Histoire de l’Antisémitisme, en citations (XXe et XXIe siècles) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage. »

Tristan BERNARD (1866-1947), auteur de vaudevilles, Propos, conférence à Nice (1942)

L’antisémitisme fait la une de l’actualité depuis le 7 octobre 2023 : guerre Israël-Hamas ou Israël-Gaza, commentée à tort et à raison dans le monde. Seule certitude : le juif redevient le bouc émissaire de l’Histoire.

La définition de l’antisémitisme fait pourtant débat.

« Doctrine ou attitude systématique d’hostilité aux juifs et mesures discriminatoires contre eux », c’est une forme de racisme historique, alors que la notion de race est remise en question : « idéologie basée sur une supériorité supposée de certaines races, toujours prônée par ceux qui estiment appartenir aux races estimées « supérieures » ». On sent l’embarras jusque dans le dictionnaire…

Même ambiguïté relative au « Sémite » 1. Personne appartenant à un groupe ethnique originaire d’Asie occidentale (de langues apparentées sémitique). 2. Abusivement Juif.  Forgé à partir du personnage biblique de Sem, fils de Noé. On imagine les querelles sémantiques…

Quelle qu’en soit la définition, l’antisémitisme est une réalité indiscutable : avec l’Affaire Dreyfus sous la Troisième République et des millions de morts, bien avant la « Shoah » (catastrophe en hébreu), persécution et extermination systématiques de quelque six millions de Juifs par le régime nazi et ses collaborateurs.

Le « négationnisme » est une doctrine minoritaire (et condamnée). Mais l’anachronisme est un piège omniprésent dans les commentaires. Cela vaut pour toute l’Histoire et les citations, plus encore sur certains thèmes « brûlants ».

Divers passages de cet édito sont violents à l’extrême : appels à la haine, mots qui tuent – ils l’ont prouvé. De nos jours non éditables, ne les censurons pas. Céline est plus qu’un détail de l’histoire.  Et rappelons Jaurès, conscience de son temps, antidreyfusard devenu dreyfusard : « C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité. »

ENTRE DEUX GUERRES

« À bas la Marianne, la fille à Bismarck,
La France est à nous, la France de Jeanne d’Arc. »2646

Me MAGNIER (fin XIXe-début XXe siècle), Quand on pendra la gueuse au réverbère, chanson

Dans cette chanson écrite sans doute en 1909, signée d’un avocat à la cour d’appel de Paris et très en vogue chez les Camelots du roi dans l’entre-deux-guerres, la République est traitée de « gueuse », femme de mauvaise vie. Il est aussi question de régler leur compte aux « youpins » (juifs), aux « métèques » (étrangers) et aux francs-maçons, à Briand, Painlevé, Doumergue et autres politiciens honnis par l’extrême droite. Charles Maurras prône le nationalisme intégral, dont la violence répond d’ailleurs à celle des militants de gauche.

« Il y a parmi les Juifs des ouvriers, des travailleurs : ils forment la majorité. Ce sont nos frères opprimés par le capital, nos camarades de combat pour le socialisme. Il y a parmi les Juifs des koulaks, des exploiteurs et des capitalistes, comme parmi les Russes, comme dans toutes les nations (…) Honte au tsarisme maudit qui torturait et persécutait les Juifs. Honte à ceux qui sèment la haine contre les Juifs, à ceux qui sèment la haine contre les autres nations… »

LÉNINE (1870-1924), Œuvres, mars-août 1919, Éditions Sociales (1962)

Révolutionnaire communiste, théoricien politique et homme d’État russe, il prône comme Trotski la révolution internationale et permanente jusqu’à la victoire. Il s’oppose à Staline qui développe une forme de nationalisme contraire au principe de l’internationalisme (base du communisme).

Acteur clé de la révolution d’Octobre 1917 et père fondateur de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), Lénine meurt à 53 ans, affaibli depuis des années par une série d’attaques (AVC) et cloué à un fauteuil roulant. Il fait aussitôt l’objet d’un véritable culte. Saint-Pétersbourg est nommé Léningrad, Staline invoque sa mémoire pour légitimer son accession au pouvoir. Nikita Khrouchtchev et Mikhaïl Gorbatchev l’utiliseront bientôt pour justifier leurs volontés réformatrices.

« Je veux pas faire la guerre pour Hitler, moi je le dis, mais je veux pas la faire contre lui, pour les Juifs… On a beau me salader à bloc, c’est bien les Juifs et eux seulement, qui nous poussent aux mitrailleuses… Il aime pas les Juifs Hitler, moi non plus… »2688

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), Bagatelles pour un massacre (1937)

(Céline met souvent une majuscule aux Juifs, dans la logique de la doctrine nazie, faisant référence au peuple, et plus encore à la race).

Ce n’est pas le seul antisémite de ces années-là, mais c’est l’un de ceux qui s’expriment avec le plus de violence… et un génie littéraire non contestable, célébré par la critique à la publication de Voyage au bout de la nuit (1932).

Ce premier pamphlet où la haine l’égare fait l’unanimité contre lui. Il s’est déjà créé des ennemis chez les bien-pensants avec son Voyage qui attaque le militarisme, le colonialisme, l’injustice sociale. Ses impressions de retour d’URSS publiées dans Mea Culpa (1936) lui ont ensuite aliéné tous les sympathisants communistes. Mais la provocation fait partie du je(u) célinien. Et il s’en vante.

« Je viens de publier un livre abominablement antisémite, je vous l’envoie. Je suis ici l’ennemi no 1 des Juifs. »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), Lettres (édition posthume) Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Lettre au Docteur W. Strauss, 1937

Vantant son antisémitisme et « fait par Dieu pour scandaliser » (selon Bernanos), il s’adresse au Docteur Strauss rencontré à Genève en 1925, alors qu’il travaillait comme médecin au service d’hygiène de la Société des Nations.

