« Les grands seigneurs s'avilissent, Les financiers s'enrichissent, Tous les Poissons s'agrandissent. C'est le règne des vauriens. » | L’Histoire en citations
Chronique du jour

 

Siècle des Lumières. Règne personnel de Louis XV.

Contestation sur tous les fronts et tous les tons.

Le divorce grandit entre la royauté et le pays. Le peuple reproche au roi ses favorites, à présent haïes et chansonnées, surtout la marquise de Pompadour qui impose ses têtes – de Bernis et Choiseul seront d’ailleurs de bons ministres. Son impopularité est au comble, à sa mort (1764).

La guerre de Sept Ans, préparée par le renversement des alliances qui nous rapprochaient de l’Autriche, aboutit lors du traité de Paris (1763) à la perte de notre premier empire colonial (Inde, Canada) et consacre la gloire de Frédéric II de Prusse, plus despote qu’éclairé, l’Angleterre devenant la première puissance maritime et coloniale du monde.

Les apparences sont brillantes : l’économie prospère, la France éclaire l’Europe de ses Lumières, les philosophes œuvrent pour le progrès à venir, l’Encyclopédie (1751-1772) répand la fièvre du savoir, mais l’opinion publique se fait chaque jour plus critique contre le pouvoir absolu et les injustices du régime.

Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.

« Les grands seigneurs s’avilissent,
Les financiers s’enrichissent,
Tous les Poissons s’agrandissent.
C’est le règne des vauriens. »1162

Poissonnade, attribuée à PONT-de-VEYLE (1697-1774)

Journal historique : depuis 1748 jusqu’en 1772 inclusivement (1807), Charles Collé.

Les poissonnades fleurissent, comme jadis les mazarinades. Le luxe s’étale à la cour où règne encore la Pompadour, s’affiche dans des milieux prospères et âpres au gain, du côté des aristocrates comme des bourgeois (…) Le peuple s’irrite : « On épuise la finance / En bâtiment, en dépenses, / L’État tombe en décadence / Le roi ne met ordre à rien / Une petite bourgeoise / Élevée à la grivoise / Mesurant tout à la toise / Fait de l’amour un taudis. »

« Autrefois de Versailles
Nous venait le bon goût,
Aujourd’hui la canaille
Règne et tient le haut bout.
Si la cour se ravale,
De quoi s’étonne-t-on ?
N’est-ce pas de la halle
Que nous vient le poisson ? »1163

Poissonnade de 1749. Chansonnier historique du XVIIIe siècle (1879), Émile Raunié

Même si le peuple reproche son origine non noble à la dame, c’est de la cour que part le plus souvent ce genre de pamphlets (anonymes). Le roi est également attaqué. Les cabales se multiplient. Le lieutenant de police avoue son impuissance à traquer les auteurs : « Je connais Paris autant qu’on peut le connaître. Mais je ne connais pas Versailles. »

« Tout citoyen est roi sous un roi citoyen. »1164

Charles Simon FAVART (1710-1792), Les Trois Sultanes ou Soliman second (1761)

(…) Auteur en vogue dans une société folle de spectacles (« théâtromanie »), marié à une comédienne et chanteuse de talent, créateur de la comédie musicale et du vaudeville dramatique, il fait du « théâtre aux armées », attaché au service du maréchal de Saxe (…) Le nom de Favart restera attaché à l’Opéra-Comique qu’il dirige, fusionnant avec la Comédie-Italienne rivale (…)

« Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »1165

Jean MESLIER (1664-1729), Mon testament (posthume, 1762)

Étonnant destin de cet homme et de cette œuvre (…) Voltaire décide de publier le Testament. Mais ce cri de haine contre le roi et la religion est d’une telle violence qu’il réécrit nombre de passages, transformant l’athéisme extrême en déisme prudent. Voltaire n’est ni anarchiste ni révolutionnaire. L’histoire de la pensée politique fera de Meslier le précurseur des Lumières, mais aussi du socialisme (…) et du communisme.

« L’île de Corse […] j’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe. »1166

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

Six ans après, au terme d’une longue guerre, les Génois qui occupent l’île depuis le XIIIe siècle devront la vendre à la France. Un an plus tard, en 1769, Napoléon Bonaparte y naîtra. Voilà pourquoi cette phrase du Contrat prend valeur de citation.

« Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables […] Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. »1167

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

En note, il ajoute : « Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l’Europe aient encore longtemps à durer. » La guerre de Sept Ans fut le révélateur d’une crise morale profonde, ayant épuisé tous les pays, même l’Angleterre et la Prusse, gagnantes, mais à quel prix ! Les pertes militaires sont partout considérables, les populations civiles ont souffert, y compris du pillage, des famines (…)

« Les classes du Parlement n’y vont pas de main morte. Ce sont des fanatiques qui en égorgent d’autres, mais il faut les laisser faire ; tous ces imbéciles qui croient servir la religion servent la raison sans s’en douter. »1168

D’ALEMBERT (1717-1783), Lettre à Voltaire, 4 mai 1762. Œuvres de d’Alembert, tome V (posthume, 1822)

L’affaire des Jésuites fait grand bruit. Le 6 août 1761, le Parlement a condamné au feu certains de leurs ouvrages ; le 1er avril 1762, leurs collèges sont fermés ; la Compagnie de Jésus supprimée en août (motifs : « perverse, pernicieuse, séditieuse, attentatoire »). En mars 1764, un dernier arrêt les condamne au bannissement perpétuel (…) Ni le pouvoir royal ni la religion ne sortent intacts de tels affrontements.

