La Guerre, histoire en citations d’une tragédie séculaire et quotidienne (de la Seconde Guerre mondiale à nos jours) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. »

Carl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général prussien, stratège et théoricien, De la Guerre (1832)

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Retrouvez tous nos éditos sur les guerres de l’histoire :

Seconde Guerre mondiale (1939-1945)

« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »2733

Paul REYNAUD (1878-1966), Allocution à la radio, 10 septembre 1939. Mythologie de notre temps (1965), Alfred Sauvy

Le 3 septembre, la France et la Grande-Bretagne ont déclaré la guerre à l’Allemagne qui a envahi la Pologne le 1er septembre. Le 2, un crédit extraordinaire (69 milliards de francs) pour la Défense nationale a été voté sur proposition de Paul Reynaud, ministre des Finances. Il annonce à la radio les mesures fatalement impopulaires, et termine par ces mots : « Nous vaincrons… »

Le slogan s’inscrit dans la propagande alliée. Et les historiens s’interrogent encore sur le rapport des forces.

Selon les stratèges du temps, l’armée française est la meilleure du monde et même l’état-major allemand la redoute, car l’armée d’Hitler (Wehrmacht) est bien jeune. Mais notre armée est bien vieille : comme sa réputation, elle date de la dernière guerre. Marine mise à part, aviation, artillerie, parachutistes, blindés, tout pèche par défaut. L’état d’esprit est à la défensive, la ligne Maginot donne un faux sentiment de sécurité, le chef d’état-major Gamelin est un intellectuel fuyant les responsabilités. Et les Français ne sont moralement pas prêts à faire la guerre. Alors, on attend.

« Une guerre de capitalistes qui dresse l’un contre l’autre l’impérialisme anglais et l’impérialisme allemand, cependant qu’au peuple de France est réservée la mission d’exécuter les consignes des banquiers de Londres. »2736

Déclaration du PCF, octobre 1939. La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean Marie Mayeur

Le Parti, dissous le 26 septembre, mène une action clandestine contre la guerre. Des tracts invitent les ouvriers français à fraterniser avec leurs camarades allemands, contre leur ennemi commun le « capitalisme international ». Maurice Thorez a quitté la France le 4 octobre et dans L’Humanité (clandestine) du 20, il dénonce la « guerre impérialiste » et n’a pas un mot sur Hitler.

Cette attitude du PCF et celle de l’URSS liée à l’Allemagne par un pacte de non-agression et envahissant la Finlande renforcent l’anticommunisme en France : le 20 janvier 1940, une loi prononce la déchéance des députés communistes. Du 20 mars au 30 avril, on fait leur procès, tandis que des militants sont arrêtés (3 400 en mars). Ce conflit franco-français détourne malheureusement l’opinion de l’ennemi numéro un !

« Vaincre, c’est tout sauver, succomber, c’est perdre tout. »2737

Paul REYNAUD (1878-1966), présentant le nouveau gouvernement à la Chambre, 22 mars 1940. Histoire politique de la Troisième République : la course vers l’abîme, volume VII (1967), Georges Bonnefous

Le gouvernement Daladier est tombé, accusé de mollesse dans la conduite de la guerre. Paul Reynaud (inclassable politiquement et lié à de Gaulle) devient président du Conseil et ministre des Affaires étrangères – et prend Daladier à la Défense nationale, dans la plus pure tradition d’une Troisième République dont Lebrun est le président tout aussi traditionnellement inexistant ! Dernier gouvernement du régime, il va tenir trois mois.

Paul Reynaud semble soudain l’homme de la situation, clairement analysée comme une suite de la Première Guerre mondiale avec des accents gaulliens : « La France est engagée dans la guerre totale. Par le fait même, l’enjeu de cette guerre totale est un enjeu total. Vaincre, c’est tout sauver… » Et il part à Londres, pour signer avec notre allié anglais le pacte du 28 mars : ni traité ni armistice séparé.

« Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes. »2739

Winston CHURCHILL (1874-1965), Chambre des Communes, 13 mai 1940. Du sang, de la sueur et des larmes (posthume), Discours de Winston Churchill

Premier discours du nouveau Premier ministre anglais : le 10 mai, il a pris la tête d’un vrai gouvernement de coalition (conservateurs, libéraux et travaillistes) et témoigne d’une volonté de fer qui, heureusement pour la France et la suite de l’histoire, ne faiblira jamais.

De Gaulle juge vite et bien l’homme qui sera son allié numéro un : « Winston Churchill m’apparut, d’un bout à l’autre du drame, comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande Histoire » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« Le gouvernement restera à Paris ; même sous le bombardement. Si Paris est pris, on ira ailleurs. S’il le faut, nous nous retirerons sur un cuirassé et nous croiserons, avec la flotte, en vue des côtes de France. »2740

Paul REYNAUD (1878-1966), Allocution à la radio, 16 mai 1940. Au cœur de la mêlée (1951), Paul Reynaud

Le chef du gouvernement multiplie les déclarations imprudentes. Après la « drôle de guerre » qui n’est qu’attente, voici la « guerre éclair » (Blitzkrieg). L’Allemagne a envahi trois pays neutres : Luxembourg, Belgique, Pays-Bas. Le 10 mai, ses blindés attaquent la France par les Ardennes et percent le front à Sedan. L’arme absolue de la Wehrmacht est la Panzerdivision, unité autonome d’environ 300 chars, avec troupes d’assaut motorisées, artillerie tractée, ravitaillement par air, le tout alliant puissance et mobilité.

« Il n’y a pas deux cents kilomètres entre Paris et l’étranger, six jours de marche, trois heures d’auto, une heure d’avion. Un seul revers aux sources de l’Oise, voilà le Louvre à portée de camion. »2741

Charles de GAULLE (1890-1970), Vers l’armée de métier (1934)

Dans ce livre de stratégie militaire, de Gaulle préconise déjà une armée motorisée et blindée, mais il n’a pas l’oreille du pouvoir, alors qu’en Allemagne, le général Guderian, théoricien des chars, peut équiper de façon ultramoderne une armée dont il prend le commandement.

« Je survole donc des routes noires de l’interminable sirop qui n’en finit plus de couler. On évacue, dit-on, les populations. Ce n’est déjà plus vrai. Elles s’évacuent d’elles-mêmes. Il est une contagion démente dans cet exode. Car où vont-ils, ces vagabonds ? Ils se mettent en marche vers le sud, comme s’il était là-bas des logements et des aliments […] L’ennemi progresse plus vite que l’exode. »2743

Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Pilote de guerre (1942)

Ils seront près de 12 millions, réfugiés de tous âges, toutes conditions, fuyant l’invasion venue du nord, mais qui les rattrape, qui est maintenant partout. Ces flots, ces fleuves humains gênent les dernières résistances et paralysent les voies de communication – le commandement allemand, en semant la panique, a encouragé l’exode de mai-juin 1940.

« Nous lutterons en avant de Paris, nous lutterons en arrière de Paris, nous nous enfermerons dans une de nos provinces et, si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du Nord et, au besoin, dans nos possessions d’Amérique. »2747

Paul REYNAUD (1878-1966), Message à F.D. Roosevelt, 10 juin 1940. Franklin Roosevelt et la France, 1939-1945 (1988), André Béziat

Le jour où le gouvernement quitte la capitale pour se replier sur Tours, puis Bordeaux, bientôt Vichy. Paris, déclarée ville ouverte par Weygand, tombe aux mains des Allemands le 14 juin.

Le gouvernement tombera le 16 juin : cette résistance voulue par Paul Reynaud (et que seul de Gaulle pourra imposer), la majorité du cabinet la refuse, à l’image du pays matraqué par la catastrophe. Laval et Darlan, hors ministère, font pression sur les ministres en faveur de la capitulation. Deux grands militaires de la Première Guerre mondiale, Pétain et Weygand, l’un maréchal, et l’autre général, la souhaitent aussi.