« Voici un revenant ! Vous tombez hélas ! bien extraordinairement ! Je viens de publier un livre abominablement antisémite. Je vous l’envoie. Je suis ici l’ennemi n°1 des Juifs. Je vous passe les détails ! Tout ceci est fort banal… Je sais combien vous êtes dévoué à l’œuvre palestinienne, la seule supportable de la part des Juifs à l’heure actuelle. Mais il me semble que là aussi vous éprouvez quelques déconvenues ?… La persécution aryenne existe aussi. J’ai été chassé, et dans quelles conditions infâmes ! de mon emploi en dispensaire de Clichy où j’étais médecin depuis 12 ans à la suite de mon livre. Le directeur est un juif lituanien - naturalisé depuis 10 ans - Ichok, d’Izok, Izaak - et 12 médecins juifs… immédiatement installés. Il y a en France vous le voyez un nazisme à l’envers… »

« Je me sens très ami d’Hitler, très ami de tous les Allemands, je trouve que ce sont des frères, qu’ils ont bien raison d’être racistes. Ça me ferait énormément de peine si jamais ils étaient battus. Je trouve que nos vrais ennemis c’est les Juifs et les francs-maçons. Que la guerre c’est la guerre des Juifs et des francs-maçons, que c’est pas du tout la nôtre. Que c’est un crime qu’on nous oblige à porter les armes contre des personnes de notre race, qui nous demandent rien, que c’est juste pour faire plaisir aux détrousseurs du ghetto. Que c’est la dégringolade au dernier cran de la dégueulasserie. »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), L’École des cadavres (1938)

Troisième des quatre pamphlets de Céline après Mea culpa (1936) et Bagatelles pour un massacre (1937), ce texte n’a jamais été réédité pour cause d’antisémitisme aggravé et de provocation à la haine raciale. Rappelons que même le Mein Kampf d’Hitler est en vente libre.

Lucette Destouches, veuve de l’écrivain, s’opposait à toute réédition, tenant à respecter la volonté de Céline qui ne voulait pas que ces textes fussent republiés après 1945. Ils font quand même l’objet d’une édition critique au Canada. En 2017, Gallimard annonce une réédition pour mai 2018, après accord de Lucette Destouches. L’éditeur fait ensuite marche arrière, estimant que « les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l’envisager sereinement. » À vous de juger, compte tenu de la suite de l’Histoire…

L’auteur se promène en région parisienne, « le long du halage entre la Jatte et Courbevoie ». Une sirène bouseuse l’interpelle. Ils se disputent. La sirène replonge dans l’eau, une fange pleine de bulles. Sans transition, l’auteur nous entretient de ses soucis présents. Il a reçu une lettre « À Céline le dégueulasse » où un lecteur de son précédent pamphlet (Bagatelles pour un massacre) signe « Salvador, Juif » et lui annonce en termes crus la manière dont il a apprécié l’ouvrage.

S’ensuit (pages 20 à 305 !) une interminable diatribe où l’auteur explique avec force détails et à sa façon que le monde entier est « enjuivé », que de là viennent toutes les guerres passées et à venir, tous les maux actuels de l’époque. La solution repose sur un rapprochement entre l’Allemagne nazie et une France débarrassée de la démocratie parlementaire, de ses Juifs et Francs-maçons. Idée fixe, obsessionnelle.

« Une seule race en France : l’Aryenne ! […] Les Juifs, hybrides afroasiatiques, quart, demi-nègres et proches orientaux, forniqueurs déchaînés, n’ont rien à faire dans ce pays. Ils doivent foutre le camp. Ce sont des parasites inassimilables, ruineux, désastreux, à tous les égards, biologiquement, moralement, socialement, suçons pourrisseurs. Les Juifs sont ici pour notre malheur. Ils ne nous apportent que du malheur. »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), L’École des cadavres (1938)

Céline s’enorgueillit dans la préface de la réédition de l’ouvrage en 1942 d’avoir écrit « sous Daladier » le seul texte à l’époque « antisémite, raciste, collaborateur (avant le mot) ». Tout cela sans forcer son talent.

Sous l’Occupation, Céline qui ne signera pas à proprement parler d’articles envoie des lettres aux journaux collaborationnistes, publiées pour la plupart. Il leur accorde aussi des interviews. À travers ces publications, il exprime un antisémitisme toujours violent et viscéral, campé en écrivain pro-nazi. Cette attitude lui attirera logiquement certains ennuis qui renforceront sa paranoïa maladive, basée sur une psychose et une névrose.

« Spirituellement, nous sommes des Sémites. »2689

PIE XI (1857-1939), 6 septembre 1938. Dialoguer pour ne pas mourir (1998), Jean-Marie Roger Tillard

« L’antisémitisme est inadmissible. » Mot fameux du 259e pape de l’histoire, qui mit à l’Index le journal (notoirement antisémite) de l’Action Française (dès 1926). Plus généralement, il condamne tous les excès de cet entre-deux-guerres : ceux du fascisme (dès 1931) et du bolchevisme comme du nazisme (en 1937).

L’encyclique Mit brennender Sorge (« Avec une vive inquiétude ») s’adresse directement aux Allemands et en allemand, pour attaquer le racisme, le mythe du sang et celui de la terre. En 2007, les archives vaticanes dévoilent le discours contre le fascisme et le nazisme que Pie XI aurait dû prononcer en présence de Mussolini.

L’action de son principal collaborateur et successeur Pie XII (à partir de 1939), qui condamnera lui aussi le fascisme et le nazisme, suscite beaucoup plus de polémiques. Le nouveau pape est attaché depuis 1917 au principe de la neutralité politique du Vatican. En tant que chef de l’Église universelle, le padre comune de tous les fidèles catholiques a les mains liées, au moins publiquement. La question de l’antisémitisme des catholiques, récurrente, s’est quand même posée de manière dramatique, en diverses époques.

« S’ils s’obstinent, ces cannibales, à faire de nous des héros, il faut que nos premières balles soient pour Mandel, Blum et Reynaud. »2697

« À bas la guerre », l’Action Française, numéro saisi le 27 septembre 1938. La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean-Marie Mayeur

Le numéro paraît en pleine crise de Munich, avec l’article ainsi titré. Les termes disent la violence de l’opposition d’extrême droite : antisémitisme et appel (nominatif !) au meurtre, ce qui a déjà tué Jaurès à la veille de la guerre, en 1914.

La situation internationale s’aggrave. 12 mars 1938, Hitler a envahi l’Autriche : l’Anschluss est une annexion pure et simple. En septembre, il récidive, prenant prétexte de la minorité allemande des Sudètes pour exiger le rattachement à l’Allemagne de ce territoire de Tchécoslovaquie. Vladimir Poutine agira de même au XXIe siècle avec l’Ukraine qu’il prétend « dénazifier ».

