Impossible de trouver une bonne définition de la guerre – la plus connue étant signée Carl von Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ».
Il existe tant de formes de guerre au sens générique de « conflit violent et armé entre groupes organisés » : guerre de défense ou de conquête, guerre coloniale ou guerre d’indépendance, guerre civile, guerre de religion, guerre larvée ou couverte, guerre ouverte, guerre froide, guerre conventionnelle, guerre navale, guerre atomique, guerre totale, guerre des Étoiles, guerre de Cent ans, guerre éclair, « Guerre folle », « drôle de guerre » (1939-1940) et même « guerre propre » (fiction associée à la guerre du Golfe en 1990).
Impossible de porter un jugement sans se référer au contexte historique.
Deux rappels : « La France s’est formée à coups d’épée » (de Gaulle). Au Moyen Âge, les guerres de religion encouragées par le pape prêchant les croisades étaient des guerres saintes aux yeux des chrétiens… comme aujourd’hui le djihad pour les musulmans !
En termes de notoriété nationale, deux militaires se placent logiquement en tête sur le podium de l’Histoire en citations et dans la mémoire collective : Napoléon et de Gaulle. Nos deux premiers héros nationaux sont des combattants : Vercingétorix et Jeanne d’Arc. Sans oublier les trois ordres de la société durant les mille ans du Moyen Âge : « Ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. »
Seule certitude, la guerre est une affaire d’hommes. Il y a des exceptions : outre le mythe des Amazones, citons sainte Geneviève patronne de Paris, Jeanne d’Arc héroïne de la guerre de Cent Ans, Jeanne Hachette héroïne de Beauvais, la Grande Mademoiselle héroïne de la Fronde, les très populaires cantinières (ou vivandières) apparues sous la Révolution, Louise Michel la Vierge rouge de la Commune, les infirmières militaires, quelques espionnes et les résistantes de l’armée des ombres sous la Seconde Guerre mondiale. Depuis les années 1970, la plupart des armées occidentales admettent des femmes dans le service actif, mais rarement combattantes, elles restent très minoritaires pour diverses raisons.
Première partie : de la Gaule à la Révolution
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
« [Les Gaulois] ont deux passions dominantes, être braves à la guerre et parler avec habileté. »5
CATON l’Ancien (234-149 av. J.-C.). Histoire de la Gaule (1908-1921), Camille Jullian
Les deux qualités dont fait ici état cet homme politique et écrivain romain du IIe siècle av. J.-C. vont se retrouver tout au long de l’histoire.
« L’infériorité des armées gauloises donna l’avantage aux Romains ; le sabre gaulois ne frappait que de taille, et il était de si mauvaise trempe qu’il pliait au premier coup. »6
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Les Romains disposent en effet d’un armement supérieur à celui des Gaulois. Ce sera l’une des raisons de leur victoire, quand ils vont être amenés à faire la conquête de la Gaule.
« Des tyrannies, des guerres, voilà ce qu’on trouvait dans les Gaules jusqu’à ce qu’elles fussent rangées sous nos lois. »7
Petilius CEREALIS (Ier siècle). Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle
Ce général romain du Ier siècle évoque l’état du territoire, avant l’intervention romaine en deux étapes : conquête du sud-est de la Gaule et création de la Province romaine (Provincia) avec Narbonne pour capitale (124-118 av. J.-C.) ; conquête par César de la Gaule restée indépendante (58-51 av. J.-C.). Jules Michelet confirme dans son Histoire de France : « Ce chaos bourbeux et belliqueux de la Gaule était une superbe matière pour un tel génie [César]. »
« César s’était présenté comme un protecteur. Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions une intervention armée. »8
Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)
Fait capital de notre histoire. En 58 av. J.-C., la tribu des Helvètes décide d’émigrer vers la Saône pour fuir la pression des Germains d’Arioviste. Les Éduens établis entre Loire et Saône se sentent menacés par cette migration et appellent à leur secours César, nommé l’année précédente proconsul de la Gaule cisalpine (Italie du Nord) et de la Province romaine. Cerealis (cité par Tacite) rappellera plus tard aux Gaulois ce fait historique : « Si nos chefs et empereurs sont entrés dans votre pays, c’est à la requête de vos ancêtres. »
César, fort de six légions, oblige les Helvètes à retourner chez eux (vers l’actuelle Suisse) et refoule les Germains au-delà du Rhin. Voulant éclipser la gloire militaire de son rival Pompée, il en profite pour conquérir en huit campagnes annuelles toute la Gaule, y compris Belgique et Suisse, avec une incursion en [Grande-]Bretagne.
« Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore, et tu m’as vaincu. »23
VERCINGÉTORIX (vers 82-46 av. J.-C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.-C., à Alésia. Abrégé de l’histoire romaine depuis Romulus jusqu’à Auguste, Florus
Grand stratège, César est parvenu à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne). L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par César. Vercingétorix juge la résistance inutile et se rend pour épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.
La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais le mythe demeure bien vivant : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national.
« Vous serez châtiés pour avoir voulu souhaiter la paix et vous apprendrez que, moi vivant, rien n’est plus sûr qu’une guerre, quand on m’a pour chef. »25
Jules CÉSAR (101-44 av. J.-C.), Commentaires de la guerre des Gaules. La Pharsale (La Guerre civile), Lucain, poète latin du Ier siècle
Toute la Gaule est conquise par les armées romaines, mais la ville grecque de Marseille (Massilia), alliée du peuple romain, demeure indépendante.
Au début de l’année 49 av. J.-C., César entre en conflit avec Pompée qui a en main le Sénat. Il franchit le Rubicon, petite rivière formant la frontière de sa province de Gaule cisalpine, en prononçant le fameux « alea jacta est » (« le sort en est jeté »). Dans cette guerre civile qui se déclenche, Marseille voudrait rester neutre et ménager les deux partis. César entreprend le siège de Marseille qui se rendra six mois après. Annexée à la Province, la grande cité méditerranéenne perd son indépendance.
« Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs, combien ne vaincrons-nous pas de millions de Perses ? »35
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Les Martyrs (1809)
Dans cette épopée chrétienne, le grand romantique du XIXe siècle français fait parler les Romains face aux Francs, guerriers à la réputation redoutable : pour se donner du courage avant la bataille, les armées romaines entonnent ce « chant de Probus », du nom de l’empereur romain qui arrêta la première invasion germanique au IIIe siècle.
