Histoire & Littérature, lecture recommandée en temps de confinement… et bientôt de vacances. D’où cette série d’éditos en huit épisodes (indépendants) :
1. Romans - 2. Poésie - 3. Théâtre - 4. Lettres - 5. Histoire et Chronique - 6. Mémoires - 7. Pamphlets et autres œuvres polémiques - 8. Discours.
3. Théâtre.
On n’a jamais tant parlé de théâtre et de spectacle en général, depuis qu’il est interdit d’y aller. Pire que la censure, la fermeture des salles ! Tandis que tous les festivals sont reportés, dans un secteur sinistré, condamné à se « réinventer ». Bonne raison pour vous inviter à un bref voyage historique, sur la scène et dans les coulisses de cet art vivant !
Perfection classique au XVIIe siècle, théâtromanie au XVIIIe, romantisme au XIXe, théâtre militant et populaire au XXe siècle. De nos jours, le théâtre n’est plus le spectacle roi, la création s’exprime ailleurs et autrement, la culture (élitiste ou populaire) a perdu de son prestige. Raison de plus pour ressusciter notre répertoire en quelques citations.
Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.
« En vain, contre Le Cid, un ministre se ligue ;
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue. »721Nicolas BOILEAU (1636-1711), Satire IX (1668)
C’est la gloire à 30 ans pour le plus célèbre protégé de Richelieu, Corneille. Sa pièce est jouée, fin décembre 1636, dans le théâtre privé du cardinal (près de 1 000 places pour les invités) et en janvier 1637, au théâtre du Marais. Ce qui explique l’une et l’autre date données, selon les sources, pour sa création.
La première grande tragédie classique (ou plutôt, tragicomédie) est ovationnée pour son génie propre et pour ses allusions à l’actualité – le combat contre les Maures fait écho à l’invasion espagnole de cette année. Louis XIII anoblit l’auteur.
Mais Richelieu ne lui pardonne pas son refus de participer à une société de cinq auteurs (avec Boisrobert, Colletet, L’Estoile et Rotrou) chargés de composer des pièces sur ses idées ! C’est le petit côté d’un grand homme, par ailleurs passionné de théâtre.
Le cardinal forme une cabale et l’Académie française, docile, suit, accable le jeune poète de critiques jalouses et de propos pédants. Corneille en souffre. Mais comme l’écrira Boileau : « L’Académie en corps a beau le censurer, / Le public en révolte s’obstine à l’admirer. » La « querelle du Cid » va émouvoir Paris, toute l’année 1637.
Quand Boileau écrit pour vanter le grand Corneille, la faveur du public s’est détournée de lui et Racine est le nouveau tragédien du siècle, sous un autre règne, encore plus riche au plan culturel.
« Vous êtes roi, vous pleurez et je pars. »802
Marie MANCINI (1640-vers 1715), à Louis XIV, le 22 juin 1659. Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres (1809), Babault ed
L’une des scènes d’amour contrarié les plus célèbres et citées de l’histoire de France : traitée en chronique par Saint-Simon, l’abbé de Choisy, Voltaire, reprise par Alexandre Dumas dans son roman Le Vicomte de Bragelonne (suite des Trois Mousquetaires), elle va surtout inspirer la Bérénice de Racine et l’un de ses plus beaux vers au tragédien.
Situation classique : deux amants sacrifiés à la raison d’État. L’identité des héros et les coulisses de l’histoire rendent la scène fascinante.
Marie Mancini est une mazarinette, nièce de Mazarin et Précieuse pas du tout ridicule, fine lettrée, à l’esprit romanesque. Sa sœur Olympe, plus jolie, a déjà ému le jeune Louis XIV. Marie est sa première grande passion – platonique, dit-on. Il lui parle mariage, mais sa mère Anne d’Autriche s’y oppose. Cette union n’est pas digne du roi de France et pas utile au pays, alors que Mazarin prépare depuis longtemps le mariage de Louis avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne.
Sur l’ordre de son oncle, la mazarinette de 20 ans est éloignée de la cour, puis obligée de dire adieu à son amoureux, très affecté : « Vous êtes roi, vous pleurez et je pars. »
Bérénice lui fait écho en 1670, héroïne contrainte pour la même raison de se séparer de Titus : « Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez. »
« Les peuples se plaisent au spectacle. Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur. »819
LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)
Plus qu’un monument et un site, Versailles est un style de vie. C’est le cadre magnifique où l’existence du roi se déroule comme une cérémonie implacablement minutée, admirablement mise en scène. C’est aussi le haut lieu du mécénat royal, où se donnent les fêtes éclatantes.
