Aimez-vous les bêtes ? L’histoire en est pleine, avec toutes les citations qui les font vivre, tirées de notre Histoire en citations au fil des chroniques et numérotées : Abeille, Aigle, Aiglon, Âne, Anguille, Araignée, Autruche, Blaireau, Bœuf, Caméléon, Caniche, Chat, Chenille, Cheval, Chien, Colley, Colombe, Coq, Corbeau, Corniaud, Dindon, Dogue, Écureuil, Éléphant, Frelon, Génisse, Grenouille, Grue, Guenon, Lézard, Lion, Loup, Mammouth, Morue, Moucheron, Mulet, Oie, Ours, Papillon, Porc-épic, Poule, Rat, Renard, Salamandre, Serpent, Singe, Souris, Taon, Vache.
Un vrai Zoo – disons plus élégamment, un bestiaire. Ajoutons à cette liste deux noms génériques : Animal et Bête, souvent évoqués avec une connotation critique, jusqu’au siècle dernier.
Une bonne centaine d’espèces sont par ailleurs présentes dans trois chefs d’œuvre qui ont naturellement leur place dans cette histoire : le Roman de Renart (série de récits anonymes au Moyen Âge), les Fables de La Fontaine au siècle de Louis XIV et Chantecler (1910), pièce à grand spectacle d’Edmond Rostand, pratiquement injouable.
De la Gaule à nos jours, un gagnant s’impose, le cheval : « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats » (Buffon). Sur chaque cheval, il y a un chevalier et de la chevalerie naît la cavalerie, force principale des armées… jusqu’à l’apparition du « cheval-vapeur » et de la motorisation au XIXe siècle. N’oublions pas le cheval de labour dans une France agricole à 90 % et celui qui tire les voitures - carrosse, diligence, transport de marchandises. Le cheval est aussi un loisir associé à la chasse, sport très pratiqué. Enfin, c’est un personnage principal dans tous les portraits et statues équestres mettant en valeur les rois, les empereurs et les grands militaires.
Le chien est réputé « le meilleur ami de l’homme » - même si le cheval a aussi cette prétention. Comme lui, il participe à la chasse pratiquée par le peuple et les nobles. Mais contrairement au cheval, le chien est souvent méprisé, son nom sonnant comme une injure.
« Le chat semble mettre un point d’honneur à ne servir à rien, ce qui ne l’empêche pas de revendiquer au foyer une place meilleure que le chien » (Michel Tournier, Le Miroir des idées). Avant de devenir l’animal domestique préféré des Français, il peine à se distinguer du lot.
Parmi tous les animaux, chacun peut prétendre à son heure de gloire, à commencer par le bœuf et l’âne de la crèche, plus mythiques que chrétiens. Si le lion est réputé roi des animaux, ça ne lui vaut pas une grande présence dans l’histoire des hommes, mais il en impose quand même. Chiens et poules, chats et souris sont naturellement plus populaires. L’aigle (parfois royal pour les naturalistes) aura son siècle de gloire avec Napoléon et le culte impérial qui rejaillit sur l’infortuné Aiglon. Les corbeaux ont toujours mauvaise réputation – avec leurs cris, leur noir plumage. Le coq est à la fois très mâle et très gaulois. Le renard s’en sort bien, toujours plus malin que les autres.
Des outsiders illustrent les blasons et les armoiries ou font symboles dans les devises : salamandre, porc-épic, écureuil…
La métaphore animale est fréquente et fait toujours image avec humour, parfois avec humeur. La philosophie et le théâtre s’en mêlent. Les modes passent… Mais l’animal reste, jouant le rôle que l’homme lui donne ou que la nature impose. Une Histoire toujours à suivre.
Nous vous proposons ce récit animalier en deux épisodes :
I. De la Gaule au siècle de Louis XIV - II. Du Siècle des Lumières à nos jours.
« Amitié de cour, foi de renards, société de loups. »954
CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803)
Siècle des Lumières. Renard et loup se retrouvent associés comme frères ennemis, dans cette fable humaine qu’est l’histoire.
La cour reste un microcosme où les places sont chères et les appelés toujours plus nombreux que les élus. Mais elle cesse d’être l’appareil d’État comme sous Louis XIV, pour devenir l’instrument des intérêts particuliers de la haute noblesse, lieu de toutes les intrigues, cabales et corruptions sous Louis XV. Pire encore sous Louis XVI : les coteries se font plus insolentes autour de la reine et des frères du roi, tandis que les scandales éclaboussent le trône.
« On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paraît que le Français est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence ; car il semble fait uniquement pour la société. »975
MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)
La sociabilité sera l’un des traits caractéristiques de ce siècle, porté à un point extrême et tantôt qualité, tantôt défaut. Le moraliste Chamfort confirme, à la veille de la Révolution : « Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés qu’ils se croient en société. »
« La feinte charité du riche n’est en lui qu’un luxe de plus ; il nourrit les pauvres comme des chiens et des chevaux. »986
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Correspondance, à M. Moulton
Humilié dans ses divers postes de laquais et gouverneur auprès de maîtres orgueilleux, Rousseau parle de ce qu’il sait et que les autres philosophes ignorent – hormis Diderot qui connut la pauvreté, avant de vivre en courtisan. Chiens et chevaux sont naturellement associés, signes extérieurs de richesse et de noblesse, au XVIIIe siècle.
« Je suis flexible comme une anguille et vif comme un lézard et travaillant toujours comme un écureuil. »1014
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à d’Argental, 22 octobre 1759, Dictionnaire de français Littré, au mot « travaillant »
Autoportrait zoologique du sexagénaire. Bien que de santé précaire, il sut se ménager en se refusant tout excès, hormis le travail – une œuvre considérable et relevant de tous les genres. De son adolescence libertine et frondeuse à sa « retraite frénétique », le personnage déborde d’une activité voyageuse, européenne, batailleuse, mondaine, courtisane, épistolière, théâtrale, politique, économique, scientifique, sociale, agronomique, encyclopédique, et naturellement philosophique.
« Voltaire alors régnait, ce singe de génie
Chez l’homme en mission par le diable envoyé. »1017Victor HUGO (1802-1885), Les Rayons et les ombres (1840)
L’hommage nuancé s’explique : si différents que soient les deux personnages, si opposée par leur nature même, ils furent l’un et l’autre à l’image de leur temps, entrés vivants dans la légende après s’être jetés dans toutes les luttes.
« Le peuple ressemble à des bœufs, à qui il faut un aiguillon, un joug, et du foin. »1028
VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance, 17 avril 1765
Métaphore sans équivoque ! Courtisé en tout temps par les démagogues, en attendant d’être divinisé par la Révolution, le peuple est souvent assimilé à la populace et ouvertement méprisé par le mondain Voltaire. De tous les philosophes, il n’est pas le plus aristocratique - comparé à Montesquieu, seigneur de la Brède. Mais c’est assurément le moins « peuple », s’opposant en cela comme en tout à Rousseau.
« Le cheval : La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. ».
BUFFON (1707-1788), Histoire naturelle, publication de 1749 à 1804
Œuvre de référence de nature encyclopédique et à valeur scientifique, mais certains passages ont mal vieilli.
D’un point de vue historique, cette définition du cheval est fort bien vue et fait de lui l’animal le plus présent.
La suite est plus discutable, à en croire les cavaliers : « Aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l’affronte. »
Biologiste, écrivain, mathématicien, naturaliste, philosophe, scientifique, Buffon est célèbre pour son œuvre majeure, l’Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, 36 volumes parus de 1749 à 1789, plus huit autres après sa mort. Succès immense, comparable à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Buffon y a inclus tout le savoir de l’époque dans le domaine des sciences naturelles. L’attention qu’il accorde à l’anatomie interne le place parmi les précurseurs de l’anatomie comparative : « L’intérieur, dans les êtres vivants, est le fond du dessin de la nature », écrit-il dans les Quadrupèdes.
« L’âne est d’un naturel aussi sensible, aussi patient, aussi tranquille que le cheval est fier, ardent, impétueux. »
BUFFON (1707-1788), Histoire naturelle
Les Animaux : l’essentiel de son œuvre, face aux quelques livres sur les minéraux et les végétaux.
