« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. »
Carl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général prussien, stratège et théoricien, De la Guerre (1832)
« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »
André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)
Les hommes se font la guerre depuis la préhistoire et les guerres antiques sont aussi historiques que légendaires.
L’histoire de la France à venir commence avec la guerre des Gaules et l’occupation du territoire par les Romains. Après les guerres féodales du Moyen Âge et la guerre de Cent Ans, la Renaissance lance les guerres de conquête en Italie, suivies des guerres (civiles) de Religion : le XVIe siècle totalise 85 années de guerre ! La Fronde est une vraie guerre civile de cinq ans. La monarchie absolue de Louis XIV multiplie les guerres de conquête. Le siècle des Lumières est le moins guerrier, mais la Révolution déclare la guerre à toutes les monarchies européennes et Napoléon enchaîne, multipliant les guerres de conquête jusqu’en Russie. Au XIXe, la guerre franco-prussienne met fin au Second Empire. La IIIe République sort victorieuse de la Première guerre mondiale, définit les lois de la guerre… et s’écroule sous la Seconde, finalement gagnée par de Gaulle et les Alliés. La IVe République gère l’après-guerre, survit à la guerre d’Indochine, mais tombe avec la guerre d’Algérie. La Ve République du général de Gaulle donne l’indépendance à l’Algérie, met fin à la guerre civile et dote la France de l’arme atomique. La Guerre froide et les tensions géopolitiques entre blocs cessent après la chute du mur de Berlin, l’Union européenne reçoit le prix Nobel de la paix… Mais la guerre redevient sujet d’actualité !
24 février 2022 : guerre d’Ukraine, conflit post-soviétique avec la Russie de Poutine.
7 octobre 2023, guerre Israël-Gaza après l’attaque du Hamas, dans le cadre du conflit israélo-palestinien. C’est aussi le retour des guerres à l’ancienne : après la guerre moderne des combats à distance, « guerre propre » avec SCUDS et ripostes ciblées (guerre du Golfe en 1990-1991), on retrouve le siège destiné à affamer les populations à Gaza, les tranchées occupées par l’envahisseur en Ukraine, les combats au corps à corps et l’infanterie, essentielle à la progression des forces sur le terrain.
Directoire (1795-1799)
« Les Français, las de se gouverner, se massacrèrent ; las de se massacrer au dedans, ils subirent le joug de Bonaparte qui les fit massacrer au dehors. »1645
RIVAROL (1753-1801), Fragments et pensées politiques (s.d.)
Raccourci saisissant d’une histoire française particulièrement mouvementée, entre la Révolution et l’Empire à venir. Et pourtant, la génération suivante, celle des jeunes romantiques, en gardera la nostalgie au XIXe siècle.
« Ce Corse terroriste nommé Bonaparte, le bras droit de Barras […] qui n’a pas trente ans et nulle expérience de la guerre […] petit bamboche à cheveux éparpillés, bâtard de Mandrin. »1648
Jacques François MALLET du PAN (1749-1800). Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf
Suisse d’expression française et jadis très hostile à la Révolution française, il est le porte-parole des émigrés et l’agent secret de la cour auprès des gouvernements antirévolutionnaires. Un article sur la conduite de Bonaparte en Italie (lors de sa campagne de 1797) irrite profondément le « Corse terroriste » et force l’écrivain journaliste à s’exiler. Bonaparte, et pas plus Napoléon, ne supporte la contradiction, l’opposition.
« Napoléon vole comme l’éclair et frappe comme la foudre. Il est partout et il voit tout. Il sait qu’il est des hommes dont le pouvoir n’a d’autres bornes que leur volonté, quand la vertu des plus sublimes vertus seconde un vaste génie. »1649
La France vue de l’armée d’Italie, 1797
Journal créé par Bonaparte. Sans « conseiller de com », il a vite et bien compris l’importance de la propagande et la nécessité de se créer une légende ! C’est son deuxième journal, après le Courrier de l’armée d’Italie, largement diffusé en France pour exalter les exploits d’un jeune général encore inconnu, et avant le Journal de Bonaparte et des hommes vertueux qui pousse plus loin encore le culte du héros.
Cette propagande est financée par le butin de l’armée d’Italie pendant la campagne. Napoléon empereur aura une maîtrise parfaite de cette « communication médiatique ». Son hubris provoquera sa perte, définitive à Waterloo. Mais de 1796 à 1815, que de combats, de coalitions, de victoires – Austerlitz, 2 décembre 1805, considérée comme le chef-d’œuvre tactique de Napoléon, encore enseignée dans les écoles militaires au XXe siècle.
« Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! »1656
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à ses soldats, Toulon, 29 mars 1796. L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel
Nommé général en chef de l’armée d’Italie par le Directoire, il tient ce langage le jour même de son arrivée devant Toulon. C’est le début de la (première) campagne d’Italie : Carnot, l’« Organisateur de la victoire » sous la Révolution, devenu l’un des cinq Directeurs au pouvoir, a envoyé le général Bonaparte pour retenir en Italie une partie de l’armée autrichienne – simple opération de diversion, ce qui explique l’intendance déplorable. Et c’est le commencement d’une irrésistible ascension.
Ce général en chef de 26 ans a déjà l’art de galvaniser ses troupes – vagabonds en guenilles dont il va faire des soldats victorieux face à des armées supérieures en nombre – avec les mots dictés par les circonstances : « Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l’admiration de la France ; elle a les yeux tournés sur vos misères… »
« Soldats, vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont ; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes. […] Mais soldats vous n’avez rien fait puisque […] ni Turin, ni Milan ne sont à vous. »1657
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à l’armée d’Italie, Proclamation de Cherasco, 26 avril 1796 (7 floréal an IV). Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin
Le jeune général réussit, dans cette campagne d’Italie, à imposer son autorité sur l’armée française, 38 000 hommes mal vêtus, mal nourris, qui vont voler de victoire en victoire. Bonaparte en Italie, c’est le prélude de l’épopée napoléonienne.
Et toujours cet art oratoire, ces mots forts et vrais qui galvanisent ses hommes, parce qu’ils se sentent compris de ce chef qui partage leur sort : « Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. » Ce sont les premiers mots du premier des grands textes du genre, l’un des plus célèbres, parfaitement authentique.
Au même moment, Bonaparte envoie Murat son aide de camp porter solennellement au Directoire 21 drapeaux pris sur l’ennemi. Ce qui fait forte impression. Annonce des victoires, compte rendu des batailles, détail des proclamations, tout est communiqué à Paris par les journaux d’une propagande bien organisée.
« Peuples de l’Italie, l’armée française vient rompre vos chaînes ; le peuple français est l’ami de tous les peuples […] et nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent. »1658
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à l’armée d’Italie, Proclamation de Cherasco, 26 avril 1796 (7 floréal an IV). L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel
Derniers mots du général à ses soldats de l’armée d’Italie, de son quartier général. Mais la fin du message est destinée aux Italiens.