Les plus grands artistes du temps y concourent. Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique du roi de 1661 à 1687, régent de tous les théâtres, académies et écoles de musique, fait triompher le spectacle total, l’opéra, avec Cadmus et Hermione (livret de Quinault) le 27 avril 1673. Et tous les arts vont s’épanouir, en cette seconde moitié du siècle. Dans une Europe encore baroque, c’est le triomphe du classicisme français. C’est également – fait unique dans notre histoire – la réussite d’un art officiel, dirigé, pensionné, administré, voulu par le roi. Une des réussites incontestables du Siècle de Louis XIV.
« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »821Nicolas BOILEAU (1636-1711), L’Art poétique (1674)
Grand codificateur des lettres, surnommé le Législateur du Parnasse, il donne, avec la « règle des trois unités », la définition de la tragédie classique, genre né et mort au XVIIe siècle, porté à la perfection par le jeune Racine, supplantant le vieux Corneille. Encore un miracle théâtral dont on peut mesurer l’importance, avec le recul du temps !
« Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. »822
MOLIÈRE (1622-1673), La Critique de l’École des femmes (1663)
Autre génie du siècle, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, auteur, acteur, metteur en scène, chef de troupe, ne peut vivre et s’exprimer à peu près librement qu’avec la protection du roi : contre les dévots, les bourgeois, les parvenus, les pédants. Il reste à ce jour l’auteur dramatique français le plus aimé, le plus joué au monde.
Racine, si différent de lui pourtant, a la même éthique professionnelle : « La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » (Préface de Bérénice). Comédie oblige, Molière ajoute : « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. »
« J’aime un amour fondé sur un bon coffre-fort […]
Cette veuve, je crois, ne serait point cruelle ;
Ce serait une éponge à presser au besoin. »838Jean-François REGNARD (1655-1709), Le Joueur (1696)
L’argent occupe une place croissante dans la société : la littérature reflète ce changement dans les mœurs. Regnard, riche bourgeois, traite le fait avec un franc comique.
« C’est l’usurier le plus juif : il vend son argent au poids de l’or. »839
Alain René LESAGE (1668-1747), Turcaret ou le Financier (1709)
Auteur dramatique et romancier sans fortune, donc obligé de vivre de sa plume, il dénonce avec vigueur le règne de l’argent, dans ses comédies de mœurs trop impitoyablement réalistes pour n’être que comiques. Il crée le personnage de Turcaret, ancien laquais enrichi par la spéculation, parvenu insolent et sot, évoluant dans un monde corrompu, servi et trahi par son valet Frontin : « J’admire le train de la vie humaine ! Nous plumons une coquette ; la coquette mange un homme d’affaires ; l’homme d’affaires en pille d’autres : cela fait un ricochet de fourberies le plus plaisant du monde. » L’œuvre connaît un grand succès, au pire moment de la guerre de Succession d’Espagne, alors que les exactions des financiers et l’insolence de leur luxe font injure à la misère du peuple.
« Vous retrouverez Dieu et Port-Royal partout. On n’est jamais seule quand on a la foi. »865
Henry de MONTHERLANT (1895-1972), Port-Royal (1954)
Ainsi fait-il parler sœur Françoise, tentant de réconforter sœur Angélique quand il leur faut quitter l’abbaye de Port-Royal des Champs.
L’action de la pièce, située en 1664, respecte parfaitement l’histoire : le pape, l’Église, les tout-puissants jésuites ont condamné le jansénisme et Louis XIV veut la soumission de la « secte ». Mais douze sœurs refusent de signer le Formulaire (adhésion « de cœur et d’esprit » à la condamnation par le pape des Cinq Propositions extraites de l’Augustinus, traité de théologie de Jansénius à l’origine de la controverse).
Les sœurs, chassées de leur monastère, sont dispersées dans d’autres institutions. Une première série d’expulsions a eu lieu en 1661. Le même scénario se reproduit en 1709, plus dramatique encore : expulsion des dernières sœurs de Port-Royal, l’abbaye étant rasée en 1711.
« Après l’Agésilas,
Hélas !
Mais après l’Attila,
Holà ! »867Nicolas BOILEAU (1636-1711), Épigramme (1667)
Fin du règne du grand Corneille, après l’échec de ces deux tragédies, créées à un an d’intervalle.
Le jeune et ambitieux Racine va connaître dix ans de triomphe, jusqu’à la chute de sa Phèdre, victime d’une cabale en 1677, cependant que Molière est roi dans la comédie. Giovanni Battista Lulli, italien naturalisé français, devenu Jean-Baptiste Lully, le plus courtisan des hommes de théâtre et le plus détesté aussi, invente l’opéra à la française.