Certes, il manque des espèces et il n’a pas pu voir toutes celles dont il parle, mais il dispose des comptes rendus de zoologistes et de voyageurs. Il développe pour chaque animal une fiche détaillée : description générale, illustration, description anatomique. Il lie les espèces entre elles et remarque le lien entre organes et fonction : les carnivores ont des griffes et des dents tranchantes, les herbivores des sabots et des dents plates… Il fait de l’anatomie comparée, rapprochant le sabot du cheval et la main humaine. Il compare les espèces de différents continents, qui ont varié différemment. Cette nouvelle approche de la zoologie ne classe pas les animaux selon leurs critères biologiques, mais selon une suite logique qui part de l’homme, d’où un anthropomorphisme gênant.
Il reste un des précurseurs du « transformisme » (transmutation des espèces), avec sa théorie pessimiste de la dégénération (différente du darwinisme) : toutes les espèces actuelles sont issues du lot initial et certaines ont dégénéré. Ainsi, le cheval devenu âne. La dégénération n’est pas la dégénérescence, étant réversible. Replacé dans un environnement favorable, l’animal dégénéré reprendra son aspect normal en quelques générations.
« On ne fait pas attention que l’âne serait par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n’y avait point de cheval : il est le second au lieu d’être le premier, et par cela seul il semble n’être plus rien : c’est la comparaison qui le dégrade ; on le regarde, on le juge, non pas en lui-même, mais relativement au cheval ; on oublie qu’il est âne, qu’il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce ; et on ne pense qu’à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu’il ne doit pas avoir. »
BUFFON (1707-1788), Histoire naturelle
Le naturaliste continue sur sa lancée comparative, histoire de réhabiliter cet animal plutôt mal vu et mal traité (après la crèche de Jésus et avant certains films d’auteur, tel Au hasard Balthazar de Robert Bresson). « On donne au cheval de l’éducation, on le soigne, on l’instruit, on l’exerce, tandis que l’âne, abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, bien loin d’acquérir, ne peut que perdre par son éducation ; et s’il n’avait pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdrait en effet par la manière dont on le traite ; il est le jouet, le plastron, le bardeau 11 des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l’excèdent sans précaution, sans ménagement. »
« Le chat est un domestique infidèle que l’on ne garde que par nécessité. »
BUFFON (1707-1788), Histoire naturelle. Tome VI, Les Animaux domestiques (1756)
La suite reste un modèle du genre : anthropomorphisme peu scientifique et portrait à charge fort injuste, ce que lui reprochera bientôt Chateaubriand, personnellement amateur de chats.
« Quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l’instant de faire leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. »
Les illustrations choisies par Buffon ne rendent pas justice à sa grâce naturelle : le chat plus raide que nature « fait la gueule ». Pourtant, à la même époque, il trouve enfin grâce dans la bonne société, la cour donnant l’exemple avec Louis XV, de tous nos rois le plus amateur de petit félin, avec un faible pour l’Angora blanc qui lui ressemble de manière frappante : même élégance racée, même indifférence hautaine.
« J’entends toujours demander si les chiens et les chevaux sont las et jamais les hommes. »1116
LANSMATE (XVIIIe siècle), premier piqueur du roi. Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution (1886), comte Jean-Nicolas Dufort de Cheverny, Robert Saint John de Crèvecœur
Lors d’une chasse qui a épuisé bêtes et gens, il déplore l’insolente santé de Louis XV, jointe à un égoïsme certain. L’enfant chétif et plusieurs fois mourant est devenu un sportif infatigable, grand chasseur par tous les temps. Son métier de roi l’ennuie et sa nature mélancolique (voire neurasthénique) exige toujours plus de divertissements. D’où les nombreuses maîtresses et le fameux « Parc-aux-cerfs », nom d’un quartier de Versailles rappelant l’enclos enfermant des cerfs à l’époque où Louis XIII chassait en son château. Il abrite à présent un gibier humain prêt à satisfaire les désirs du roi et à défrayer les gazettes.
« J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé. »1036
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
C’est une provocation lancée à ce siècle épris de raison et à tous ses confrères qui font métier de penser ! Le Discours sur l’inégalité est un brûlot dangereux qui annonce déjà le Contrat social littéralement révolutionnaire, mais c’est quand même cette petite phrase qui va faire réagir Voltaire.
« J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »1138
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755, Correspondance (posthume)
Il y a incompatibilité d’esprit entre les deux personnages et Rousseau écrit à son ami M. Moulton : « Je le haïrais davantage, si je le méprisais moins. »
Les deux hommes s’opposent en tout. Rappelons le mot de Goethe : « Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. » La Révolution va pourtant les réunir, au Panthéon.
« Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens et qui aura pris la rage. »1144
VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Lutzelbourg, 20 janvier 1757, Correspondance (posthume)
Attentat manqué contre Louis XV. Le « chien », c’est Damiens, plus fou que régicide, sans doute épileptique et simple d’esprit, condamné pour « parricide » à la série des supplices jadis infligés à Ravaillac (après la mort d’Henri IV). Damiens a servi comme domestique chez plusieurs magistrats du Parlement de Paris, dont certains très virulents contre le roi. Il se vanta d’avoir voulu donner une leçon au roi, pour que désormais il obtempérât aux remontrances… La Révolution se prépare au siècle des Lumières et Voltaire est tout, sauf révolutionnaire.
« Ni chiens, ni filles, ni laquais, ni soldats. »1161
Écriteau à la porte des jardins et autres lieux publics
C’est dire la piètre estime pour l’armée, sous le règne de Louis XV qui n’est plus le « Bien aimé » ! Le recrutement est organisé de telle manière qu’on enrôle les plus pauvres, avec tous les « déchets de la société », maraudeurs et vauriens, misérables et autres laissés pour compte. La notion de patrie est dévaluée, la philosophie antimilitariste et l’opinion souvent défaitiste, alors que l’Angleterre soutient l’effort de guerre, ses hommes et leurs chefs.
« Oh ! la belle statue ! oh ! le beau piédestal !
Les Vertus sont à pied et le Vice à cheval. »1177Vers anonymes écrits sur le socle de la statue équestre de Louis XV. Le Vandalisme de la Révolution (1993), François Souchal
Les statues équestres imposent souvent le respect : Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon en trio de tête, suivies de Vercingétorix, Guillaume le Conquérant, Du Guesclin, François Ier, Louis XIII, La Fayette, maréchal Foch.
Des statues furent déboulonnées pour des raisons historiques plus ou moins valables, mais aussi « taguées », dégradées, humiliées de diverses façons. Ainsi, cette statue de Louis XV.
La statue signée de Bouchardon, inaugurée à Paris le 2 juin 1765 sur la place Louis-XV (aujourd’hui place de la Concorde), est entourée de quatre figures symbolisant les vertus.
Louis XV le Bien-Aimé a perdu la Pompadour et pas encore trouvé la du Barry, mais entre deux favorites officielles, les dames ne manquent pas, surtout de très jeunes demoiselles, discrètement abritées dans le Parc-aux-Cerfs à Versailles, fournies par des parents consentants, ignorant elles-mêmes l’identité de leur royal amant et mariées à des courtisans sitôt qu’engrossées. Dit-on. La marquise de Pompadour, maquerelle vigilante, veillait à ce que le roi ne s’attache durablement à aucune. Disait-on aussi. Le règne est celui de toutes les rumeurs et la vie amoureuse de ce roi très sensuel et à présent haï est un sujet de choix.
« Notre saint père est un dindon / Le calotin est un fripon
Notre archevêque un scélérat / Alleluya. »1250Première chanson anticléricale attaquant le pape (sans titre, et sans auteur). Dictionnaire des chansons de la Révolution (1988), Ginette Marty, Georges Marty
Le clergé était une cible habituelle, mais à la veille de la Révolution, Pie VI en personne est mis en cause. Ce n’est que le début des ennuis pour le 248ème pape qui verra passer non seulement la Révolution française, mais aussi la campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte.