« Dans son essence, le régime de Hitler est une copie de ce régime réactionnaire qui a existé en Russie sous le tsarisme. Il est notoire que les Hitlériens piétinent les droits des ouvriers, les droits des intellectuels et les droits des peuples, comme le régime tsariste les a piétinés et qu’ils déchaînent des pogroms moyenâgeux contre les Juifs de même que les avait déchaînés le régime tsariste. »

STALINE (1878-1953), Histoire et critique d’une légende noire, Domenico Losurdo (2011). Mediapart, 20 mai 2023

Vertige de l’Histoire qui affirme tout et son contraire et le contraire de tout. Le philosophe Paul Valéry (1871-1945) s’en méfiait à raison. Reste la persécution des Juifs avec ou sans majuscule qui va aboutir au pire avec la « Shoah » d’illustre mémoire, sauf à dire « Hitler, connais pas », film documentaire de Bertrand Blier interrogeant la jeunesse de son temps, réalisé en 1963.

SECONDE GUERRE MONDIALE

« La vraie barbarie, c’est Dachau ; la vraie civilisation, c’est d’abord la part de l’homme que les camps ont voulu détruire. »2719

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

Témoin et acteur de ce temps, prisonnier de guerre en 1939, évadé d’un camp après l’armistice de 1940, aventurier au sens noble comme de Gaulle et rallié inconditionnel du général incarnant la Résistance, blessé dans les rangs du maquis, commandant la brigade d’Alsace-Lorraine à la libération.

Le camp de concentration, institution type des régimes totalitaires, est l’un des instruments de la terreur instaurée par le nazisme : on y enferme les juifs, les gitans et les homosexuels, les résistants, tous les opposants. Dachau, près de Munich, est l’un des premiers camps ouverts en 1933. Au total, 203 camps, entre 6 et 9 millions de morts (selon les sources) - juifs en majorité.

« Vous craignez pour moi parce que je suis juif. Eh bien, c’est justement parce que je suis juif que je ne partirai pas demain, cela aurait l’air de dire que j’ai peur et que je m’enfuis. »

Georges MANDEL (1885-1944), sollicité par le général Spears, représentant de Churchill, 16 juin 1940. Jean-Noël Jeanneney, Georges Mandel, l’Homme qu’on attendait (2009)

Argument plausible, vu la suite des événements ! Autre raison plus politique, Mandel préférait tenter de poursuivre la guerre par un soulèvement en Afrique du Nord, seul espoir de continuer le combat en France.

La suite est connue… Le camp de l’armistice l’emporte. De Gaulle part à Londres saisir la main tendue par l’allié anglais (et Churchill), tandis que le parlementaire Mandel reste en France pour tenter de contrecarrer la prise du pouvoir par Pétain, après le renoncement de Reynaud.

Pétain le fait arrêter, puis le laisse embarquer à bord du paquebot Massilia qui emporte une trentaine de députés désireux de continuer la lutte en Afrique du Nord. Arrêtés par les autorités vichystes, ils sont renvoyés en France sous l’inculpation de désertion. Mandel est emprisonné à Riom comme Léon Blum, condamné à la prison à vie, puis enfermé dans le fort pyrénéen du Portalet avec Paul Reynaud, enfin livré aux Allemands et déporté à Buchenwald avec Blum… Il aura moins de chance que lui, rapatrié en France à la prison de la Santé pour être finalement livré à la Milice.

Mandel sera assassiné d’une rafale de mitraillette dans la forêt de Fontainebleau le 7 juillet 1944, moins de deux mois avant la Libération – sorti d’une voiture faussement en panne à l’occasion d’un transfert, le milicien Mansuy l’abat de seize balles dans le dos, en représailles à l’exécution par la Résistance du ministre de l’Information Philippe Henriot dix jours avant.

« Jean Zay, bouc émissaire idéal, est condamné par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand à une peine qui vise à rappeler celle de Dreyfus : la dégradation et la déportation pour une durée indéterminée. »

Olivier LOUBES (né en 1963), Jean Zay, Vichy et la Résistance, Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1996

En juin 1940,  il a rejoint Bordeaux pour participer à la dernière session du Parlement, le 19. Jean Zay et Pierre Mendès France ainsi que vingt-cinq autres parlementaires embarquent à bord du Massilia. Arrivés à Casablanca, les passagers du Massilia sont consignés dans un grand hôtel. Mais quatre d’entre eux, dont Jean Zay, sont arrêtés pour désertion devant l’ennemi. Renvoyé en métropole, Jean Zay est interné à la prison militaire de Clermont-Ferrand. Pendant des mois, une violente campagne de presse réclame la condamnation à mort du « juif Jean Zay comme franc-maçon, antihitlérien et ministre du Front populaire. »

Le tribunal militaire siégeant à Clermont-Ferrand le condamne pour désertion en présence de l’ennemi, à la déportation à vie et à la dégradation militaire. 7 janvier 1941, il est incarcéré au quartier spécial de la maison d’arrêt de Riom. Il continue à travailler, préparant les réformes qu’il doit mettre en œuvre après la Libération… Mais sa vie sera trop brève.

20 juin 1944, trois miliciens du collaborateur Darnand viennent le chercher dans sa cellule. Se faisant passer pour des résistants, ils présentent un ordre de transfert pour Melun. Il sera abattu d’une rafale de Sten (mitraillette) par Charles Develle, dans un bois près de Molles (département de l’Allier).

« Avec Pétain, nous sortions du tunnel de 1789. »2773

Charles MAURRAS (1868-1952). L’Action française et l’étranger (2002), Claude Hauser, Catherine Pomeyrols

Il était de ces Français, nombreux en 1940, que le régime de Vichy rassure. Les pleins pouvoirs à Pétain, c’est la fin de la démocratie et l’avènement de la « révolution nationale », avec la Légion française des combattants instituée pour la faire triompher (loi du 29 août 1940), l’anglophobie proclamée, l’antisémitisme triomphant avec un statut pour les juifs, ou plutôt contre eux, premiers visés par la doctrine nazie. Et une série de messages « Travail, Famille, Patrie », un fascisme plus ou moins bien tempéré.

Être pétainiste était dans la logique de ce théoricien d’extrême droite, fondateur du « nationalisme intégral ». Et la France, de façon plus ou moins convaincue ou contrainte, affichée, résignée, pratique, naïve, demeure majoritairement vichyste et rassurée par le Maréchal.

« C’est la présence des Allemands qu’est insupportable. Ils sont bien polis, bien convenables. Ils se tiennent comme des boys scouts. Pourtant on peut pas les piffer… Pourquoi je vous demande ? Ils ont humilié personne… Ils ont repoussé l’armée française qui ne demandait qu’à foutre le camp. Ah, si c’était une armée juive alors comment on l’adulerait ! »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), Les Beaux draps (1941)

Il publie son troisième et dernier pamphlet antisémite (Nouvelles éditions françaises, le 28 février 1941), ironisant sur les sentiments du peuple français envers l’occupant.