Décennie prodigieuse de la scène française, floraison de chefs-d’œuvre : la plus belle époque du mécénat artistique dans notre pays, et tous les arts en profitent. Dans une Europe encore baroque, c’est le triomphe du classicisme français et la réussite (exceptionnelle) d’un art officiel, dirigé, pensionné, administré, voulu par le roi.
Boileau, historiographe du roi, auteur de satires et d’épîtres, est le théoricien de l’esthétique classique. Dans la grande Querelle des Anciens et des Modernes (1687), il défend les auteurs de l’Antiquité, qu’il juge insurpassables, contre Charles Perrault, partisan des modernes dans Le Siècle de Louis le Grand : « Et l’on peut comparer, sans crainte d’être injuste, / Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. » Ces guerres entre critiques passionnent les beaux esprits.
« Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. »872MOLIÈRE (1622-1673), Tartuffe (1669)
Le 5 février 1669, la pièce peut enfin se jouer en public, épilogue d’un épuisant combat de cinq années, reflet de la censure au Grand Siècle !
La première version en trois actes de la pièce, dont une ébauche a été approuvée par le roi, est jouée le 12 mai 1664. Influencé par l’archevêque de Paris, Louis XIV (roi de droit divin) interdit les représentations publiques, mais ne va pas jusqu’à suivre le curé Roullé qui demande un bûcher pour y brûler l’auteur ! Molière a des appuis en haut lieu – Madame et Monsieur (frère du roi), Condé, le légat du pape (cardinal Chigi). Mais la « cabale des dévots » est la plus forte et son Tartuffe ne se joue qu’en privé (chez Monsieur).
Molière ne peut s’y résoudre, écrit une deuxième version édulcorée, habille son faux dévot en homme du siècle et profite de l’absence du roi (guerroyant dans l’armée des Flandres) pour présenter Panulphe ou l’Imposteur. Lamoignon, premier président du Parlement, interdit la pièce, l’archevêque de Paris excommunie les spectateurs, Molière, accablé de soucis en tout genre, tombe malade.
La troisième version triomphe enfin en 1669, avec la bénédiction du roi et cinquante représentations (chiffre considérable pour l’époque). Molière devient le pourvoyeur des divertissements royaux à toutes les fêtes.
« Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies. »879
MOLIÈRE (1622-1673), Le Malade imaginaire (1673)
Malade d’une tuberculose que les médecins du temps sont impuissants à guérir, affecté par la mort de son fils et de sa vieille amie Madeleine Béjart, épuisé de travail à la tête de sa troupe et au service du roi, par ailleurs supplanté par l’intrigant Lully auprès de Louis XIV, Molière, 51 ans, est pris d’une défaillance sur la scène de son théâtre du Palais-Royal, alors qu’il joue pour la quatrième fois le rôle du Malade. Il meurt chez lui, quelques heures plus tard, crachant le sang. Armande, sa femme, devra faire intervenir personnellement Louis XIV pour obtenir de l’archevêque de Paris des funérailles (nocturnes) et une sépulture chrétienne, le 21 février 1673.
Ceci pour démentir la légende : Molière mort en scène et son cadavre jeté à la fosse commune. Il n’est pas non plus mort dans la misère. Son train de vie et sa fortune personnelle en attestent, même s’ils ne sont en rien comparables à ceux de son dernier rival, Lully.
« Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ! »958
BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Mariage de Figaro (1784)
Siècle des Lumières. L’apostrophe, signée Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, apparaît déjà révolutionnaire avant la Révolution et l’œuvre longtemps censurée connaîtra un immense succès, pour ses vertus polémiques autant que dramatiques (nous allons revenir sur les coulisses de sa création). De manière générale, le XVIIIe est le siècle de la « théâtromanie ».
« Paris est un monde. Tout y est grand : beaucoup de mal et beaucoup de bien. Aller aux spectacles, aux promenades, aux endroits de plaisir, tout est plein. Aller aux églises, il y a foule partout. »980
Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)
Italien de Paris, auteur dramatique adopté par la capitale, il profite du goût des Parisiens pour les spectacles. Les salles de théâtre se multiplient, ainsi que les superbes hôtels particuliers voisinant des immeubles de rapport cossus. Le très français Montesquieu confirme : « Je hais Versailles parce que tout le monde y est petit ; j’aime Paris parce que tout le monde y est grand. »
« Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance
C’est la seule vertu qui fait la différence. »1029VOLTAIRE (1694-1778), Mahomet ou Le Fanatisme (1741)
Ces deux vers seront « la citation reine de la Révolution » (Mona Ozouf). Pour les révolutionnaires, tout n’est pas bon à prendre chez ce courtisan porté à l’hédonisme et fort peu enclin à la démocratie, à l’égalité sociale, à la révolution du genre « table rase ». Mais on met volontiers Voltaire en slogans, prenant de-ci de-là, dans des tragédies aujourd’hui injouables et donc oubliées, quelques vers bien frappés, sonores comme des médailles : « Je porte dans mon cœur / La liberté gravée et les rois en horreur. » Ou encore : « Si l’homme a des tyrans, il doit les détrôner. » Ou : « À tous les cœurs bien nés, que la patrie est chère. » On ne citerait pas ainsi Montesquieu ou Rousseau, auteurs de systèmes plus cohérents sur le fond, et pesants dans leur forme.