Quant au dindon, l’animal a toujours mauvaise presse, dans cette histoire. Du moins est-il présent.
« L’aigle marche toujours seul, le dindon fait troupe ! »1303
MARAT (1743-1793) en réponse à Fréron et Desmoulins, septembre 1789
L’aigle entre en scène et va bientôt voler la vedette aux autres animaux.
Marat est un solitaire, il ne supporte pas la moindre objection. Quand il crée son journal, l’Ami du peuple (à partir du 12 septembre 1789), il refuse en ces termes aux deux journalistes révolutionnaires de participer à la rédaction. La phrase explique aussi pourquoi cet éternel aigri, qui se pose en « ami du peuple », n’a pas d’ami. Marat sera tout à la fois le grand malade, le grand persécuté, le grand visionnaire de son temps.
« L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux. »1324
MIRABEAU (1749-1791), Assemblée nationale, 27 juin 1789. Discours et opinions de Mirabeau, précédés d’une notice sur sa vie (1820)
La Révolution. L’Orateur du peuple qui s’impose en grand premier rôle à la nouvelle Assemblée fait de la fraternité l’invention majeure – priorité sera plus souvent donnée à la liberté et l’égalité. Avec la conscience de vivre un moment historique et un formidable optimisme – le bonheur est à l’ordre du jour.
« Marat pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille, un scélérat pour sauver des innocents, une bête féroce pour donner le repos à mon pays. J’étais républicaine bien avant la Révolution. »1522
Charlotte CORDAY (1768-1793), à son procès devant le Tribunal révolutionnaire, 17 juillet 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert
En un jour, la jeune fille devient une héroïne et reste l’une des figures de la Révolution. Le poète André Chénier la salue par ces mots : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud et s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.
Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. »
Quant à Marat la « bête féroce », détesté de ses confrères et de tous les historiens, il avait un grand pouvoir de nuisance en tant qu’« Ami du peuple » - titre de son journal très populaire auprès des sans-culottes. Hébert va le remplacer, en pire (plus extrémiste).
« La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon. »1543
Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, n° 299, titre du journal au lendemain du 16 octobre 1793
Voici l’oraison funèbre consacrée par le pamphlétaire jacobin à Marie-Antoinette, la reine sacrifiée. Le titre est long. La chronique qui suit continue dans la démagogie populaire et animalière : « J’aurais désiré, f…! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chatière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche… »
« Ô soldats de l’an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées […]
Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers ! »1591Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Le poète a raison : de l’an II date la réputation des Français comme redoutables soldats et la cavalerie a été réorganisée par ordonnance (dite royale) du 1er janvier 1791 en 27 régiments de cavalerie de bataille, 25 de chasseurs à cheval, 21 de dragons, 12 de hussards et 2 de carabiniers. L’armée nationale fait face victorieusement à la première coalition qui réunit Angleterre, Russie, Sardaigne, Espagne, royaume des Deux-Siciles et qui sera bientôt disloquée par les traités de Paris, Bâle, La Haye, en 1795.
« Sans trop de respect pour notre espèce, [Bonaparte] ordonna de nous transformer sur-le-champ en bêtes de somme et de trait, ce qui fut effectué comme par enchantement. »1701
Capitaine GERVAIS (1779-1858), évoquant le passage du col du Grand-Saint-Bernard, 18-20 mai 1800. Souvenirs d’un soldat de l’Empire (posthume, 1939)
Le général Bonaparte, vêtu de sa redingote grise et à dos de mule, en tête d’une armée de réserve de 50 000 soldats, renouvelle l’exploit d’Hannibal, passant le col des Alpes encore sous la neige, avec des pièces d’artillerie traînées à bras d’homme dans des troncs creux. Scène immortalisée et sublimée par David : Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, portrait équestre et chef d’œuvre du genre, peint en 1800.
« Poser ? à quoi bon ? croyez-vous que les grands hommes de l’Antiquité dont nous avons les images aient posé ? C’est le caractère de la physionomie ce qui l’anime qu’il faut peindre. Personne ne s’informe si les portraits des grands hommes sont ressemblants, il suffit que leur génie y vive. »
Bonaparte a raison et il va guider le peintre, mais le génie de David dépasse la représentation de l’événement pour en faire le prototype de la propagande napoléonienne. Le Premier Consul a souhaité être peint « calme sur un cheval fougueux » et l’artiste cabre l’animal, donnant un dynamisme à sa composition, renforcé par le geste grandiloquent de Bonaparte drapé dans un ample manteau de couleur vive. Le général victorieux, visage idéalisé, regarde le spectateur et lui montre la direction à suivre, cette troisième voie politique qu’il cherche à imposer entre les royalistes et les républicains.
Le tableau s’est mué en image, devenue le symbole même des victoires de Napoléon, alors qu’il ne s’agit que d’un épisode de stratégie militaire. Dans l’esprit du public, Napoléon Bonaparte est avant tout un conquérant et ce tableau synthétise le général, le consul et l’Empereur. Sous cet angle, la propagande bonapartiste a parfaitement fonctionné - et fonctionne encore.
« N’est-ce pas que je suis de la poule blanche ! »1714
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à sa mère, après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, 24 décembre 1800
« Être de la poule blanche », expression corse qui signifie avoir de la chance - et ce Corse est très superstitieux. C’est miracle s’il n’est pas mort, ce soir de Noël 1800. Au passage de son carrosse, explosion de la « machine infernale » – tonneau de 200 livres de poudre, rempli de clous. 22 morts, une cinquantaine de blessés, 46 maisons détruites. Le fracas ébranle tout le quartier Saint-Honoré… Le Premier Consul est indemne. Empereur, il échappera à bien d’autres attentats, protégé par la poule blanche…
« Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard. »1775
NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémoires du prince de Talleyrand (posthume, 1891)
Talleyrand eut tout loisir d’observer l’homme, du Directoire jusqu’à la fin de l’Empire, et d’apprécier en connaisseur ses talents.
Napoléon est né sous le signe astral du lion, 15 août 1769. Le roi des animaux ne peut que le séduire, mais il revendique la ruse du renard, face à l’adversaire. Pour compléter le bestiaire napoléonien, il a pris pour symboles l’aigle impérial et les abeilles, qui renvoient à l’Antiquité romaine.
« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845
Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel
Il commente le mariage impérial en authentique prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Le (second) mariage de Napoléon avec Marie-Louise d’Autriche a lieu le 1er avril 1810 : « C’est un ventre que j’épouse. » Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement, plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse a lieu le 2 avri1. Sa femme a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble, elle lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome, l’Aiglon.
« L’armée a besoin de rétablir sa discipline, de se refaire, de remonter sa cavalerie, son artillerie et son matériel […] Le repos est son premier besoin. »1872
NAPOLÉON Ier (1769-1821), 29e Bulletin de la Grande Armée, Le Moniteur, 16 décembre 1812. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)
Derniers mots du tristement célèbre Bulletin. La France en est frappée de stupeur.
Napoléon, le 5 décembre, a décidé de rentrer, suite à la conspiration du général Malet au le coup d’État manqué de peu ! D’où cette course folle de treize jours, en traîneau, en cabriolet, à travers la Pologne, l’Allemagne… Il ignore le pire : la plus atroce déroute de l’histoire de France commence.
« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927
NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815
Les Cent-Jours. L’empereur de retour d’exil annonce la couleur dès le premier jour, se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Restauration avec tous ses symboles d’Ancien Régime.
Il n’en faut pas plus, pas moins non plus, pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence le « vol de l’Aigle », sur la route Napoléon.
« Enfin, v’la qu’je r’voyons à Paris / Ce fils de la victoire !
L’aigle remplace la fleur de lys, / C’est c’qui faut pour sa gloire… »1929Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
C’est l’un des couplets du chant des partisans, de plus en plus nombreux : la magie impériale agit encore.