« Dans Les beaux draps, l’un des trois pamphlets qu’il faudra bien un jour rééditer, il annonce le Smic, les trente-cinq heures et la civilisation du dessin animé… Bien sûr que Céline est impardonnable. Mais le monde est mal fait : il est rare que les braves types chaleureux, sexuellement équilibrés et moralement irréprochables, fassent de grands écrivains aux visions fulgurantes ». (Babelio)

« Pour le Juif, j’avais fait de mon mieux dans les deux derniers bouquins… Pour l’instant, ils sont quand même moins arrogants, moins crâneurs. Le secrétaire des médecins de Seine-et-Oise s’appelle Menckietzwick à part ça… J’ai d’ailleurs entendu dans une queue une bonne femme qui disait : Au temps des Juifs, on mangeait bien ! »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), 7 mars 1941, Je suis partout publie, interview

Dans le numéro 4 (septembre 1941) de Notre Combat - pour la nouvelle France socialiste, André Chaumet sélectionne pour ses lecteurs de courts extraits de Bagatelles pour un massacre (1937) sous le titre « Céline nous parle des juifs »  : « Pleurer, c’est le triomphe des Juifs ! Réussit admirablement ! Le monde à nous par les larmes ! 20 millions de martyrs bien entraînés c’est une force ! Les persécutés surgissent, hâves, blêmis, de la nuit des temps, des siècles de torture… »

« Je tiens à vous écrire pour vous dire le dégoût, l’horreur, l’indignation qu’éprouvent à l’égard des iniquités, des spoliations, des mauvais traitements de toutes sortes, dont sont actuellement victimes nos compagnons Israélites, tous les bons Français et spécialement les catholiques. »2783

Paul CLAUDEL (1868-1955), Lettre au grand Rabbin de France, à la veille de Noël 1941. Exigences chrétiennes en politique (1990), Charles Journet

Personnage contradictoire entre tous et détesté autant qu’admiré, accusé de tous les conservatismes et de tous les aveuglements, Claudel, tout à fait conscient de son influence, est le premier des écrivains à protester pour prendre la défense des juifs persécutés. Le 7 décembre 1941, le premier convoi de déportés français part vers l’Allemagne. Selon Serge Klarsfeld, 27 % des juifs français seront déportés (soit 24 000). Mais il y avait en 1939 une forte majorité de juifs étrangers ou apatrides (environ 200 000) ayant fui les persécutions en Russie, Pologne, Allemagne.

« En finira-t-on avec les relents de pourriture parfumée qu’exhale encore la vieille putain agonisante, la garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche, la République toujours debout sur son trottoir. Elle est toujours là, la mal blanchie, elle est toujours là, la craquelée, la lézardée, sur le pas de sa porte, entourée de ses michés et de ses petits jeunots, aussi acharnés que les vieux. Elle les a tant servis, elle leur a tant rapporté de billets dans ses jarretelles ; comment auraient-ils le cœur de l’abandonner, malgré les blennorragies et les chancres ? Ils en sont pourris jusqu’à l’os. »2787

Robert BRASILLACH (1909-1945), Je suis partout, 7 février 1942

Écrivain de talent et d’autant plus responsable (selon de Gaulle qui refusera sa grâce à la Libération), il s’est engagé politiquement avec l’Action française (le mouvement et le journal) dans l’entre-deux-guerres, mais c’est comme rédacteur en chef de Je suis partout qu’il va se faire remarquer.

Il prône un « fascisme à la française ». Sa haine du Front populaire et de la République va de pair avec celle des juifs, notamment ceux au pouvoir, comme Léon Blum et Georges Mandel (né Rothschild), ex-ministre et député dont il demande régulièrement la mise à mort et qui sera assassiné par la Milice française, en juillet 1944.

« Le Juif n’est jamais seul en piste ! Un Juif, c’est toute la juiverie. Un Juif seul n’existe pas. Un termite, toute la termitière. Une punaise, toute la maison. »

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), en mars 1942, lettre à Jacques Doriot

Rappelons que Doriot (1898-1945) passé du communisme à l’extrême-droite, créa et dirigea le Parti populaire français (PPF, 1936-1945), principal parti politique français d’inspiration fasciste.

Céline lui écrit pour déplorer à sa manière un fait réel, le sentiment de communauté des Juifs, qu’il estime responsable de leur « pouvoir exorbitant ».

Haine irrésistible et récurrente, phénomène qui a suscité d’innombrables commentaires sur cet auteur par ailleurs incontournable, l’un des plus pertinents étant celui de son confrère Julien Gracq (1910-2007), tenté par le communisme et adhérent au PCF (1936) jusqu’au pacte germano-soviétique, qui observera toute sa vie une froide distance à l’égard de tous les embrigadements littéraires ou politiques : « Il y a dans Céline un homme qui s’est mis en marche derrière son clairon. J’ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il était incapable de résister, l’entraîneraient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels l’antisémitisme, électivement, était fait pour l’aspirer. Le drame que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l’instrument qu’il a reçu en don a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l’empêchera difficilement de mener les enfants à la rivière. » En lisant en écrivant (1980).

« Il faut donc, dans un délai déterminé, débarrasser toute l’Europe occidentale de ses Juifs. C’est d’autant plus nécessaire qu’il se trouve toujours parmi eux un certain pourcentage de fanatiques qui essayent constamment de faire prévaloir la Juiverie. Il n’est pas conseillé non plus, de ce fait, de les envoyer en Sibérie, car, à cause de leur résistance au climat, ils s’endurciraient physiquement encore plus. Il serait beaucoup plus indiqué - puisque les Arabes n’en veulent pas en Palestine - de les transporter en Afrique, c’est-à-dire sous un climat qui est préjudiciable à des hommes de notre résistance et où, par conséquent, ils n’entreront pas en conflit d’intérêt avec les Européens. »

Adolf HITLER (1889-1945), 29 mai 1942, Hitler cet inconnu (1951), Adolf Hitler, propos notés par le Dr Henry Picker en février 1945

L’argumentaire pourrait faire sourire s’il n’était signé du dictateur… et daté ! La rafle du Vélodrome d’Hiver, souvent appelée « rafle du Vél’d’Hiv » sera la plus grande arrestation massive de juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale, nuit du 16 au 17 juillet 1942.

« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage. »2791

Tristan BERNARD (1866-1947), Propos, conférence à Nice (1942)

Il faut un courage certain pour faire preuve publiquement d’humour juif, quand la « solution du problème juif », selon Hitler, se voit appliquer le terme sans équivoque de « solution définitive ».

Le statut discriminatoire des juifs, promulgué en septembre 1940 en zone occupée, est vite étendu à la zone sud, dite (momentanément) libre, et fortement aggravé en juin 1941. Le port de l’étoile jaune est imposé en juin 1942, les rafles se font systématiques dans les villes, les juifs sont parqués dans des camps et déportés dans d’autres camps dont bien peu reviendront.

Durant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ à Paris, 13 000 juifs, hommes, femmes, enfants, sont arrêtés par la police française. Sur 8,3 millions de juifs présents en 1939 dans les pays occupés par les nazis, 6 millions sont tués entre 1940 et 1945.

« Nous vivions dans la crainte, maintenant nous allons vivre dans l’espoir. »2802

Tristan BERNARD (1866-1947), à sa femme, dans le car de la Gestapo qui emmène le couple à Drancy, 1er octobre 1943. Le Nouvel Observateur, n° 1784 (14 janvier 1999), article de Françoise Giroud

Avec plus de cinquante pièces, vingt-cinq romans et mille traits d’esprit, il a fait rire trois générations. C’est l’esprit parisien, nuance humour juif. « Non seulement je suis juif, mais mes moyens me permettent de ne pas être israélite » dit l’auteur à succès. À 78 ans, il refuse d’écouter ceux qui l’avertissent du danger : « Comment voulez-vous qu’on fasse du mal à un Français qui est dans le dictionnaire ? »

Le couple sera sauvé par l’intervention de ses amis, Arletty et Sacha Guitry qui ont des amis allemands. Tristan Bernard meurt en 1947, muré dans le silence – son petit-fils n’est pas revenu du camp de Mauthausen.

« Saisissant l’occasion de faire tuer Mandel par l’un de leurs agents introduits dans la Milice, ils persuadent tout le monde, miliciens et responsables miliciens compris, que le crime a été commis sur ordre de la Milice. »

Jean-Marc BERLIERE et François LE GOARANT DE TROMELIN, Liaisons dangereuses : miliciens, truands, résistants. Paris, 1944 (2013)

« … Tout en restant dans l’ombre, ils font d’une pierre plusieurs coups : ils mouillent Laval, forcent la main à Joseph Darnand (secrétaire général de la Milice), compromettent encore davantage la Milice pour s’assurer de sa fidélité dans la lutte qui fait rage depuis le printemps… »

Selon ces deux historiens, les Allemands auraient préféré que le gouvernement français fasse fusiller lui-même Mandel, Blum et Reynaud. Ils devaient être ramenés à Paris pour être exécutés. Mais pourquoi les dirigeants nazis auraient-ils eu besoin de mettre en place un scénario compliqué à seule fin de « mouiller » la Milice (organisation politique et paramilitaire française en janvier créée 1943 par le régime de Vichy). Elle l’était chaque jour davantage par les assassinats et exactions commises au vu et au su de tous…

Selon d’autres sources, cet assassinat aurait été commandité par Hitler lui-même, qui aurait repéré Mandel dès les années 1930 comme l’un des opposants les plus résolus à l’Allemagne nazie.

Quoiqu’il en soit, Mandel est assassiné d’une rafale de mitraillette dans la forêt de Fontainebleau le 7 juillet 1944, moins de deux mois avant la Libération – sorti d’une voiture faussement en panne à l’occasion d’un transfert, le milicien Mansuy l’abat de seize balles dans le dos, en représailles à l’exécution par la Résistance du ministre de l’Information Philippe Henriot dix jours avant.

« Transplantez un Allemand aux États-Unis, vous en faites un Américain. Le Juif, où qu’il aille, demeure un juif. C’est un être par nature inassimilable. Et c’est ce caractère même qui le rend impropre à l’assimilation, qui définit sa race. Voilà une preuve de la supériorité de l’esprit sur la chair ! »

Adolf HITLER (1889-1945), Testament politique d’Hitler, notes de Martin Bormann (1959)

En date du 13 février 1945, Hitler précise encore : « Notre racisme n’est agressif qu’à l’égard de la race juive. Nous parlons de race juive par commodité de langage, car il n’y a pas, à proprement parler, et du point de vue de la génétique, de race juive […] La race juive est avant tout une race mentale […] Une race mentale, c’est quelque chose de plus solide, de plus durable qu’une race tout court. »

QUATRIÈME ET CINQUIÈME RÉPUBLIQUES

« Quand je vivais à Berlin, dans les commencements du régime nazi, j’avais deux amis français dont l’un était juif et l’autre non. Le Juif présentait un type « sémite » accentué ; il avait un nez courbe, les oreilles décollées, les lèvres épaisses […]. Je ne nierai pas qu’il y ait une race juive. »

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Réflexions sur la question juive (1947)

« […] Ce que j’appellerai, faute de mieux, caractères ethniques, ce sont certaines conformations physiques héritées qu’on rencontre plus fréquemment chez les Juifs que chez les non-Juifs […]. Par caractères ethniques nous entendons ici les données biologiques héréditaires que nous avons acceptées comme incontestables. »

Bref ! C’est l’embarras pour reconnaître l’existence de cette race, après la Shoah - mot hébreu signifiant « catastrophe », désignant la persécution et l’extermination systématiques et bureaucratiques d’environ 6 millions de Juifs par le régime nazi et ses collaborateurs. Le terme grec d’Holocauste (sacrifice par le feu) est également utilisé. Terrain toujours sensible…

« Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personne un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques. »

Jean-Marie LE PEN (né en 1928), jeune député s’adressant à Mendès France, 11 février 1958. Philippe Cohen et Pierre Péan, Le Pen, une histoire française (2012)

Il quitte l’armée où il servit la France en Indochine et en Algérie, pour entrer dans la carrière politique dont il ne voudra jamais sortir. « Le Menhir », tel était le surnom du Breton (natif de la Trinité-sur-Mer) auprès de ses troupes. « Le Pen est un monument. Incongru, mal taillé, encombrant, impossible à déplacer et planté depuis plus de cinquante ans dans le paysage politique français. Pour beaucoup, il est la pierre maléfique qui empoisonne la démocratie. Pour d’autres, un simple révélateur des mauvaises pulsions qui agitent la société. »

L’historien Michel Winock souligne que « l’héritage de l’antisémitisme fait partie des bagages » du fondateur du Front national (FN rebaptisé RN, Rassemblement national, par sa fille Marine).