C’est encore le langage des révolutionnaires appelant les peuples voisins à l’indépendance et à la liberté. C’est aussi celui du nouveau héros qui se donne pour mission d’être le bienfaiteur de l’humanité, avec ces 38 000 hommes mal vêtus, mal nourris, soudain métamorphosés.
L’offensive rapide a réussi : le roi de Sardaigne doit signer avec Bonaparte l’armistice de Cherasco, le 28 avril 1796. Bonaparte, à cette occasion, prouve ses talents de négociateur.
« Je me regardai pour la première fois non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort des peuples. Je me vis dans l’histoire. »1662
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au soir de Lodi, 10 mai 1796. Le Manuscrit de Sainte-Hélène, publié pour la première fois avec des notes de Napoléon (1821), Jacob Frédéric Lullin de Châteauvieux
Première victoire décisive sur les Autrichiens : « C’est le succès qui fait les grands hommes ! » dira plus tard Napoléon Ier. À Lodi, le tacticien prend les dimensions d’un stratège. Le Petit Caporal corse, ce « bâtard de Mandrin », brocardé, utilisé par les politiques (Barras en tête), a soudain conscience de son destin.
La métamorphose a frappé ses biographes et sans doute aussi les contemporains. Six mois plus tard, la victoire de Bonaparte au pont d’Arcole est le titre et le sujet du plus célèbre tableau d’Antoine-Jean Gros, élève de David, jeune peintre inspiré par son modèle, qui affiche l’image du héros à la fois classique et romantique, étonnamment contemporain.
« Les armées victorieuses […] reculent nos limites jusqu’aux barrières que la nature nous a données. »1663
Lazare CARNOT (1753-1823), après la victoire de Lodi du 10 mai 1796. Réimpression de l’ancien Moniteur : Directoire exécutif (1863), A. Ray
Ainsi parle l’« Organisateur de la victoire » qui est encore membre du Directoire, avant d’être éliminé – puis rappelé par Bonaparte comme ministre de la Guerre en 1800.
Lodi est une date pour Bonaparte, mais aussi pour la France, dans une campagne d’Italie mémorable. Selon Denis Richet dans le Dictionnaire critique de la Révolution française, « les frontières naturelles : non une tradition politique, mais une passion dont on peut certes déceler des sources dans l’ancienne France, mais à qui seule la Révolution a donné une puissance explosive ».
Les conquêtes napoléoniennes montreront que la victoire rend malheureusement irrésistible la tentation de franchir ces limites naturelles, en débordant sur les Pays-Bas, la rive gauche du Rhin, le Piémont et la Toscane… avant d’attaquer la Russie !
« Le bon peuple milanais ne savait pas que la présence d’une armée, même libératrice, est toujours une calamité. »1667
STENDHAL (1783-1842). L’Europe et la Révolution française : Bonaparte et le Directoire, 1795-1799 (1910), Albert Sorel
Admirateur des hauts faits, des discours et des gestes de Bonaparte, l’écrivain n’en demeure pas moins critique, en tant que témoin et fin observateur de la situation.
Les Français ne furent pas que des libérateurs : indiscipline de l’armée, barbare cupidité des administrateurs militaires. L’espoir se changea en désillusion chez bien des Italiens, et des révoltes antifrançaises se manifestèrent très tôt, dans cette « République sœur ».
« Comme Carthage, l’Angleterre sera détruite. »1669
Les Directeurs, 18 janvier 1798. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Par ces mots, la France décrète le blocus de la Grande-Bretagne. Interdiction est faite aux neutres de transporter des marchandises britanniques. Le mois suivant, le Directoire soumet à Bonaparte un projet d’invasion de l’Angleterre par la Manche. Il y renoncera, préférant attaquer l’ennemi anglais par la mer, en Méditerranée.
Jean Hérold-Paqui, la voix de l’Allemagne sur les ondes de Radio-Paris pendant l’occupation allemande de 1940-1944, reprendra ce slogan.
« Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables. Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort. »1670
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation à ses troupes le 22 juin 1798, en mer, avant le débarquement du 28 juin en Égypte. Monuments d’éloquence militaire ou Collection raisonnée des proclamations de Napoléon Bonaparte (1821), Constant Taillard
Le Directoire ayant décrété le blocus de l’Angleterre, la nouvelle campagne d’Égypte est une expédition aventureuse, destinée à combattre l’ennemi en Méditerranée pour lui barrer la route des Indes. C’est aussi une manœuvre du Directoire pour éloigner le trop populaire Bonaparte, tout en utilisant son génie militaire.
Cette fois, le Directoire lui donne les moyens : 36 000 vrais soldats, 2 200 officiers d’élite, une flotte de 300 bâtiments, quelques dizaines de savants, ingénieurs, artistes de renom ou jeunes talents. Au total, 54 000 hommes (et quelques femmes).
La flotte française, partie de Toulon en mai, a pris Malte au passage, le 10 juin.
« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »1671
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation supposée, avant la bataille des Pyramides du 21 juillet 1798. Les Français en Égypte (1855), Just-Jean-Étienne Roy
Débarquement à Alexandrie, le 1er juillet : la ville tombe aux mains des Français le 2 juillet, et le 23, ils entrent dans la capitale, Le Caire.
Cette expédition est un rêve oriental qui se réalise. Le corps expéditionnaire a échappé par miracle à la flotte britannique commandée par Nelson. Pour en finir au plus vite, Bonaparte prend le chemin le plus court, entre Alexandrie et Le Caire : le désert, trois semaines de chaleur qui pouvaient être fatales aux soldats non préparés. Et près des pyramides de Gizeh, la bataille contre les mamelouks est réglée en deux heures !
Cette fois, la proclamation est un « faux », pour servir la légende, mais un faux authentique. Napoléon (devenu empereur) lit cette formule dans Une histoire de Bonaparte (anonyme, publiée en 1803), elle lui plaît et il la fait sienne.
La suite de l’expédition sera moins brillante. La flotte, surprise au mouillage dans la baie d’Aboukir, est détruite par le vice-amiral Nelson le 1er août – il perd un œil dans la bataille, mais ça ne l’empêche pas de continuer le combat. Il perdra la vie à Trafalgar (1805), et ce sera aussi une victoire contre Napoléon.
En attendant, l’Égypte n’est plus qu’un piège dont le général Bonaparte va se sortir tant bien que mal, transformant cette défaite en victoire, pressé de regagner Paris où son avenir est en jeu, débarquant à Fréjus le 8 octobre 1799, mais laissant son armée qui se rendra aux Anglais le 31 août 1801.
« Souvenez-vous que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune. »1679
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil des Anciens, 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)
Les députés des deux assemblées doivent voter la révision de la Constitution, encore faut-il convaincre le Conseil des Cinq-Cents, majoritairement contre. De crainte que le peuple parisien ne s’invite aux débats, les élus vont se réunir le lendemain au château de Saint-Cloud.
