Le Roy Ladurie : « Le personnage du Béarnais grandit en Majesté débonnaire et naturelle au fur et à mesure que s'étend le rôle qui lui est dévolu par l'Histoire. »

« Petite histoire de la com », troisième jour.

Henri IV, autre phénomène unique dans l’histoire. Le plus populaire de nos rois faisait de la com aussi naturellement que M. Jourdain de la prose, sans le savoir - quoique… Le Vert Galant est un bon vivant, amoureux des femmes et de la guerre, aimant les enfants qu’il fait à tout va et les paysans avec qui le contact est immédiat et constant. Son assassinat le fera entrer dans la légende aussi vite et bien que le martyre de Jeanne d’Arc.

Feuilletez notre Chronique sur la Renaissance pour tout savoir.

« Le personnage du Béarnais grandit en Majesté débonnaire et naturelle au fur et à mesure que s’étend le rôle qui lui est dévolu par l’Histoire. »604

Emmanuel LE ROY LADURIE (né en 1929), L’État royal : de Louis XI à Henri IV, 1460-1610 (1987)

La personnalité d’Henri IV est forgée par les circonstances. Ce « roi de droit et fort peu de fait » prendra possession du royaume. Il lui faut tout simplement le conquérir, ce qui lui demandera dix ans ! Indulgent et politique, généreux et sachant pardonner, mêlant l’humour à la bonhomie, mais autoritaire, versatile et capable des pires coups de tête, il a – dirait-on aujourd’hui – un évident charisme. Aisance personnelle déconcertante, panache militaire éclatant, prise directe sur les hommes, telles seront les clés de la réussite du nouveau roi.

« J’ai bien vu le roi, mais je n’ai pas vu Sa Majesté ! »628

Mme de SIMIER (XVIe siècle), à l’entrée d’Henri IV dans Paris, 22 mars 1594

L’Entrée royale est un événement majeur, dans la vie d’une ville. Mais quand c’est Paris qui se rend à son roi après cinq années de combat, c’est un fait historique, à l’égal d’une victoire. Henri IV en est heureux et fier : il a gagné la guerre de Paris sans morts et sans pillage. Seule déception, celle des Grands restés sur le souvenir d’Henri III et des fastes de la cour, choqués à la vue du successeur, plus Béarnais que nature, négligent, débraillé, puant l’ail et s’en vantant : « Je tiens de mon père, moi, je sens le gousset » (ce qui signifie sentir fort des aisselles). Il a quand même revêtu son armure, pour la cérémonie.

« Vive Henri IV / Vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre / A le triple talent
De boire et de se battre / Et d’être un Vert Galant ! »605

Vive Henri IV, chanson anonyme

Le caractère public des amours royales dépasse la médiatisation qu’en fait notre presse people. Le roi ne s’en cache pas et les Français sont fiers de ses exploits amoureux. C’est quand même le point faible d’Henri IV, qui mettra en danger la paix du royaume pour courir après sa dernière maîtresse, Charlotte Marguerite de Montmorency : elle a 15 ans, et lui 56.

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590

Le panache blanc entrera dans la légende et la commune de l’Eure prit le nom d’Ivry-la-Bataille. Les soldats semblent hésiter : les troupes de la Ligue sont trois fois supérieures en hommes et en armes. Le roi trouve les gestes et les mots qu’il faut. Il plante un panache de plumes blanches sur son casque, harangue ses troupes et charge en tête de ses hommes.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

Vœu pieux et sûrement sincère, de la part d’un souverain resté proche de son peuple. Mais malgré le redressement économique du pays et les mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, la condition des petits paysans ne s’améliore pas vraiment. Le temps fait défaut à Henri IV, plus que la volonté et les moyens.

« Monsieur l’Ambassadeur, avez-vous des enfants ? »658

HENRI IV (1553-1610). Dictionnaire encyclopédique d’anecdotes modernes, anciennes, françaises et étrangères (1872), V. Fournel

Bel exemple de com authentique ! Dialogue banal, mais l’image frappe, reproduite dans les livres d’histoire. Elle perpétue dans la mémoire des écoliers le personnage du bon roi, père de famille : l’ambassadeur d’Espagne ouvre une porte et tombe sur Sa Majesté, marchant à quatre pattes, portant son fils (le Dauphin) sur son dos. « Monsieur l’Ambassadeur, avez-vous des enfants ? — Oui, Sire. — En ce cas, je peux achever le tour de la chambre. »

Le non-formalisme est typique du règne. On imagine mal Henri III dans cette situation, non plus que Louis XIII ou Louis XIV. La présence des enfants à la cour est aussi remarquable. D’habitude, on les cache ou on les déguise en petits adultes. Outre ses nombreux bâtards, Henri IV eut six enfants en dix ans de mariage avec Marie de Médicis.

« Ventre Saint-Gris ! Comment ne pas être triste de voir un peuple si ingrat envers son roi, qui me dresse tous les jours de nouveaux attentats ! »632

HENRI IV (1553-1610), venant d’échapper à l’attentat de Jean Châtel, 27 décembre 1594

Des moines irréductibles poussent au régicide. Aimé du peuple, Henri IV reste la cible de fanatiques plus ou moins manipulés par les « vrais » catholiques ou protestants - selon les sources, 12 à 25 tentatives avant Ravaillac. L’assassinat frappe la France de stupeur et fait du roi un martyr. Ce drame change aussitôt son image, fait taire toute critique et donne au personnage une immense popularité. La légende fera le reste.