« Déjà les habitants se préparaient à évacuer leurs murs ; ils en sont dissuadés par les assurances prophétiques d’une simple bergère de Nanterre, Geneviève, devenue, depuis, la patronne de la capitale. »43
Louis-Pierre ANQUETIL (1723-1806), Histoire de France (1851)
Lyrique pour évoquer Jeanne d’Arc, Michelet, ne consacre qu’une ligne à cette première grande résistante de l’histoire : « Paris fut sauvé par les prières de Sainte Geneviève. » Paris n’est encore que Lutèce, bourgade de 2 000 habitants, dédaignée par Attila qui vient de piller Metz, Reims et Troyes, et fonce sur Orléans en 451.
Mais Geneviève sauvera réellement Paris de la famine quand les Francs assiégeront la ville en 465. Elle organise une expédition au moyen de bateaux qui, par la Seine, vont chercher le ravitaillement jusqu’en Champagne. Clovis et Clotilde lui vouent une grande vénération. Elle mourra à près de 90 ans, sainte patronne de Paris fêtée le 3 janvier.
« Ce fut une lutte atroce, pleine de péripéties, furieuse, opiniâtre, telle que l’Antiquité n’en avait jamais vu. »44
JORDANÈS (VIe siècle), Histoire des Goths (551)
Après avoir pillé la Gaule à la tête des Huns, Attila s’apprête à retourner vers le Rhin, déjà digne de sa réputation : « Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus. » Aetius, général romain d’origine barbare, prend la tête d’une armée composée de Romains, Wisigoths, Burgondes et Francs. La coalition inflige aux Huns d’Attila une sanglante défaite aux champs Catalauniques, dans la région de Troyes (451). Mais les Huns restent assez nombreux et forts pour déferler sur l’Italie du Nord l’année suivante, n’épargnant Rome à la demande du pape Léon Ier que moyennant tribut. Seule la mort subite d’Attila met fin à cette chevauchée sanglante en 453.
« Finie la guerre, rendez-nous nos charrues ! »46
Guerrier goth à Avitus, porteur d’accords de paix, 456. Panégyrique d’Avitus (456), Sidoine Apollinaire
Gallo-romains et peuples barbares aspirent naturellement à la paix, suite aux Grandes Invasions du Ve siècle. Mais après la chute de l’Empire romain d’Occident (476), de vrais royaumes barbares se constituent en Gaule : les Wisigoths au sud, les Burgondes le long de la Saône et du Rhône et les Francs, guerriers germaniques installés au nord, prêts à conquérir le pays en plein chaos, avec leur chef Clovis qui va devenir roi en 481, un Barbare qui se fera chrétien avec ses 3 000 soldats, au lendemain de sa victoire à Tolbiac contre les Alamans (496). Les Gaulois prendront alors le nom de Francs.
MOYEN ÂGE
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« Ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. »52
Évêques ADALBÉRON de Laon (??–v.1030) et ANSELME (1033-1109). Histoire de France, tome II, Le Temps des principautés. De l’An mil à 1515 (1992), Jean Favier (entre autres sources)
Cette claire définition des trois ordres sociaux représente le fondement de la société médiévale telle que la concevaient les envahisseurs germaniques - et ils vont l’imposer à l’Europe.
« Du temps de Charlemagne, on était obligé, sous de grandes peines, de se rendre à la convocation pour quelque guerre que ce fût. »58
MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)
Cette remarque se fonde sur une lettre de Charlemagne à l’abbé de Saint-Quentin : « Tu te présenteras [au lieu de rendez-vous] avec eux [ses hommes], prêt à entrer en campagne dans la direction que j’indiquerai avec armes, bagages et tout le fourniment de guerre en vivres et vêtements ».
Après un siècle de décadence dynastique, c’est le « coup de force » de Pépin le Bref, maire du palais élu roi par les Grands du royaume et sacré par les évêques ; puis le règne de Charles le Grand, devenu l’empereur Charlemagne.
« Les soixante ans de guerre, qui remplissent les règnes de Pépin et de Charlemagne, offrent peu de victoires, mais des ravages réguliers, périodiques ; ils usaient leurs ennemis plutôt qu’ils ne les domptaient, ils brisaient à la longue leur fougue et leur élan. »87
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
C’est bien résumer la manière dont les deux premiers Carolingiens, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, et son fils Charles, futur empereur Charlemagne, vont se tailler l’un des plus grands empires qu’ait connu l’Europe.
« La France fut faite à coups d’épée. La fleur de lys, symbole d’unité nationale, n’est que l’image d’un javelot à trois lances. »126
Charles de GAULLE (1890-1970), La France et son armée (1938)
Formule lapidaire, mais vérité historique : les rois, en particulier les Capétiens, ont dû combattre d’abord les puissants vassaux, ensuite les nations frontalières, pour créer la France. La guerre était une question de (sur)vie ou de mort.
« Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. »129
Sixième commandement du parfait chevalier. La Chevalerie (1960), Léon Gautier
Autre forme de guerre, le Moyen Âge, époque de foi et temps des cathédrales, va vivre sous le signe des croisades, appelées aussi guerres saintes : huit au total, de 1095 à 1270. C’est l’un des événements qui suscitera le plus de controverses au XIXe, siècle qui promeut l’Histoire au rang de sciences humaines et objet d’enseignement.
« La folie des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine. »170
Léon BLOY (1846-1917), La Femme pauvre (1897)
Catholique ardent, visionnaire et mystique, il encense les croisades que, de son côté, Nietzsche qualifie d’« entreprises de haute piraterie ». Les faits le prouvent.
« Pourquoi, malheureux, massacrez-vous l’armée du Christ, qui est aussi la mienne ? Je n’ai pourtant aucune querelle avec votre empereur. »171
BOHÉMOND Ier (1057-1111), prince normand, janvier 1097. Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Futur prince d’Antioche, participant à la première croisade et l’un de ses chefs, il apostrophe des Turcs au service de l’empereur de Byzance, qui ont attaqué l’armée des croisés. Réponse des Turcs : « Nous ne pouvons pas agir autrement : nous nous sommes loués à la solde de l’empereur et tout ce qu’il nous ordonne, il nous faut l’accomplir. »
La Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum (Geste des Francs et des autres peuples lors du pèlerinage à Jérusalem) ou Histoire anonyme de la première croisade est un récit écrit entre 1099 et 1101 par un chevalier qui vit l’événement au quotidien. C’est l’une des rares sources originales, témoignage pris sur le vif, naïf, sincère, évidemment partial.