Mais de Gaulle, simple général de brigade à titre temporaire va soudain s’imposer : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » (François Mauriac). Ses Appels historiques sont autant de citations référentielles.

« Cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. »2714

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel « A tous les Français » du 23 juin 1940. La Résistance : chronique illustrée 1930-1950 (1973), Alain Guérin

Paroles prophétiques, alors que l’Angleterre est seule à faire encore front face à Hitler qui semble tout-puissant ! La guerre deviendra mondiale quand l’Allemagne attaque l’URSS (22 juin 1941) et quand le Japon intervient contre les États-Unis (7 décembre 1941) et le Commonwealth (début 1942).

Elle s’étendra finalement à tous les continents, toutes les mers du globe, mobilise 92 millions d’hommes et fait (selon les estimations) de 35 à 60 millions de morts (civils et militaires). Il fallait sans doute que cette guerre, si mal commencée, devint mondiale pour finir bien, mais le prix en est terrible, au-delà même de ces statistiques.

« La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. »2751

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Idée fixe, idée folle, idée simple : la France ne peut pas être la vaincue de l’Histoire. Le caractère, « vertu des temps difficiles », et la rencontre de ces temps particulièrement difficiles vont permettre à cet homme de 50 ans, inconnu du pays, de se révéler en quelques jours, d’avoir raison seul contre tout et tous, et d’associer pendant quatre ans de lutte son destin à celui du pays.

« C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. »2752

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940

Le chef du gouvernement de la France s’adresse ici aux troupes, du moins à ce qu’il en reste, et fait transmettre à Hitler une demande d’armistice : Pétain est persuadé que l’Angleterre ne va pas s’obstiner dans un vain combat, que la paix est proche et lui permettra de restaurer l’ordre.

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »2753

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Premier appel radiodiffusé vers 20 heures par la BBC, radio de Londres qui donnera la parole aux Français résistants. Cette voix va devenir célèbre, mais ce jour-là, ses mots ne sont entendus de presque personne. Aucun enregistrement n’existe (il y a souvent confusion avec le discours du 22 juin). L’Appel (du 18 juin) reste pourtant l’un des textes les plus célèbres de l’histoire de France, par sa qualité d’écriture et par ses conséquences.

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. »2754

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

L’Appel du 18 juin et ses arguments simples et forts seront repris. Ils marquent l’acte de naissance de la France libre (et bientôt combattante) qui, à côté de l’autre France envahie et vaincue, incarnée par le Maréchal, va renaître, et d’abord dans les terres lointaines de son empire colonial, en Afrique équatoriale.

« Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. »2755

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

De Gaulle a prévu, en bon stratège, que les blindés feraient la différence entre des armées par ailleurs égales. Il sait l’efficacité des Panzerdivisionen dont le nombre augmente. La formidable puissance de l’économie américaine fera bientôt des États-Unis l’« arsenal des démocraties », selon le vœu du président Roosevelt.

Mais les États clients (notamment la Grande-Bretagne) doivent d’abord payer comptant et transporter eux-mêmes leurs marchandises : clause cash and carry. La loi prêt-bail (votée en mars 1941) permet heureusement aux États alliés en guerre contre l’Allemagne d’avoir du matériel à crédit, avant que les États-Unis n’entrent en guerre, fin 1941.

« J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et je resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s’agit de la France, de son sol, de ses fils. »2757

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Conclusion de l’appel lancé à la radio, 20 juin 1940. Pétain et les Allemands (1997), Jacques Le Groignec

L’autre voix de la France parle aux Français, pas encore vraiment déchirés entre les deux : cette radio-là est bien plus écoutée.

Pétain dénonce les causes de la défaite et son constat n’est pas discutable : « Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés. » Tel un père sévère, le vieux maréchal fait aussi la morale : « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort. » L’armistice sera signé le 22 juin à Rethondes, très symboliquement dans le wagon où le maréchal Foch imposa à l’Allemagne vaincue les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918. Il prend effet le 25.

« J’invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l’air, j’invite les ingénieurs français spécialistes de l’armement […] J’invite les chefs, les soldats, les marins, les aviateurs des forces françaises de terre, de mer, de l’air, où qu’ils trouvent […] J’invite tous les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre. »2758

Charles de GAULLE (1890-1970), Conclusion de l’appel « À tous les Français », Discours radiodiffusé, 22 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

(Le manuscrit de l’Appel du 18 juin, l’enregistrement de l’Appel du 22 juin, le manuscrit de l’affiche du 3 août et l’affiche elle-même sont inscrits au registre « Mémoires du monde » de l’UNESCO.)

124 Sénans (habitants de l’île de Sein) ont entendu l’Appel du 18 juin et rallient l’Angleterre par cinq bateaux. Ils représentent alors environ un quart des Forces Françaises Libres (FFL) réunies à Londres !

Ses troupes sont encore modestes quand le 27 juin de Gaulle prend le titre de Chef des Français libres, réaffirmant que le gouvernement de Pétain n’est qu’une autorité de fait sous la dépendance de l’ennemi. Lequel gouvernement prend des sanctions contre de Gaulle : ramené au grade de colonel et mis à la retraite par mesure disciplinaire le 24 juin, condamné par le tribunal militaire de Toulouse à quatre ans de prison et 1 000 francs d’amende le 4 juillet, condamné à mort et à la confiscation de ses biens par un tribunal de Vichy (nouveau siège du gouvernement), le 2 août.

« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! »2767

Charles de GAULLE (1890-1970), Affiche placardée sur les murs de Londres le 3 août 1940. La France n’a pas perdu la guerre : discours et messages (1944), Charles de Gaulle

Cette phrase célèbre ne figure pas, comme on le dit souvent, dans l’Appel du 18 juin. Elle est l’attaque d’une proclamation rédigée sans doute le même jour, mais affichée le mois suivant dans la capitale du seul pays qui continue la lutte. Signé par le général de Gaulle depuis son quartier général situé 4 Carlton Garden à Londres, ce nouvel appel s’adresse « À tous les Français », militaires et civils, quelles que soient leur profession, leur origine sociale, et où qu’ils se trouvent.

Tirée à 1 000 exemplaires, l’affiche est placardée sur les murs de Londres et des grandes villes anglaises. Le slogan, surmonté de deux petits drapeaux croisés, devient célèbre. Saint-Exupéry, dans ses Écrits de guerre, se permet de rectifier : « Dites la vérité, Général, la France a perdu la guerre. Mais ses alliés la gagneront. »

« Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine
Et malgré tout nous resterons Français,
Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre cœur, vous ne l’aurez jamais. »2768

Gaston VILLEMER (1840-1892), paroles, et Ben TAYOUX (1840-1918), musique, Alsace-Lorraine, chanson. Mémoires et Antimémoires littéraires au XXe siècle (2008), Annamaria Laserra, Nicole Leclercq, Marc Quaghebeur

Cette chanson, créée en 1873 et dédiée aux villes de Strasbourg et de Metz, est reprise par les patriotes français en 1940, quand les Allemands annexent les trois départements martyrs (Haut-Rhin, Bas-Rhin, Moselle), en fait le 24 juillet 1940, et officiellement le 30 novembre.

« Mon empire vivra mille ans ! »2769

Adolf HITLER (1889-1945), dont l’empire vivra douze ans (1933-1945). Les 100 personnages du XXe siècle (1999), Frank Jamet

Prophétie du « Reich de mille ans » : au-delà de la propagande nazie, le Führer est le nouveau messie pour un peuple humilié, avide de revanche.

Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux tiers de son territoire dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins, tandis que les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés et les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais réunis à la Belgique – elle-même envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.