Le Pen s’en défend, mais depuis le mot du jeune député à l’adresse de Mendès France jusqu’à sa condamnation le 18 mars 1991 par la cour d’appel de Versailles pour avoir considéré les chambres à gaz comme un « point de détail » de l’histoire, Le Pen n’est pas innocenté sur ce terrain miné de l’antisémitisme. Selon Jean-Maurice Demarquet, son ancien ami et collègue à l’Assemblée nationale, c’est une « obsession maladive ». Il ne contredit jamais ses proches, ses candidats ou ses éditorialistes moins prudents que lui. Certaines idées fixes ont la vie dure et l’antisémitisme est un « terrain piégé », voire explosif.

« Les Juifs […] étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur. »3037

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 27 novembre 1967. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

La guerre des Six Jours a commencé à l’aube du 5 juin 1967 : attaque des Israéliens, fulgurante ; défaite des Arabes, humiliante. L’opinion publique est divisée en France, au-delà des traditionnels clivages gauche-droite. La majorité gaulliste renâcle. Tandis que les intellectuels de gauche sont crucifiés : militants de la cause arabe et de l’anticolonialisme, ils ne peuvent trahir la solidarité sacrée avec le peuple juif victime du génocide et avec le petit État d’Israël.

En préface au numéro spécial des Temps modernes préparé sur le conflit israélo-arabe depuis plus d’un an et qui sort en juillet 1967, Jean-Paul Sartre, maître à penser d’une génération qui prend une position tranchée sur presque tout, avoue : « Déchirés, nous n’osons rien faire et rien dire ».

Nous sommes tous des juifs allemands.3063

Slogan, 23 mai 1968

En réponse à l’interdiction de séjour de Cohn-Bendit. Et « ça repart ». Le 23, jeudi de l’Ascension, manifs et bagarres, notamment au Quartier latin.

« Premièrement, peut-on rire de tout ?
À la première question, je répondrai oui sans hésiter […]
Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ?
C’est dur. »3232

Pierre DESPROGES (1939-1988), réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen, 28 septembre 1982. Les Réquisitoires du Tribunal des Flagrants Délires, tome I, Seuil-France-Inter (2003)

Cette émission quotidienne s’inscrit dans la tradition des « tribunaux comiques » de l’Antiquité et du Moyen Âge. Le juge, Claude Villers, présente le prévenu (l’invité) et l’interroge. L’avocat, Luis Rego, le défend à sa manière. Entre les deux, le procureur, Pierre Desproges, se lance dans un réquisitoire qui tourne souvent au morceau de bravoure. Face à Le Pen présent sur le plateau (et filmé), Desproges s’est surpassé : « Françaises, Français, Belges, Belges, Extrémistes, Extrémistes, Mon président français de souche, Mon émigré préféré, Mesdames et Messieurs les jurés, Mademoiselle Le Pen, Mademoiselle Le Pen, Madame Le Pen, Public chéri, mon amour… »

Il aligne tous les clichés les plus bêtes et méchants qu’il a pu entendre ou imaginer contre les arabes et les juifs. Les réseaux sociaux s’en font aujourd’hui encore l’écho, images et sons. Le plus étonnant, c’est qu’à cette date, Le Pen est au tout début de sa carrière : très jeune député (élu à 27 ans), décoré de la Croix de la valeur militaire, il préside le Front national depuis 1972, mais le score aux élections est quasi nul (jusqu’en 1983), les dérapages verbaux sont rares et peu remarqués. Et pourtant, Desproges a flairé le péril frontiste !

On résume sa pensée par une citation inexacte : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » ou « … pas avec n’importe qui ». En tout cas, c’est bien au Le Pen des décennies à venir qu’il pensait.

« La France, à ce moment-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France accomplissait l’irréparable. »10

Jacques CHIRAC (1932-2019), 16 juillet 1995, célébration du 53e anniversaire de la rafle du Vel’d’Hiv›. Archives, Le Monde, 21 octobre 1997

C’est le premier chef de l’État à rappeler « ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire et [qui] sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par les Français, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Nous conservons à l’égard [des déportés juifs de France] une dette imprescriptible. »

Le personnage de Chirac fut souvent traité de façon caricaturale et s’est lui-même prêté à ce jeu, par ses bons mots faciles. Mais au rendez-vous  de l’histoire et sur ce thème tragique, il tient le langage attendu du premier des Français : « Reconnaître les fautes du passé, reconnaître les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est, tout simplement, défendre une idée de l’homme, de sa liberté, de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. Cet incessant combat, c’est le mien autant que le vôtre. » C’est aussi l’occasion de rappeler son gaullisme de cœur et de raison. « Certes, il y a les erreurs, il y a les fautes, il y a, c’est indiscutable, une faute collective, mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Et cette France n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus alors, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables de Libye et partout où se battent les Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur des Français, ces « justes parmi les nations » qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l’écrit Serge Klarsfeld, les trois quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu’elle a de meilleur, cette France : les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l’identité française et qui nous obligent pour l’avenir. »

« Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. »3413

Jacques CHIRAC (1932-2019), allocution radiotélévisée, 11 mars 2007

Le président annonce qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Ce n’est pas un scoop, le suspense n’existait pas vraiment. Il livre simplement son dernier message, capital pour l’avenir de la France… et destiné à son successeur Sarkozy, son fils spirituel en politique, mais traître et renié.

« Il n’y a rien de plus semblable à un antisémite qu’un islamophobe. Tous deux ont le même visage, celui de la bêtise et celui de la haine. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), président de la République, 3 décembre 2007, Alger, Intervention devant les chefs d’entreprises français et algériens, 3 décembre 2007

Toutes les formes de racisme se ressemblent, mais ces deux-là plus encore, ne serait-ce que par leur pérennité. Le 11novembre 2023, un mois après le début de la nouvelle guerre d’Israël, l’ancien chef de l’État convoque les traumatismes récents et plus anciens qui ont traversé la société française, pour renouer avec un récit national : « Notre histoire nous oblige à être intransigeants à propos de l’antisémitisme. »

« L’argent, les femmes, ma judéité. »3452

Dominique STRAUSS-KAHN (né en 1949), propos d’avril 2011. Édition française du Jerusalem Post, 19 mai 2011

Alors que certains soutiens de DSK émettent l’hypothèse d’un complot ou d’un piège dans l’affaire du Sofitel de New York qui va défrayer la chronique mondiale, Strauss-Kahn lui-même, devant un journaliste de Libération, avait énoncé les trois points faibles pouvant lui porter préjudice dans la course à la présidence, peu avant que l’affaire éclate. C’est d’abord une affaire judiciaire de droit commun : il est accusé pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration. Nafissatou Diallo, employée comme femme de chambre depuis trois ans, affirme qu’il a commis ces actes, dans une suite de l’hôtel Sofitel de New York.