« Sache que cette guerre n’est pas charnelle, mais spirituelle. Sois donc le très courageux athlète de Christ ! »175
BOHÉMOND Ier (1057-1111) au connétable Robert, février 1098. Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Les croisés sont parvenus en vue d’Antioche, mais une armée turque de secours est annoncée. Bohémond, seigneur franc et l’un des chefs de la première croisade, vient attendre l’ennemi près du lac d’Antioche (à une trentaine de kilomètres de la ville). Attaqués par des forces supérieures, les croisés commencent à reculer quand Bohémond adresse ces mots à son connétable : « Va aussi vite que tu peux comme un vaillant homme. Secours avec énergie la cause de Dieu et du Saint-Sépulcre et sache que cette guerre n’est pas charnelle… » Les Turcs, chargés par les croisés, seront mis en déroute.
« Si vous désirez savoir ce qu’on a fait des ennemis trouvés à Jérusalem, sachez que dans le portique de Salomon et dans le temple, les nôtres chevauchaient dans le sang immonde des Sarrasins et que leurs montures en avaient jusqu’aux genoux. »177
Lettre au pape Urbain II, après la prise de Jérusalem, 15 juillet 1099. Signée par Godefroy de Bouillon (1061-1100), Raymond de Saint-Gilles (1042-1105), comte de Toulouse, et Adhémar de Monteil (??-1098), légat du pape. Recueil des cours, volume LX (1937), Hague Academy of International Law
La population de Jérusalem fut massacrée par les croisés. Le « temple » (esplanade de l’ancien temple d’Hérode) et les rues de la ville ruisselèrent de sang, selon l’auteur de l’Histoire anonyme de la première croisade. Les chroniqueurs chrétiens donnent le chiffre de 80 000 morts musulmans.
« [Interdiction] à quiconque […] d’oser faire sortir par terre ou par mer, personnellement ou par député, hors du royaume, l’or et l’argent sous quelque forme que ce soit, les armes, les chevaux ou toutes choses servant à la guerre. »232
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Ordonnance, 17 août 1296. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Ce texte est l’ancêtre de tous les décrets sur le commerce extérieur et le contrôle des changes. La mesure prise répond à une nécessité impérieuse : le roi a grand besoin d’argent. Il fait la guerre à l’Angleterre, à la suite d’une querelle sur les zones de pêche, et à la Flandre son alliée. Or la guerre coûte cher.
« Nous conquerrons par notre puissance notre héritage de France, et, de ce jour, nous vous défions et vous tenons pour ennemi et adversaire. »281
ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), Lettre à Philippe VI de Valois, 19 octobre 1337. Archers et arbalétriers au temps de la guerre de Cent Ans (2006), Joël Meyniel
Cette « lettre de défi » vaut déclaration de guerre – guerre de Cent Ans de 1337 à 1453, avec des pauses religieuses annuelles et des trêves négociées.
Le roi d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France, revendique son héritage. Philippe de Valois, certes élu par les barons français, est malgré tout le premier roi à n’être pas fils de roi, mais seulement neveu du dernier Capétien, dédaigneusement appelé « le roi trouvé » par les Flamands révoltés. Entre la France et l’Angleterre, c’est la « guerre larvée », avant la guerre ouverte : une guerre dynastique de cent ans ! (De 1688 à 1815, soit en cent vingt-sept ans, la France soutiendra contre l’Angleterre sept grandes guerres qui durent en tout soixante ans : on parlera de la « seconde guerre de Cent Ans »)
« Ces bombardes menaient si grand bruit qu’il semblait que Dieu tonnât, avec grand massacre de gens et renversement de chevaux. »283
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques, bataille de Crécy, 26 août 1346
Les canons anglais, même rudimentaires et tirant au jugé, impressionnent les troupes françaises avec leurs boulets de pierre. L’artillerie anglaise, jointe à la piétaille des archers gallois, décime la cavalerie française réputée la meilleure du monde, mais trop pesamment cuirassée pour lutter contre ces armes nouvelles. À cela s’ajoutent un manque d’organisation total, l’incohérence dans le commandement, la panique dans les rangs.
C’est la fin de la chevalerie en tant qu’ordre militaire. C’est aussi une révolution dans l’art de combattre. Malheureusement, les Français n’ont pas compris la leçon à cette première défaite.
« Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne par moi, Jehanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en votre pays, ou sinon, je ferai de vous un tel hahu [dommage] qu’il y en aura éternelle mémoire. »341
JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre du 5 mai 1429. Présence de Jeanne d’Arc (1956), Renée Grisell
Le 4 mai, à la tête de l’armée de secours envoyée par le roi et commandée par le Bâtard d’Orléans (jeune capitaine séduit par sa vaillance et fils naturel de Louis d’Orléans, assassiné), Jeanne attaque la bastille Saint-Loup et l’emporte. Le 5 mai, fête de l’Ascension, on ne se bat pas, mais elle envoie par flèche cette nouvelle lettre.
Le 7 mai, elle attaque la bastille des Tournelles. Après une rude journée de combat, Orléans est libérée. Le lendemain, les Anglais lèvent le siège et toute l’armée française, à genoux, assiste à une messe d’action de grâce.
« Entrez hardiment parmi les Anglais ! Les Anglais ne se défendront pas et seront vaincus et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! »342
JEANNE d’ARC (1412-1431), Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429. 500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec
Nouvelle victoire, à Patay : défaite des fameux archers anglais et revanche de la cavalerie française. Ensuite Auxerre, Troyes, Chalons ouvrent la route de Reims aux Français qui ont repris confiance en leurs armes et se réapproprient leur terre de France.
« Paix est trésor qu’on ne peut trop louer.
Je hais guerre, point ne doit la priser. »266Charles d’ORLÉANS (1394-1465), Ballade, vers 1430. Histoire de la langue française jusqu’à la fin du XVIe siècle (1881), Arthur Loiseau
Ce prince, petit-fils de Charles V et père du futur Louis XII, prisonnier à Azincourt en 1415, demeura vingt-cinq ans captif en Angleterre, faute de pouvoir payer sa rançon ! « Les chansons les plus françaises que nous ayons furent écrites par Charles d’Orléans. Notre Béranger du XVe siècle, tenu si longtemps en cage, n’en chanta que mieux » (Jules Michelet, Histoire de France).
Ces vers disent un désir de paix qui se retrouve dans les deux camps et dans toutes les classes de la population. Après la reconquête d’une partie de la France anglaise (Nord et Centre), Charles VII et le duc de Bourgogne, réconciliés, signent la paix d’Arras (1435). Ce renversement des alliances ramène l’espoir dans le pays. Mais la paix d’Arras laisse « sans emploi » les bandes de mercenaires bourguignons. Voici revenu le temps des Grandes Compagnies, des routiers et des écorcheurs qui sèment le désordre et la terreur.