D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito veulent se partager. Cette guerre, fatalement, devait devenir mondiale. En un quart de siècle, incluant l’instauration de régimes communistes et leur cortège de persécutions, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués » écrira Albert Camus.

« La guerre nazie est une répugnante affaire. Nous ne voulions pas y entrer ; mais nous y sommes et nous allons combattre avec toutes nos ressources. »2782

Franklin Delano ROOSEVELT (1882-1945), Déclaration du président des États-Unis, faisant suite à l’attaque sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941. Comment Einstein a changé le monde (2005), Jean-Claude Boudenot

L’aviation et la flotte japonaises, sans déclaration de guerre, ont détruit la flotte américaine du Pacifique, le 7 décembre. C’est la chance des démocraties européennes qui vont avoir le plus puissant des alliés – mais pas le plus facile, surtout pour de Gaulle, peu apprécié du président américain : « Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon ! »

Roosevelt, très populaire et usant parfaitement des nouveaux mass media, voulait lutter contre les pays totalitaires d’Europe. Dès le 2 août 1939, une lettre d’Albert Einstein, savant le plus célèbre au monde, juif allemand ayant fui le nazisme, l’a convaincu de tout mettre en œuvre pour développer une bombe atomique (au plutonium). Et surtout d’être le premier, avant Hitler ! Mais le Sénat et l’opinion publique américaine restaient isolationnistes – jusqu’à la tragédie de Pearl Harbor qui touche directement la nation qui se croyait intouchable…

Après Pearl Harbor, les États-Unis entrent en guerre contre le Japon, et indirectement contre ses deux alliés, Allemagne et Italie qui lui ont déclaré la guerre le 11 décembre. Le premier « débarquement américain » se fera en Afrique du Nord, en novembre 1942.

« Certes, nous sommes déjà vaincus. Tout est en suspens. Tout s’écroule. Mais je continue d’éprouver la tranquillité d’un vainqueur. »2792

Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Pilote de guerre (1942)

Parfaite expression du tournant pris par la guerre en novembre 1942. L’Occupation se durcit et s’étend à la zone sud, le régime se rapproche du modèle nazi par ses lois d’exception et ses mesures policières, sous le gouvernement Laval. Mais à terme, on peut prévoir que la formidable puissance des États-Unis va faire basculer le rapport des forces, cependant qu’Hitler s’épuisera sur le front russe… Et déjà la Résistance s’organise en France, et le débarquement des Alliés en Afrique du Nord se fait le 8 novembre. Dans une certaine confusion.

« Les plaies, la neige, la faim, les poux, la soif ; puis la soif, la faim, les poux, la neige, les maladies et les plaies […] l’hallucination qui fait prendre la schlague meurtrière des kapos pour un bâton de chocolat, le petit morceau de bois indéfiniment sucé, le corps qui n’est plus que faim […], la faim a été la compagne quotidienne des déportés jusqu’à la limite de la mort. »2795

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

Risque extrême du « métier » de résistant. On estime à 100 000 le nombre de déportés civils pour raisons politiques, parmi les Français. Mais certains qui étaient pris mouraient avant.

« La guerre, ce n’est pas l’acceptation du risque. Ce n’est pas l’acceptation du combat. C’est, à certaines heures, pour le combattant, l’acceptation pure et simple de la mort. »2715

Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Pilote de guerre (1942)

Pilote de ligne qui traça l’un des premiers la liaison France-Amérique, pilote d’essai et de raid alors même que le succès littéraire lui vint au début des années 1930 (Courrier du Sud, Vol de nuit), journaliste partant pour de grands reportages, combattant en 1939-1940, il rejoint en 1943 les Forces françaises libres et meurt en 1944, pilote volontaire pour une mission de guerre. L’humanisme, le lyrisme, la façon simple et courageuse de faire ce métier d’aventurier et cette fin à 44 ans feront de « Saint-Ex » un héros et un écrivain très aimés, notamment de la jeunesse.

Phénomène d’édition mondial, son Petit Prince, né en 1943 à New York, est un conte philosophique qui séduit pour les valeurs qu’il porte et se transmet de génération en génération. On y voit aujourd’hui une icône du développement durable, un acteur de la paix dans le monde et un défenseur des droits de l’enfant.

« Faire la guerre au loin est assurément une épreuve très pénible, mais […] la supporter sur le territoire national, et cela trois fois en un siècle, face au plus savamment cruel des ennemis, c’est beaucoup plus qu’il n’en faut pour surmener un peuple édifié tour à tour dans le malheur et la gloire. »2716

Georges DUHAMEL (1884-1966), La Pesée des âmes (1949)

Comme Saint-Ex, Duhamel, témoin lucide de son temps, tire d’un métier qui lui fait côtoyer la mort l’essentiel de son inspiration littéraire et de son humanisme. Biologiste et médecin, engagé à titre de chirurgien militaire dans « cette aventure absurde et monstrueuse » de la Grande Guerre, il a vu venir la suivante. Elle fait d’énormes dégâts matériels en France : ports, ponts, voies ferrées, usines et maisons détruites. La terre même a souffert, bouleversée par les bombardements, truffée de mines. Les pertes humaines sont estimées à 600 000 : 200 000 soldats, 400 000 civils (dont la moitié morts en déportation, dans les camps).

« Un seul combat, pour une seule patrie ! »2806

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Un seul chef aussi : le 3 juin 1944, de Gaulle devient président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Terme d’une bataille de quatre ans pour l’unité du pouvoir et bientôt la fédération des diverses résistances (dont les FTP, Francs-tireurs et Partisan) en Forces françaises de l’Intérieur (FFI), la création hors métropole d’une armée (qui atteindra 500 000 hommes) pour aider les Alliés à nous aider à nous libérer.

« Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France. »2808

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration radiodiffusée du 6 juin 1944 à Londres, jour du débarquement en Normandie. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Il annonce aux Français le début des opérations. « Bien entendu », les résistants de l’intérieur vont y participer, avec les soldats de la France libre venus du monde entier. Le premier jour, 90 000 Américains, Britanniques, Canadiens et 177 Français (commandos, fusiliers marins du capitaine Kieffer) dans les forces d’assaut, seront suivis de 200 000 hommes les jours suivants. Avec 9 000 navires, 3 200 avions.

« Le jour le plus long » a commencé la veille, à 23 heures, par un parachutage dans la région de Sainte-Mère-l’Église. La première unité débarque le 6 juin à 6 heures du matin à Sainte-Marie-du-Pont, sur une plage rebaptisée pour l’éternité Utah Beach. Les pertes de cette gigantesque opération Overlord dirigée par le général Eisenhower seront de 30 000 à 40 000 hommes chez les Alliés, 150 000 du côté allemand (et 70 000 prisonniers).

Au total, c’est une armée de 2 millions d’hommes qui débarque pour livrer cette nouvelle bataille de France.

« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau ! »2830

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Laissons le mot de la fin au vainqueur, grand premier rôle et grand témoin de cette période qui évoque et invoque cette France, « Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants ! »

Quatrième République (1946-1958)

« La guerre froide est une guerre limitée, limitation qui porte non sur les enjeux, mais sur les moyens employés par les belligérants […] La guerre froide apparaît, dans la perspective militaire, comme une course aux bases, aux alliés, aux matières premières et au prestige. »2836

Raymond ARON (1905-1983), Guerres en chaîne (1951)

Fondateur avec Sartre des Temps Modernes, revue littéraire, politique et philosophique éditée par Gallimard, il s’en sépare bientôt pour devenir éditorialiste au Figaro (1947-1977).

Toute la Quatrième République est placée sous le signe de la « guerre froide » quand le « rideau de fer » divise l’Europe en deux mondes antagonistes : « La guerre a pris fin dans l’indifférence et dans l’angoisse […] la paix n’a pas commencé » dit Sartre en 1945. De Gaulle évoquera, en 1966, ce « jeu constamment grave et gravement dangereux qu’on appelait la guerre froide ».