Bonaparte harangue les « Citoyens représentants ». Les Anciens ne réagissent pas, mais il est hué par les Cinq-Cents. Sa rhétorique dramatique et menaçante rappelle les grandes heures révolutionnaires – et l’époque est révolue. On crie : « À bas le dictateur ! »
Lucien Bonaparte, qui préside l’Assemblée, sauve son frère défaillant, évacué de la salle par les grenadiers. Il invoque des menaces de mort, Murat fait donner la troupe, ses hommes chargent à la baïonnette, les députés se dispersent. Le coup d’État parlementaire est devenu militaire.
Dans la nuit, on rattrape le maximum possible des élus. Les Anciens et une minorité des Cinq-Cents votent enfin la révision, et nomment un gouvernement provisoire de trois consuls, Bonaparte, Sieyès et Ducos.
Les deux Conseils (des Anciens et des Cinq-Cents) sont remplacés par deux commissions chargées de réviser la Constitution. Le « coup d’État du 18 Brumaire » a finalement réussi, le 19.
Consulat (1799-1804)
« La guerre qui depuis huit ans ravage les quatre parties du monde doit-elle être éternelle ? […] Comment les deux nations les plus éclairées de l’Europe […] ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins comme la première des gloires ? »1693
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Message du Premier Consul au roi d’Angleterre Georges III, 25 décembre 1799. Histoire de Napoléon, du Consulat et de l’Empire (1841), Louis Vivien de Saint-Martin
Lettre manuscrite - et un message dans le même esprit est adressé le même jour à l’empereur d’Autriche. Bonaparte veut-il vraiment la paix, ou le temps pour préparer la guerre ? En tout cas, l’armée doit se reposer.
« L’Angleterre ne négociera qu’avec les Bourbons restaurés. » , 4 janvier 1800, réponse Lord Grenville, chef du Foreign Office à Napoléon Bonaparte qui demandait la paix. À la même question, la réponse de l’Autriche fut aussi décevante que celle de l’Angleterre, ce qui semble logique.
« J’envie votre heureux sort ; vous allez, avec des braves, faire de belles choses. Je troquerais volontiers ma pourpre consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous vos ordres. »1699
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au général Moreau, commandant en chef de l’armée du Rhin, 16 mars 1800. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)
Le Premier Consul, très actif à Paris et préparant d’indispensables réformes, avoue au général qu’il s’ennuie quand il ne fait pas la guerre – laquelle a repris en Italie, face aux Autrichiens. C’est la suite de la deuxième coalition, alliance des puissances européennes (dont l’Angleterre) contre la France.
Deux mois plus tard, trop heureux, il part « à grands pas au secours de l’armée d’Italie pour lui donner un coup de main. »
« C’était chaud, très chaud : les os de nos grenadiers craquaient sous les balles autrichiennes comme un vitrage sous la grêle. »1704
Général LANNES (1769-1809), à Napoléon Bonaparte venu le féliciter, après la bataille de Montebello, 9 juin 1800. Dictionnaire d’histoire de France, Perrin, collectif
Commandant de la garde consulaire, Lannes a battu les Autrichiens du général Ott : 18 000 soldats contre 8 000 Français et une très vive résistance, avant de se replier, laissant 3 000 morts sur le terrain et abandonnant 5 000 prisonniers, six pièces de canon, de nombreux drapeaux. Général vainqueur, promu maréchal en 1804, Lannes deviendra duc de Montebello, en 1808.
Mais la victoire décisive, c’est quelques jours plus tard, à Marengo.
« La nouvelle de l’inconcevable victoire de Marengo vint comme un coup de foudre renverser tous nos projets. »1708
Marquis Bernard Emmanuel de PUYVERT (1755-1832). L’Avènement de Bonaparte (1910), Albert Vandal
Le marquis organise l’agitation royaliste en Provence, à la tête d’une armée de 25 000 hommes, tandis que « thermidoriens » et « brumairiens » mécontents préparent chacun de leur côté un « gouvernement de rechange » en cas de défaite de l’homme fort. La police de Fouché finira par arrêter Puyvert qui passera de longues années en prison, finalement sauvé par Louis XVIII et la Restauration.
En fait, Marengo fut « le baptême de la puissance personnelle de Napoléon », selon le mot d’Hyde de Neuville (mémorialiste « conspirateur et diplomate »).
« C’est sur le champ de bataille de Marengo, au milieu des souffrances et environné de quinze mille cadavres, que je conjure Votre Majesté d’écouter le cri de l’humanité et de ne pas permettre qu’une génération de deux braves et puissantes nations s’entr’égorge pour des intérêts qui lui sont étrangers. »1709
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre du Premier Consul à l’empereur d’Autriche, 25 décembre 1800. Histoire de l’empereur Napoléon Ier, surnommé le Grand (1867), Nicolas Batjin
Après Marengo, il souhaite transformer l’armistice en paix véritable, pour se « donner uniquement à l’administration de la France ». Face à lui, François II (neveu de Marie-Antoinette), futur empereur d’Autriche sous le nom de François Ier. Il ira de défaites militaires en humiliations diplomatiques, jusqu’à donner sa fille Marie-Louise en mariage à son ennemi, Napoléon.
« Je croyais l’empereur François un bon homme ; je me suis trompé ! C’est un imbécile, un paresseux sans cervelle et sans cœur. Il est dépourvu de tout talent. Il ignore l’affection, la sensibilité et la gratitude. En fait, les bonnes qualités lui font complètement défaut. » En attendant de le mépriser en ces termes, Bonaparte l’a gratifié d’une belle lettre, vrai plaidoyer pour la paix. Mais après une courte trêve, la guerre continue – au total, vingt-trois années, puisque le conflit remonte à la Révolution.
« Regardez maintenant cette carte [de l’Europe], on n’y aperçoit partout que la France ! »1717
Richard SHERIDAN (1751-1816). 30 mars 1814, la bataille de Paris (2004), Jean-Pierre Mir
Auteur dramatique anglais qui abandonna la scène pour la politique, devenant membre du Conseil privé et trésorier de la marine. Son exclamation devant les Communes s’oppose au mot de Burke qui, dix ans avant, adversaire résolu de la Révolution française, voyait « un vide à la place de la France sur la carte de l’Europe ».
« Il faut que, pour ce qui regarde la France, la Suisse soit française comme tous les pays qui confinent à la France. »1732
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Allocution aux cinq députés de la Suisse à Saint-Cloud, 11 décembre 1802
Cours politique et diplomatique de Napoléon Bonaparte comme général en chef des armées républicaines, comme premier Consul, et comme empereur et roi (1816), Lewis Goldsmith.
Et la Suisse devient un protectorat français.