« Tout citoyen est roi sous un roi citoyen. »1164
Charles Simon FAVART (1710-1792), Les Trois Sultanes ou Soliman second (1761)
Trois vers de Soliman résonnent haut et fort : « Point d’esclaves chez nous ; on ne respire en France / Que les plaisirs, la liberté, l’aisance / Tout citoyen est roi sous un roi citoyen. »
Auteur en vogue dans une société toujours folle de spectacles (« théâtromanie »), marié à une comédienne et chanteuse de talent, créateur de la comédie musicale et du vaudeville dramatique, Favart fait du « théâtre aux armées », attaché au service du maréchal de Saxe. Ce célèbre séducteur s’éprend de Mme Favart, qui s’enfuit pour lui échapper, la mésaventure tourne mal et le couple ne retrouvera sa liberté qu’à la mort du maréchal (1750).
Le nom de Favart restera attaché à l’Opéra-Comique qu’il dirige, fusionnant avec la Comédie-Italienne rivale : des œuvres de commande, un grand talent de poète et librettiste officiel. Mais la mort de sa femme brise l’homme et sa carrière.
Ce genre de littérature pèse pourtant moins lourd que les écrits philosophiques signés de grands noms (Voltaire, Rousseau, Diderot), les pamphlets bassement anonymes et autres écrits.
« Un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. »1215
BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Barbier de Séville (1775)
Sa vie fut un roman, celle d’un aventurier, libertin, parvenu, trafiquant d’armes, très représentatif de cette période de fermentation sociale qui précède la Révolution. Fils d’un horloger, professeur de harpe des filles de Louis XV, puis juge des délits de braconnage sur les terres royales, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est introduit dans le monde de la finance. Un procès l’oppose à un Grand (le comte de La Blache) et lui vaut une notoriété subite, en lui offrant l’occasion de dénoncer publiquement la vénalité d’un de ses juges.
Cette version du Barbier remporte un succès immédiat : premier acte théâtral véritablement prérévolutionnaire, en attendant la suite, Le Mariage…
En 1777, Beaumarchais invente la « grève de la plume ». Il mobilise ses confrères et crée la première société d’auteurs au monde, pour la défense des intérêts d’une corporation jusqu’alors exploitée par les Comédiens-Français - refusant de « donner les comptes », les pièces tombaient dans le domaine public, les auteurs ne touchaient plus aucun droit sur les recettes et les comédiens voyaient leur part augmenter d’autant.
C’est dire comme ce personnage combattant agit et innove sur tous les terrains.
« C’est détestable ! Cela ne sera jamais joué ! […] Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de la pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. »1234
LOUIS XVI (1754-1793), qui vient de lire Le Mariage de Figaro avant sa création sur scène. Encyclopædia Universalis, article « Le Mariage de Figaro »
Depuis quatre ans, Paris parle de cette pièce dont l’auteur, Beaumarchais, est déjà célèbre pour des raisons pas seulement littéraires – divers procès gagnés, soutien aux Insurgents dans la guerre d’Indépendance des nouveaux États-Unis d’Amérique contre l’Angleterre (1777-1783).
Soumise à six censeurs, interdite de représentation à Versailles au dernier moment en 1783, puis jouée en théâtre privé, chez M. de Vaudreuil, le 23 septembre. Paris se presse naturellement pour la première publique à la Comédie-Française, le 27 avril 1784.
« Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »1235
BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Mariage de Figaro ou La Folle Journée (1784)
L’ironie est de mise. La censure royale a remplacé la censure religieuse de la Sorbonne au XVIIe siècle : 79 censeurs ont charge d’autoriser ou d’interdire livres ou pièces, selon leur moralité. La censure inquiétera plus ou moins tous les philosophes qui iront se faire éditer en Suisse, Hollande, Angleterre. Abolie par la Révolution, rétablie en 1797, de nouveau abolie, rétablie, etc., ce sera une longue histoire dans l’histoire, jusqu’au début du XXe siècle.