« La France est le seul grand pays à recevoir de plein fouet tous les chocs majeurs de l’après-guerre : ruines, crise monétaire, séquelles de guerre civile, difficultés sociales et surtout guerre froide et décolonisation. »2837

Jean-Pierre RIOUX (né en 1939), La France de la Quatrième République (1980-1983)

Historien de ce passé proche, il en dresse un tableau politique, économique et social : la Quatrième – la plus mal aimée de toutes les Républiques – fit face, et pas toujours mal, à tous ces problèmes, mourant finalement de son impossibilité à régler la décolonisation.

« Le danger est double. D’une part, le communisme international a ouvertement déclaré la guerre à la démocratie française. D’autre part, il s’est constitué en France un parti dont l’objectif – et peut-être l’objectif unique – est de dessaisir la souveraineté nationale de ses droits fondamentaux. »2870

Léon BLUM (1872-1950), Assemblée nationale, 21 novembre 1947. Le Socialisme selon Léon Blum (2003), David Frapet

Ramadier a démissionné le 19 novembre et Blum, bien que malade et fatigué, accepte de demander l’investiture de l’Assemblée nationale.

Il exprime clairement la situation du gouvernement désormais pris entre deux feux : les communistes devenus parti d’opposition (dans un contexte international de guerre froide et un climat intérieur d’anticommunisme) et les gaullistes (RPF regroupant une partie de la droite et tirant à vue sur le régime). Blum joue la Troisième Force (SFIO et MRP). Partie perdue : 300 voix, il lui en manque 9 pour être investi. C’est Robert Schuman (MRP) qui va former le troisième cabinet de la législature.

Pour gouverner, il faudra désormais accueillir au gouvernement une fraction du Parti radical et des modérés (inorganisés) qui feront payer cher leur concours. Toute la vie politique de la Quatrième République va s’en ressentir. « Le régime des partis, c’est la pagaille » assure de Gaulle, mais c’est aussi le jeu de la démocratie et le général crée officiellement son RPF (Rassemblement du peuple français) le 14 avril 1947.

« La guerre froide avait trouvé un point chaud, même brûlant. »2877

Edgar FAURE (1908-1988), parlant de la guerre de Corée, déclarée le 25 juin 1950. Mémoires (1982), Edgar Faure

La guerre froide est un équilibre de la terreur qui va durer cinquante ans, entre les deux grandes puissances mondiales qui disposent de l’arme atomique, les États-Unis et l’URSS. Churchill le premier dénonce en 1946 le rideau de fer qui est tombé sur le continent européen. L’opinion publique comprend l’évidence en 1948 lors du coup de Prague, quand les communistes prennent le pouvoir en Tchécoslovaquie. L’année suivante, l’OTAN crée une alliance militaire occidentale et Staline riposte avec le Pacte de Varsovie.

La guerre de Corée est la première bataille de la guerre froide, bien vue par Edgar Faure (alors ministre des Finances) : « La magistrature de René Pleven débutait dans une période de cyclone international. L’invasion de la Corée créait une situation nouvelle pour le monde et bouleversait les données des problèmes posés à la France. »

Deux questions vont polariser l’activité du nouveau gouvernement : armement (supplémentaire) de la France, réarmement « direct ou indirect » de l’Allemagne ? Pour éviter un réarmement purement allemand et satisfaire les Américains souhaitant que l’Europe participe à la défense du monde libre, on pense créer une armée européenne avec commandement supranational : d’où la querelle autour de la fameuse CED (Communauté européenne de défense) qui va marquer la vie politique en 1951. Aujourd’hui encore, on peut regretter l’absence d’une telle force.

« Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir… »2900

Boris VIAN (1920-1959), paroles et musique, Serge REGGIANI (1922-2004), co-compositeur de la musique, Le Déserteur (1954), chanson

Écrite à la fin de la guerre d’Indochine, chantée par Mouloudji le jour de la prise de Diên Biên Phû : « Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir / Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens. »

Chanson interdite. Reprise en 1955, dans une version un peu édulcorée : « Messieurs, qu’on nomme grands… » Mais c’est le temps de la guerre d’Algérie : la chanson sera censurée dix ans pour « insulte faite aux anciens combattants ».

Elle connaît une diffusion limitée et parallèle : sifflée par les soldats du contingent, qui s’embarquent à Marseille, avant de devenir un protest song bilingue, puis un succès de la scène et du disque, reprise par Serge Reggiani et d’autres : « Il faut que je vous dise / Ma décision est prise / Je m’en vais déserter. »

Cinquième République (depuis 1958)

1/ Cinquième République sous de Gaulle

« Il faut que la défense de la France soit française […] Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. »2938

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au Centre des hautes études militaires, 3 novembre 1959. Discours et messages : avec le renouveau, mai 1958-juillet 1962 (1970), Charles de Gaulle

Président, c’est aussi un militaire qui parle. Pendant sa guerre de Résistance, il a dû se battre pour être reconnu du grand allié américain. Un peu plus tard, face aux USA, il affirmera : « Il est intolérable à un grand État que son destin soit laissé aux décisions et à l’action d’un autre État quelque amical qu’il puisse être. »

La force de frappe atomique française, clé de voûte du système de défense, combattue du vivant du général de Gaulle, populaire dans l’opinion, sera développée par tous ses successeurs. Au XXIe siècle, hors tout contexte de guerre froide, la force de dissuasion nationale n’est pas vraiment remise en question.

« L’armée française, que deviendrait-elle, sinon un ramas anarchique et dérisoire de féodalités militaires, s’il arrivait que des éléments mettent des conditions à leur loyalisme ? […] Aucun soldat ne doit, sous peine de faute grave, s’associer à aucun moment, même passivement, à l’insurrection. »2990

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée du président, 29 janvier 1960. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Guerre d’Algérie. Le général, en tenue de général, en appelle à la discipline des soldats et sauve la situation par ce discours. Selon Raymond Aron (Preuves, mars 1960) : « Durant ces cinq jours, rien n’existait plus, ni le régime, ni la Constitution, ni moins encore le gouvernement, hésitant et divisé : il ne restait plus rien qu’un homme, et un homme seul. » La semaine des Barricades aura des suites importantes : gouvernement remanié, affaires algériennes prises encore plus directement en main par l’Élysée.

De Gaulle se rend sur place début mars pour reprendre contact avec l’armée – c’est la « tournée des popotes » où les déclarations restent officieuses et contradictoires. Il parlera publiquement de République algérienne le 4 novembre prochain.

« Pendant la guerre d’Algérie, Zola deviendrait légion, et quotidien J’accuse. »2994

Georges DUBY (1919-1996), Histoire de la France (1987)

Allusion au combat de Zola dans l’affaire Dreyfus et à son célèbre article dans L’Aurore du 13 janvier 1898. Nombre d’intellectuels de gauche se sont politiquement engagés dans l’affaire algérienne. Exemple : le « Manifeste des 121 », signé par des professeurs et des écrivains, des artistes et des comédiens, publié le 6 septembre 1960, dénonçant la torture en Algérie et réclamant le « droit à l’insoumission ». C’est une façon de soutenir le réseau Jeanson, démantelé au début de l’année, dont le procès commence devant le tribunal des forces armées.

« L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut, comme elle veut. »2998

Slogan de la nouvelle « Organisation Armée secrète ». L’OAS et la fin de la guerre d’Algérie (1985), M’Hamed Yousfi

Premiers tracts lancés début février 1961. L’armée fait son métier en Algérie, avec 400 000 hommes qui se battent sur le terrain. La pacification progresse (excepté dans les Aurès), mais le terrorisme fait rage et le FLN multiplie les attentats.