C’est la Révolution qui a imposé l’occupation française et l’état unitaire et centralisé. Les conflits opposent régulièrement fédéralistes et centralisateurs, mais quand les troupes françaises se retirent à l’été 1802, c’est la « guerre des bâtons », révolte fédéraliste contre la République helvétique « une et indivisible ». Le gouvernement se réfugie à Lausanne.
Napoléon Bonaparte convoque une délégation helvétique, puis met de l’ordre et impose une nouvelle constitution. La Suisse accueillait des opposants et des comploteurs, ils seront désormais sous contrôle. C’est surtout l’Angleterre qui est soupçonnée d’envoyer des émissaires et accusée publiquement par Bonaparte de nuire autant à la France qu’à la Suisse.
« Vous voulez la guerre. Nous nous sommes battus pendant quinze ans. C’en est déjà trop. Mais vous voulez la guerre quinze années encore et vous m’y forcez ! […] Si vous armez, j’armerai aussi. Vous pouvez peut-être tuer la France, mais l’intimider, jamais ! »1733
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), apostrophant Lord Whitworh, ambassadeur d’Angleterre à Paris, 13 mars 1803. La France, l’Angleterre et Naples, de 1803 à 1806 (1904), Charles Auriol
La scène se passe aux Tuileries, devant deux cents témoins, le ministre des Affaires étrangères Talleyrand et le corps diplomatique pétrifiés… Bonaparte est furieux : l’Angleterre n’a pas rempli les conditions du traité de paix d’Amiens (25 mars 1802) mettant fin aux guerres de la deuxième coalition. Elle refuse notamment d’évacuer l’île de Malte.
« Cette paix [d’Amiens] n’avait pas encore reçu sa complète exécution, qu’il jetait déjà les semences de nouvelles guerres qui devaient, après avoir accablé l’Europe et la France, le conduire lui-même à sa ruine. »1734
TALLEYRAND (1754-1838), Mémoires (posthume, 1891)
Le ministre des Relations extérieures a tenté de minimiser cette déclaration peu diplomatique du 13 mars 1803, mais il se rend à l’évidence et rendra Bonaparte responsable de la suite des événements, quand sera venu le temps de témoigner face à l’histoire.
De toute manière, les Affaires étrangères relèvent du Premier Consul et Talleyrand joue le second rôle comme il peut, y trouvant des avantages financiers plus ou moins occultes. Le diable boiteux est malin.
Mais l’Angleterre, notre ennemie héréditaire depuis la guerre de Cent Ans, s’inquiète de la politique expansionniste de la France. Rappelons que Bonaparte s’est fait élire président de la République cisalpine (l’Italie), avant de transformer la Confédération helvétique en protectorat français (pour mieux contrôler les menées antifrançaises qui s’y trament).
« Je vais hasarder l’entreprise la plus difficile, mais la plus féconde en résultats effrayants que la politique ait conçue. En trois jours, un temps brumeux et des circonstances un peu favorisantes peuvent me rendre maître de Londres, du parlement, de la Banque. »1737
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au marquis de Lucchesini, 16 mai 1803. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
L’idée le hantait depuis le Directoire qui projetait cette attaque par la Manche. Le Premier Consul s’en ouvre au ministre plénipotentiaire du roi de Prusse. Quatre jours plus tard, c’est la rupture de la paix d’Amiens, annoncée aux assemblées. Il accuse l’Angleterre et dit ne se résoudre à la guerre « qu’avec la plus grande répugnance ».
« C’est un fossé qui sera franchi lorsqu’on aura l’audace de le tenter. »1739
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Cambacérès, Boulogne, 16 novembre 1803. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel
Ce fossé, c’est la Manche qui sépare la France des côtes d’Angleterre, visibles des hauteurs d’Ambleteuse (département du Pas-de-Calais). Et c’est une idée récurrente, sinon une obsession. Le 19 avril 1801, il écrivait à Talleyrand : « L’espace qui sépare la Grande-Bretagne du continent n’est point infranchissable. »
« Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil. »1751
NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire générale du IVe siècle à nos jours, volume IX (1897), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud
En exil, l’empereur déchu imagine-t-il l’avenir de ce monument juridique, voulu par lui et mené à terme grâce à la stabilité politique revenue en fin de Consulat ?
Premier Empire (1804-1814)
« L’armée, c’est la nation. »1762
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Premier Consul, au Conseil d’État, 4 mai 1802. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert
Cette citation s’explique parfaitement. Bonaparte est d’abord un militaire, avant de se révéler homme d’État. Et l’atout numéro un de Napoléon sera toujours son armée, ses généraux et tous ses soldats.
Entré à l’école militaire de Brienne à 9 ans (comme boursier), quand la Révolution commence, il a 19 ans et le grade de lieutenant d’artillerie (son arme préférée).
Dès que la France entre en guerre (1792), il se révèle à la fois stratège et chef surdoué, promu chef de brigade à 24 ans « à cause du zèle et de l’intelligence dont il a fait preuve » au siège de Toulon (1793), reprenant la ville qui s’était livrée aux Anglais. Il est fait caporal à Lodi (1796), gardant ce surnom de Petit Caporal parmi les soldats. Ses campagnes d’Italie et d’Égypte apportent la gloire au jeune général sous le Directoire. Le Premier Consul combat avec passion à la tête de ses hommes.
Et l’Empire sera placé sous le signe des guerres qui s’enchaînent inéluctablement, des plus éclatantes victoires aux plus dramatiques défaites, entre légende dorée et légende noire de Napoléon toujours combattant. Intrépide, il s’affiche au premier rang, passe les ponts dans les bataillons de pointe. Le cheval mourut sous lui à plusieurs reprises, il reçut des balles dans la botte ou le pied : « Un homme comme moi se soucie peu de la vie. » La force de l’armée, c’est Napoléon.
« Qu’était la Grande Armée, sinon une France guerrière d’hommes qui, sans famille, ayant de plus perdu la République, cette patrie morale, promenait cette vie errante en Europe ? »1763
Jules MICHELET (1798-1874), Extraits historiques (posthume, 1907)
Telle est la définition humaine et romantique.
Sur le plan institutionnel, la « Grande Armée » est d’abord le nom générique donné par Napoléon à l’armée d’invasion, basée à Boulogne pour attaquer l’Angleterre en franchissant la Manche – projet abandonné après Trafalgar (1805) et l’anéantissement de la flotte française.
La Grande Armée désigne ensuite l’armée napoléonienne, la meilleure du monde : grande par le nombre des soldats, plus d’un million, et cent mille hommes de réserve ; grande aussi par la qualité, l’organisation, les généraux d’exception. Elle est initialement composée de sept corps d’armée, les sept « torrents » commandés par les maréchaux Augereau, Bernadotte, Davout, Lannes, Ney, Soult, et par le général Marmont.
« Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; c’était l’impôt payé à César. »1764
Alfred de MUSSET (1810-1857), La Confession d’un enfant du siècle (1836)
« … Et s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait, pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur. » L’histoire finit mal, pour la France exsangue et pour l’empereur exilé.
Mais Musset, l’enfant du siècle orphelin de Napoléon, évoque aussitôt après l’Empire glorieux : « Jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. »
« L’ogre corse sous qui nous sommes,
Cherchant toujours nouveaux exploits,
Mange par an deux cent mille hommes
Et va partout chiant des rois. »1765Pamphlet anonyme contre Napoléon. Encyclopædia Universalis, article « Premier Empire »
De nombreux pamphlets contribuent à diffuser la légende noire de l’Ogre de Corse, contre la légende dorée de la propagande impériale.
Les rois imposés par l’empereur sont nombreux, pris dans sa famille ou parmi ses généraux : rois de Naples, d’Espagne, de Suède, de Hollande, de Westphalie. Royautés parfois éphémères, souvent mal acceptées des populations libérées ou conquises.
Les historiens estimeront à un million les morts de la Grande Armée, « cette légendaire machine de guerre » commandée par Napoléon en personne.
« Un conquérant, c’est un joueur déterminé qui prend un million d’hommes pour jetons et le monde entier pour tapis. »1769
Comte de SÉGUR (1753-1830), Histoire de Napoléon et de la Grande Armée (1824)
Comblé d’honneurs et de titres sous l’Empire, gentilhomme cumulant les talents littéraires et politiques, il saura se faire bien voir des rois à venir et sans jamais trahir, ce qui est un talent de plus.
Joueur, Napoléon le fut tant de fois sur les champs de bataille et le million est le chiffre qui revient toujours – considérable pour l’époque.
Il joue aussi en politique, et d’abord dans la décision du coup d’État de brumaire (novembre 1799), où il joue véritablement son destin à quitte ou double : « Dans une grande affaire, on est toujours forcé de donner quelque chose au hasard » dit-il à Sieyès, inquiet de l’issue. La même année, il ajoute à ses Maximes et pensées : « La vraie politique n’est autre chose que le calcul des combinaisons des chances » et « La politique, c’est jouer aux hommes », cité par Chateaubriand – qui connaît la fin de l’histoire et ajoute aussitôt : « Hé bien ! il a tout perdu à ce jeu abominable, et c’est la France qui a payé sa perte » (Mémoires d’outre-tombe).
« Il avait trop, certes, du soldat quand il était parmi les rois, mais qui plus que lui fut royal au milieu des soldats ? »1780
Walter SCOTT (1771-1832), La Vie de Napoléon (1827)
L’empereur sera toujours un « parvenu », face aux têtes couronnées. Il enrage, en 1804 : « Cinq ou six familles se partagent les trônes de l’Europe et elles voient avec douleur qu’un Corse est venu s’asseoir sur l’un d’eux. Je ne puis m’y maintenir que par la force. » D’où l’engrenage des guerres, et des coalitions.
Mais avec ses hommes, le contact est immédiat et remarquable, depuis toujours et jusqu’à la fin. Royal dans ses célèbres Proclamations, il est également fraternel et familier dans ses faits et gestes de « Petit Caporal » au plus près de ses troupes.
Signalons aussi le charisme de Napoléon, salué par celui qui deviendra le « premier peintre de l’empereur » : « Quelle belle tête il a ! C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’antique ! C’est un homme auquel on aurait élevé des autels dans l’Antiquité […] Bonaparte est mon héros. » Jacques-Louis David confie ce coup de foudre aux élèves de son atelier, en 1797 (rapporté par Delécluze).
« Cet homme est insatiable, son ambition ne connaît pas de bornes ; il est un fléau pour le monde ; il veut la guerre, il l’aura, et le plus tôt sera le mieux ! »1803
ALEXANDRE Ier, fin mai 1805. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin
Le tsar de Russie apprend que la République de Gênes sollicite sa réunion à l’Empire. Napoléon, déjà médiateur de la Confédération suisse, vient de se faire couronner roi d’Italie (Lombardie et Émilie-Romagne) – il était déjà président de la République, mais l’Italie est devenue un royaume quand la France devient un Empire.
Craignant l’hégémonie française en Europe, le tsar rejoint l’Angleterre (en guerre depuis 1803) dans la troisième coalition.
« On va leur percer le flanc
En plain plan, r’lan tan plan […]
Ah ! que nous allons rire !
R’lan tan plan tire lire. »1808Marche d’Austerlitz, 2 décembre 1805, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
On chante encore, sur l’air de la Prise de la Bastille qui a déjà servi à une plaisante bluette, sous Louis XV (À mon mari je suis fidèle). Les « timbres » populaires sont repris au fil des événements : seules les paroles changent, créant au fil des ans une histoire de France par la chanson.
2 décembre. Le jour anniversaire du sacre de l’empereur, les grenadiers montent à l’assaut : sur ordre de Napoléon redevenu chef militaire, la musique de chaque bataillon joue la chanson connue de chaque homme.
Selon le capitaine Coignet, soldat de la campagne d’Italie, chevalier de la première promotion de la Légion d’honneur en 1804, grognard à Austerlitz et admis dans la garde : « Les tambours battaient à rompre les caisses, la musique se mêlait aux tambours. C’était à entraîner un paralytique. » Il sera de toutes les guerres de Napoléon, enchaînant 48 batailles sans une blessure, et mourra nonagénaire sous Napoléon III !
« Soldats, je suis content de vous. »1809
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo
Abel Hugo est le frère aîné de Victor, et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille.
Au soir de la victoire, le général sait comme toujours trouver les mots pour ses troupes. Et pour l’heure, le plus simple est le plus vrai.
« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810
NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant
Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique).
Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi, et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques hardies, et réussies – un classique enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).
La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition – l’Angleterre est invaincue, mais reste seule. Le traité de Presbourg est signé le 26 décembre par François II qui abdique la couronne du Saint Empire et reconnaît la Confédération du Rhin. C’est la suite de ses humiliations (commencées sous la Révolution)… et ce n’est pas fini. Mais le tsar ne signe pas. Après d’autres défaites, il sortira vainqueur du duel avec Napoléon, dans la campagne de Russie.
« Pas besoin de sabres, les gourdins suffiront pour ces chiens de Français ! »1817
Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, été 1806
Il apprend que les officiers prussiens s’amusent à affûter leur sabre, sur les marches du perron de l’ambassade de France. Le roi de Prusse a tort de jouer les matamores.