Le théâtre, spectacle public, est exposé plus encore que le livre aux foudres ou aux tracasseries d’Anastasie aux grands ciseaux. Il est normal que Beaumarchais en traite, pour s’en moquer. En tout cas, l’auteur a écrit là son chef-d’œuvre.
« Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, c’est son succès ! »1236
BEAUMARCHAIS (1732-1799). Beaumarchais et son temps : études sur la société en France au XVIIIe siècle d’après des documents inédits (1836), Louis de Loménie
Auteur enchanté, après le triomphe de la création, à la Comédie-Française.
Sous-titrée La Folle Journée, la pièce sera jouée plus de cent fois de suite - un record, à l’époque. Mais Beaumarchais en fait trop, se retrouve à la prison de Saint-Lazare (mars 1785) et sa popularité ne sera plus jamais ce qu’elle fut, au soir du Mariage qui prit valeur de symbole.
Selon Antoine Vitez, administrateur de la Comédie-Française qui monta la pièce pour le bicentenaire de la Révolution en 1989, « Le Mariage de Figaro est très légitimement considéré comme une pièce révolutionnaire ». Il est des œuvres de poètes géniaux qui prophétisent ce qui va se passer avec une acuité extrême. La Chinoise de Godard, c’était déjà Mai 68 avant Mai 68, et Les Bains de Maïakowski, en 1929, la description de ce que serait le stalinisme avant le stalinisme.
« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. »1395
TOUSSAINT LOUVERTURE (1743-1803). Toussaint Louverture (1850), Alphonse de Lamartine
Ainsi parle le héros de ce « poème dramatique » en cinq actes et en vers. Lamartine, auteur romantique du siècle suivant, prendra souvent fait et cause pour les opprimés, avec une sincérité qui s’exprimera dans son action politique.
La nuit du 22 au 23 août 1791, François Toussaint prend la tête de la révolte des Noirs à Saint-Domingue, colonie des Antilles (île d’Haïti). Restés esclaves après le timide décret du 13 mai, ils veulent les mêmes droits que les citoyens blancs. À l’opposé, les colons s’effraient du droit de vote donné aux mulâtres. L’insurrection aboutit à des massacres entre Blancs et Noirs, sucreries et plantations de café sont dévastées.
Les planteurs vont demander secours à l’Espagne et à l’Angleterre, mais Toussaint se rallie à la Révolution, quand le gouvernement français abolit l’esclavage en 1794.
Son courage lui vaudra le surnom de « Louverture », celui qui ouvre et enfonce les brèches dans les troupes adverses ! Il devient gouverneur de la colonie prospère, les anciens esclaves travaillant comme salariés dans les plantations. Il proclame l’autonomie de l’île en 1801. Bonaparte enverra 25 000 hommes contre Toussaint, qui mourra (de froid) en captif, dans le Jura. L’indépendance d’Haïti, premier État noir indépendant en 1804, est la victoire posthume de ce grand leader noir. Le 23 août (jour anniversaire de la révolte initiale) est devenu « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».
« J’ai, au Champ de Mars, déclaré la guerre à la royauté, je l’ai abattue le 10 août, je l’ai tuée au 21 janvier, et j’ai lancé aux rois une tête de roi en signe de défi. »1482
DANTON (1759-1794), La Mort de Danton (1835), drame historique de Goerg Büchner (1813-1837)
Cette réplique lui est prêtée par le poète allemand âgé de 21 ans (et mort du typhus à 23).
Elle illustre le grand premier rôle révolutionnaire que se donne Danton, et qu’il joue effectivement jusqu’à sa chute, même s’il est souvent absent au cœur de l’action – une des ambiguïtés du personnage, notée par certains historiens.
La force de l’Histoire inspire souvent le Théâtre, mais parfois, elle paralyse l’inspiration.
« Que parles-tu, Vallier, de faire des tragédies ? La Tragédie court les rues. »1596
Jean-François DUCIS (1733-1816), Correspondance, au plus fort de la Terreur. Essais de Mémoires, ou Lettres sur la vie, le caractère et les écrits de J.-F. Ducis (1824), François Nicolas Vincent Campenon
Poète tragique et traducteur (très libre) de Shakespeare, il répond à l’un de ses amis. Et témoigne, dans cette lettre : « Si je mets les pieds hors de chez moi, j’ai du sang jusqu’à la cheville. »
Les spectacles sont florissants (hors les jours et les quartiers tragiques), on joue beaucoup d’œuvres « de circonstance », mais la Révolution n’inspire aucune œuvre théâtrale jouable par la suite. Très vite, on se rabat sur les tragédies de Voltaire, qui ne sont pas non plus des chefs-d’œuvre. Deux noms d’artistes resteront : Talma, tragédien de la Comédie-Française, et David, peintre politiquement inspiré. On les retrouvera, au service de l’empereur Napoléon.
