des pays du tiers-monde ! Culturelle, la reconnaissance des droits des travailleurs ! Culturelle, l’affirmation des droits de la femme ! » Il annonce en même temps le doublement de son budget qui atteindra bientôt le seuil « mythique » : 1% du budget de l’État.
« La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution. »3217
Robert BADINTER (né en 1928), garde des Sceaux, citant mot pour mot Jean JAURÈS (1859-1914), et plaidant pour l’abolition, Assemblée nationale, 17 septembre 1981
La peine de mort n’était pratiquement plus appliquée en France, mais le symbole est très fort. Allant à l’encontre de l’opinion publique, l’abolition est la 17e des « 110 propositions pour la France » du candidat Mitterrand et Badinter s’impose en avocat des grandes causes : « La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire […] La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore encore l’humanité. Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier en Europe occidentale dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort. Pourquoi ce retard ? »
L’Assemblée vote massivement l’abolition le 18 septembre : 363 pour, 127 contre, certains députés de l’opposition se joignant à la majorité. Au Sénat : 160 pour, 126 contre. Le 9 octobre 1981, la peine de mort est abolie par la loi. Jacques Chirac, président, donnera en 2007 valeur constitutionnelle à l’abolition de la peine de mort.
« Le débat qui va enfin s’instaurer sur l’impôt sur les grandes fortunes permettra de tracer à peu près à coup sûr la ligne de partage entre les partisans de l’équité et les défenseurs des possédants. »3216
Laurent FABIUS (né en 1946), ministre du Budget, Assemblée nationale, 27 octobre 1981
À 35 ans, le brillant énarque reprend cette lutte menée en d’autres temps par Joseph Caillaux, Jean Jaurès et Léon Blum : « Est-il acceptable que 5 % des Français détiennent à eux seuls près de 40 % du patrimoine de notre pays, alors que les 50 % des moins riches de nos concitoyens n’en possèdent que quelques pour cent ? »
Que répond l’opposition ? Chirac, au nom du RPR, dit que l’impôt sera improductif et Alphandéry, UDF, l’accuse d’être inquisitorial. L’impôt sur les grandes fortunes (IGF) entre en vigueur en 1982. Supprimé par le gouvernement Chirac en 1987, rétabli en 1989 sous le nom d’impôt sur la fortune (ISF), réduit par Macron à la seule fortune immobilière (IFI). Il demeure une exception française, à l’intérêt surtout symbolique. Mais en politique, les symboles ont une valeur réelle.
Autres réformes sociales : cinquième semaine de congés payés, abaissement de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, semaine de 39 heures.
« L’inflation, impôt pour les pauvres, prime pour les riches, est l’oxygène du système. Regardez-le qui s’époumone. »3235
François MITTERRAND (1916-1996), L’Abeille et l’Architecte (1978)
Après la folle générosité des premières lois sociales, le franc est attaqué de toutes parts. La mini-dévaluation de 3 % n’a pas suffi (4 octobre 1981), ni la nouvelle dévaluation de 5,75 %, (12 juin 1982), même assortie d’un plan de rigueur. C’est l’échec du Programme commun, vaincu par la force des choses économiques.
La situation internationale est grave : fuite massive des capitaux, nouvelle dévaluation inéluctable, tous les indicateurs financiers au rouge (déficit du budget, de la balance commerciale, de la balance des paiements). Il faut agir dans l’urgence, mais dans quel sens ? Rompre avec la Communauté économique européenne (CEE), quitter le Système monétaire européen (SME), isoler l’espace économique français en développant une politique protectionniste selon Chevènement, partisan déterminé de la rupture ; ou prendre le « tournant de la rigueur » pour sauver le franc et la France, comme souhaité par le Premier ministre Mauroy, le ministre de l’Économie et des Finances Delors, et le ministre du Budget, Fabius. Ce sera le choix du président de la République.