« Jamais on n’a vu une déroute semblable ; jamais la terreur ne fut si générale ; les officiers déclarent ouvertement qu’ils ne veulent plus servir, tous désertent leurs drapeaux et retournent chez eux. »1818
Joachim MURAT à Napoléon, Iéna, 14 octobre 1806. Napoléon et ses maréchaux (1910), Émile Auguste Zurlinden
L’empereur Napoléon est redevenu Bonaparte le capitaine d’artillerie, rectifiant la place des batteries, la veille du combat, cependant que la Prusse a présumé de ses forces. Murat « le Sabreur », commandant la cavalerie, a largement contribué à la victoire. L’armée prussienne est anéantie. La route de Berlin est ouverte.
« Sire, le combat finit faute de combattants. »1819
Joachim MURAT (1767-1815) à Napoléon, Magdebourg, 11 novembre 1806. Napoléon et ses maréchaux (1910), Émile Auguste Zurlinden
Trois semaines après Iéna, paraphrasant Rodrigue dans Le Cid, Murat rend compte à l’empereur de cette nouvelle victoire. La garnison prussienne s’est rendue à Ney. Bilan : 110 000 prisonniers en 36 jours de campagne.
« Je veux conquérir la mer par la puissance de la terre. »1820
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Décret de Berlin, 21 novembre 1806. Histoire économique et sociale de la France (1976), Fernand Braudel, Ernest Labrousse
Pour résoudre le « problème anglais », autrement dit neutraliser l’ennemi qui règne sur les mers, la guerre navale est impossible après la défaite de Trafalgar, et le débarquement semble irréalisable. Napoléon reprend alors une autre idée, longuement méditée, rédigeant lui-même le décret. C’est le Blocus continental : « Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. » Y compris aux pays neutres.
Le blocus aurait pu être un vrai danger pour l’économie anglaise qui exporte environ un tiers de sa production. Mais il ne sera jamais totalement respecté, malgré la politique d’annexion systématique pratiquée par Napoléon. L’Angleterre est sauvée par la contrebande.
Napoléon envahira les pays récalcitrants : l’Espagne et la Russie. Par ailleurs, le sentiment national des pays occupés va ressurgir, du fait des privations imposées aux peuples, ainsi en Allemagne.
« Quel massacre ! Et sans résultat ! Spectacle bien fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre ! »1821
NAPOLÉON Ier (1769-1821) sur le champ de bataille d’Eylau, 9 février 1807. La Chambre noire de Longwoog : le voyage à Sainte-Hélène (1997), Jean-Paul Kauffmann
Près de 50 000 tués ou blessés autour de lui. Coûteuse et amère victoire en date du 8 février, remportée avec l’aide de Murat, Davout, Ney, Soult, Augereau et Lannes, contre les Russes supérieurs en nombre et ce qui restait des Prussiens. Napoléon découvre le spectacle atroce, le lendemain. Il commande un tableau, dicte tout ce que le peintre doit faire passer : le projet fait l’objet d’un concours remporté par Antoine-Jean Gros.
Pour la première fois de l’histoire et de l’iconographie impériale, on voit le visage de Napoléon, bouleversé, entouré de ses généraux et s’inquiétant des soins apportés aux blessés, français ou ennemis. C’est naturellement un (admirable) tableau de propagande, mais le message est nouveau.
Les batailles de la quatrième coalition vont se poursuivre : autant de victoires à Dantzig, Friedland… et jusqu’au Mont Athos, au nord de la Grèce.
« Je suis plus à l’aise sous la mitraille qu’entouré d’un essaim de jolies filles décolletées. »1825
Maréchal LEFEBVRE (1755-1820), à Talleyrand, confidence lors d’une soirée à la cour des Tuileries. Le Dictionnaire des citations du monde entier (1960), Karl Petit
La réflexion donne bien le climat de cette cour impériale, créée en même temps que l’Empire.
L’étiquette, dictée par l’empereur, est stricte et quasi militaire, mais l’on y rencontre des personnages venus de toutes les couches de la société : bourgeoisie (Bernadotte, Berthier, Jourdan, Junot, Masséna, Soult) et peuple (Augereau, Carnot, Lannes, Lefebvre, Murat, Ney), mal à l’aise face à la vieille noblesse (Brissac, La Rochefoucauld, Montesquiou, Talleyrand) et aux dames. Rappelons que la « femme à Lefebvre » comme elle s’annonçait elle-même, servit de modèle à Victorien Sardou pour la populaire Madame Sans-Gêne, créée en 1892 au théâtre du Vaudeville.
« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849
NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin
C’est le rêve européen, plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »
Les historiens s’interrogent encore aujourd’hui : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays, ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ?
Napoléon s’identifie toujours à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté. Il invoque un autre modèle historique : « Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? » Le Code Napoléon s’applique à tout l’Empire, depuis 1807. Et nombre de pays l’adopteront de leur plein gré.
Mais quand il parle ainsi à Fouché, c’est pour défendre son idée d’envahir la Russie. Fouché (comme son ami et confrère Talleyrand) est contre cette campagne qui sera catastrophique. Il voit plus clair que l’empereur qui ne lui pardonnera pas cette lucidité.
« Je suis un pauvre conscrit
De l’an mille huit cent dix […]
Ils nous font tirer z’au sort
Pour nous conduire à la mort. »1850Le Départ du conscrit, vers 1810, chanson anonyme à plusieurs versions. L’Armée de Napoléon, 1800-1815 (2000), Alain Pigeard
La guerre d’Espagne se révèle désastreuse pour la Grande Armée, avant de devenir très coûteuse à l’économie du pays. Les coalitions qui se succèdent font quelque 200 000 morts par an. Il faut recruter : les conscrits partent sans enthousiasme, le nombre des réfractaires augmente, avec la complicité de la population paysanne.
« L’armée, c’est la nation » dans la doctrine impériale. Mais à partir de 1811, il faut intégrer des contingents étrangers et recourir massivement à la conscription (ou service militaire) : la Révolution française avait commencé, avec la levée en masse des soldats de l’an II. Napoléon enchaîne. L’historien Jules Michelet constate : « Qu’était la Grande Armée, sinon une France guerrière d’hommes qui, sans famille, ayant de plus perdu la République, cette patrie morale, promenait cette vie errante en Europe ? »
« Napoléon est comme un torrent. Moscou sera l’éponge qui l’absorbera. »1862
Feld-maréchal KOUTOUZOV (1745-1813), exposant son coup de poker militaire à son état-major, début septembre 1812. La Guerre patriotique de 1812 (2008), Émile Grenier Robillard
Parole prophétique du général en chef russe, alors que l’armée napoléonienne est en marche vers Moscou. Été 1812, la guerre a donc repris : c’est la sixième coalition qui dressera bientôt l’Europe contre Napoléon.
Alexandre Ier est ulcéré par l’annexion du duché d’Oldenbourg, fief appartenant à son cousin et devenu au sein de la Confédération du Rhin un des 130 départements français, sous le nom de Bouches-du-Weser. La Russie souffre par ailleurs du Blocus continental et renoue avec l’Angleterre. De son côté, Napoléon est tenté : cette nouvelle conquête manque à son Empire ! Il comprendra – mais trop tard – cette erreur fatale.