« Par saint Georges ! enfants, vous avez fait une belle boucherie. »377
CHARLES le Téméraire (1433-1477), à ses officiers, bataille de Nesle, 10 juin 1472. Histoire de France (1868), Victor Duruy
Troisième et dernière coalition contre Louis XI. Le Téméraire, qui attaque en Picardie, se réjouit après le massacre des habitants et défenseurs de la ville de Nesle, en juin. Mais il va échouer devant Beauvais, défendue par tous ses habitants, femmes comprises. L’une des plus ardentes à repousser à la hache les assaillants est fille du peuple : Jeanne Laîné, restée dans l’histoire sous le nom de « Jeanne Hachette ». Le Téméraire doit lever le siège au bout d’un mois. Apprenant l’exploit des assiégés, Louis XI exempte à vie Jeanne et son mari de tous impôts et redevances.
« Faites le gast [dégât] en manière qu’il n’y demeure un seul arbre portant fruit sur bout, ni vigne qui ne soit coupée. »379
LOUIS XI (1423-1483), Lettre à Ymbert de Batarnay, 10 mars 1475. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le roi charge son grand chambellan et fidèle conseiller de reprendre le Roussillon. Jean d’Aragon, comte de Barcelone, l’a laissé en gage à Louis XI et le Roussillon a été uni au Domaine, le 16 juin 1463, mais il se révolte durant l’été 1472 et Jean d’Aragon en profite pour y rétablir son autorité.
Perpignan vit un terrible siège de huit mois, d’où son titre de Fidelissima vila (Fidèle Ville) donné par Jean d’Aragon. Une partie de la population émigra vers Barcelone pour échapper à la répression. La reconquête est si dure que la province est nommée « le cimetière aux Français ». Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer. Sa devise : « Qui s’y frotte, s’y pique. » Mais l’emblème est le chardon, non pas le hérisson.
RENAISSANCE ET GUERRES DE RELIGION
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
« France, mère des arts, des armes et des lois ! »390
Joachim du BELLAY (1522-1560), Les Regrets (1558)
Poète inspiré par l’amour du pays, il renonce à la carrière militaire pour les vers. La trilogie « des arts, des armes et des lois » résume l’histoire de cette époque si riche, si contrastée : « Le dialogue tour à tour sanglant et serein qu’on appela Renaissance » (Malraux, Les Voix du silence).
« Une guerre étrangère est un mal bien plus doux que la civile. »411
Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)
En cette fin de siècle déchiré et déchaîné, Montaigne prône la « pitié », autrement dit la tolérance, une vertu alors fort mal partagée ! Le conflit latent depuis 1521 dégénère en véritable guerre civile après le massacre de Wassy en 1562 – surnommé « première Saint-Barthélemy ». La France qui a vécu rien moins que onze guerres d’Italie de 1492 à 1559 va subir, cette fois sur son territoire, huit guerres de Religion de 1562 à 1598 !
« Il plairait au duc que cette guerre se terminât.
— Soit, mais ne manquez pas de lui rappeler qu’il m’a déplu, à moi, qu’elle commençât. »419CHARLES VIII l’Affable (1470-1498), réponse du roi aux envoyés du duc François II de Bretagne, juillet 1488. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Le duc de Bretagne s’est allié dans la « Guerre folle » à Louis d’Orléans, cousin et beau-frère du roi, futur Louis XII. Cette révolte des nobles contre la régente va durer trois ans, soutenue par Henri VIII d’Angleterre et Maximilien d’Autriche – fiancé à la fille du duc de Bretagne, Anne, héritière du duché. Après l’offensive de La Trémoille en Bretagne, l’artillerie royale met en déroute l’armée des coalisés. François II est battu en juillet 1488 à Saint-Aubin-du-Cormier et Louis d’Orléans fait prisonnier.
Contraint de demander la paix, François II signe le 26 juillet le traité du Verger (ou de Sablé) : il s’engage à ne pas marier ses filles, Anne et Isabelle, sans le consentement du roi de France – la province de Bretagne est en jeu et c’en est désormais fini de son indépendance. C’est le dernier acte de la lutte des grands féodaux contre le royaume de France, qui a tant marqué le Moyen Âge.
« Je suis votre roi et votre prince. Je suis délibéré de vivre et mourir avec vous. Voici la fin de notre voyage, car tout sera gagné ou perdu. »438
FRANÇOIS Ier (1494-1547), à ses troupes, avant la bataille de Marignan, 13 septembre 1515. François Ier, le souverain politique (1937), Louis Madelin
Avec la fougue de ses 21 ans, le nouveau roi se lance dans la cinquième guerre d’Italie, allié à Venise, pour la reconquête du Milanais pris, puis perdu par Louis XII. Son armée passe les Alpes, forte des meilleurs capitaines, avec 300 canons et 30 000 hommes : chiffres considérables à l’époque. Le voilà parvenu à Marignan, ville de Lombardie (au sud-est de Milan). 1515, date mémorable, dans l’histoire de France. Mais à part les historiens, qui sait vraiment ce qui s’est passé en deux jours et une nuit ?
« Et vous promets, Madame, que si bien accompagnés et si galants qu’ils soient, deux cents hommes d’armes que nous étions en défîmes bien quatre mille Suisses et les repoussâmes rudement, si gentils galants qu’ils soient, leur faisant jeter leurs piques et crier France. »439
FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à sa mère Louise de Savoie, au soir du 13 septembre 1515. Fin de la vieille France : François Ier, portraits et récits du seizième siècle (1885), C. Coignet
Son « César triomphant » lui conte par le menu la première partie de la bataille de Marignan. Les Suisses sont les alliés du duc de Milan : redoutables combattants, ils barrent l’accès de l’Italie, en tenant les divers cols. Ces milices paysannes sont redoutées pour leurs charges en masses compactes, au son lugubre des trompes de berger.
À Marignan, dans l’après-midi, ils ont dispersé la cavalerie et vont s’emparer de l’artillerie française quand François Ier, courageux et bien conseillé, prend le risque de charger. Le combat dure jusqu’au soir, l’épuisement est tel que les combattants qui ne sont pas morts tombent littéralement de sommeil sur place. Le lendemain, appelés en urgence, les alliés vénitiens prennent les Suisses à revers, les obligeant à fuir pour se réfugier à Milan. Victoire totale, mais bataille la plus meurtrière depuis l’Antiquité.
« Sonnez, trompettes et clairons / Pour réjouir les compagnons
Bruyez bombardes et canons / Donnez des horions,
Tous gentils compagnons / Suivez, frappez, tuez. »440Chanson de Marignan, 1515. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
Le patriotisme précède le mot même de patrie, sous la Renaissance : il inspire d’innombrables hymnes et odes à la France, signés des plus grands poètes du temps (tel Ronsard), mais il éclate aussi dans les chansons qui accompagnent chaque haut fait des armées françaises.