« De l’île d’Elbe en quittant le pays, / Crac ! Il se met en route. / En vingt jours, il arrive à Paris. / C’t’homm’-là n’a pas la goutte. » Mais à Paris comme au Congrès de Vienne, la réaction s’organise. Et quelque cent jours après, c’est Waterloo. Défaite absolue. Fin de l’épopée célébrée par Hugo : « L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »
« Ce n’était pas une bataille, c’était une boucherie. »1941
Capitaine COIGNET, Cahiers (1851-1853), bataille de Ligny, dernière victoire de la cavalerie impériale avant Waterloo
Ce grognard inspirera le personnage du grenadier Flambeau, dans L’Aiglon de Rostand.
Il évoque ici la bataille de Ligny, commune de Belgique où les Prussiens de Blücher sont battus pour la seconde fois par Napoléon, le 16 juin 1815. Les troupes de Ney n’arrivent pas comme prévu, la bataille est indécise, quand Napoléon décide d’engager la garde impériale, l’arme de la dernière chance. « Ce hourra général de 3 000 hommes de grosse cavalerie sur un seul point avait quelque chose de prodigieux et d’effrayant ; il y eut plusieurs chocs des plus violents entre cette cavalerie et la cavalerie prussienne. La terre tremblait sous leurs pieds, le cliquetis des armes et des armures, tout rappelait ces descriptions fabuleuses de l’Antiquité » (témoignage de Mauduit, autre grenadier de la Garde).
La fantastique mêlée se prolonge jusqu’à la nuit. Bilan de cette sanglante journée : 20 000 Prussiens et 13 000 Français blessés ou morts. Ligny est l’ultime victoire de Napoléon, deux jours avant Waterloo.
« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961
Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)
Épilogue de l’aventure napoléonienne. Les destins tragiques inspirent les poètes et entre tous, les romantiques du XIXe siècle, à commencer par Hugo, fasciné très jeune par Napoléon et promoteur de cette légende de l’aigle.
Quant à Edmond Rostand, le dernier de nos auteurs romantiques, c’est un peu le second père de l’Aiglon. Il fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre sera créé en travesti par la star de la scène, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphera en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans.
« Hommes noirs, d’où sortez-vous ? / Nous sortons de dessous terre,
Moitié renards, moitié loups. / Notre règle est un mystère. »1967BÉRANGER (1780-1857), Les Révérends Pères, chanson
Le célèbre chansonnier contemporain reprend la métaphore des renards et des loups. Il vise les jésuites, de retour avec la monarchie. Pie VII a rétabli leur ordre, le 7 août 1814. La Charte constitutionnelle reconnaît la liberté du culte, mais fait du catholicisme la religion d’État et les pères jésuites pensent avoir le quasi-monopole de l’éducation : « Nous sommes fils de Loyola, / Vous savez pourquoi l’on nous exila. / Nous rentrons ; songez à vous taire ! / Et que vos enfants suivent nos leçons. / C’est nous qui fessons, et qui refessons, / Les jolis petits, les jolis garçons. » Les deux derniers vers dénoncent la pédophilie pratiquée dans certains collèges.
« L’art de gouverner est réduit à donner aux frelons la plus forte portion du miel prélevé sur les abeilles. »1970
Comte de SAINT-SIMON (1760-1825), L’Organisateur (1819)
Sous la Restauration, ce socialiste utopique avant la grande époque du socialisme développe sa fameuse parabole : la perte subite des élites actives et productives de la nation, du niveau le plus modeste au plus élevé, serait une telle catastrophe que la France aurait besoin d’une génération pour s’en relever ; alors que la disparition de la famille royale, des hauts fonctionnaires de l’État, des grands du clergé, recrutés essentiellement au sein d’une aristocratie foncière et oisive, serait sans conséquence sur la vie et la prospérité du pays.
Pour cette « fable », Saint-Simon sera cité en cour d’assises en 1819, mais acquitté en 1820.
« C’est le premier vol de l’Aigle ! »2224
André Marie Jean Jacques DUPIN (1783-1865), 22 janvier 1852
Jouant sur le mot « vol » et remettant l’aigle impérial en scène, ce magistrat (député sous la IIe République en 1849) parle du décret pris par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, portant confiscation des biens de la maison d’Orléans, le 22 janvier 1852. Le même jour, il démissionne de ses fonctions à la Cour de cassation.
« Qui arracherait une plume à son aigle risquerait d’avoir dans la main une plume d’oie. »2248
Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)
Le « crime » de l’histoire, c’est le coup d’État du 2 décembre 1851. Le ridicule blesse, s’il ne tue pas. Le coup d’État réussi donne une assurance au personnage, mais Napoléon III souffrira de la comparaison avec Napoléon Ier. « L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. » (Tocqueville)
« L’armée est la véritable noblesse de notre pays. »2262
NAPOLÉON III (1808-1873), Allocution à la garde impériale, 20 mars 1855. La Politique impériale exposée par les discours et proclamations de l’empereur Napoléon III (1868), Napoléon III
L’armée doit être un appui pour l’empereur - avec l’Église, l’administration et la police. Le 2 décembre 1851, elle a obéi aux civils qui firent le coup d’État. Il va donc la mettre à l’honneur et la rendre bonapartiste : mesure la plus notoire, il rétablit la garde impériale en 1854. Ce sera le dernier corps d’élite et d’essence monarchique possédé par la France, associé aux fastes du Second Empire, avec des uniformes aux couleurs éclatantes, où dominent le rouge des pantalons et le bleu des vestes. Très beau à la parade, trop voyant sur le terrain. Cette noblesse date vraiment d’une autre époque.
On retrouve l’essentiel de la structure pensée par Napoléon : cavalerie (chasseurs à cheval, cuirassiers, carabiniers, lanciers, dragons, guides, hussards, chasseurs d’Afrique, spahis) ; infanterie (grenadiers, voltigeurs, chasseurs à pied, zouaves) ; artillerie plusieurs fois réorganisée ; enfin génie (logistique) et train des équipages (transportant matériel, munitions, ravitaillement). Sans oublier les troupes de la marine (quatre régiments d’infanterie et un régiment d’artillerie).
Les officiers, fiers d’être ce qu’ils sont, resteront à leur place au lieu de vouloir se mêler de politique. Et ils feront bien leur métier, dans les premières guerres du Second Empire et d’abord en Crimée.
« Oh ! les braves gens ! »2316
GUILLAUME Ier (1797-1888), roi de Prusse, devant les charges héroïques de la cavalerie française, quand le général Margueritte tombe à Sedan, 1er septembre 1870. La Bataille de Sedan : les véritables coupables (1887), Emmanuel-Félix de Wimpffen, Émile Corra
Mac-Mahon, au lieu d’aller défendre Paris, va porter secours à Bazaine sur ordre de l’impératrice qui ne veut pas voir l’empereur revenir vaincu. Ce qui conduit Mac-Mahon à Sedan, ville de triste mémoire dans l’histoire de France. Le maréchal défend la ville encerclée par les Prussiens. Blessé, il laisse le commandement au général Ducrot. Écrasés par l’artillerie allemande, les Français sont impuissants à desserrer l’étau. Bilan final : 15 000 morts ou blessés français et 90 000 prisonniers.
L’empereur souffre le martyre – maladie de la pierre, autrement dit calculs dans les reins. Pissant le sang, hissé sur son cheval, il affronte la mitraille d’une allure « morne et indifférente », cherchant la mort qui se refuse à lui. Napoléon a vécu ce drame.
« Nous mangeons du cheval, du rat, de l’ours, de l’âne. »2347
Victor HUGO (1802-1885), L’Année terrible (Lettre à une femme, janvier 1871)
Rien de métaphorique ! Et parfois, pire encore, dans Choses vues : « Ce n’est même plus du cheval que nous mangeons. C’est peut-être du chien ? C’est peut-être du rat ? Je commence à avoir des maux d’estomac. Nous mangeons de l’inconnu. » C’est la terrible réalité du siège de Paris pendant la guerre franco-allemande. Hugo reste volontairement enfermé dans Paris bombardé. Il souffre des souffrances de la ville – où la consommation d’absinthe est multipliée par cinq ! Jules Ferry, chargé du ravitaillement de la population (et du maintien de l’ordre), est surnommé Ferry la Famine. Et Trochu, gouverneur de la capitale, est complètement discrédité.