Dans le flot des chants et chansons révolutionnaires, il reste naturellement la Marseillaise de Rouget de l’Isle et le Chant du départ de Chénier (Marie-Joseph) et Méhul.
« Vous voulez du repos ? Ayez-en donc ! »1890
NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses maréchaux, 5 avril 1814. Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l’histoire de France, drame en 6 actes (1831), Alexandre Dumas père
Beau sujet de drame pour le théâtre romantique, signé Dumas, fidèle à l’esprit et à la lettre de cette histoire. Le fait est assez rare pour qu’on le souligne.
Devant ses maréchaux restés muets face à ses derniers projets de bataille d’avance perdue, Napoléon abandonne enfin. L’empereur va se résoudre à signer une abdication sans plus de condition.
« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961
Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)
Les destins tragiques inspirent les poètes, et entre tous, les grands romantiques du XIXe siècle.
Edmond Rostand, considéré comme notre dernier auteur romantique, est un peu le second père de l’Aiglon et fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre est créé en travesti par la star de la scène, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphe en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans. Un des miracles de la scène, qui rend l’histoire du théâtre incroyablement vivante.
« L’émeute, c’est quand le populaire est battu : tous des vauriens ! La révolution, c’est quand il est le plus fort : tous des héros ! »2327
Victorien SARDOU (1831-1908), Rabagas (1880)
Leçon d’histoire que cet auteur dramatique met dans la bouche d’un de ses personnages au cœur des événements de la Commune de Paris. L’insurrection, écrasée dans le sang, est désavouée à l’époque par toute la bourgeoisie et l’immense majorité du pays qui voit en Thiers le sauveur. La propagande officielle interdit toute apologie de la Commune jusqu’en 1914. Ce mouvement révolutionnaire prolétarien sera plus tard revendiqué et récupéré par certaines gauches. Il suscite aujourd’hui encore bien des controverses et des passions.
« J’admire les poilus de la Grande Guerre et je leur en veux un petit peu. Car ils m’eussent, si c’était possible, réconcilié avec les hommes, en me donnant de l’humanité une idée meilleure… donc fausse ! »2577
Georges COURTELINE (1858-1929), La Philosophie de Georges Courteline (1929)
L’auteur à succès comique le plus applaudi par la génération d’avant 1914, ex-cavalier au 13e régiment de Chasseurs à Bar-le-Duc, s’est pourtant assez moqué des militaires, des Gaietés de l’escadron (1886) au Train de 8 h 47 (1891), du capitaine Hurluret et du sergent Flick.
Notons que le « poilu » est synonyme de brave soldat, les poils étant associés à l’idée de virilité.
« Les nations, comme les hommes, meurent d’imperceptibles impolitesses. C’est à leur façon d’éternuer ou d’éculer leurs talons que se reconnaissent les peuples condamnés. »2621
Jean GIRAUDOUX (1882-1944), La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935)
Diplomate, bien placé pour voir venir les périls et savoir que la guerre aura lieu, auteur de roman et (ici) de théâtre, recourant au mythe pour aborder les questions de l’actualité brûlante, Giraudoux témoigne à sa manière apparemment légère – un parmi tant d’autres intellectuels saisis par l’évidence de cette Troisième République finissante.
« C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles. »2721
Jean ANOUILH (1910-1987), Antigone (1943)
La guerre n’est pas un enfer pour tous, partout et tout le temps. Dans le Paris de l’Occupation, les salles de spectacle sont pleines, les théâtres surtout font recette et certaines œuvres, malgré la censure allemande, parlent aux Français le langage qu’ils veulent entendre.
Ainsi, cette Antigone à la fois mythique et contemporaine, qui résiste à Créon, à son ordre, à ses lois. Cependant que le chœur dit : « C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir. »
« Je suis né deux fois : la première, le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j’ai eu, grâce à Jean Vilar, la révélation du vrai théâtre. »2878
Gérard PHILIPE (1922-1959), Après la première du Cid, Festival d’Avignon, 18 juillet 1951. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault
Les critiques sont unanimes devant ce « prince en Avignon », le public du Palais des Papes et bientôt toute la France seront sous le charme. Jean Vilar, responsable du spectacle et lui aussi sous le charme, dira : « Après ce Cid-là, aucun metteur en scène n’osera en faire un autre avant vingt-cinq ans. »
Saluons aussi la naissance d’un fait culturel unique dans l’histoire du théâtre et exemplaire pour le monde : le festival d’Avignon, voulu par Vilar en 1947. Une aventure devenue aujourd’hui une institution.