« Bataille de géants », selon témoins et chroniqueurs, Marignan est également un carnage (toujours selon les critères de l’époque) : 14 000 Suisses tués, 2 500 Français et Vénitiens.
« Et tout bien débattu, depuis deux mille ans, n’a point été vue une si fière ni si cruelle bataille […] Au demeurant, Madame, faites bien remercier Dieu par tout le royaume de la victoire qu’il lui a plu nous donner. »441
FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à sa mère Louise de Savoie, au soir du 14 septembre 1515. Mémoires contenant le discours de plusieurs choses advenues au royaume de France depuis l’an 1513 jusques au tresspas du Roy François I (1827), Martin Du Bellay (sieur de Langey), René Du Bellay (baron de La Lande)
Infatigable épistolier, le « César triomphant » rend compte à sa mère, par ailleurs régente quand il « s’en va-t-en guerre ». Femme de caractère, belle, intelligente, mais avide et intrigante, elle exerça sur son royal et adoré fils une influence politique souvent heureuse, parfois détestable. Au lendemain de cette victoire, le traité de Fribourg, dit « de la Paix perpétuelle » (29 novembre 1516), est imposé aux cantons suisses de la Confédération helvétique. Et les Suisses vont devenir les plus sûrs mercenaires du royaume, au service des rois de France jusqu’à la Révolution.
« Guerre faite sans bonne provision d’argent n’a qu’un soupirail de vigueur. Les nerfs des batailles sont les pécunes. »465
François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)
Moine et médecin, Rabelais a créé le géant Pantagruel, et deux ans plus tard, Gargantua, son géant de père. Des cinq livres de son œuvre, c’est le plus polémique : il aborde des questions sérieuses, comme la guerre. Il ridiculise le roi Picrochole, sa folie ambitieuse qui le pousse aux guerres de conquête (Charles Quint est visé) et l’oppose au bon roi Grandgousier, pacifique et prudent, conscient de ses devoirs vis-à-vis de ses sujets et animé d’une vraie fraternité chrétienne. Mais pour mener cette politique, il faut être fort, donc disposer d’une armée permanente – allusion à la politique militaire de François Ier. On note au passage l’origine de l’expression « nerf de la guerre ».
« Nous fîmes faire une croix de trente pieds […] en la présence de plusieurs sauvages sur la pointe de l’entrée du port et nous mîmes au milieu un écusson relevé avec trois fleurs de lys ; et dessus était écrit : Vive le Roi de France. »466
Jacques CARTIER (1491-1557), Journal en date du 24 juillet 1534. « Maudits français » ou l’épopée canadienne : 1534-1763 (2003), Antoine Decré
Première des trois expéditions du navigateur malouin chargé de « découvrir certaines îles et pays où l’on dit qu’il doit se trouver grande quantité d’or et autres riches choses ». François Ier n’entend pas laisser le Nouveau Monde aux Espagnols et aux Portugais. Il encourage les marins français à « naviguer sur la mer commune » et à conquérir de nouvelles terres. Cartier, parvenu à l’embouchure du Saint-Laurent, croit avoir trouvé le passage vers la Chine par le Nord. Ce n’est que le Canada dont la conquête commence, et qu’on appellera Nouvelle-France.
« L’argent est le nerf de la guerre. »512
CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur d’Espagne, août 1570. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
La « petite phrase » de Rabelais dans Gargantua va faire fortune dans l’histoire. Au XVIe siècle, tous les souverains d’Europe ont d’énormes besoins d’argent pour leurs guerres qu’il faut sans cesse faire ou préparer. Elles coûtent de plus en plus cher : développement des armes à feu, entretien d’armées permanentes, effectifs croissants – le temps n’est plus des « grandes batailles » du Moyen Âge entre quelques milliers d’hommes (Crécy, Azincourt). Mais l’on n’atteint pas encore les 400 000 soldats de Louis XIV, ni les 4 millions de mobilisés de 1914.
« Je me suis proposé pour unique fin le bien, salut et repos de mes sujets. En cette intention, j’ai finalement pris la voie de douceur et réconciliation, de laquelle l’on a déjà recueilli ce fruit qu’elle a éteint le feu de la guerre dont tout ce royaume était enflammé. »544
HENRI III (1551-1589), Discours aux États généraux de Blois, 6 décembre 1576. Henri III, les débuts de la Ligue, 1574-1578 (1887), Berthold Zellar
La volonté royale ne fait pas de doute, mais son pouvoir est insuffisant et le temps n’est pas encore venu de la modération et des Politiques. Les princes protestants ont battu l’armée royale. Par la paix de Monsieur – ou paix de Beaulieu, mai 1576 –, ils gagnent la liberté de culte (hors Paris) et de nombreuses places fortes dans le Midi. Les victimes de la Saint-Barthélemy sont réhabilitées, leurs biens restitués aux familles. D’autres mesures financières vident le Trésor, Catherine de Médicis met ses bijoux en gage, mais ça ne suffit pas ! Et cette paix mécontente les ultra-catholiques. Des ligues de défense de la religion se créent, bientôt unies en Ligue (Sainte Ligue ou Sainte Union) derrière le duc de Guise, avec l’appui du pape et du roi Philippe II d’Espagne. La sixième guerre de Religion commence.
« J’ai peur que nous n’ayons les yeux plus grands que le ventre et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que le vent. »549
Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)
Avant le mot, c’est l’idée de l’anticolonialisme. Pour des raisons surtout humanitaires, Montaigne s’en prend aux conquistadores de la Renaissance. Les Français veulent concurrencer les Espagnols et les Portugais depuis le « beau XVIe siècle » et la bourgeoisie enrichie s’est lancée dans de lointaines expéditions maritimes, patronnées par la royauté. En 1555, Villegaignon a installé des colons protestants dans la baie de Rio de Janeiro. La Floride est colonisée en 1562 par René de Laudonnière et ses compagnons huguenots, mais en 1566, leurs établissements sont détruits et les Français massacrés par les Espagnols. La colonisation du Canada est préparée tout au long du siècle par les expéditions de Cartier, Roberval, de Mons, de la Roche, Chauvin.
« Ce sont eux [les mignons] qui à la guerre ont été les premiers aux assauts, aux batailles et aux escarmouches, et s’il y avait deux coups à recevoir ou à donner, ils en voulaient avoir un pour eux, et mettaient la poussière ou la fange à ces vieux capitaines qui causaient [raillaient] tant. »559
BRANTÔME (1540-1614). Lexique des œuvres de Brantôme (1880), Ludovic Lalanne
Homme de cour autant que de guerre, il défend ici, en témoin, la réputation des mignons du roi. Henri III les couvrit de biens et d’honneurs, ils furent en retour très fidèles au roi et vaillants au combat. Michelet confirme dans son Histoire de France : « Plusieurs des prétendus mignons furent les premières épées de France. » Ainsi, le duc Anne de Joyeuse qui meurt à 26 ans, à la tête des ligueurs : la bataille de Coutras (20 octobre 1587) est une victoire pour Henri de Navarre. Mais la Ligue bat un peu plus tard les protestants alliés à des mercenaires allemands et suisses.
NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE
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« Je veux que ceux de la religion vivent en paix en mon royaume. Il est temps que nous tous, saouls de guerre, devenions sages à nos dépens. »639
HENRI IV (1553-1610), résumant la philosophie de l’édit de pacification de Nantes, signé le 13 avril 1598. Pensées choisies des rois de France (1920), recueillies et annotées par Gabriel Boissy
Cet acte de tolérance, unique dans l’Europe de l’époque, met fin à trente-huit années de guerres de Religion en France. Mais il favorise l’existence d’un « État dans l’État », d’autant plus qu’un certain nombre de clauses secrètes renforcent les privilèges reconnus aux protestants – germe de résistance et de futures rébellions.
« Il n’y a pas de nation au monde si peu propre à la guerre que la nôtre. »602
Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique
C’est sans doute l’une des conséquences de cette « légèreté ordinaire des Français » qu’il déplore. Et c’est en tout cas la raison pour laquelle il va mener le plus longtemps possible une guerre « couverte », avant de se lancer dans la guerre « ouverte » contre l’Espagne.
« Ce fou n’a qu’une idée, abattre la maison d’Autriche […] Il déclenchera la guerre générale et les hordes de barbares se jetteront sur le trottoir français. »705
Pamphlet contre Richelieu. Mazarin (1972), Paul Guth
Dès 1630, les opposants à la politique anti-habsbourgeoise de Richelieu se multiplient. Le très catholique cardinal de Bérulle est mort (octobre 1629), mais il reste le garde des Sceaux Michel de Marillac (farouche antiprotestant, prônant la paix et l’alliance avec l’Espagne), le frère du roi qui est de tous les complots, la reine et la reine mère Marie de Médicis, âme du parti dévot et à présent très hostile au cardinal.
De son côté, Richelieu paie des publicistes à gages pour mener une propagande antiespagnole incessante, d’où une guérilla de libelles et de pamphlets. À dater de mai 1631, La Gazette, hebdomadaire de Théophraste Renaudot et organe officieux du gouvernement, a pour but de contrer les fake news, autrement dit les « faux bruits qui servent souvent d’allumettes aux mouvements et séditions intestines ». Organe officiel du ministre des Affaires étrangères sous le nom de Gazette de France en 1762, cet ancêtre de nos journaux paraîtra jusqu’en 1915.
« Nos guerres civiles, sous Charles VI, avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule. »747
VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)
La Fronde, guerre civile de cinq ans (1648-1653), aurait pu mener à la Révolution. Un siècle après, les attendus du jugement de Voltaire sont très circonstanciés : « Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le Parlement ne savait ni ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait ; il menaçait, il demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin et ensuite venait le complimenter en cérémonie. » Autre signe particulier de ce conflit chaotique, quelques femmes se distinguèrent, la plus célèbre étant la Grande Mademoiselle.
« Les demoiselles parlent pour l’ordinaire mal de la guerre : je vous assure qu’en cela comme en toute autre circonstance le bon sens règle tout, et que quand on en a, il n’y a dame qui ne commandât bien des armées. »
Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la GRANDE MADEMOISELLE (1627-1693), Mémoires
Mlle de Montpensier, petite-fille d’Henri IV, fille du Grand Monsieur (Gaston d’Orléans portant ce nom depuis la naissance de « Monsieur », frère du roi Louis XIV), s’est lancée dans la Fronde à corps et cœur perdus, jusqu’à faire tirer le canon de la Bastille contre les troupes royales (et Turenne) le 2 juillet 1652, pour sauver son cousin le prince de Condé et pour « bluffer » son père qui la dédaigne comme fille et ne peut pas prendre ouvertement parti. Participant à un « conseil de guerre », elle prend plaisir à souligner en féministe avant le mot : « Ce n’est pas que ces messieurs les généraux fissent rien de leur tête ; ils envoyaient tous les jours me rendre compte de toutes choses : sur quoi j’ordonnais ce qui me plaisait. » Une femme trouve soudain le moyen de mettre en pratique des compétences militaires et une autorité de commandement réservée aux hommes.
Son extravagante conduite lui coûta sans doute le mariage avec Louis XIV - elle a certes onze ans de plus que lui, mais l’immense fortune des Bourbon-Montpensier en fait le plus beau parti de France.
« La guerre d’Allemagne n’est point guerre de religion, mais seulement guerre pour réprimer la grande ambition de la maison d’Autriche. »777
MAZARIN (1602-1661). Mazarin (1972), Paul Guth
Parallèlement à la Fronde qui commence, s’achève cette guerre contre la maison de Habsbourg, entreprise par Richelieu il y a treize ans et continuée par son successeur dans le même esprit. Le but est atteint, l’empereur est contraint de signer les deux traités de Westphalie, le 24 octobre 1648.
SIÈCLE DE LOUIS XIV
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« Monseigneur, avez-vous jamais vu livrer une bataille ?
— Non, prince.
— Eh bien, vous allez en voir perdre une. »800Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand CONDÉ (1621-1686) au jeune Henri, duc de Gloucester, avant la bataille des Dunes, 14 juin 1658. Histoire de la République d’Angleterre et de Cromwell (1854), François Guizot
Condé se bat aux côtés des Espagnols avec Don Juan d’Autriche et le jeune Gloucester, fils de Charles Ier, avide à 18 ans de venger son père guillotiné contre les soldats de Cromwell qui a pris le pouvoir. Face à lui, Turenne se bat avec les Anglais, nouveaux alliés des Français contre les Espagnols (traité de Paris, mars 1657).
Condé a voulu éviter cette bataille perdue d’avance : ses troupes sont fatiguées, divisées, mal équipées, mal armées. Il voit aussi « le frivole aveuglement de l’orgueil espagnol ». Turenne, bien informé par ses éclaireurs, sera le plus fort, ou le plus malin sur ce terrain : il perd 400 à 500 hommes et Condé dix fois plus (prisonniers compris). Cette victoire décisive de la France met fin aux prolongations franco-espagnoles de la guerre de Trente Ans. On peut enfin commencer à négocier le traité de paix et le mariage espagnol.