Les Européens d’Algérie vivent aussi dans la terreur de la négociation qui conduira inévitablement à l’indépendance. L’OAS, choisissant la politique du désespoir, recourt également aux attentats. Ainsi, le maire d’Évian, Camille Blanc, tué par une charge de plastic le 31 mars, assassiné uniquement parce que sa ville est choisie pour accueillir les négociations. Cela n’infléchit en rien la politique du président.

« La guerre ne s’est pas terminée dans de bonnes conditions, mais c’étaient les seules conditions possibles. »3007

Paul REYNAUD (1878-1966), fin avril 1962. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

À l’occasion du déjeuner de la presse anglo-saxonne dont il est l’hôte d’honneur. Le 8 avril, plus de 90 % des Français ont approuvé par référendum les accords d’Évian du 18 mars. Juridiquement, la guerre est finie et le 3 juillet, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie. Mais politiquement, bien des drames vont encore se jouer. Certains jours de printemps, à Alger, à Oran, les attentats font plus de cent morts.

L’exode vers la métropole sera plus massif que prévu et dans des conditions plus pénibles : on attendait 350 000 rapatriés en cinq ans, ils seront 700 000 en quatre mois.

« En moins d’une semaine, dans un printemps sans histoire, une tempête fait lever sur Paris les pavés de l’émeute, les mousquetons du pouvoir et les idées de tout le monde. Une partie de la jeunesse française a déclaré sa guerre. Elle l’a déclarée à tous, faute de savoir à qui. »3048

L’Express, 13 mai 1968

Mai 68. Premier résumé des événements… et première question existentielle – dont personne ne pourra vraiment donner la réponse, malgré les flots de commentaires écrits, parlés, pensés à l’infini. Le happening continuera, dans le génie de l’improvisation.

Faites l’amour, pas la guerre.2952

Slogan de Mai 68

Les sociologues ont commenté à l’infini ces mots qui restent dans la mémoire collective, bien au-delà de la génération spontanée qui les créa, entre barricades bon enfant, manifs en chaîne et grèves de la joie.

La fête finie, les exégèses commenceront. Une chose est sûre : tout le monde a eu droit à l’expression, presque tout le monde en a profité. Le meilleur a côtoyé le pire, éclairs de génie poétique et discours soporifiques. Foire aux idées, fraternité universelle, démocratie directe, société sans classe, spectacle permanent, happening. Était-ce si neuf ? En février 1848, Tocqueville, grand témoin de son temps, écrit à propos de la brève révolution d’alors : « J’avais sans cesse l’impression qu’ils étaient en train de représenter la Révolution française bien plutôt que de la continuer. » Et Proudhon : « La nation française est une nation de comédiens. »

2/ Cinquième République après de Gaulle

« Qu’appelez-vous pouvoir ? Un logement dans un palais ? Le grand cordon de la Légion d’honneur ? Le droit de grâce régalien ? La curiosité des foules ? La maîtrise des décrets ? Les hommes qui se courbent ? Les hommes qui se couchent ? La télévision à la botte ? La chasse au lièvre, au tigre, au pauvre ? […] Le doigt sur le bouton de la guerre atomique ? Un Président qui règne, qui gouverne, qui juge, qui légifère, qui commente lui-même les nouvelles qu’il inspire, monarque souverain d’un pouvoir absolu ? J’ai prononcé le mot qu’il fallait taire, l’absolu. »3102

François MITTERRAND (1916-1996), Ici et maintenant (1980)

Trois ans après la rupture de l’Union de la gauche, dans la perspective d’une troisième élection présidentielle (ayant perdu contre de Gaulle en 1965 et contre Giscard en 1974), Mitterrand fournit ses clés pour (se) comprendre, savoir où il en est et où il veut aller. « Je fais partie, dit-il, du paysage de la France. » Il n’a pas l’intention d’en sortir. Un an plus tard, il aura ce pouvoir « absolu », lui imprimant une marque personnelle qui l’oppose au giscardisme plus qu’au gaullisme.

Remarquons au passage le style Mitterrand, dernier de nos présidents appartenant à cette tradition littéraire.

« La guerre des Républiques est terminée. »3113

Jacques CHABAN-DELMAS (1915-2000), présentant son gouvernement le 23 juin 1969. La Guerre de succession (1969), Roger-Gérard Schwartzenberg

L’UDR soutient ce « baron » du gaullisme qui fut en même temps un des piliers de la Quatrième République. On lui passe même quelques gestes d’ouverture en direction d’anciens adversaires du Général.

Mais « la guerre » n’est pas finie, entre les partis ! Et les tentatives de séduction du très séduisant Premier ministre vont échouer. Les centristes d’opposition continueront de dénoncer la dictature de l’« État UDR », tandis que la gauche socialiste et communiste fourbit les armes de l’union qui fera un jour sa force.

« Les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est. »3241

François MITTERRAND (1916-1996), 20 janvier 1983 au Bundestag à Bonn (RFA). La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal

En pleine guerre froide (1945-1990), conscient du déséquilibre des forces en Europe et de la supériorité de l’URSS, le président français tient à rappeler cette vérité.

Depuis les années 1970, les Soviétiques installent dans les pays satellites d’Europe centrale des missiles nucléaires à moyenne portée (les SS-20), pointés sur les centres stratégiques de l’Europe occidentale. Pour répliquer à cette menace, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN proposent d’installer en Allemagne fédérale des missiles d’une puissance égale (les Pershing), orientés vers l’URSS et l’Europe communiste. Mais les mouvements pacifistes et gauchistes se mobilisent contre le projet américain, avec le slogan : « Plutôt rouges [communistes] que morts ! » Les jeunes Allemands sont les plus nombreux à manifester contre le parapluie américain et pour le désarmement.

Devant les députés allemands, Mitterrand se montre ferme et son intervention est un soutien inespéré à l’OTAN. Il aidera au retournement de l’opinion publique occidentale. Dans les manifestations à venir, « Faites l’amour et pas la guerre » est contré par un nouveau slogan : « Il vaut mieux un Pershing dans son jardin qu’un Russe dans son lit ». Les Soviétiques vont finalement reculer et démanteler leurs SS-20. La guerre froide est bien finie. En attendant la grande détente, une nouvelle entente se dessine, à la fin des années 1980.

« La logique de la guerre risque de nous éloigner chaque jour des objectifs fixés par les Nations unies. »3290

Jean-Pierre CHEVÈNEMENT (né en 1939), ministre de la Défense, lettre de démission, 16 janvier 1991. La Diagonale du Golfe (1991), Serge July

Ce même jour et conformément à diverses résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (août 1990), l’Assemblée nationale et le Sénat approuvent la déclaration du Premier ministre Michel Rocard prévoyant le recours à la force pour libérer le Koweït, annexé par l’Irak de Saddam Hussein. Le 17 janvier, l’aviation française participe aux premiers bombardements.

« Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. » Chevènement démissionne donc le 29 janvier, remplacé par Pierre Joxe. Sa démission vaut ici protestation contre l’engagement de l’armée française dans la guerre en Irak. En 1983, ministre de la Recherche et de l’Industrie, sa première démission valait protestation contre la « parenthèse libérale » du gouvernement de Pierre Mauroy. Jamais deux sans trois : 29 août 2000, à propos de la « guerre » en Corse et de la violence des nationalistes que le gouvernement Jospin renonce à désarmer, Chevènement étant alors ministre de l’Intérieur.