Koutousov expose son plan : plutôt que d’affronter ce qui reste de la Grande Armée, il ordonne la retraite de Moscou, sans combat. Ses officiers sont totalement déconcertés. Certains pleurent, arrachent leurs décorations, d’autres parlent de trahison, mais le maréchal sera obéi. Et il écrit au tsar, pour le rassurer. La perte de Moscou est réparable et doit sauver la Patrie.
« Moscou sera notre perte. »1863
Joachim MURAT (1767-1815), à Napoléon, 18 août 1812. La Catastrophe de Russie (1949), Louis Madelin
Ces mots seront répétés par l’entourage de l’empereur qui s’est lancé dans l’aventure sans connaître le terrain, passant le fleuve Niémen le 22 juin.
Murat, roi de Naples, appelé pour la campagne de Russie, découvre la guerre d’usure. L’ennemi se dérobe sans fin, la Grande Armée s’enfonce en terre étrangère, amputée du tiers de ses effectifs sans avoir livré bataille : 150 000 hommes disparus, morts, épuisés par la canicule, blessés, plus encore déserteurs. Mais pour l’empereur, c’est une question d’honneur. On ira à Moscou – qui n’est même pas la capitale.
« Voilà le soleil d’Austerlitz ! »1864
NAPOLÉON Ier (1769-1821), parvenu devant Moscou, au matin du 7 septembre 1812. Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l’histoire de France, drame en 6 actes (1831), Alexandre Dumas père
Pour une fois, Dumas est fidèle à l’histoire, à la lettre même ! La citation figure dans de nombreuses sources. Tout juste appuie-t-il la réplique d’un : « Battons-nous donc ! Mes amis, voilà le soleil d’Austerlitz. »
Napoléon doit galvaniser les officiers, en évoquant la plus éclatante victoire de l’Empire. Il entre dans la ville comme en pays conquis et toujours sans combat, « transporté de joie ». On croit à une nouvelle victoire, les soldats sont sûrs de trouver des vivres et un repos bien mérité. Mais la ville est vidée de ses habitants, 300 000 Moscovites ont fui avec tous leurs biens. Pis encore, un gigantesque incendie va détruire la cité construite en bois, qui brûlera jusqu’au 20 septembre.
« La paix ? Mais nous n’avons pas encore fait la guerre. Ma campagne ne fait que commencer. »1865
ALEXANDRE Ier (1777-1825), Réponse à la lettre de Napoléon, 5 octobre 1812. Koutouzov : le vainqueur de Napoléon (1990), Serge Nabokov, Sophie de Lastours
Napoléon proposait à son « frère l’empereur Alexandre » d’arrêter sa marche. Le tsar ne cédera pas. « Je préférerais m’exiler à Vladivostok et me faire pousser une barbe de trois pieds de long plutôt que de traiter avec lui. L’Europe est désormais trop petite pour nous deux. » Et il peut compter sur le général Hiver pour vaincre l’envahisseur.
« Il ne s’agit en aucun cas d’une retraite, mais d’une marche stratégique. Mon armée n’est pas battue, que je sache ! »1866
NAPOLÉON Ier (1769-1821), 13 octobre 1812. L’Incendie de Moscou (1964), Daria Olivier
Les premières neiges tombent et les dernières illusions de Napoléon s’envolent, mais il refuse encore de l’avouer. De Moscou, il envisage un repli sur Smolensk, le temps d’hiverner, pour repartir au printemps sur Saint-Pétersbourg. Il affectera de railler ces Russes « qui brûlent leurs maisons pour nous empêcher d’y passer la nuit. » Et Paris chante La Campagne de Russie.
« Il était un p’tit homme
Qu’on appelait le grand […]
Courant à perdre haleine,
Croyant prendre Moscou,
Ce grand fou !
Mais ce grand capitaine
N’y a vu, sabergé, que du feu ! »1867La Campagne de Russie (automne 1812), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
Cette chanson se diffuse sous le manteau à Paris, tandis que commence la retraite de Russie d’octobre 1812. Le tsar accusa les Français d’avoir incendié Moscou. Sans doute se sont-ils contentés de piller la ville et d’achever ainsi de la détruire, après l’incendie qui aurait été ordonné par Rostopchine, gouverneur militaire (père de la future comtesse de Ségur, best-seller dans la littérature pour la jeunesse). Il a fait évacuer la ville où ne restent que 800 prisonniers de droit commun, leur promettant la réhabilitation s’ils mettaient le feu.
« L’armée a besoin de rétablir sa discipline, de se refaire, de remonter sa cavalerie, son artillerie et son matériel […] Le repos est son premier besoin. »1872
NAPOLÉON Ier (1769-1821), 29e Bulletin de la Grande Armée, Le Moniteur, 16 décembre 1812. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)
Derniers mots du tristement célèbre Bulletin. La France en est frappée de stupeur.
Napoléon, le 5 décembre, a décidé de rentrer, suite à la conspiration du général Malet et au coup d’État manqué de peu ! D’où cette course folle de treize jours, en traîneau, en cabriolet, à travers la Pologne, l’Allemagne… Il ignore le pire : la plus atroce déroute de l’histoire de France commence.
Il apprend quelques jours plus tard la tragédie, après son départ de Russie. Murat s’est querellé violemment avec Davout, abandonnant le commandement au prince Eugène et regagnant son royaume de Naples. Le prince Eugène de Beauharnais (fils de Joséphine et adopté par l’empereur) fait l’impossible, évite l’encerclement et accomplit ce qui est considéré comme un exploit. Il ramènera tant bien que mal 100 000 hommes. C’est quand même la débâcle. Le bilan total de cette campagne sera de 530 000 morts, victimes surtout du typhus, du froid et de la faim.
« J’ai vu vos troupes, il n’y a que des enfants. Vous avez fait périr une génération. Que ferez-vous quand ceux-ci auront disparu ? »1874
METTERNICH (1773-1859), à Napoléon qui le reçoit comme médiateur à Dresde, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Napoléon cherche une impossible trêve. La Prusse pactise déjà avec la Russie et déclare la guerre à la France, le 17 mars 1813. L’Autriche propose sa médiation : c’est l’occasion pour Metternich, chancelier (chef du gouvernement) et ministre des Affaires étrangères, de jouer un rôle diplomatique de premier plan.
Napoléon fait le compte des soldats dont il peut disposer et tente de montrer sa force au cours de cette entrevue. En fait, il devra faire appel aux anciennes classes et recruter des « Marie-Louise », jeunes conscrits des classes 1814 et 1815, sans formation militaire. Metternich n’est pas dupe de la démonstration. Napoléon, furieux, lui reproche les ambiguïtés de sa politique… Ce qui va jeter l’Autriche dans le camp ennemi.