« Les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est. »3241
François MITTERRAND (1916-1996), 20 janvier 1983 au Bundestag à Bonn (RFA). La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal
Conscient du déséquilibre des forces en Europe et de la supériorité de l’URSS, le président français tient à rappeler cette vérité qui deviendra aussitôt citation partout reprise.
Rappelons le contexte géopolitique. Depuis les années 1970, les Soviétiques installent dans les pays satellites d’Europe centrale des missiles nucléaires à moyenne portée (les SS-20), pointés sur les centres stratégiques de l’Europe occidentale. Pour répliquer à cette menace, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN proposent d’installer en Allemagne fédérale des missiles d’une puissance égale (les Pershing), orientés vers l’URSS et l’Europe communiste. Les mouvements pacifistes et gauchistes se mobilisent contre le projet américain avec le slogan : « Plutôt rouges [communistes] que morts ! » Les jeunes Allemands sont les plus nombreux à manifester contre le parapluie américain et pour le désarmement.
Devant les députés allemands, Mitterrand se montre ferme et son intervention est un soutien inespéré à l’OTAN. Il aidera au retournement de l’opinion publique occidentale. Dans les manifestations à venir, « Faites l’amour et pas la guerre » est contré par un nouveau slogan : « Il vaut mieux un Pershing dans son jardin qu’un Russe dans son lit ». Les Soviétiques vont finalement reculer et démanteler leurs SS-20. La guerre froide est bien finie.
« Les termes modernisation, entreprise, innovation et la suite seraient de droite ? Mais c’est un postulat absurde ! »3243
François MITTERRAND (1916-1996), interview, Libération, 10 mai 1984. La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal
En visite aux USA, le président fut frappé par le succès de l’expérience Reagan, notamment dans la Silicon Valley. Sa troisième grande conférence de presse du septennat, le 4 avril, tournait déjà autour du mythe industriel. Il y a vraiment là une révision réaliste des choix économiques de la gauche.
« Je ne suis pas homme à laisser la clef sous le paillasson. »3252
François MITTERRAND (1916-1996), Déclaration du 28 avril 1985
Dans le même ordre d’idée : « Je ne resterai pas inerte », ou encore : « Je ne renonce à aucun de mes droits, ni aujourd’hui, ni demain. » Une victoire de la droite se profile à l’horizon des législatives 1986 et le président ne perd pas une occasion de faire savoir à la France qu’il restera à l’Élysée, même si Matignon tombe aux mains de la droite.
« Je dissimule, je biaise, j’adoucis, j’accommode tout autant qu’il est possible. »3104
François MITTERRAND (1916-1996). Les Années Mitterrand (1986), Serge July
Autoportrait plus vrai que nature du président, lors de l’affaire du Rainbow Warrior en juillet 1985 : un piège pour la DGSE (nos « services secrets ») qui a coulé le bateau, tuant un photographe portugais qui travaillait pour Greenpeace – organisation écologiste militant contre les essais nucléaires français en Nouvelle-Zélande.
Cette stratégie mitterrandienne dépasse l’événement. Qualité ou défaut, le trait de caractère a frappé tous les observateurs. Pour July, homme de gauche et directeur de Libération, « il fallait un homme à l’âme particulièrement enchevêtrée, un chef d’État suffisamment baroque pour accueillir les tempêtes qu’il allait provoquer et en faire les leviers d’une politique apaisante. » Cet opportunisme n’exclut pas des convictions fortes et des positions rigides sur quelques thèmes : l’Europe, la peine de mort, la politique culturelle et certaines valeurs de la gauche.
« Comment fonctionneront les pouvoirs publics ? À cette question, je ne connais qu’une réponse : la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution. »3263
François MITTERRAND (1916-1996), Message du président de la République, lu le 8 avril 1986, devant chacune des deux Assemblées par leur président
« La Constitution attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause […] Le gouvernement, de son côté, a pour charge de déterminer et de conduire la politique de la nation ». Pour conclure : « Cela étant clairement établi, président et gouvernement ont à rechercher, en toutes circonstances, les moyens qui leur permettront de servir au mieux et d’un commun accord les grands intérêts du pays. » Les textes constitutionnels et les déclarations d’intention sont une chose, les réalités en sont une autre. Le suspense sur le devenir de la première cohabitation tint la France en haleine.