« Ce que l’on expérimente au Proche-Orient, ce ne sont pas simplement de nouveaux types d’armes, de nouveaux médias, mais une nouvelle forme de guerre. »3291

Serge JULY (né en 1942), Libération, 21 janvier 1991

C’est la « guerre du Golfe » (août 1990-février 1991). La France, en la personne du président Mitterrand, y va sans entrain, mais elle suit les États-Unis : par solidarité avec son puissant allié historique et par crainte de voir l’Irak contrôler le pétrole arabe du Golfe, dictant alors ses prix à l’Occident.
Est-ce pour faire accepter cette guerre à l’opinion publique que naît le concept moderne de « guerre propre », associé à celui de « guerre éclair » ? Pari réussi ! Le téléspectateur-citoyen, fasciné durant quelques jours, surtout le soir, assiste en temps réel à l’action titrée « Tempête du désert ». Il vit l’Histoire en direct, une forme de téléréalité totalement scénarisée, avec des moyens audiovisuels parfaitement maîtrisés par CNN (Cable News Network), seule chaîne occidentale autorisée à rester à Bagdad et diffusant en continu, 24 heures sur 24 – comme la radio, mais avec des images.

Comme tout se passe en direct, il se croit parfaitement informé. Des experts défilent pour lui expliquer cette guerre d’un genre nouveau, il y a même des journalistes en battle-dress ! Il apprend le mot SCUD – missile balistique de fabrication russe, dont l’Irak use contre Israël à partir du 18 janvier – et assiste aux ripostes ciblées des Alliés contre les zones sensibles de l’ennemi, avec des missiles sol-air Patriot.

Les images nocturnes des tirs de DCA feront le tour du monde et la fortune de CNN – chaîne bientôt critiquée, mais partout imitée pour ce concept d’information continue. Le 28 février, le président américain George Bush ordonne le cessez-le-feu. Mission accomplie : le Koweït est libéré, l’armée irakienne défaite.

« Certes, en annexant le Koweït et en refusant de l’évacuer, l’Irak commettait un délit qui devait être sanctionné, mais qu’un ensemble de nations s’arroge à la fois le privilège de dire le droit, de le faire respecter par une avalanche de bombes, de décider arbitrairement de poursuivre indéfiniment des sanctions imposées par la force et de juger de l’ampleur du châtiment « mérité » par l’auteur du délit, voilà qui traduit une conception excessive de ce soi-disant droit d’ingérence. »3292

Pierre-Marie GALLOIS (1911-2010), Le Sang du pétrole : guerres d’Irak 1990-2003 (2003)

Le général Gallois (théoricien de la dissuasion nucléaire chère à de Gaulle) résume d’une phrase l’opération militaire de la guerre du Golfe, et le problème qu’elle pose. Reste la grande question : faut-il ou pas intervenir, et quand, et comment ?

Droit ou devoir d’ingérence, cette terminologie franco-française utilisée dans la période interventionniste des années 1990 est vue avec méfiance sur la scène internationale. Il existe naturellement un devoir d’ingérence pour motifs humanitaires ou sécuritaires, à quoi s’ajoutent souvent des raisons économiques et géopolitiques. Mais tout en défendant le droit d’assistance à la tribune de l’ONU, le président Mitterrand a justement répondu à Bernard Kouchner (secrétaire d’État, chargé de l’action humanitaire) : « Le droit d’ingérence n’existe pas. »

La pratique existe depuis des millénaires ! C’est un droit d’assistance humanitaire, c’est-à-dire de libre accès aux victimes d’un conflit armé pour leur porter secours. L’assistance suppose le consentement et s’oppose à l’ingérence par la force, violant la souveraineté d’un État, ce que rien n’autorise.

Dans la guerre du Golfe de 2003, le successeur de Mitterrand, Chirac, et son ministre des Affaires étrangères, Villepin, se désolidariseront des États-Unis et leurs alliés.

« Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera. Mesdames et messieurs, le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre n’est pas seulement le passé, elle peut être notre avenir ; et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les garants de notre paix, de notre sécurité et de notre avenir. »3311

François MITTERRAND (1916-1996), Discours prononcé devant le Parlement européen, 17 janvier 1995

L’un des derniers messages de Mitterrand l’Européen, au bout de quelque soixante ans de vie politique. Il a connu la montée des périls dans les années 1930, il a vécu la guerre et la « guerre froide ». Et il met ses dernières forces dans ce plaidoyer pour un monde de paix.

Quels que soient les reproches faits à la construction européenne, qui se renouvellent, s’accumulent et se contredisent en fonction de la conjoncture économique et politique, des convictions plus ou moins partisanes et des incertitudes sur la forme et le devenir de l’Europe, il ne faut jamais oublier d’où vient l’Europe, son histoire tragique et les siècles de guerres fratricides, entre ses peuples voisins. Cet édito en est le reflet.

« Comme 1914 a marqué l’entrée dans le XXe  siècle, le 11 septembre 2001 marque l’entrée dans le XXIe  siècle. »3363

Jean-François DENIAU (1928-2007), ex-ministre des Affaires étrangères et ambassadeur, Les Échos, 22 octobre 2001

Le 11 septembre, quatre avions-suicides s’écrasent sur le World Trade Center à New York, sur le Pentagone à Washington et en Pennsylvanie. Les images, retransmises en direct devant des centaines de millions de téléspectateurs, repassent en boucle pendant des semaines. L’effondrement des Twin Towers, tours jumelles au cœur de la City, rappelle les pires films-catastrophes. Au total, 2 977 victimes et 19 terroristes.

Le soir même, le président Chirac s’exprime sur TF1 : « C’est avec une immense émotion que la France vient d’apprendre ces attentats monstrueux – il n’y a pas d’autre mot – qui viennent de frapper les États-Unis d’Amérique… J’assure naturellement le président George Bush de mon soutien total. La France, vous le savez, a toujours condamné et condamne sans réserve le terrorisme, et considère qu’il faut lutter contre le terrorisme par tous les moyens. »

Le lendemain, Vladimir Poutine, président de la fédération de Russie, réagit de même et c’est cela qui est remarquable : « Les États-Unis ont aujourd’hui fait face à une agression sans précédent de la part du terrorisme international […] Il s’agit d’un défi effronté à l’humanité entière, du moins à l’humanité civilisée. Et ce qui s’est passé aujourd’hui est une preuve supplémentaire de la pertinence de la proposition russe de mettre en commun les efforts de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme, ce fléau du XXIe siècle. »

« Dieu Tout-Puissant a frappé les États-Unis en leur point le plus vulnérable. Il a détruit leurs plus grands bâtiments. Louange à Dieu. Les États-Unis sont remplis de terreur du nord au sud et de l’est à l’ouest. Louange à Dieu. Il a permis à un groupe de musulmans à l’avant-garde de l’Islam de détruire les États-Unis. Je lui demande de leur accorder le paradis. »3364

Oussama BEN LADEN (1957-2011), 7 octobre 2001

À travers plusieurs vidéos et d’autres documents authentifiés, Ben Laden revendique son rôle dans ces attentats et se réjouit du résultat.

Voilà le terrorisme placé au centre de la géopolitique internationale. Deux guerres vont suivre. D’abord en Afghanistan, pour traquer Ben Laden et son réseau Al-Qaïda. La France s’engage aux côtés des Américains, le 7 octobre 2001 – mais elle ne les suivra pas dans la nouvelle guerre du Golfe, ou guerre d’Irak, en 2003.

Au terme d’une cavale de dix ans, Ben Laden sera finalement retrouvé dans une luxueuse résidence au Pakistan et tué par les forces spéciales de l’US Navy, le 2 mai 2011, à une heure du matin.

« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs et qui pourtant n’a jamais cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »3378

Dominique de VILLEPIN (né en 1953), Discours au Conseil de Sécurité à l’ONU, 14 février 2003. La Chute de Bagdad : chronique d’une guerre controversée (2003), Alain Fillion

Paradoxe de cette citation : tout le monde se rappelle la situation, beaucoup approuvent ce beau et juste discours, mais personne ne peut retenir une phrase aussi alambiquée. En bref, la France refuse la guerre d’Irak et se désolidarise des États-Unis. Plus précisément, pour intervenir militairement contre Saddam Hussein suspecté de développer des « armes de destruction massive », mais président d’un État souverain, il faut l’accord du Conseil de sécurité et la France mettra son veto.