« Ultima ratio regum. » « Dernier argument des rois. »817
LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons
Concise et précise, la devise est une bonne citation historique. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans. Ses contemporains sont du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi. Louis XIV poursuivra ainsi trois buts qu’on nommerait aujourd’hui géopolitiques : prééminence de la France dans le monde, frontière stratégique assurée au nord-est, visées sur la prochaine succession d’Espagne.
Il se donnera les moyens de sa politique : grands diplomates, réorganisation militaire conduite par Louvois, effectifs considérables pour une armée de métier (passant de 72 000 hommes en 1667 à 400 000 en 1703), marine de guerre développée par Colbert (La Royale a 18 vaisseaux en 1661, 276 en 1683), places fortes créées ou renforcées par Vauban.
« Toutes les guerres sont civiles, car c’est toujours l’homme contre l’homme qui répand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles. »841
FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque (1699)
C’est l’écho d’un courant pacifiste nouveau qui annonce les philosophes du siècle des Lumières : « La guerre épuise un État et le met toujours en danger de périr, lors même qu’on remporte les plus grandes victoires […] On dépeuple son pays, on laisse les terres presque incultes, on trouble le commerce, mais, ce qui est bien pis, on affaiblit les meilleures lois et on laisse corrompre les mœurs. »
« S’il faut faire la guerre, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants. »937
LOUIS XIV (1638-1715), Manifeste au peuple, juillet 1710. Histoire de France depuis l’avènement de Charles VIII (1896), Frédéric Mane
Les alliés, Hollande en tête, exigent que Philippe V renonce au trône d’Espagne et, en cas de refus, que Louis XIV le fasse détrôner par ses armées. Le roi de France rend public l’outrage. Un sursaut national permet un redressement franco-espagnol. Encore quelques années d’une succession de défaites et de victoires (signées Villars). Tous les pays sont épuisés, le pacifisme gagne du terrain en Angleterre et l’issue de cette guerre ne peut être que diplomatique. Les traités d’Utrecht (1713) et de Radstadt (1714) créent un nouvel équilibre européen. La France retrouve approximativement ses limites de la paix de Nimègue (1679) et sauve ainsi ses frontières stratégiques, mais l’Angleterre accède véritablement au rang de grande puissance en Europe.
« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943
LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon
Le roi reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il lui donne une ultime leçon. Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords.
SIÈCLE DES LUMIÈRES
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« La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c’est une maladie convulsive et violente du corps politique. »1063
DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Paix »
Siècle de paix ou presque, mais né du siècle de Louis XIV où l’idéal de grandeur fut indissociable d’une politique guerrière et qui laisse la France épuisée de guerres.
Diderot dresse un réquisitoire enflammé contre ce fléau : « L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L’épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s’aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s’est mêlé à celui de l’ennemi ; ce carnage inutile n’a servi qu’à cimenter l’édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents ; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans. »
« Voyez tout le sang que coûte un triomphe. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner. »1123
LOUIS XV (1710-1774), à son fils le Dauphin, au soir de la victoire de Fontenoy, 11 mai 1745. Les Pensées des rois de France (1949), Gabriel Boissy
Le roi parcourt le champ de bataille jonché de 11 000 morts et blessés. Il a pris la tête de l’armée pour redonner confiance aux troupes et apporter plus de coordination aux opérations mal menées. Il s’est surtout adjoint les services de Maurice de Saxe, bâtard du roi de Pologne, stratège exceptionnel, fait maréchal de France en 1744.
Les Anglo-Hollandais sont écrasés. Mais à quel prix ? Le roi parle comme son arrière-grand-père Louis XIV à la fin de sa vie et comme pensent tous les philosophes de ce siècle éclairé : « Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d’une multitude de ses membres que la guerre sacrifie », écrira Diderot dans L’Encyclopédie. De toute manière, la France en guerre connaît alors plus de défaites que de victoires.
« Le nombre infini de maladies qui nous tue est assez grand ; et notre vie est assez courte pour qu’on puisse se passer du fléau de la guerre. »1216
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, 27 février 1775, Correspondance (posthume)
Voltaire, de santé fragile durant toute sa longue vie, eut la chance de naître en un siècle de paix relative. Mais les exemples de guerre ne manquent pas en Europe et la France prépare sa revanche contre l’Angleterre, après la désastreuse guerre de Sept Ans. C’est outre-Atlantique qu’elle va se jouer, les Français participant à la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique – ce ne sont encore que les Treize colonies. Turgot s’y oppose, la France n’ayant pas les moyens d’une guerre lointaine et maritime, forcément coûteuse. Mais Vergennes négocie secrètement, Beaumarchais trafique activement et les Insurgents reçoivent de l’argent et des armes dès 1775.
« À dix-neuf ans, je me suis consacré à la liberté des hommes et à la destruction du despotisme, autant qu’un faible individu comme moi pouvait le faire… J’ai été assez heureux pour servir la cause que j’avais embrassée… La liberté finira par s’établir dans l’ancien monde comme dans le nouveau, et l’histoire de nos révolutions mettra chaque chose et chacun à sa place. »
LA FAYETTE (1757-1834), Mémoires, correspondances et manuscrits du Général La Fayette (posthume, 1837-1838)
Contre l’avis de sa famille et du roi, il s’embarque à ses frais sur une frégate et débarque en Amérique en juin 1777, pour se joindre aux troupes de Virginie. Nommé « major général », le jeune marquis paie de sa personne au combat. Charmé par les « relations républicaines », il s’enthousiasme pour l’égalité des droits, le civisme des citoyens, avec l’intuition de vivre un événement qui dépasse les frontières de ce pays. De retour en France en 1779, triomphalement accueilli, il pousse le gouvernement à s’engager ouvertement dans la guerre d’Indépendance.
Il repart et se distingue à nouveau en Virginie contre les Anglais. 3 000 Français trouvent la mort dans ce combat d’outre-Atlantique qui s’achèvera par la défaite anglaise en 1783. Le fougueux marquis gagne son titre de « Héros des deux mondes ». C’est la plus brillante période de sa longue vie. Les États-Unis se rappelleront cette dette historique, s’engageant en avril 1917 dans la guerre mondiale au cri de : « La France est la frontière de la liberté. » Le jour anniversaire de l’Indépendance, 4 juillet 1917, sur la tombe parisienne du marquis, la référence est encore plus précise : « La Fayette, nous voici ! »
RÉVOLUTION
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
« S’il est bon de faire des lois avec maturité, on ne fait bien la guerre qu’avec enthousiasme. »1287
DANTON (1759-1794). Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux
Orateur des heures tragiques, préoccupé de la Défense nationale du pays, Georges Jacques Danton sera aussi ministre de la Justice. Il incarne cette époque qui doit parer au plus pressé, mais sait aussi légiférer pour les générations à venir. Même aptitude remarquable, chez Napoléon Bonaparte.