« Quand Chirac vient me voir à l’Élysée, il monte le perron avec ses idées et il redescend avec les miennes. »
François MITTERRAND (1916-1996), première cohabitation. Quand les politiques nous faisaient rire (2021), Jean-Louis Debré
Il tente de déstabiliser son Premier ministre avec cet humour ravageur dont il use à plaisir : « Si Chirac voyage tant, c’est parce qu’il ne peut pas rester en tête-à-tête avec lui-même… C’est un type sympathique, dommage qu’il manque de structure mentale. »
« Une idée nouvelle se dégage : avec moi les Français ont aujourd’hui l’impression d’avoir gagné un arbitre. »3264
François MITTERRAND (1916-1996), Déclaration à Solutré, 18 mai 1986
Au bout des deux premiers mois de cohabitation, le stratège politique s’est trouvé un rôle à sa mesure et tient à le faire savoir au pays. Politique étrangère et Défense nationale mises à part – où la collaboration s’impose entre les deux têtes de l’exécutif –, le gouvernement gouverne comme le veut la Constitution et le président arbitre : « J’ai pour devoir d’intervenir chaque fois qu’une décision pourrait nuire à l’intérêt des Français, pourrait apparaître injuste, ou exclure du mouvement général une partie des Français. »
L’année suivante, alors que le président reçoit au fort de Brégançon, le 1er janvier, une délégation de cheminots grévistes et leur serre la main, Balladur, ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation, ne peut s’empêcher de remarquer avec toute la diplomatie qui le caractérise : « J’aimerais bien que dans sa fonction d’arbitre, il arrive au président de donner raison au gouvernement. » Il vivra bientôt avec lui une « cohabitation de velours ».
« La majorité parlementaire actuelle veut vendre aux intérêts étrangers une partie du patrimoine national. C’est son opinion, ce n’est pas la mienne. »3265
François MITTERRAND (1916-1996), interview sur TF1, 14 juillet 1986
À l’occasion du traditionnel rendez-vous qui suit le défilé de la Fête nationale, le président explique son refus de signer l’ordonnance portant privatisation de 65 banques et entreprises industrielles. Les nationalisations qui lui tenaient fort à cœur parmi ses « 110 propositions pour la France » ont suscité des débats épiques, à l’Assemblée. Cette fois, les privatisations seront actées par une loi du 6 août 1986, mais le feuilleton ne fait que recommencer.
Pendant ces deux années de cohabitation, jamais le président ne recourra aux mesures exceptionnelles d’appel au peuple : référendum, dissolution de l’Assemblée, démission. Mais il rendra souvent l’opinion publique témoin de ses désaccords avec le gouvernement : refus de signer les ordonnances, commentaires en marge des décisions prises en Conseil des ministres.
Tonton, laisse pas béton.3274
RENAUD (né en 1952), slogan lancé par le chanteur, présidentielles du printemps 1988. Pour une histoire culturelle (1997), Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli
En verlan, « béton » signifie tomber. Dans une société surmédiatisée, l’engagement des artistes compte. Par ailleurs, la campagne présidentielle d’un président vieilli affiche le slogan et l’image gagnante « Génération Mitterrand ». Sans la jeunesse, pas de victoire possible. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut ménager cette force vive de la nation qui l’a massivement soutenu en 1981. Mais en Mai 68, attaqué comme de Gaulle par les jeunes en révolte contre tout pouvoir, il défendait cette idée : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort. »
Au soir du premier tour, il arrive en tête avec 34 % des voix, devant Chirac, près de 20 %. Suivent Raymond Barre (UDF), 16,54 % ; Jean-Marie Le Pen (FN), 11,46 % ; André Lajoinie (PC), 6,76 % ; Antoine Waechter (Verts), 3,78 % ; Pierre Juquin (PSU et LCR, gauche), 1,67 % ; Arlette Laguiller (Lutte ouvrière), 1,99 % ; Pierre Boussel (Parti des travailleurs), 0,31 %.
« Ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n’êtes pas le président de la République, nous sommes deux candidats […] Vous me permettrez donc de vous appeler Monsieur Mitterrand.
— Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre. »3275Jacques CHIRAC (1932-2019) et François MITTERRAND (1916-1996), débat télévisé de l’entre-deux-tours, 28 avril 1988
Mitterrand a changé d’adversaire. Après deux débats contre Giscard, il s’oppose à Chirac, Premier ministre sortant. Cette situation originale aboutit au passage le plus marquant de leur duel. Mitterrand est réélu le 8 mai avec 54 % des suffrages exprimés au second tour. La défaite est dure pour Chirac. « Les Français n’aiment pas mon mari » dit sa femme. Il a pu penser : la cohabitation m’a tué. Mais un homme politique n’est jamais mort et il a compris la leçon, on ne l’y reprendra plus et Balladur sera la prochaine victime désignée.
Le président dissout l’Assemblée nationale. La gauche retrouve la majorité, de justesse. La dynamique présidentielle n’a pas joué aussi fort qu’en 1981. Mitterrand va quand même profiter de cette nouvelle alternance qui lui épargne les « délices » de la cohabitation.
« Je rêve d’un pays où l’on se parle à nouveau. »3277
Michel ROCARD (1930-2016), Premier ministre, Assemblée nationale, 29 juin 1988
Dans sa déclaration de politique générale, le nouveau chef de gouvernement prend acte de l’évolution de la société française. Il ne s’agit plus comme en Mai 68 et dans le Programme commun de 1972 de « changer la vie », mais de changer la vie quotidienne : « Je rêve de villes où les tensions sont moindres. Je rêve d’une politique où l’on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu’à qui le dit. Je rêve tout simplement d’un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue – pourquoi pas de la fête ? – et de la liberté. »
L’homme de la « deuxième gauche » a beaucoup rêvé, mais les hommes et les circonstances ont freiné ses ambitions et contrarié ses intuitions. Mitterrand et Rocard se sont régulièrement affrontés dans le passé. Leur coexistence ne sera pas simple, ni pacifique. Malgré tout, en trois ans, Rocard accomplit d’abord un « miracle » : il ramène la paix en Nouvelle-Calédonie plongée dans la guerre civile, lui accordant le droit à l’autodétermination. Il crée le RMI (Revenu minimum d’insertion et ancêtre du RSA, Revenu de solidarité active), allocation de survie destinée aux victimes de la crise rampante des années 1980 et qui fait l’unanimité à l’Assemblée – fait rarissime. Et la CSG (Contribution sociale généralisée), prélèvement provisoire sur l’ensemble des revenus, censé diminuer le déficit de la Sécurité sociale – la CSG existe toujours, le déficit aussi.
« La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir. »3279
François MITTERRAND (1916-1996), campagne pour les élections européennes de juin 1989. Mitterrand : une histoire de Français (1998), Jean Lacouture
Prononcés en janvier 1989, ces mots seront souvent repris, pour devenir citation. À l’époque, l’incertitude porte sur le devenir de l’Europe de l’Est, communiste pour quelques mois encore. L’Europe est plus que jamais l’avenir, même si la réalité européenne est toujours en crise. L’Union européenne reste malgré tout un gage de paix avec la réconciliation devenue amitié franco-allemande et l’euro, monnaie unique pratiquement acceptée de tous.
