Deuxième République
Chronique (1848-1852)
Lamartine, héros d’un jour et de quelques lendemains qui chantent.
La République est proclamée le 24 février, dans un lyrisme romantique qui doit beaucoup au très populaire Lamartine. Le poète entre dans l’histoire, refusant de remplacer le drapeau tricolore par le drapeau rouge. Le gouvernement provisoire, dont Lamartine prend la tête, institue le droit au travail, supprime la peine de mort pour motif politique, rétablit la liberté d’expression et le suffrage universel.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« L’enthousiasme fanatique et double de la République que je fonde et de l’ordre que je sauve. »2145
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, 24 février 1848
(…) Depuis son discours du 27 janvier 1843, à la tête de l’opposition de gauche à la Monarchie de Juillet, Lamartine jouit d’une immense popularité. Il a conduit le peuple à la révolution rendue inévitable par l’aveuglement des conservateurs et le voilà porté au pouvoir en février 1848, par une sorte d’unanimité dont la fragilité et surtout l’ambiguïté vont éclater dans les semaines qui viennent.
« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848
Son lyrisme fait merveille, aux grandes heures du siècle romantique. La veille, 24 février, il a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville ! Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République.
« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. »2147
Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)
Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion.
« Le gouvernement provisoire s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir le travail à tous les citoyens. »2148
Louis BLANC (1811-1882), parlant au nom du gouvernement provisoire, 25 février 1848
C’est l’affirmation du « droit au travail » – titre d’un livre de 1849, signé de ce grand socialiste français. Mais la définition en reste confuse et l’application se révélera catastrophique. La crise économique de 1846-1847, aggravée par la Révolution de 1848, a provoqué tant de chômage et de misère qu’il faut agir. Dès le lendemain, 26 février, on crée les Ateliers nationaux : chantiers de terrassement ouverts aux chômeurs (…) mais on ne sait à quoi les employer.
« Le gouvernement provisoire déclare que la nation adopte les trois couleurs disposées comme elles l’étaient pendant la République. Ce drapeau portera ces mots : République française. »2149
Gouvernement provisoire, Décret du 25 février 1848
Le gouvernement pense à tout et prend une série de mesures : proclamation de la République et abolition des titres de noblesse, réforme démocratique de la garde nationale, dissolution de la Chambre des députés, proclamation du suffrage universel, annonce de l’élection prochaine d’une Assemblée constituante, reconnaissance de toutes les libertés d’expression, l’abolition de la peine de mort en matière politique, limitation de la journée de travail, etc.
« Vive la République ! Quel rêve ! […] On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »2150
George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, 9 mars 1848, Correspondance (posthume)
La Dame de Nohant, très populaire par ses romans humanitaires et rustiques, se précipite à Paris et s’enthousiasme comme ses confrères pour la République. Elle fonde La Cause du Peuple (hebdomadaire dont Sartre fera revivre le nom et qui deviendra Libération), elle ne pense plus qu’à la politique, le proclame, et s’affiche aux côtés de Barbès (émeutier révolutionnaire libéré de prison), Louis Blanc et Ledru-Rollin (membres du gouvernement provisoire).
« Il court de toutes ses forces pour arriver à temps quelque part avant la République ! »2151
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
À 27 ans, le poète des Fleurs du mal est surtout connu comme critique d’art, pour ses Salons. Il vient de prendre fait et cause pour la Révolution (…) Il se moque ici du vieux Louis-Philippe (75 ans) qui a fui à Dreux, avant de fuir plus loin encore, pour l’exil en Angleterre. Son abdication sans combat et sa fuite ont provoqué le ralliement à la République des « républicains du lendemain », autrement dit des classes dirigeantes.
« Aux journées de février 1848 comme aux journées de juillet 1830, la monarchie avait cédé presque sans résistance à l’émeute de Paris. Dans les deux cas, ce n’était pas seulement le roi qui avait abdiqué, c’était l’autorité elle-même. »2152
Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)
La brève histoire de la Deuxième République se résumera en une restauration de l’autorité, dans un pays encore très conservateur et rural, avec des sursauts républicains et révolutionnaires entraînant des réactions qui renforcent encore l’autorité. Jusqu’à ce que l’Empire s’ensuive.
« Le monde et nous, nous voulons marcher à la fraternité et à la paix. »2153
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Manifeste aux puissances
L’auteur de La Marseillaise de la paix est devenu ministre des Affaires étrangères à la fin du mois de février 1848. Il proclame les intentions pacifiques de la République : ne pas effrayer l’Europe qui garde en mémoire 1792, les soldats de l’an II et l’armée de l’Empire ! Plus de vingt années de guerres.
« Les quatre mois qui suivirent février furent un moment étrange et terrible. La France stupéfaite, déconcertée, en apparence joyeuse et terrifiée en secret, […] en était à ne pas distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l’injuste, le sexe du sexe, le jour de la nuit, entre cette femme qui s’appelait Lamartine et cet homme qui s’appelait George Sand. »2154
Victor HUGO (1802-1885), Choses vues (posthume)
Le grand témoin à la barre de l’histoire de son temps note toutes ses impressions, dans son Journal. Son œuvre est une mine de citations et les plus belles appartiennent aux grandes époques de trouble qui déchirèrent la France. En prime, l’humour est présent, et l’antithèse hugolienne fort juste.
« Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon et le cœur de Jésus. »2155
George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, mars 1848
Les « hommes excellents », Lamartine en tête, sont des républicains radicaux et surtout modérés, députés de l’opposition sous la Monarchie de Juillet ou journalistes de gauche (…) et quelques socialistes imposés par les forces révolutionnaires. Le plus dur est à venir, mais ce gouvernement a déjà dû se rendre impopulaire en augmentant les impôts de 45 %, d’où le mécontentement des paysans. D’ailleurs, toute la province se méfie des décisions venues de Paris (…)
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