« S’attendre à une défaite partout où l’empereur donnera en personne. »1877
Général MOREAU (1763-1813), conseiller militaire du tsar de Russie, en 1813. L’Europe et la Révolution française (1885), Albert Sorel
Ce général français se retrouve dans l’état-major ennemi, au terme d’une étrange carrière : engagé volontaire en 1791 dans l’armée révolutionnaire, nommé général en 1793, suspecté par le Directoire pour ses relations avec le général royaliste Pichegru, il se retrouve aux côtés de Bonaparte dans l’armée d’Italie, puis au coup d’État du 18 Brumaire.
S’estimant mal payé pour ses services, il se lie aux royalistes. Arrêté en 1804, exilé aux États-Unis, il est appelé comme conseiller militaire par Alexandre Ier en 1813. Voilà pourquoi il met en garde contre le génie militaire de Napoléon qu’il connaît bien et qui permet des victoires « impossibles » : Lützen, Bautzen… et Dresde, contre les Russes, les Prussiens et les Autrichiens, le 27 août. Moreau y sera mortellement blessé.
« La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau, parce que cette mesure a toujours été outrée dans son exécution. Depuis deux ans, on moissonne les hommes trois fois l’année. »1878
Vicomte LAINÉ (1767-1835), Corps législatif, 29 décembre 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Ce député se distingua toujours par une remarquable indépendance d’esprit. En cette année 1813, il prend position en faveur de la paix et de la liberté, et sera de ce fait accusé par l’empereur d’être au service de l’Angleterre. Lainé poursuit devant l’Assemblée : « Une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l’éducation, à l’agriculture, au commerce et aux arts. » Le décret du 21 septembre 1813 avait appelé 300 000 jeunes gens sous les drapeaux.
« Messieurs, une partie du territoire de la France est envahie ; je vais me lancer à la tête de mon armée et, avec l’aide de Dieu et la valeur de mes troupes, j’espère repousser l’ennemi au-delà des frontières. »1879
NAPOLÉON Ier (1769-1821), devant 800 officiers de la garde nationale, Salle des Maréchaux, château des Tuileries, 23 janvier 1814. Le Rêve inachevé (1990), Alain Lunel
La campagne d’Allemagne s’est terminée par le désastre de Leipzig (16 au 18 octobre 1813). Ce fut la « bataille des Nations » entre Napoléon (185 000 hommes) et les Alliés (300 000) : Autrichiens, Prussiens, Russes, auxquels se sont joints les Suédois sous le commandement de leur roi Charles XIV, alias Bernadotte, ancien maréchal de France que Napoléon a mis sur le trône de Suède.
Bilan : plus de 60 000 Français perdus (morts ou prisonniers) et l’obligation de reculer en deçà du Rhin.
« Le boulet qui doit me tuer n’est pas encore fondu. »1880
NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses soldats effrayés, quand son cheval passe sur un boulet fumant, bataille de Montereau, 18 février 1814. Napoléon, l’homme, le politique, l’orateur, volume II (1889), Antoine Guillois
Napoléon est reparti en guerre pour renverser la situation : la campagne de France commence, avec 50 000 hommes contre 350 000 Alliés !
À Brienne, il repousse les Prussiens qui occupent la ville, mais doit se retirer le 2 février.
« Ma bonne Louise, victoire ! J’ai détruit douze régiments russes, fait six mille prisonniers, quarante pièces de canon, deux cents caissons, pris le général en chef et tous les généraux, plusieurs colonels. Je n’ai pas perdu deux cents hommes. Fais tirer le canon des Invalides et publier cette nouvelle à tous les spectacles. »1882
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Marie-Louise au soir de la bataille de Champaubert (commune de la Marne), 10 février 1814. La Chute ou l’Empire de la solitude (2008), Dominique de Villepin
C’est une victoire sur les Russes et les Prussiens, cinq fois supérieurs en nombre. Napoléon va encore faire des prouesses à Montmirail, Château-Thierry, Nangis. Et à Montereau où il attaque, toujours en tête des troupes, sur son cheval… Mais l’empereur sait que voilà le commencement de la fin.
« J’ai tout fait pour mourir à Arcis. »1883
NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Caulaincourt, évoquant la bataille du 19 mars 1814. Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)
L’aveu est postérieur à la bataille. Plusieurs fois, Napoléon a tenté de se suicider, notamment à l’opium. Et chaque fois, il évoquait ce nom et regrettait cette mort qui se refusait à lui.
Le 19 mars 1814, l’épée à la main, il s’est jeté dans la mêlée à Arcis-sur-Aube, bientôt rejoint par sa Garde. La bataille est restée indécise face à Schwarzenberg, ex-ambassadeur d’Autriche à Paris, ex-allié de Napoléon pendant la campagne de Russie. Il commande à présent les armées alliées qui envahissent la France. L’étau se resserre autour de Paris.
« Les guerres de Napoléon ont divulgué un fatal secret : c’est qu’on peut arriver en quelques journées de marche à Paris après une affaire heureuse ; c’est que Paris ne se défend pas ; c’est que ce même Paris est beaucoup trop près de la frontière. »1884
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)
Le 30 mars 1814, c’est la bataille de Paris. Blücher occupe Montmartre et de ses hauteurs, bombarde la capitale. Moncey résiste héroïquement à la barrière de Clichy. Mais Marmont doit signer la capitulation en fin d’après-midi.
Les Alliés entrent dans Paris le lendemain. Il y a quelques cris pour acclamer le roi de Prusse et le tsar de Russie. Napoléon s’est replié sur Fontainebleau.
« Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. »1885
Général DAUMESNIL (1776-1832), aux Alliés assiégeant Vincennes, début avril 1814. Daumesnil : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes » (1970), Henri de Clairval
Volontaire sous la Révolution française, général et baron d’Empire multipliant les actions d’éclat, surnommé Jambe de bois, il a perdu une jambe à Wagram (1809).
Gouverneur du fort de Vincennes depuis 1812, il résiste au siège des troupes coalisées, alors que la capitale est aux mains des Alliés. Sa garnison se compose d’un millier de gardes nationaux et de 300 invalides, qu’il appelle « mon Jeu de quilles ». Un stock de munitions considérable (évalué à 80 millions de francs) fait du donjon une poudrière en puissance. La nuit du 30 au 31 mars, Jambe de bois et son Jeu de quilles ont raflé à Montmartre armes, munitions, chevaux, canons, pour les ramener à l’abri dans Vincennes. Les Alliés lui proposent enfin une forte somme pour sa reddition. D’où la réplique.
Il négociera la capitulation avec Louis XVIII, après l’exil de Napoléon.
En 1830, quinquagénaire vaillant, toujours gouverneur de Vincennes et toujours résistant, il répond aux menaces des assaillants : « Je me fais sauter avec le château et nous nous rencontrerons en l’air. »
Vous avez aimé ces citations commentées ?
Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.