Le ministre des Affaires étrangères est ovationné par une majorité des pays membres de l’ONU, non représentés au Conseil : ce sont les « applaudissements du monde », selon le commentateur de la NBC (National Broadcasting Corporation). Jacques Chirac, s’opposant ainsi à Georges W. Bush, acquiert une notoriété internationale, forme un « front commun » avec l’Allemagne et la Russie, contre l’invasion de l’Irak et satisfait l’opinion publique française. Mais les relations de la France avec les États-Unis deviennent détestables. Elles ne commenceront à se normaliser qu’à la commémoration du débarquement en Normandie, quinze mois plus tard.

« Ce qui s’est fait sous le nom d’Union européenne ne ressemble à rien de connu jusqu’ici. Sans cohésion politique ni identité commune, c’est essentiellement un espace de paix régi par le droit. Il faut rappeler inlassablement que la paix n’est ni fatale ni même naturelle en Europe. Ce « machin » à 25 nations qui rend toute guerre impossible entre elles est historiquement déjà miraculeux. »2968

Michel ROCARD (1930-2016), point de vue sur l’Europe, paru dans Le Monde du 28 novembre 2003

Rocard le socialiste est un européen convaincu et toujours militant pour dire notre « besoin d’Europe », avec des arguments comparables à ceux du centriste François Bayrou.

Bien au-delà de l’intérêt économique qu’on peut éternellement discuter, surtout dans la situation de crise qui frappe régulièrement les pays européens depuis 2008, l’argument de la paix demeure indiscutable et doit être sans cesse mis en avant pour les nouvelles générations qui n’ont pas connu la guerre. Le prix Nobel de la paix attribué à cette Union européenne le 12 octobre 2012 viendra consacrer cette évidence.

Le « machin » fait allusion à l’expression du général de Gaulle pour qualifier l’ONU, et non l’Europe.

« La fin de Kadhafi est un grand jour pour le peuple libyen et tous ses amis dans le monde. Elle sonne la fin d’un calvaire long de 42 ans, suivis de six mois d’une guerre de libération terriblement coûteuse en drames et en vies humaines. La nuit libyenne est finie. »3462

Bernard-Henri LÉVY (né en 1948), texte « En ligne ! », 20 octobre 2011

Épilogue de la « guerre » en Libye, ou plus exactement moralité tirée par le philosophe qui a servi de conseiller au président Sarkozy, lequel a donc gagné son pari.

« Les libérateurs de Benghazi, les défenseurs de Misrata, les rebelles du Djebel Nafoussa, les vainqueurs de Tripoli et de Syrte, peuvent enfin déposer les armes et reconstruire leur pays pillé et dévasté par le tyran déchu et sa clique […] Il appartient maintenant aux Libyens eux-mêmes de déterminer souverainement leur avenir démocratique. Ils ont mené un combat le plus souvent exemplaire. Puissent-ils être fidèles à l’esprit qui les a portés tout au long de cette insurrection de la liberté. »

Cela dit, le problème demeure. Ce genre d’intervention laisse le pays dans un chaos tel que tout reste à faire – comme en Irak, après la guerre voulue en 2003 par les États-Unis contre Saddam Hussein. Un dictateur impose l’ordre, c’est l’équilibre de la terreur. Après lui, toutes les forces se réveillent, y compris les plus extrêmes. Populaire ne signifie pas démocratique. Et sans séparation des pouvoirs, sans humanisme, il ne peut y avoir démocratie.

Le Printemps arabe, c’est le printemps des peuples et c’est aux peuples d’en décider. L’Histoire écrira la suite.

« Les guerres de religion ne sont jamais finies. Elles ne demandent qu’à se rallumer. Chaque fois qu’un pays va mal… »3479

François BAYROU (né en 1951), Discours au Zénith de Paris, 25 mars 2012

Accusé au pire de récupération, au minimum d’instrumentalisation, à moins que ce ne soit une prémonition… De toute manière, presque chaque citation de Bayrou se révèle juste à plus ou moins long terme. N’est-il pas le premier des candidats en lice à avoir prévu la crise de la dette et son ampleur ?

« Il est une montée des périls dans la société française. Montée de l’intolérance, montée des violences, montée des trafics de toute nature. Au cœur de la société française, particulièrement dans sa partie la plus fragile, sur les questions de religion, sur les questions d’origine, sur la couleur de la peau, les tensions montent. Les guerres de Religion ne sont jamais finies. Elles ne demandent qu’à se rallumer. Chaque fois qu’un pays va mal, les tensions montent au sein de ce pays et au sein de son peuple. Quand les gens ne vont pas bien, ils se mettent à regarder la différence d’un regard soupçonneux. Il faut plus de courage pour résister à ces passions que pour y succomber. Au XVIe siècle, dans les guerres de religion, il y avait les ligueurs d’un côté, du côté de l’affrontement, et Henri de Navarre de l’autre qui plaidait pour qu’on vive ensemble. Vous connaissez mon choix, mon choix d’homme, et mon choix de président : je suis et je serai du côté d’Henri IV, de celui qui force la réconciliation, la tolérance, la compréhension réciproque. » Ainsi, l’extrême centre répond à l’extrême droite. Et l’on ne parle plus de Mohamed Merah, le terroriste qui se vantait d’avoir « mis la France à genoux ». Tous les attentats ont d’ailleurs pour effet de recréer une forme d’« union sacrée » contre le ou les coupables.

« Dans la tourmente, l’Europe reçoit le prix Nobel de la paix. »3494

Le Monde, dépêche AFP, 10 décembre 2012

L’Union européenne des 27 pays, représentée à Oslo par une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement, dont le couple vedette franco-allemand, Hollande et Merkel, a été couronnée deux mois plus tôt par le Nobel de la paix pour son rôle dans la transformation « d’un continent de guerre en continent de paix ».

Selon la presse internationale, cette récompense intervient alors que l’UE affiche un « état d’effritement évident ».

David Cameron, pour ne pas heurter les conservateurs eurosceptiques favorables à une sortie de l’Union, a envoyé son vice-premier ministre représenter la Grande-Bretagne. Le président de la République tchèque, Vaclav Klaus, connu pour son hostilité personnelle à une Europe intégrée pourtant voulue par son peuple, qualifie la décision du comité Nobel de « farce tragique ». En Grèce, premier pays touché par la crise, les journaux rappellent l’amertume d’une population condamnée à une politique d’austérité sans précédent, favorisant l’extrémisme, l’insécurité et la peur. Des agences de presse et des sites internationaux voient dans ce prix une trahison du testament d’Alfred Nobel et regrettent qu’il n’ait pas récompensé Robert Schuman, père et prophète du projet pacifique pour le continent, il y a soixante ans.

Le président du Comité Nobel norvégien remet le prix et répond aux critiques et aux sceptiques en europhile convaincu, quoique conscient de la crise : « Nous ne sommes par rassemblés ici aujourd’hui avec la conviction que l’UE est parfaite. Nous sommes rassemblés avec la conviction que l’on doit résoudre nos problèmes ensemble. » La chancelière Angela Merkel réagit dans le même esprit, par la voix de son porte-parole : « Nous y voyons un encouragement au grand projet pacificateur qu’a représenté l’Union européenne pour le continent européen. »

En France, le personnel politique est partagé : majoritairement pro-européen, hormis aux extrêmes, gauche et droite. Sur ce grand dossier européen, chantier à suivre pour les générations à venir, divers témoignages se réfèrent à l’histoire et vaudront un jour citations - pour la plupart datées du jour où le prix fut annoncé.