Durant ces longs mois de siège, les Parisiens vont manger 70 000 chevaux, des chiens, des chats et même des rats d’égouts sont vendus dans les boucheries et servis dans les restaurants de la capitale.
Peu avant Noël 1870, la Ménagerie du Jardin des Plantes ne peut plus nourrir ses pensionnaires. La plupart d’entre eux, y compris les éléphants Castor et Pollux vendus près de 27 000 francs, sont abattus et leur viande consommée par les habitants affamés. Considérés comme trop proches des hommes, les singes sont épargnés ; les lions et les tigres, jugés trop dangereux, échappent également à un sort funeste.
« D’vant l’boucher, d’vant l’boulanger, / On grelotte dans la rue :
Ni pain ni viand’ pour changer, / Mais quelqu’fois y’a d’la morue. »2348Le Plan de Trochu, chanson (1871) - « œuvre collective des journalistes du Grelot »
Paris trouve encore la force de rire et de chanter ! Trochu est sa tête de Turc favorite. 30 couplets détaillent les misères quotidiennes des Parisiens. On voit venir la défaite. « Le jour où Paris n’aura / Plus d’quoi nourrir une puce / S’disait chacun, l’on fera / Semblant d’se rendre à la Prusse / Ça doit être l’plan de Trochu. » Quand le général démissionne, Hugo ne va pas manque le jeu de mots : « Trochu, participe passé du verbe trop choir »
« J’ai vu des prisonniers sanglants, les oreilles arrachées, le visage et le cou déchirés, comme par des griffes de bêtes féroces. »2367
Camille BARRÈRE (1851-1940), témoignage en date du 3 avril 1871. Les Convulsions de Paris : Épisodes de la commune (1883), Maxime Du Camp
Futur ambassadeur à Rome, ce Communard est témoin des combats, Versaillais contre Fédérés. Ce qui le choquera plus que tout, c’est la foule déchaînée contre les convois de prisonniers ramenés à Versailles.
Le 4 avril, les Versaillais réattaquent du côté de Neuilly, s’emparent de Courbevoie et Châtillon. Le 5, les Communards prennent 74 otages, dont l’archevêque de Paris – Mgr Darboy sera exécuté pendant la Semaine sanglante, le 24 mai, en application du « décret des otages » promulgué par la Commune et faute d’avoir pu être échangé contre Auguste Blanqui. George Sand, bien que souvent le cœur à gauche, est déjà horrifiée par les vols, les pillages. Hugo, de Bruxelles où il dût se rendre en ce mois d’avril, condamne la guerre civile, la pratique des otages, avant de se déclarer « pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application », prônant en vain « conciliation et réconciliation. » Lettre publiée dans Le Rappel du 28 avril.
« Nous sommes gueux comme des rats d’église. »2415
Adolphe THIERS (1797-1877), au gouverneur de la Banque de France, faisant allusion aux finances de l’État, 24 mars 1871
Guerre franco-allemande de 1870-1871. Le coût total est évalué à 15,6 milliards de francs. Une rançon de 5 milliards est la condition de la libération du territoire. Le 27 juin, Thiers lance un premier emprunt d’État de 4,9 milliards à 6,6 % d’intérêt. Les souscriptions massives sont considérées comme autant de plébiscites en sa faveur. Il travaille au redressement du pays, sans pourtant le doter de finances modernes : par conservatisme, il écarte le projet d’un impôt sur le revenu.
« Il est assez difficile que M. Mac-Mahon nous dise ce qu’il veut, puisqu’il ne peut même pas nous apprendre ce qu’il est. C’est ce qu’on appelle en photographie un négatif, et en histoire naturelle un mulet. »2440
Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1874
Plus républicain que jamais, le journaliste, déporté à Nouméa après la Commune de Paris, réussit la seule évasion du bagne de Nouvelle-Calédonie, avec quelques camarades. Il rejoint à Londres un groupe de communards exilés. La Lanterne reparaît de juillet 1874 à octobre 1876, diffusée clandestinement en France, mariant humour et opposition, et régalant les amateurs. Le mulet est une trouvaille.
Avec le recul de l’histoire, il faut pourtant rendre justice à Mac-Mahon. Maréchal et improbable président de la République, populaire par sa prestance, sa loyauté et sa franchise, il fera autant pour l’établissement de la République que Thiers, Gambetta ou Grévy, ses contemporains et adversaires.
« La monture a l’air intelligent, ma foi. »2454
Légende d’un portrait de Mac-Mahon à cheval, été 1877. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
Le journal qui publie cette belle image tirée d’une brochure de propagande, et l’assortit de ce commentaire, est poursuivi pour offense au président de la République et condamné à 500 francs d’amende. On ne compte plus les condamnations pour délits de presse et cris séditieux.
« L’insurgé, son vrai nom c’est l’homme ! / Qui n’est plus la bête de somme,
Qui n’obéit qu’à la raison / Et qui marche avec confiance
Car le soleil de la science / Se lève rouge à l’horizon. »2407Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Insurgé (1884), chanson
Poète et révolutionnaire, chansonnier socialiste le plus important (et sincère) du XIXe siècle, Pottier a déjà écrit l’Internationale. Membre de la Commune, réfugié aux États-Unis après la Semaine sanglante, il rentre de son exil après la loi d’amnistie et dédie cette chanson « à Blanqui et aux Communards » : « Devant toi, misère sauvage, / Devant toi, pesant esclavage, / L’insurgé se dresse / Le fusil chargé. / On peut le voir en barricades / Descendr’ avec les camarades, / Riant, blaguant, risquant sa peau… »
Beaucoup de chansons communistes voient le jour dans les années 1880 : lutte des classes, guerre sociale contre les patrons, appel à la révolte armée des ouvriers, mineurs, paysans. L’agitation sociale connaîtra une nouvelle flambée avant la Première Guerre mondiale. Ni l’État, ni les patrons, ni les syndicats français de cette époque ne sont aptes à résoudre les conflits sociaux nés du développement économique et du capitalisme.
« Gambetta […] ce n’est pas du français, c’est du cheval ! »2465
Jules GRÉVY (1807-1891). Histoire des institutions et des régimes politiques de la France (1985), JJ Chevallier, Gérard Conac
Et ce n’est pas un compliment ! Deux avocats, deux républicains, mais trente ans les séparent et la haine éclate au grand jour. Le rigide Grévy se moque de Gambetta qui parle, passionnément, précipitamment, impressionnant à la tribune. Il l’écartera vite du pouvoir, de peur qu’il fasse peur au pays, surtout aux ruraux.
Dans les premiers temps, l’Assemblée nationale prendra des présidents de la République choisis pour leur effacement, lesquels nommeront des présidents du Conseil assez insignifiants pour ne pas leur porter ombrage.
« Laissons au coq gaulois ces sables à gratter. »2526
Marquis de SALISBURY (1830-1903), Premier ministre anglais, 21 mars 1899
Quand le coq n’est pas associé à la poule, il est gaulois, par référence à nos ancêtres de la Gaule. Symbole (souvent sportif) de la France, mais jamais reconnu officiellement comme le drapeau ou la Marseillaise.
Salisbury parle du Sahara, à la fin des négociations franco-anglaises sur la situation respective des deux grandes puissances en Afrique. C’est la suite de l’« incident de Fachoda » (juillet 1898) qui déclencha une anglophobie rappelant la Guerre de Cent Ans ! La convention franco-anglaise (21 mars 1899) consacre le renoncement de la France sur le Nil, l’Angleterre lui laissant cependant le Maroc et une portion de désert : l’orgueil national est froissé, mais la raison l’emporte et l’Entente cordiale sera précieuse dans les temps à venir, contre l’Allemagne.
« Ce sont les oies qui ont sauvé le Capitole. »2544
Georges CLEMENCEAU (1841-1929). La Vie orgueilleuse de Clemenceau (1987), Georges Suarez
Référence à ce fait de guerre mythique – les oies, par leurs cris, ont réveillé les Romains qui ont alors repoussé une attaque nocturne des Gaulois. Et réponse à qui lui reproche de ne s’entourer que de personnages falots dans son gouvernement : le « tombeur de ministères », le radical intransigeant des années 1880 devient à 65 ans président du Conseil et reste à ce poste de 1906 à 1909, avec un vrai programme de réformes sociales.