« La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »1364
Déclaration de paix au monde, votée par la Constituante, 22 mai 1790. Histoire de France, 1750-1995 : Monarchies et Républiques (1996), René Souriac, Patrick Cabanel
Ce décret appartient à la catégorie des vœux pieux ! Par la force des choses plus que la volonté des hommes, la Révolution se révélera expansionniste, prosélyte, conquérante : engagée dans un conflit ininterrompu de 1792 à 1802, l’Empire continuant dans la même logique, de 1803 à 1815.
« La paix perpétuelle est un rêve et un rêve dangereux s’il entraîne la France à désarmer devant une Europe en armes. »1365
MIRABEAU (1749-1791), Constituante, 22 mai 1790. Histoire de France contemporaine, depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
Le même jour à l’Assemblée, l’orateur est lucide. L’idéologie n’a jamais aveuglé l’intelligence de ce personnage qui a plus d’opportunisme que de conviction.
« La patrie est en danger. »1418
Législative, Proclamation par décret du 11 juillet 1792. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
Depuis la déclaration de guerre à l’Autriche en avril, les défaites françaises se succèdent aux frontières de l’Est. L’armée de 80 000 hommes est insuffisante et mal dirigée par des officiers surnommés les « vaincre ou courir », face aux Prussiens commandés par Brunswick et aux émigrés français emmenés par Condé, cependant que la menace d’un complot aristocratique plane sur la France. Chacun se prépare à l’invasion étrangère et l’on soupçonne le roi d’être de connivence avec l’empereur d’Allemagne François II, neveu de Marie-Antoinette.
Votée le 12 juillet, une loi appelle aux armes 50 000 soldats et 46 bataillons de volontaires, soit 33 600 hommes.
« Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre, tout se lève en France d’un bout de l’empire à l’autre. »1427
DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg
Danton est le grand homme de cette période : substitut de la Commune de Paris érigée en assemblée souveraine et ministre de la Justice depuis le 11 août, il a en fait tous les pouvoirs. Et l’éloquence en plus. On l’appelle « le Mirabeau de la populace ». Comme Mirabeau, c’est une « gueule », un personnage théâtral. Mais contrairement à Mirabeau, « Danton, comme Robespierre et Marat, est une création de la Révolution. Il jaillit de l’immense événement sans aucun préavis » (Mona Ozouf).
« Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428
DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg
« De l’audace… » La fin du discours est célébrissime, propre à galvaniser le peuple et ses élus : « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole » écrit Hugo (Quatre-vingt-treize).
Ce 2 septembre, la patrie est plus que jamais en danger. La Fayette, accusé de trahison, est passé à l’ennemi. Dumouriez qui a démissionné de son poste de ministre l’a remplacé à la tête de l’armée du Nord, mais le général ne parvient pas à établir la jonction avec Kellermann à Metz. Verdun vient de capituler, après seulement deux jours de siège : les Prussiens sont accueillis avec des fleurs par la population royaliste. C’est dire l’émotion chez les révolutionnaires à Paris ! La rumeur court d’un complot des prisonniers, prêts à massacrer les patriotes à l’arrivée des Austro-Prussiens, qui serait imminente. On arrête 600 suspects qui rejoignent 2 000 détenus en prison. Ce seront bientôt les « massacres de septembre ».
« Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée, querelle de l’idée locale contre l’idée universelle, paysans contre patriotes. »1489
Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)
Situé en 1793, année charnière et riche en événements, ce dernier grand roman historique met en scène trois personnages : un prêtre révolutionnaire, un aristocrate royaliste et vendéen, et son petit-neveu rallié à la Révolution. Ce choc des extrêmes rappelle la Commune (1871) et ses drames, vécus par Hugo. Les guerres civiles se suivent et se ressemblent tragiquement.
Les insurgés vendéens (les Blancs) vont réunir jusqu’à 40 000 hommes et remporter plusieurs victoires contre les patriotes (les Bleus) en ce printemps 1793 : prise de Cholet, Parthenay, Saumur, Angers, avant d’échouer devant Nantes (29 juin). La Convention envoie des troupes républicaines dès juillet, mais les grands combats suivis de massacres seront organisés sous la Terreur à partir d’octobre. Au total, la guerre de Vendée et la guerre des Chouans (mêmes causes, mêmes effets en Bretagne et Normandie) feront quelque 600 000 morts, dont 210 000 civils exécutés, 300 000 morts de faim et de froid (100 000 enfants). Ce génocide (mot employé par certains historiens) est le plus lourd bilan à porter au passif de la Révolution.
« Nos ennemis font une guerre d’armée, vous faites une guerre de peuple. »1285
ROBESPIERRE (1758-1794), Directive aux armées, Convention, 16 avril 1793. Collection générale des décrets rendus par la Convention nationale (1793)
De fait, les guerres révolutionnaires sont un phénomène radicalement nouveau dans l’histoire. La République ne peut plus compter sur l’armée de l’Ancien Régime – troupes sujettes aux paniques qu’on appelle les « vaincre ou courir ». Il faut donc mobiliser en masse pour faire face à la première coalition, celle de l’Europe (des rois) contre la Révolution. On passe de 80 000 hommes en 1792 à un million, fin 1793 ! Il faut ensuite politiser ces nouveaux soldats frais émoulus, pour une plus grande efficacité des bataillons. On distribue Le Père Duchesne, feuille révolutionnaire fondée par Hébert. Ainsi mobilisée et politisée corps et âme, d’abord volontaire puis soumise au service obligatoire, cette armée entrera dans la légende des « soldats de l’an II ».
« Dès ce moment jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en état de réquisition permanente pour le service des armées. »1528
Décret sur la levée en masse, Convention, 23 août 1793. Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, de 1788 à 1830 (1834), Jean-Baptiste Duvergier
Suite au rapport de Barère de Vieuzac et au nom du salut public, l’Assemblée vote le décret de levée en masse et de guerre totale. Au volontariat de 1792 succède le service obligatoire, rendu inévitable par les guerres de la première coalition et le recul de nos armées.
Le texte du décret est aussi éloquent qu’un discours : « Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie ; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République. » Les soldats de l’an II atteindront presque le million.
« Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées […]
Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers ! »1591Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Le poète a raison : de l’an II date la réputation des Français comme redoutables soldats. L’armée nationale fait face victorieusement à la première coalition - Angleterre, Russie, Sardaigne, Espagne, royaume des Deux-Siciles –bientôt disloquée par les traités de Paris, Bâle, La Haye en 1795.
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