« L’UE est l’ensemble régional le plus intégré du monde, et c’est aussi celui où ont eu lieu les conflits les plus sanglants. Les deux guerres mondiales ont été en réalité des guerres européennes, même si elles ont aussi enflammé la planète. »3495

Pierre MOSCOVICI (né en 1957), ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Ayrault, ex-ministre délégué chargé des Affaires européennes du gouvernement Jospin, ex-député européen, AFP, 12 octobre 2012 (jour de la proclamation du prix)

De Tokyo, où il participe à l’assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale, le ministre a salué l’attribution du Nobel de la paix à l’Union européenne comme « la récompense d’un processus historique unique. » Il souligne le chemin parcouru depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, évoquant « une Europe unie, vivant en paix et avec des institutions solides. » Ces progrès ont été accomplis « d’abord par la réconciliation franco-allemande, qui est aujourd’hui une évidence et le moteur de l’Europe. » Ils ont ensuite été permis « par les élargissements successifs qui ont fait que l’Europe se réunifie après la chute du mur de Berlin. » Pour conclure de manière positive : « S’il s’agissait de saluer cette œuvre historique, de la donner non comme un modèle, mais comme un exemple de ce que la volonté politique peut permettre en termes de dépassement des conflits, alors, cette récompense est bienvenue. »

« D’habitude, les rassemblements entre peuples ou entre pays sont le résultat de la guerre et en tout cas de la domination des plus puissants sur les plus faibles. C’est la première fois dans l’histoire que des peuples se rapprochent librement, et le font dans une perspective de paix. »3496

François BAYROU (né en 1951), président du MoDem, ex-député européen, ex-conseiller du président du Parlement européen, AFP, 12 octobre 2012 (jour de la proclamation du prix)

Même raisonnement que Moscovici, même réaction immédiate, même mise en perspective historique. La construction européenne reste un thème politique majeur de sa politique - Bayrou le centriste n’a jamais changé de langage.

Il salue donc « l’entreprise historique la plus pacifique de tous les temps […] En cela, le comité Nobel ne pouvait pas choisir plus justement. » Il convient de contrer les discours eurosceptiques ou critiques : « Parce qu’on a le nez sur l’événement et qu’on vit davantage les difficultés quotidiennes que la dimension historique, on perd de vue ce que cette œuvre a d’unique dans l’histoire des hommes […] Car l’UE - et c’est sans précédent - n’a développé aucune volonté de domination sur aucun autre peuple ou région. Son seul but est de défendre la liberté de ceux qui la forment et leurs valeurs. » D’où la conclusion : « Si une œuvre politique et historique méritait d’être distinguée, c’est bien celle qu’ont voulue après la guerre les Schumann, Monnet, Adenauer, de Gasperi […] Ils ont été des précurseurs et des fondateurs d’une démarche de paix grâce à laquelle le monde est meilleur. » Quant à la proclamation de ce prix alors que l’Union est dans la tourmente : « C’est peut-être quand les choses vont mal qu’on mesure à quel point elles sont précieuses. »

Jean-Louis Borloo, président de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), nouveau parti de centre droit, fait chorus : « Le reste du monde nous rappelle que l’Europe est le plus grand projet politique de paix, de liberté et de démocratie. Nous devons être fiers de ce que ce modèle unique au monde a accompli en si peu de temps. Le reste du monde nous dit aussi : Souvenez-vous d’où vous venez, de ce que vous êtes et où vous voulez aller. »

Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, s’inscrit également dans une perspective historique, à la fois indiscutable et nécessaire : « La paix est l’acquis majeur de la construction européenne, car pour la première fois de l’histoire, depuis plus de 50 ans, l’Europe n’a pas connu la guerre. »

ET DIX ANS APRÈS… L’ACTUALITÉ DE LA GUERRE en Europe et au Moyen-Orient

La guerre en Ukraine stupéfie le monde en 2022 et relance l’adage « Si vis pacem, para bellum », faisant 6 millions de réfugiés ukrainiens en Europe (fin 2023). Le conflit israélo-palestinien s’invite à son tour à la une des médias du monde entier, avec la résurgence de l’antisémitisme toujours latent en France.

« J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale de démilitarisation et de dénazification de l’Ukraine pour que, libérés de cette oppression, les Ukrainiens puissent librement choisir leur avenir. »1

Vladimir POUTINE (né en 1952), Président de la fédération de Russie, ex-officier du KGB, service de renseignement de l’URSS qu’il veut reconstituer

24 février 2022 : invasion de l’Ukraine considérée comme la plus importante opération militaire qu’ait connue l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, officiellement appelée « opération militaire spéciale ». Toute opposition en Russie est passible de prison, ou pire.

« Qui est prêt à combattre avec nous ? Je ne vois personne. Qui est prêt à donner à l’Ukraine la garantie d’une adhésion à l’OTAN ? Tout le monde a peur. »

Volodymyr ZELENSKY (né en 1978), Président de l’Ukraine, ex-producteur, réalisateur, acteur reconverti à 41 ans dans la politique et devenu chef de guerre en battle-dress sur la scène mondiale

La résistance de ce petit pays étonne, le charismatique Zélensky est présent sur tous les fronts (médiatiques, diplomatiques, militaires) et sa popularité personnelle dépasse 90% au début de la guerre. Il peine ensuite à relever le formidable défi.

« Le président Vladimir Poutine continue d’appeler à de nouveaux plans de paix alors que ses troupes traversent la campagne ukrainienne et il ignore absolument tous les accords que son pays a signés dans le passé et qu’il a signés récemment. »

Joe BIDEN (né en 1942), Président des États-Unis

Plus ou moins obligé de rejouer les arbitres sur la scène mondiale, ce vieux routier de la politique et du parti démocrate revit une forme de guerre froide comme au temps de l’URSS, la perspective des prochaines élections  compliquant ce jeu dangereux.

La géopolitique se complique elle aussi avec les attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023 - cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973 qui prit Israël par surprise en plein Kippour (jour du Grand Pardon juif), entraînant la mort de 2 600 Israéliens et faisant au moins 9 500 morts et disparus côté arabe en trois semaines de combat. L’Histoire se répète, dans la même logique de guerre.

« L’arme est notre seule réponse face au régime sioniste. Avec le temps nous avons compris que nous atteindrons nos objectifs seulement en nous battant et en menant une résistance armée, et qu’aucun compromis ne doit être fait avec l’ennemi. »

Ismaël HANIYEH (né en 1963), homme d’État palestinien, membre et chef de file du Hamas, mouvement islamiste supplantant l’OLP et classé terroriste par certains États

« C’est une génération qui n’a pas peur. C’est la génération des missiles, des tunnels et des attentats-suicides » dit-il. Tous les messages du Hamas ont cette violence, avec le refus absolu d’une solution à deux États : « Nous allons supprimer la frontière [avec Israël] et arracher leur cœur de leur corps. » Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza.

« Il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre… et nous la gagnerons. »

Benjamin NETANYAHU (né en 1949), Premier ministre d’Israël

Qualifiant Gaza de « cité du Mal », il promet de venger « une journée noire », l’armée utilisant « toute sa puissance » pour « détruire » le Hamas. C’est la politique d’Israël depuis le début de la guerre israélo-arabe de 1973, c’est aussi une question de vie ou de mort politique pour ce chef d’État ultraconservateur, très compromis et contesté dans son pays (démocratique).

« Cette guerre est différente des précédentes. »

Majed KAYALI, journaliste palestinien

C’est plus ou moins la loi de toute guerre et celle-ci s’inscrit dans la suite logique du conflit israélo-palestinien.

Les attaques du 7 octobre 2023 peuvent s’expliquer par des motivations propres au Hamas, mais aussi par l’attitude du gouvernement israélien vis-à-vis des Palestiniens et la colonisation agressive en Cisjordanie. Ce point de vue engagé se garde pourtant de commenter les actes terroristes perpétrés contre la population civile israélienne.

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