« C’est une vieille, très vieille République qui boitille encore sous nos yeux, une République monarchique qui s’illusionne elle-même en ses anciens atours, avec ses escortes de motards, ses huissiers à chaîne, ses complaisances de cour, et ses arrogances technocrates. »3280
Claude IMBERT (1929-2016), L’Événement du jeudi, 2 février 1989
Le directeur du Point s’exprime dans un article titré : « Faut-il croire au déclin de la politique ? » La dépolitisation – qu’on s’en réjouisse ou le déplore – semble une des évolutions inéluctables de la société française. Les années 2000 vont démentir cette prédiction. Il suffit d’un rien – un événement inattendu, un personnage nouveau, une cause à défendre – pour que le Français se passionne à nouveau pour la Politique. En 2022, le suspense reste entier.
« Notre pays, c’est la planète. »3281
François MITTERRAND (1916-1996) et 24 chefs d’État et de gouvernement, signant la Déclaration de La Haye, 3 avril 1989
Mitterrand, incontestablement « européen », est-il écologiste ? Il semble qu’on n’ait plus le choix. Défi plus ambitieux que le pari européen et plus complexe, à la fois vital (à plus ou moins longue échéance) et fatalement planétaire.
La formule se trouve déjà dans le Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1987). Deux ans après, l’Appel de La Haye pose les bases d’une écologie globale : « Créer une autorité mondiale dotée de pouvoirs de décision et d’exécution pour sauver l’atmosphère, c’est à cela qu’ont appelé 24 pays prêts à déléguer une parcelle de leur souveraineté nationale pour le bien commun de l’humanité tout entière. » En 2009, la Conférence de Copenhague sur le climat réunira les représentants de 170 nations : autrement dit, la planète, au secours de la planète.
L’écologie a perdu son statut de science pour initiés ou babas cools post-soixante-huitards. L’opinion publique est alertée, parfois à l’excès. L’écologie politique a ses partis (Verts et autres) et tous les partis politiques parlent écologie : réchauffement de la planète, épuisement des ressources naturelles, pollution de l’atmosphère, de la terre et de l’eau, déforestation, disparition de nombreuses espèces végétales et animales… Aussi vrai que « l’homme est le premier animal qui détruit son environnement », tous les hommes sont ou seront finalement concernés.
« Je n’ai pas peur de la réunification. L’Histoire avance, je la prends comme elle est. »3284
François MITTERRAND (1916-1996), Conférence de presse conjointe avec le chancelier Helmut Kohl, Bonn, 3 novembre 1989. Novembre 1989 : le mur de Berlin s’effondre (1999), Daniel Vernet
Une semaine avant l’ouverture du mur de Berlin, et sa chute.
Rappelons la vision prophétique du général de Gaulle (conférence de presse, 23 juin 1963) : « Il n’est pas invraisemblable qu’un jour vienne où une sorte de compréhension s’établisse par-dessus les idéologies, toutes plus ou moins périmées, de manière à ce que d’abord la détente, et puis l’entente, et puis qui sait, la coopération s’établisse, pour commencer, d’un bout à l’autre de l’Europe. » Dans les années 1960, la vision d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » était utopique.
Un quart de siècle plus tard, que de nouveau à l’Est de cette Europe ! Avant d’imploser, l’URSS de Gorbatchev pratique glasnost et perestroïka, multipliant les signaux de détente. Les régimes communistes s’effondrent dans les pays satellites. Devant cette rupture du vieil équilibre, Mitterrand qualifie le proche avenir de passionnant et dangereux, un nouvel ordre mondial impliquant risques et chances aux plans à la fois économique et politique.
« Rappelez-vous ce mot de Napoléon Ier : « Tout État fait la politique de sa géographie. » »3289
François MITTERRAND (1916-1996), émission « 7 sur 7 », TF1, 25 mars 1990
Mitterrand est connu pour sa culture générale, rien d’étonnant à voir une citation et une référence historiques dans ce discours politique contemporain. « Notre géographie comporte le voisinage de l’Allemagne qui est un voisin très puissant, très multiple, très nombreux. Et puis, il y a les autres voisinages, l’Europe tout simplement, et si l’on veut dominer le problème allemand, il faut désormais dépasser le problème du couple franco-allemand. » Le président rappelle ensuite sa proposition de confédération européenne.