Compte tenu de la gravité des faits, la juridiction de l’État de New York procède à la mise en détention provisoire de Dominique Strauss-Kahn et engage une procédure pénale. Il nie les accusations et fait savoir qu’il plaidera « non coupable ». Après le mouvement #MeToo, l’Affaire aurait-elle eu un autre retentissement ?

« J’ai mis la France à genoux. »3476

Mohamed MERAH (1988-2012), Toulouse, 20 mars 2012. Mot cité par le procureur de la République de Paris, et rapporté par Claude Guéant, ministre de l’Intérieur

Le terroriste de 23 ans est assiégé durant 32 heures par le RAID (Recherche assistance intervention dissuasion), corps d’élite de la police nationale. Il s’est abondamment exprimé au téléphone, avant d’être abattu.

Le profil du tueur, délinquant multirécidiviste depuis l’âge de 13 ans, souffrant de troubles psychologiques, ayant séjourné en Afghanistan et professant des opinions islamistes, suscite une controverse sur de possibles failles dans sa surveillance. Comment a-t-il pu exécuter froidement sept personnes en 10 jours, trois militaires à Montauban, trois enfants juifs et leur professeur à Toulouse ?

L’opération policière est médiatisée à l’extrême. Sarkozy parle de « tragédie nationale » et comme à chaque fait divers, propose de nouvelles mesures, cette fois contre les apprentis terroristes. Sondés comme il se doit, 74 % des Français approuvent son attitude. Dans cette affaire, le président de la République tient son rôle.

La campagne présidentielle est perturbée, voire suspendue un ou deux jours, tous les médias mobilisés, et toute la France à l’écoute. Des polémiques suivront, mais moins qu’on ne pouvait le craindre. Bien que beaucoup plus dramatique que l’histoire du « Papy Voise » en 2002, l’affaire Mohamed Merah ne bouleverse pas l’opinion, au-delà des quelques jours qui suivent.

« Vivre ensemble : égalité, pluralité, dignité. »3477

Mots inscrits en français, en arabe, en hébreu et en occitan sur une grande banderole déployée, place du Capitole à Toulouse, vendredi 23 mars 2012

Des milliers de personnes (4 000 selon la police) sont rassemblées pour rendre hommage aux victimes du tueur au scooter, Mohamed Merah, et dire, selon les mots du maire, Pierre Cohen, que « Toulouse, ce n’est pas ça ! »

Beaucoup de juifs, des catholiques, quelques musulmans, tous très dignes, dans ce « rassemblement républicain », pour témoigner leur solidarité aux familles des victimes et leur refus des haines raciste et antisémite : « Vivre ensemble : égalité, pluralité, dignité. » Le maire émet un souhait : « Que ce qui s’est passé à Toulouse ne soit absolument pas l’objet de polémiques, et l’objet de récupérations et d’instrumentalisation. » Mais la campagne reprend ses droits, et le Front national profite de cette occasion inespérée.

« Les guerres de religion ne sont jamais finies. Elles ne demandent qu’à se rallumer. Chaque fois qu’un pays va mal… »3479

François BAYROU (né en 1951), Discours au Zénith de Paris, 25 mars 2012

Accusé au pire de récupération, au minimum d’instrumentalisation, à moins que ce ne soit une prémonition… De toute manière, presque chaque citation de Bayrou se révèle juste, à plus ou moins long terme. N’est-il pas le premier des candidats en lice à avoir prévu la crise de la dette, et son ampleur ?

« Il est une montée des périls dans la société française. Montée de l’intolérance, montée des violences, montée des trafics de toute nature. Au cœur de la société française, particulièrement dans sa partie la plus fragile, sur les questions de religion, sur les questions d’origine, sur la couleur de la peau, les tensions montent. Les guerres de Religion ne sont jamais finies. Elles ne demandent qu’à se rallumer. Chaque fois qu’un pays va mal, les tensions montent au sein de ce pays et au sein de son peuple. Quand les gens ne vont pas bien, ils se mettent à regarder la différence d’un regard soupçonneux. Il faut plus de courage pour résister à ces passions que pour y succomber. Au XVIe siècle, dans les guerres de religion, il y avait les ligueurs d’un côté, du côté de l’affrontement, et Henri de Navarre de l’autre qui plaidait pour qu’on vive ensemble. Vous connaissez mon choix, mon choix d’homme, et mon choix de président : je suis et je serai du côté d’Henri IV, de celui qui force la réconciliation, la tolérance, la compréhension réciproque. » Ainsi, l’extrême centre répond à l’extrême droite. Et l’on ne parle plus de Mohamed Merah.

« Ce crime a été commis en France par la France. Ce fut aussi un crime contre la France, une trahison de ses valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l’honneur. »3487

François HOLLANDE (né en 1954), Commémoration du 70e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, Paris, 22 juillet 2012

La presse (de droite) s’empresse de critiquer la déclaration du nouveau président, ne retenant que la première phrase, alors que la seconde répond à la critique. Dans l’introduction de son discours, il a d’ailleurs bien précisé : « La reconnaissance de cette faute a été énoncée pour la première fois, avec lucidité et courage, par le président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995. »

Devant ce lieu qui n’est plus qu’un nom de sinistre mémoire, « le Vel d’Hiv », Mitterrand, président, est venu en 1992, en pleine polémique sur les années sombres et le rôle de Vichy dans la « solution finale », sans prendre la parole. Après lui, Chirac le gaulliste a reconnu publiquement et pour la première fois la responsabilité de l’État français dans cette rafle dont la seule image reste une photo d’autobus parisiens gardés par un policier français : « La France, à ce moment-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France accomplissait l’irréparable. » Sarkozy, son successeur, n’a pas souhaité conforter cette reconnaissance.

Hollande, avec la volonté de s’opposer systématiquement à son prédécesseur, reprend le discours chiraquien, avec des mots très forts : « Ce crime a été commis en France par la France… » Sur les 320 000 juifs vivant en France au début de l’Occupation, rappelons les 75 500 déportés vers les camps de la mort nazis – et 2 500 survivants.