« Il ne faut pas désespérer Billancourt. »2907
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), « d’après » Nekrassov, créé au Théâtre Antoine, 1955
Mot apocryphe ou, plus exactement, tour de passe-passe intéressant à noter, dans l’Histoire en citations.
Nekrassov est un malentendu : pièce à message, jugée communiste par les anticommunistes et anticommuniste par les communistes, c’est un échec théâtral. Le mot est aussi un bel exemple de « récupération », ce que Sartre déteste et nomme « le baiser de la mort ». Mais c’est une manipulation, donc la preuve de l’importance du texte. Il a écrit deux répliques : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». La contraction des deux donne cette fameuse phrase. Qu’il n’aurait jamais dite, même si le mot lui a été prêté, en Mai 1968.
L’intellectuel éternellement engagé le pensait peut-être, le 4 novembre 1956, quand 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie pour écraser la tentative de libéralisation du régime. Le 9, dans une interview à L’Express, Sartre dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. Bref ! « Il ne faut pas désespérer Billancourt. »
« Autant qu’à l’école, les masses ont droit au théâtre, au musée. Il faut faire pour la culture ce que Jules Ferry faisait pour l’instruction. »3031
André MALRAUX (1901-1976), Discours à l’Assemblée nationale, 27 octobre 1966. André Malraux, une vie dans le siècle (1973), Jean Lacouture
De Gaulle a créé le ministère de la Culture pour Malraux. Leur dialogue au sommet, que seule la mort interrompra, est l’une des rencontres du siècle, saluée par François Mauriac : « Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. »
Ministre des « Affaires culturelles » de 1958 à 1968, chaque automne, lors de la discussion du budget, Malraux enchante députés et sénateurs par des interventions communément qualifiées d’éblouissantes sur les crédits de son département – en fait notoirement insuffisants au regard des ambitions proclamées pour une véritable culture de masse ! Il faudra attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir pour que ce ministère frôle le 1 % du budget de l’État.
Malraux définit ici la mission des maisons de la Culture implantées dans les villes moyennes, lieux de rencontre, de création, de vie, chargées de donner à chacun les « clés du trésor ». Ce rêve de démocratie culturelle est toujours actuel, à la fois vital et irréalisable.
Quand l’assemblée nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent devenir des assemblées nationales.3053
Slogan, soir du 15 mai 1968 à l’Odéon-Théâtre de France
La « prise de l’Odéon », mise aux voix le 13 mai, fit l’unanimité à Censier. Lieu symbolique et si près du Quartier latin ! Ce mercredi soir, l’idée jaillit dans un cri : « Occupons l’Odéon. »
Jean-Louis Barrault, le directeur, prévenu, a interrogé le ministère : Que faire ? Ouvrir les portes et entamer le dialogue. 3 000 personnes occupent une salle de 1 000 places et un gigantesque happening commence, le 15 mai. Il va durer un mois.
Tout est dada.
L’art, c’est de la merde.
Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.3054Slogans, nuit du 15 mai 1968 à l’Odéon
Dans la nuit, la création s’en donne à cœur joie. Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, codirectrice, voient leur rideau de fer se couvrir de ces graffitis. Et Jean-Louis déchaîne une ovation qui fait trembler les lustres en déclarant : « Barrault n’est plus le directeur de ce théâtre, mais un comédien comme les autres. Barrault est mort, mais il reste un homme vivant. Alors que faire ? »
Malraux, ministre, lui retirera la direction du théâtre : ni l’Odéon ni Barrault ne s’en remettront. Le monde du spectacle est tout entier gagné par la contestation. Et les ouvriers enchaînent, entre grèves sauvages et grèves officielles, organisées par les syndicats plus ou moins dépassés. Mai 68 fut un long happening - improvisé par les meneurs eux-mêmes.
« La Révolution doit s’arrêter à la perfection du bonheur. »3129
Sous-titre de 1789, spectacle d’Ariane Mnouchkine (née en 1939), au Théâtre du Soleil, première représentation, samedi 26 décembre 1970, à la Cartoucherie de Vincennes. Citation empruntée à Louis-Antoine de SAINT-JUST (1767-1794), compagnon de Robespierre jusqu’au bout de la Terreur
1789, spectacle créé au Piccolo Teatro de Milan le 11 novembre 1970, va trouver place dans un lieu aménagé en plein bois de Vincennes, pour la compagnie de Mnouchkine.
Vaste hangar désaffecté, tréteaux dressés, bancs de bois, et voici ressuscité le spectacle de foire, comme au temps du théâtre vraiment populaire.