« L’alternance est l’oxygène de la démocratie. »3276
François MITTERRAND (1916-1996), « Nos années 80 », Paris Match, 30 novembre 1989
Il fait le bilan politique des années 1980, « années Mitterrand » pour la France : « Je vous en parle en connaissance de cause, puisque j’ai eu à gérer trois alternances en sept ans : 1981, 1986, 1988. Tout compte fait, cela s’est plutôt bien passé. » Rappelons la définition du député UDR François d’Aubert : « La cohabitation, c’est le jardin des supplices pour le futur Premier ministre, le jardin des malices pour le président, le jardin des délices pour les nostalgiques de la Quatrième République. »
Ce que Mitterrand ne dit pas, c’est qu’il vit la pire « coexistence » de sa carrière politique avec son ennemi intime Michel Rocard, Premier ministre incarnant l’autre gauche : « Je vais le nommer puisque les Français semblent en vouloir. Mais vous verrez, au bout de dix-huit mois, on verra au travers » (cité dans L’Enfer de Matignon, par Raphaëlle Bacqué).
« Si ça vous amuse. »3293
François MITTERRAND (1916-1996), accueillant avec un mépris agacé les propositions du Premier ministre, jusqu’au jour où il lui demande sa démission, 15 mai 1991. C’est aussi le titre des Mémoires de Michel Rocard (1930-2016)
Comme si, vingt ans après, il s’amusait lui-même du cynisme destructeur dont il fut victime ! Ces relations conflictuelles ont naturellement gêné l’action du Premier ministre, au bilan certes positif, mais incomplet. Rocard incarne la « deuxième gauche, décentralisatrice, régionaliste, héritière de la tradition autogestionnaire, qui prend en compte les démarches participatives des citoyens, en opposition à une première gauche, jacobine, centralisatrice et étatique » (les mots de Rocard en 1977, au congrès de Nantes du Parti socialiste).
Cela reste un rendez-vous raté avec l’histoire, pour la gauche et le socialisme, pour Rocard et pour la France. Malgré sa popularité, les jeux politiciens l’empêcheront de se présenter aux prochaines présidentielles, comme si l’ombre de Mitterrand planait toujours.
« Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et, finalement, sa vie. »3306
François MITTERRAND (1916-1996), Discours aux funérailles de Pierre Bérégovoy, 4 mai 1993
Le président défend la mémoire de son ex-Premier ministre et ami qui s’est tiré une balle dans la tête le 1er mai, après un acharnement médiatique injuste. La presse (Canard enchaîné en tête) reprochait à cet homme honnête, luttant contre la corruption et les corrompus, un prêt sans intérêt pour une somme relativement modeste (un million de francs). Cet ancien militant, fidèle à ses convictions comme à ses amis, mais attaqué, puis lâché par les siens et notoirement déprimé, se reprochait surtout la défaite de la gauche, aux législatives de mars 1993.
La véhémence de Mitterrand a une autre raison : il est lui-même très attaqué sur son passé d’ex-vichyste, devenu résistant. La politique est un métier dur, qui peut devenir cruel. Notre « galerie présidentielle » le prouve. Moins d’un an plus tard, le suicide de François de Grosrouvre dans son bureau à l’Élysée affectera son vieil ami Mitterrand et suscitera des rumeurs quasi inévitables.
« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »3310
François MITTERRAND (1916-1996) à la télévision, 31 décembre 1994
Le président adresse pour la dernière fois ses vœux à la nation, au terme de son second septennat. « L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai, le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin, et plein d’espoir en vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »
Sa maladie (cancer), longtemps caché et devenu de notoriété publique, dramatise naturellement ce rendez-vous annuel et convenu d’un président avec un peuple.