« Je chante pour mon vallon, en souhaitant que dans chaque vallon un coq en fasse autant. »
Edmond ROSTAND, Chantecler, pièce en 4 actes créée au théâtre de la Porte-Saint-Martin (1910)
Après le Roman de Renart au Moyen Âge et les Fables de La Fontaine au siècle de Louis XIV, voici la troisième œuvre où les animaux par dizaines s’expriment : avec un mélange de lyrisme romantique et d’humour critique, d’anthropomorphisme et de faux réalisme parfaitement assumés.
Le nom de Rostand reste attaché à deux triomphes, Cyrano et L’Aiglon. Chantecler est un nouveau coup de théâtre et de génie d’une originalité folle, mine de citations dont la plus connue : « Ô Soleil ! Toi sans qui les choses / Ne seraient que ce qu’elles sont. » Mais combien d’autres aussi touchantes : « Rien ne sait regarder pleurer comme un vieux chien ! » et encore : « Sache donc cette triste et rassurante chose / Que nul, Coq du matin ou Rossignol du soir / N’a tout à fait le chant qu’il rêverait d’avoir. »
Résumons l’histoire. Chantecler règne sur sa basse-cour, persuadé que son chant fait se lever le soleil. Mais une Poule Faisane bouleverse sa vie : l’amour est tel qu’il en oublie de chanter. Le Soleil se lève pourtant ! Le coq devient la risée de tous les animaux domestiques et sauvages : les Hiboux, créatures de la nuit qui le détestent, forcent le coq à accepter un combat public avec un autre coq.
Le combat a lieu dans le salon littéraire de Dame Pintade. Vainqueur après avoir frôlé la mort, Chantecler vole au secours de sa basse-cour menacée par l’Épervier. Il recouvre une part de son prestige. Injustement délaissée, la Poule Faisane comprend que la vanité l’emporte sur l’amour, chez un coq bien né. Pourtant, elle est prête à se sacrifier pour lui, se portant au-devant d’un chasseur. Le coup part, c’est le Rossignol à la voix d’or qui tombe, blessé à mort. Et Chantecler reste seul à célébrer l’aurore.
Plus de 70 personnages, près de 200 costumes pour 35 000 heures de travail, des stars à l’affiche : Lucien Guitry dans le rôle-titre, Madame Simone en Poule Faisane, Jean Coquelin en Chien Patou … On ne peut rien refuser à l’auteur de Cyrano ! Rostand conçoit lui-même les costumes et les maquettes des décors. Problèmes de santé et crises d’angoisse retardent la création d’autant plus attendue. Les spectateurs du monde entier se pressent à la première… Un échec relatif – impossible d’amortir le coût d’un tel montage et l’œuvre est rarement reprise.
Citons pour le plaisir une cinquantaine de personnages entourant le coq Chantecler : La Faisane et le Faisan, Patou le chien, Le Merle, La Pintade, Le Paon, Le Rossignol, Les Crapauds, Les Oiseaux de la Nuit, Chabert le Chat, Le Grand Duc, Le Pivert, Le Dindon, Le Pintadeau, Un Chapon, Le Jars, Un Poulet, Un autre Poulet, Un vieux Poulet, Le Rossignol, La Poule blanche, La Poule grise, La Poule noire, La Poule beige, Une petite Poule, La vieille Poule, La Dinde, La Taupe, Première Fauvette, Deuxième Fauvette, L’Araignée, Le Chat huant, Le Paon, Le Pigeon voyageur, Le Coq de combat, Le Canard, Le Cygne, Le Rat, Le Coucou, Deux Poussins, Premier Lapin, Deuxième Lapin, Les Crapauds, Le Geai, L’Épervier. De quoi faire une bande dessinée fabuleuse et fantastique !
« L’armistice vient d’être signé par Lloyd George qui ressemble à un caniche, par Wilson qui ressemble à un colley et par Clemenceau qui ressemble à un dogue. »2614
Jean GIRAUDOUX (1882-1944), Suzanne et le Pacifique (1921)
Fin de la Première Guerre mondiale. Un vrai chenil politique au rendez-vous de la victoire.
Diplomate et romancier, puis auteur dramatique, Giraudoux fait carrière aux Affaires étrangères de 1910 à 1940. L’armistice est signé le 11 novembre 1918, dans un wagon-salon près de la gare de Rethondes. Il impose à l’Allemagne l’évacuation des territoires envahis, de la rive gauche du Rhin, ainsi que d’une zone de 10 km sur la rive droite ; la livraison de matériel de guerre (canons, mitrailleuses, sous-marins, navires) pour prévenir toute reprise des hostilités ; la restitution immédiate des prisonniers de guerre.
« On a ri longtemps de ce mélodrame où l’auteur faisait dire à des soldats de Bouvines : « Nous autres, chevaliers de la guerre de Cent Ans ». C’est fort bien fait, mais il faut donc rire de nous-mêmes : nos jeunes gens s’intitulaient « génération de l’entre-deux-guerres » quatre ans avant l’accord de Munich. »2668
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Situations II (1948)
Munich, octobre 1938. Quatre ans plus tôt, l’Europe assiste à la montée au pouvoir d’Adolf Hitler. Autrichien naturalisé allemand, porté au pouvoir par la crise des années 1930 qui jette les millions d’ouvriers chômeurs et de petits rentiers ruinés vers les partis extrêmes, manipulant l’armée et les puissances financières, devenant chancelier du Reich le 30 janvier 1933, puis Führer, maître absolu, dictateur en 1934. Plébiscité, promettant à son pays de le libérer du Diktat de Versailles, mais annonçant de gros sacrifices en échange : « Des canons plutôt que du beurre. »
« Le cheval est dangereux devant, dangereux derrière et inconfortable au milieu. »
Sir Winston CHURCHILL (1874-1965), citation très connue, mais non sourcée
On ne respecte plus rien, même pas « la plus noble conquête de l’homme » chère à Buffon et historiquement glorieuse autant qu’utile ! Mais cet Anglais, peu sportif et ne reculant jamais pour faire un mot d’humour… anglais, se rattrape quand même par une métaphore : « On considère le chef d’entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. »
« Ami, entends-tu / Le vol noir / Des corbeaux / Sur nos plaines ?
Ami, entends-tu / Ces cris sourds / Du pays / Qu’on enchaîne ? »2798Joseph KESSEL (1898-1979) et Maurice DRUON (1918-2009), neveu de Kessel, paroles, et Anna MARLY (1917-2006), musique, Le Chant des partisans (1943)
Seconde Guerre mondiale. Oiseaux de malheur, les corbeaux sont de retour dans cette marche au rythme lancinant : « Ohé Partisans / Ouvriers / Et paysans / C’est l’alarme / Ce soir l’ennemi / Connaîtra / Le prix du sang / Et des larmes… » La Résistance, devenue un phénomène national, mêle tous les milieux, tous les courants d’opinion, toutes les régions, recréant une union sacrée contre l’ennemi dont la présence se fait insupportable.
« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! »
Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Le Petit Prince (1943, USA et 1946, France), Chapitre 2
Conte poétique et philosophique en 27 chapitres, « roman graphique » illustré par l’auteur, Le Petit Prince est l’ouvrage de littérature française le plus lu et le plus vendu dans le monde et le plus traduit, après la Bible et le Coran ! En prime, les animaux y ont leur place. Cela enrichit notre bestiaire.
Un aviateur (comme Saint-Ex) se retrouve dans le désert du Sahara. Il rencontre le petit prince : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » L’aviateur voudrait savoir qui il est, d’où il vient. Pas de réponse. Mais au fil des chapitres et des jours, il reconstitue l’histoire du garçon aux cheveux d’or.
Il habite l’astéroïde B 612 où il y a trois volcans, où poussent des baobabs et une rose compliquée. Un matin, il quitte sa planète et visite quelques astéroïdes où il rencontre un roi, un vaniteux, un ivrogne, un businessman, un allumeur de réverbères et un géographe.