Les comédiens habitent l’espace, tour à tour héros de l’histoire, bateleurs bonimenteurs ou spectateurs témoins mêlés au public. L’action se déplace sans arrêt, l’attention est sollicitée de toute part, à tous niveaux, ça chante, ça rit, ça crie, ça danse, ça vit. Le spectacle relève de tous les genres, comme dans la commedia dell’arte. On croit au miracle de l’improvisation, mais rien n’est plus réglé que cette création collective qui se veut également expression politique.
La magie se renouvelle chaque soir, les représentations s’achèvent le 14 juillet 1971. Il y aura une suite, 1793, mais 1789 reste un spectacle mythique, événement culturel et modèle unique en son genre. La troupe existe toujours, œuvrant dans le même esprit communautaire, mais le théâtre n’est plus ce qu’il était - cette magie se retrouve parfois dans certains festivals de musique pop, rock, rap et autres.
« Vous n’avez pas le monopole du cœur. »3154
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), à François Mitterrand, ORTF, 10 mai 1974. Convaincre : dialogue sur l’éloquence (1997), Jean-Denis Bredin, Thierry Lévy
Élections présidentielles de 1974. Les deux candidats restant en lice s’opposent dans un débat télévisé entre les deux tours. C’est une première et ça va devenir un classique du genre.
Le ministre libéral et le député socialiste sont au coude à coude dans l’opinion publique dûment sondée : IFOP et Sofres donnent Giscard gagnant à 51 % et Publimétrie, exactement l’inverse. C’est dire l’importance du débat : un mot, un geste, un regard, un silence peut tout changer… Dans ce duel médiatique, Giscard se montre plus à l’aise que son aîné en politique et à l’état civil (58 ans). Autre petite phrase meurtrière, conforme à la stratégie de Giscard (48 ans) : « Monsieur Mitterrand, vous êtes un homme du passé. »
La politique est un spectacle (ici, en direct devant 25 millions de téléspectateurs !) et deviendra d’ailleurs théâtre, au théâtre de la Madeleine, Jacques Veber et Jean-François Balmer rejouant au mot près les duels de 1974 et 1981. Peut-on parler de véritable création ? « Tout est culture » dit le ministre Jack Lang à l’Assemblée nationale, le 17 novembre 1981.
« C’est l’histoire d’un mec. »3197
Titre du film (2007) d’Antoine de CAUNES (né en 1953), retraçant l’aventure politique du « mec ». C’est aussi le titre du premier sketch de Coluche (1944-1986)
Le comédien de café-théâtre s’est lancé dans une carrière solo au music-hall, dix ans plus tôt : « C’est l’histoire d’un mec » tournait en dérision la difficulté de raconter une histoire drôle.
Le sommet de la popularité lui vient avec cette drôle d’histoire qu’il ne va pas vraiment maîtriser. Soutenu par son imprésario, Paul Lederman, patronné par Cavanna et toute la bande d’Hara-Kiri, il sera le « candidat nul », avec pour tout programme « d’emmerder la droite jusqu’à la gauche ».
Et voilà que des intellectuels patentés, Pierre Bourdieu et Gille Deleuze, le soutiennent ! Brice Lalonde, l’écologiste, déclare que ce Michel Colucci est peut-être « l’un des meilleurs candidats de gauche ». Le Nouvel Observateur fait sa une sur le phénomène Coluche en novembre, la semaine où Mitterrand annonce sa candidature. Et le 14 décembre, un sondage publié dans le Journal du Dimanche le crédite de 16 % d’intentions de vote.
Panique chez les principaux candidats ! Coluche prend son canular au sérieux et s’engage pour de vrai dans cette campagne. Plusieurs sondages le placent alors en position de troisième homme avec 10 à 12 % des voix et il obtient 632 promesses de parrainage (il en faut 500 pour se présenter). Le public du Gymnase le rappelle chaque soir en scandant « Coluche président ».
L’histoire se complique alors. Il est censuré par les médias publics, radio et télé - l’ordre vient de l’Élysée. Mitterrand lui envoie des émissaires pour qu’il retire sa candidature et rejoigne le PS. Des journaux soudain « bien informés » trouvent de menus délits dans une vie notoirement chaotique. Suivent les menaces : lettres anonymes, coups de téléphone, il n’est pas prudent de conduire en moto…
Coluche renonce le 16 mars 1981, sans plus d’explication : « Je préfère que ma candidature s’arrête parce qu’elle commence à me gonfler. » Bref ! « C’est l’histoire d’un mec… »
Vous avez aimé ces citations commentées ?
Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.