« Jadis on était décoré et content. Aujourd’hui on n’est décoré que comptant ! »2486
Alfred CAPUS (1857-1922), Le Gaulois, 7 octobre 1887
Ce journal, comme bien d’autres
« Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera. Mesdames et messieurs, le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre n’est pas seulement le passé, elle peut être notre avenir ; et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les garants de notre paix, de notre sécurité et de notre avenir. »3311
François MITTERRAND (1916-1996), Discours prononcé devant le Parlement européen, 17 janvier 1995
L’un des derniers messages de Mitterrand l’européen, au bout de quelque soixante ans de vie politique. Il a connu la montée des périls dans les années 1930, il a vécu la guerre. Et il met ses dernières forces dans ce plaidoyer pour un monde de paix. Quels que soient les reproches faits à la construction européenne, qui se renouvellent, s’accumulent et se contredisent en fonction de la conjoncture économique et politique, des convictions plus ou moins partisanes et des incertitudes sur la forme et le devenir de l’Europe, il ne faut jamais oublier d’où vient l’Europe, son histoire tragique et les siècles de guerres fratricides, entre ses peuples voisins.
« J’aime la France d’une façon charnelle. Lorsqu’on me disait : « Est-ce que vous avez une certaine idée de la France ? » Je disais : « Non, ce n’est pas abstrait chez moi, je vis la France dans mes veines, je la sens avec mon odorat. » »3098
François MITTERRAND (1916-1996), émission « Bouillon de culture », France 2, 14 avril 1995
Un mois avant le terme de son second septennat, il s’oppose toujours à de Gaulle et à la première phrase des Mémoires : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. »
Grand intellectuel, auteur d’essais bien écrits de sa plume, Mitterrand est également un sensuel, jouisseur de toutes les choses de la vie, plaisirs de la table et dégustation des ortolans, beauté des paysages, balades landaises avec son labrador noir, longues marches dans Paris, tour émerveillé du monde, convivialité entre amis, conquêtes féminines… L’amour charnel pour la France se retrouve chez nos rois, à commencer par Henri IV. D’autres l’ont exprimée.
Quant aux idées politiques, Mitterrand est l’un des rares Français à ne s’être jamais dit gaulliste. Homme de gauche, il s’est choisi une filiation socialiste, mais pas marxiste : « Je préfère qu’on me situe dans la ligne de pensée de Jaurès et de Léon Blum », dira-t-il à Jean Lacouture en septembre 1987 (cité par Jean Daniel, Les Religions d’un président).
« Cet homme est un mystère, habité par mille personnages, du tacticien sceptique au socialiste saisi par la ferveur. On a beaucoup dit que François Mitterrand était insaisissable ; il n’est simple ni à déchiffrer ni à défricher. À la fois personnage authentique et artiste en représentation. »3106
Franz-Olivier GIESBERT (né en 1949), François Mitterrand ou la Tentation de l’histoire (1977)
Son biographe faisait le portrait d’une personnalité affirmée (à 60 ans), mais pas encore président. Sphinx, Florentin, Machiavel et autres Prince de l’équivoque ou de l’esquive, ces surnoms reviennent sans fin sous la plume des observateurs. Ils qualifient ses volte-face idéologiques de « convictions moirées ». Le président au pouvoir ne fait rien pour lever le voile, cultivant un certain silence, usant d’un sens inné du secret et n’abusant pas du petit écran qui finit par être fatal à son prédécesseur.
Autre biographe, Catherine Nay : Le Noir et le Rouge (1984) et Les Sept Mitterrand ou les métamorphoses d’un septennat (1988). Elle reconnaît la profondeur des engagements partisans, l’obstination des choix. Pourtant, nul plus que ce président n’a su se plier aux circonstances et rebrousser chemin selon les données de la conjoncture ou les fatalités du mauvais sort. Ce diable d’homme a savamment joué sept rôles, désormais sept masques plaqués sur un visage dont on cherche en vain l’ultime vérité. Personnage éminemment romanesque, il aura dérouté, irrité, mais fasciné tous ceux qui l’ont approché.
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