Finalement, il arrive sur la Terre en Afrique et parle avec un serpent. Il parcourt la Terre et fait la connaissance du renard. Qui lui apprend que pour avoir des amis, il faut les apprivoiser. Et que l’on devient responsable pour toujours de ce que l’on a apprivoisé. Au huitième jour, l’aviateur et le petit prince marchent à la recherche d’un puits, jusqu’à la nuit tombée. La nuit prochaine, cela fera un an que le petit prince a quitté sa planète. Il veut la rejoindre et prie un serpent de le mordre, pour le débarrasser de son corps trop lourd. Il rassure l’aviateur : « J’aurais l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai. »
Rentré chez lui, l’aviateur pense au petit prince : « Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras toi des étoiles qui savent rire !… Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m’avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir… Ce sera comme si je t’avais donné, au lieu d’étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire. »
Saint-Ex ne connaîtra pas le destin de son Petit Prince. 31 juillet 1944, il prend place dans le Lightning n°223 pour une mission de reconnaissance sur la région de Grenoble et Annecy. À 8h35, il décolle de la base de Borgo - dixième mission dont il ne reviendra jamais. Le livre est publié deux ans après sa mort, chez Gallimard.
« Notre système, précisément parce qu’il est bâtard, est peut-être plus souple qu’un système logique. Les « corniauds » sont souvent plus intelligents que les chiens de race. »2935
Georges POMPIDOU (1911-1974), Le Nœud gordien (1974)
Témoignage de président de la République, Premier ministre sous de Gaulle (père de la Cinquième) et conscient de cette particularité institutionnelle : « Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle, à la mesure de ce que nous commandent à la fois les besoins de notre équilibre et les traits de notre caractère. » Conférence de presse, 11 avril 1961. Réponse à qui reproche au nouveau régime de n’être ni parlementaire – type Troisième ou Quatrième République – ni présidentielle comme aux États-Unis. Quant aux chiens, ils reviennent fidèlement dans notre histoire.
« Le coq gaulois faisait l’autruche. »3167
Olivier CHEVRILLON (né en 1929), Le Point, 14 avril 1980
L’autruche fait son apparition, associée au coq national. Le journaliste dénonce l’insouciance du gouvernement après le premier choc pétrolier de 1973 et sa volonté de sauver à tout prix le pouvoir d’achat, ce qui coûte cher à l’économie nationale : « Spirale suicidaire : gonflement des salaires nominaux, laminage des profits (donc des capacités de reconversion), déficit du commerce extérieur, effondrement certain, à terme, du niveau de vie. »
« La liberté de la droite, c’est en réalité celle du renard dans le poulailler. »3242
Pierre MAUROY (1928-2013), Congrès du PS à Bourg-en-Bresse, 29-30 octobre 1983
Pour la gauche revenue au pouvoir en 1981 avec Mitterrand, le temps est venu de la rigueur. Il faut galvaniser les troupes sur un sujet porteur : la liberté de la presse. Le groupe Hersant est visé. Dès fin novembre, le Conseil des ministres adopte un projet de « loi antitrust pour assurer le pluralisme et la transparence de la presse ». L’opposition flaire une loi scélérate et liberticide. L’Assemblée connaît à nouveau des débats passionnés.
« Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et, finalement, sa vie. »3306
François MITTERRAND (1916-1996), Discours aux funérailles de Pierre Bérégovoy, 4 mai 1993
Le président défend la mémoire de son ex-Premier ministre et ami : Bérégovoy s’est tiré une balle dans la tête le 1er mai, après un acharnement médiatique injuste. La presse reprochait à cet homme honnête, luttant contre la corruption et les corrompus, un prêt sans intérêt pour une somme relativement modeste (un million de francs). Cet ancien militant, fidèle à ses convictions comme à ses amis, mais attaqué, puis lâché par les siens et notoirement déprimé, se reprochait surtout la défaite de la gauche, aux législatives de mars 1993.
« Il ne faut pas blesser une bête : on la caresse ou on la tue. »3309
Jacques CHIRAC (1932-2019). Mémoires, tome I, Chaque pas doit être un but (2009), Jacques Chirac
Chirac a lui-même beaucoup tué. Dans les couloirs de l’Assemblée, à la veille de la prochaine présidentielle (2002), Balladur préviendra Jospin : « Chirac a tué Chaban-Delmas, il a ensuite tué Giscard, puis il a tué Barre, et enfin il m’a tué. Méfiez-vous. » Il a blessé aussi. Son biographe, Franz-Olivier Giesbert, écrit qu’il ne garde rien, « même pas ses amis ».
Normal : « Le monde politique est une jungle », selon Chirac. Chirac et Sarkozy sont deux « fauves », pas de la même taille, pas de la même génération. Mais leur rivalité marquera la vie politique française et Chirac ne pardonnera jamais.
« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. »3321
Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer
Le blaireau, petit mammifère carnassier aux poils hirsutes et familier des terriers, est une trouvaille fort bien placée, avec son double sens argotique d’idiot minable.
Trait de caractère original : aucun président de la République n’a pu tenir ce genre de propos, à l’humour assumé, rigolard et franchouillard. « Moi, vous savez, je n’aime que deux choses : la trompette de cavalerie et les romans policiers. » Il cultive ce personnage populaire, ça l’amuse et ça plaît, c’est bon pour sa cote de popularité… Mais Chirac est plus cultivé qu’il ne veut paraître, contrairement à tous ceux qui pratiquent la méthode inverse.
« Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »3322
Jacques CHIRAC (1932-2019), cité dans Marianne n° 184 (mars 2012)
Politiquement incorrect, assez macho et un peu cavalier - la source est d’ailleurs dans la tradition de la cavalerie française. Mais il n’y a que Chirac pour oser et afficher cette image publique, voire présidentielle. Sa popularité connaît des hauts et des bas, mais sa liberté de ton et son côté bon vivant le rendent malgré tout sympathique. Plus encore sa retraite politique et sa vieillesse malade.
« Fascination, défiance, répulsion… l’omniprésent président de la République nourrit depuis longtemps un lien puissant, passionné, quasi obsessionnel, au monde médiatique. Bête de scène, il est né et a grandi avec la télé, qu’il aime et qu’il regarde. Il en connaît les codes par cœur. »3333
Emmanuelle ANIZON (née en1968), Télérama, 12 mars 2012
Ce show-man virtuose, doué d’une vitalité à toute épreuve, avec le bagou et le charisme canaille d’un Bernard Tapie, fait comme lui exploser l’audimat et s’en vante. Télérama en témoigne : « Direct, vivant, faussement spontané, Nicolas Sarkozy est un bon client. Pour la télé, comme pour la presse écrite, qui s’est laissée prendre à ses off, son tutoiement, sa familiarité, ses confidences, main sur l’épaule. À son agenda frénétique, aussi. « Comment ne pas parler de Sarko ? » se demandaient les rédactions, prises en otage par les déplacements / événements quotidiens de l’infatigable ministre de l’Intérieur, devenu candidat en 2006. »
Critique des innombrables discours, décodage des moindres faits et gestes, on sait tout, on dit tout. La pratique du off embrouille plus qu’elle n’éclaire, avec les propos distillés suivant une dérive systématique et un emballement qui masque les vrais problèmes, à coup de petites phrases blessantes et de vraies fausses confidences. Cela fait partie d’un « plan de com » pour créer du buzz et capter l’attention des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en « enfumant » la presse. Et ça passe, ou ça casse : « Aller au bout de soi-même, c’est toujours ce que j’ai voulu. »
« Les vaches folles rendent les bouchers anxieux.
— Un malheur n’arrive jamais seul ! »3339Roland TOPOR (1938-1997), Jachère Party (1996)
Humour décalé, humour noir, absurde, et tout terrain : théâtre, cinéma, dessin, peinture, roman, poésie, radio… et pataphysique. La vache folle est soudain promue vedette d’un feuilleton dramatique.