« C’est la première fois depuis la fin de l’Occupation que l’on entend hurler dans les rues de Paris « dehors les Juifs ». »

Robert BADINTER (1928-2024), ancien ministre de la Justice. AFP, 25 novembre 2013, cité dans 20 minutes

26 janvier 2014, la manifestation Jour de colère à Paris contre le président François Hollande et diverses mesures rassemble selon la police 17 000 personnes, groupes hétéroclites d’intégristes catholiques, d’opposants au mariage homosexuel, de partisans de Dieudonné, d’identitaires, de patrons en colère ou de familles. Slogans antisémites, saluts nazis, quenelles, insultes, violences ont marqué cette manifestation condamnée par les associations antiracistes et l’essentiel de la classe politique.

Face à ces événements, l’historien israélien Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, juge que « dans un climat social délétère, les inhibitions ont sauté et la parole judéophobe s’est déchaînée. Ainsi remontent à la surface, du tréfonds de l’inconscient national, de vieux miasmes que l’on croyait enfouis à jamais. »

Réactivation de l’antisémitisme au moindre prétexte. Depuis le 7 octobre 2023, la guerre Israël-Hamas devient une raison majeure qui ranime les peurs ancestrales et instrumentalise la mémoire de l’histoire. Les actes antisémites se multiplient en France – et en d’autres pays.

« Netanyahou, un nazi sans prépuce. »

Guillaume MEURICE (né en 1981), chroniqueur dans l’émission hebdomadaire de Charline Vanhoenacker, 31 octobre 2023, France Inter

« Le Grand Dimanche soir », sur la radio publique. Le chroniqueur suscite un tollé suivi d’une vague d’indignation, en attaquant ainsi le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou par ailleurs critiqué quant à son attitude dans la guerre contre Gaza.

L’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, née de la fusion du CSA, Conseil supérieur de l’audiovisuel et de Hadopi, Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Interne) est saisie dans la foulée. La directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, juge « ce choix des mots particulièrement malvenu » dans une réponse à la médiatrice de Radio France, saisie par des auditeurs et transmise à l’AFP. Pour la ministre de la culture Rachida Dati, le groupe public « ne pouvait pas ne pas réagir », tout en admettant que cette affaire peut « interroger sur la liberté d’expression. » France-Inter se met en grève le 12 mai et tout le petit monde audiovisuel réagit, preuve que le sujet est sensible et complexe.

Quelques jours avant, le concours de l’Eurovision était perturbé en raison de la participation d’Israël. Les pour et les contre s’affrontent en mots et en manifs. Eden Golan (20 ans) qui représente Israël dans la finale du samedi 11 mai à Malmö (Suède) est sifflée lors de son passage sur scène. Elle arrivera 5eme, juste après la France. Sa participation envers et contre tout est quand même une victoire.

QUELQUES PROVERBES ET DICTONS JUIFS MÉMORABLES

Pour bien finir et avec un minimum de commentaires, donnons la parole à la sagesse de la nation juive et à son humour.

PROVERBES

« Il y a trois espèces de sueur : celle de la maladie, celle de l’étuve, et celle du travail, qui est la meilleure de toutes. »

« Quand tu aurais un millier d’amis, ne dis ton secret qu’à un seul. »

« Ton voisin fût-il un méchant homme, rends-lui service, il témoignera pour toi au jour du procès. »

« Trois choses mènent le monde : la loi, la religion et la bienfaisance. »

« Parle peu, et fais beaucoup. »

 

DICTONS

« Quand j’arriverai au Ciel, on ne me demandera pas : « Pourquoi ne fus-tu pas comme Moïse, ou pourquoi ne fus-tu pas comme Abraham ? » On me demandera : « Pourquoi ne fus-tu pas comme Zousha ? » »

RABBI ZOUCHA D’HANIPOLI (1718-1800) sur son lit de mort

Ses disciples trouvèrent le vieil homme en pleurs. Ils essayèrent de le réconforter, lui disant qu’il était presque aussi sage que Moïse et aussi bon qu’Abraham, donc assuré d’être jugé favorablement au Tribunal Céleste. D’où la réponse du sage : notre plus grande crainte dans la vie devrait être celle de savoir si nous vivons ou non à la hauteur de nos capacités.

« Nos vies sont façonnées par nos choix. D’abord, nous définissons nos choix. Ensuite, ce sont nos choix qui nous définissent. »

Anne FRANK (1929-1945), Le Journal d’Anne Frank (posthume, 1947)

Célèbre pour son journal relatant la vie cachée qu’elle menait à Amsterdam cachée avec sa famille et quatre amis durant la Shoah, morte à 15 ans à Bergen-Belsen, la brune adolescente au rayonnant sourire est devenue un symbole du génocide nazi - près de onze millions de victimes entre 1939 et 1945. Son témoignage s’est vendu à quelque 30 millions d’exemplaires dans monde.

« Je ne suis pas un Juif aux genoux tremblants. Je suis un Juif fier, fort de 3700 ans d’histoire civilisée. Personne n’est venu à notre secours quand nous mourions dans les chambres à gaz et les fours crématoires. Personne n’est venu à notre secours quand nous nous efforcions de créer notre pays. Nous avons payé pour lui. Nous nous sommes battus pour lui. Nous sommes morts pour lui. Nous resterons fidèles à nos principes. Nous les défendrons. Et, si nécessaire, nous mourrons pour eux de nouveau, avec ou sans votre aide financière. »

Menahem BEGIN (1913-1977), Premier ministre israélien s’adressant au sénateur américain Joe Biden qui avait menacé de couper l’aide financière des États-Unis à Israël dans les années 1970

Menahem Begin communiquait la force, la fierté et la conviction. C’était un Juif fier de l’être, conscient de l’histoire et de l’héritage spirituel exceptionnel qui le précédaient et qui en puisait constamment de la force.

« Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers ! »1

Albert EINSTEIN (1879-1955)

« Einstein, ne dites pas à Dieu ce qu’il doit faire. »

Réplique de Niels BOHR (1885-1962)

Albert Einstein, prix Nobel 1922, physicien classique, croyait que l’univers fonctionnait selon un ensemble de théories fondamentales qui décrit la nature. C’est l’école de pensée du déterminisme : rien n’est dû au hasard. Et Einstein pensait qu’avec suffisamment de données, on pouvait connaître l’esprit de Dieu.

Niels Bohr, prix Nobel 1921 et l’un des premiers et plus grands physiciens quantiques, croyait qu’il existe des limites à la précision avec laquelle les quantités peuvent êtes connues. Selon lui, le hasard peut jouer un rôle. Et il est absurde de penser que l’on puisse connaître l’esprit de Dieu.

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