Fin 1995, des bovins de plus en plus nombreux meurent en Angleterre de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), dégénérescence du système nerveux. Le Mirror dévoile le lien potentiel entre l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) et la MCJ, transmissible à l’homme. La crise de la « vache folle » est lancée.
L’angoisse alimentaire est un sujet hypersensible, en France. Le monde agricole s’affole devant la chute des ventes. La presse fait chorus : « Jusqu’où ira le poison anglais ? » (La Vie, juin 1996). Et Chirac sème un grain de bon sens présidentiel : « On ferait mieux de parler moins de la vache folle et plus de la presse folle. »
Les farines animales données aux bovins naturellement végétariens, incriminées, sont désormais interdites. L’épidémie est finie. Mais en 2009, la grippe (ou peste) aviaire va jeter l’opprobre sur les oiseaux et les volailles.
« Il faut dégraisser le mammouth. »3344
Claude ALLÈGRE (né en 1937), ministre de l’Éducation nationale, 24 juin 1997
Entrée en force du mastodonte, pavé dans la mare médiatique. En clair, il faut réduire les effectifs…
Allègre est un chercheur reconnu, médaillé et primé, même si ses prises de position écologiques sur le climat seront « politiquement incorrectes ». Il prévoit une réforme des lycées, pour « l’égalité dans la diversité » des filières. Il veut changer les horaires, développer des « activités culturelles et citoyennes ». Projets mal reçus, mais c’est surtout son langage qui choque le milieu enseignant.
L’image fait mouche, le mammouth devient l’emblème de la contestation. On réfute ses chiffres (sur l’absentéisme des professeurs, la durée de leurs congés), et ses jugements tranchés sur diverses matières (les maths dévaluées par les machines à calculer, l’anglais qui ne doit plus être une langue étrangère pour les Français).
Le mammouth qui fait image est quand même la plus grosse erreur de langage. Le ministre revient sur sa petite phrase, précisant qu’elle visait l’administration centrale, et non les professeurs. Il va d’ailleurs ajouter 70 000 emplois au million existant. Mais en mars 2000, Lionel Jospin devra sacrifier son ami Allègre et rappeler à l’Éducation nationale le très consensuel et populaire Jack Lang.
« Rien ne sera plus jamais comme avant au Parti socialiste ! Fini le temps des éléphants révolus, et place aux jeunes lions ! »3423
Arnaud MONTEBOURG (né en 1962), Libération, 18 juin 2007
Réélu député, il se pose en leader du pôle des rénovateurs au PS. Tous les partis ont leurs jeunes loups (ou lions) aux dents acérées. La plupart des dirigeants souhaitent à présent réformer le PS, mais dans quel sens ? En faire un parti social-démocrate qui accepte l’économie de marché (Dominique Strauss-Kahn) ou se repositionner à gauche (Laurent Fabius, Jean-Luc Mélenchon) ? Mais François Hollande reste Premier secrétaire. Et la droite a gagné les élections, Sarkozy est président jusqu’en 2012.
« Rassembler les centristes, c’est comme conduire une brouette pleine de grenouilles : elles sautent dans tous les sens. »3450
François BAYROU (né en 1951), mars 2011, avant de déclarer sa candidature à la présidentielle de 2012
Métaphore animale dans l’esprit du Béarnais tel qu’il s’affiche et séduit : « Moi et mes amis, on n’est pas la jet-society, on est la tractor-society. »
L’image est évocatrice d’une réalité bien connue par Bayrou ! Président de l’ex-UDF, il a créé le Modem (Mouvement démocrate) face à l’UMP, au lendemain de la présidentielle de 2007, cependant qu’il rame depuis 2002 pour rassembler, entre les deux pôles solidement ancrés d’une France plus que jamais bipolarisée. Vocation de troisième homme ou malédiction ? Il bénéficie d’une cote de popularité qui le met en tête de tous les candidats à la présidence. Mais seul Giscard d’Estaing a réussi le pari de gouverner au centre. Et sans un parti uni et fort, un homme seul a peu de chance d’être élu à la candidature suprême. Il sera donc battu. Et les grenouilles « grenouillent » plus que jamais !
« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. »3460
Martine AUBRY (née en 1950), citant sa grand-mère, pour critiquer François Hollande, son principal concurrent dans les primaires socialistes, 13 septembre 2011 sur RTL
Candidate à la primaire socialiste, elle a trouvé du « flou » chez Hollande, lors du débat télévisé qui les opposait la veille. « J’ai bien compris qu’il essayait de passer entre les gouttes quand je lui posais un certain nombre de questions… Ma grand-mère disait : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » », a-t-elle poursuivi. « J’ai essayé de mettre le doigt sur certains de ses loups. » Elle l’accuse aussi d’avoir employé « des mots de droite ».
En tout cas, le dicton de la grand-mère court les médias et pimente les discours d’un brin de bon sens populaire. Ainsi naît une vraie citation.
« De la vieille chenille vient de sortir un beau papillon. »3461
Arnaud MONTEBOURG (né en 1962), interview dans Le Monde, 14 octobre 2011
Le « jeune lion » s’est battu contre les « éléphants révolus » et file toujours la métaphore animale avec bonheur. Le « troisième homme » de ces primaires citoyennes ouvertes à tous les futurs électeurs se reconnaissant dans les valeurs de gauche affiche sa fierté, entre les deux tours (9 et 16 octobre). « Cette primaire, que j’ai réussi à imposer au PS, a créé une situation nouvelle et extraordinaire. Même la droite nous envie cette innovation démocratique majeure. » Il est également fier de son score : son projet réformateur (VIe République, démocratie nouvelle, démondialisation) et son parler franc lui ont valu 17 % des voix. Ségolène Royal est la grande perdante, avec moins de 7 %, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet tenant le rôle de petits candidats.
Montebourg veut maintenant « faire gagner la gauche et battre Nicolas Sarkozy. À titre exclusivement personnel, je voterai donc pour François Hollande, arrivé en tête du premier tour, à mes yeux meilleur rassembleur. » Ministre très médiatique, le « jeune lion » doit quitter le gouvernement, mais annonce son retour en politique, au printemps 2016. Face à un « jeune loup » qui séduit beaucoup l’opinion avide de sang neuf, Emmanuel Macron.
« Avec les hommes, j’ai toujours l’impression d’apparaître déguisé. Seuls les chevaux me voient tel que je suis. »
BARTABAS (né en 1957), D’un cheval l’autre (2020)
Histoire d’amour-passion et de communion avec les chevaux, pour le représentant d’un art équestre singulier.
Créateur du Théâtre Zingaro en 1984 et de l’Académie du spectacle équestre à la Grande Écurie du château de Versailles en 2003, installé en 1989 au Fort d’Aubervilliers (banlieue nord de Paris), il fait plusieurs tours du monde avec ses créations et ses acteurs : d’Akim à Zurbaran, en passant par Angelo, Barychnikov, Chamaco, Dominguin, Edwin, Farinelli, Hermès, Lucifer, Mazeppa, Pollock, Swann et Terminator.
Il évoque son premier cheval acheté : « Je viens d ‹adopter un enfant de six cents kilos : ce solide animal aux origines plus ou moins espagnoles, à la robe isabelle et au regard si doux se nomme Hildalgo ! »
Son préféré, Zingaro (1982 - décembre 1998 ), « perle noire », étalon de race Frison, donna son nom au théâtre équestre de Bartabas, participant à tous ses spectacles, jusqu’à sa mort.
Dans la même confession et la même veine littéraire, on peut lire avec émotion ces mots d’amour pour cette race :
« Monter à cheval, c’est partager sa solitude. »
« Il est présomptueux de croire que les chevaux sont nés pour les hommes, et vain de chercher celui que l’on voudrait parfait. Il me faudra toujours les accepter tels qu’ils sont, les adopter, m’appliquer à faire éclore les trésors qu’ils recèlent et parfois même célébrer leurs défauts. Cette philosophie guidera désormais mon approche des chevaux…et des hommes. »
Le dernier mot est un hommage plus général à la race animale : « Les animaux sont des médiums, ils captent l’électricité des âmes. »
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