« Innocents de tout ce que les Parlements disent contre eux et coupables de tout ce qu’ils ne disent pas, les condamnent à être lapidés avec les pierres de Port-Royal. »1169

VOLTAIRE (1694-1778). La France sous Louis XV (1864), Alphonse Jobez

Évoquant les ruines de l’abbaye janséniste de Port-Royal détruite en 1711 sur ordre de Louis XIV, Voltaire fait le procès parodique des jésuites (en février 1763), alors qu’on essaie de liquider leurs biens et de régler le sort des collèges. Le pape Clément XIV supprimera la Compagnie de Jésus en 1773. La Nouvelle Compagnie sera rétablie par Pie VII en 1814.

« L’état-major est immense, mais je ne le vois jamais que dormir, jouer et manger ; s’ils montent à cheval, c’est pour éviter les coups et être plus prêts à faire retraite. »1170

MOPINOT (1717-après 1762), Lettre du 4 août 1762. Correspondance amoureuse et militaire d’un officier pendant la guerre de Sept Ans (1905), publiée par Jean Lemoine

(…) Témoignage sans appel sur l’état de la noblesse, à la fin de l’Ancien Régime. Les chefs ne sont plus respectés, ni respectables. Les quartiers généraux sont encombrés de vivandières et de domestiques, de carrosses chargés d’argenterie, de linge, de costumes. Les officiers vivent dans le luxe et la mollesse (…)

« Cette paix n’est ni heureuse, ni bonne, mais il fallait la faire. Nous avons conservé encore un bel empire. »1171

Marquise de POMPADOUR (1721-1764), au cardinal de Bernis. Le Bien-Aimé (1996), Ménie Grégoire

Le traité de Paris (10 février 1763) met fin à la guerre de Sept Ans. Le roi considère lui aussi cette paix comme un moindre mal : « Si nous avions continué la guerre, nous en aurions fait encore une pire l’année prochaine. »

La France sauve son territoire, mais perd son empire colonial (sauf la Martinique, la Guadeloupe et cinq comptoirs dans les Indes). Choiseul songe déjà à la revanche contre l’Angleterre : réorganisation de la marine et de l’armée, pacte de famille avec l’Espagne et alliance resserrée avec l’Autriche.

« Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin, ils arrivent […] Les jeunes gens sont bienheureux ; ils verront de belles choses. »1172

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre au marquis de Chauvelin, 2 avril 1764, Correspondance (posthume)

(…) Sexagénaire, riche et célèbre, il se bat pour plus de justice, faisant appel à ses amis influents, dont le ministre Choiseul et le duc de Richelieu, afin d’obtenir la révision du procès Calas. La mise en cause des mécanismes judiciaires (…) est en soi un acte révolutionnaire et l’attitude courageuse de Voltaire fait de lui le premier de nos « intellectuels engagés ».

« La marquise n’aura pas beau temps pour son voyage. »1173

LOUIS XV (1710-1774), voyant le cortège funèbre de sa favorite quitter Versailles sous la pluie battante, 17 avril 1764. Louis XV (1890), Arsène Houssaye

Mot souvent cité, toujours mis en situation, jusque dans les dictionnaires historiques anglo-saxons. Preuve de la notoriété des deux personnages. Mais l’histoire est injuste envers ce roi, en citant ces mots « à charge ». Son valet de chambre, Champlost, évoque la scène et témoigne d’une peine réelle (…) Mme de Pompadour est morte d’épuisement, à 42 ans (…)

« Je reçois le corps de très haute et très puissante dame, Madame la marquise de Pompadour, dame du palais de la Reine. Elle était à l’école de toutes les vertus, car la Reine est un modèle de bonté, de piété, de modestie et d’indulgence… »1174

Frère RÉMI de Reims (seconde moitié du XVIIIe siècle), Oraison funèbre de Mme de Pompadour, 17 avril 1764 (…)

Tous les participants ont remarqué l’habileté du prédicateur capucin, chargé de ce dernier hommage à la maîtresse du roi et qui s’en tire en faisant l’éloge de sa femme légitime, Marie Leczinska (…) C’est la famille qui a demandé une oraison funèbre, avant l’inhumation (…) Mme de Pompadour est morte avec une piété remarquée, mais le fait reste exceptionnel.

« Ci-gît qui fut vingt ans pucelle
Sept ans catin et huit ans maquerelle. »1175

Épitaphe satirique de la marquise de Pompadour. Histoire(s) du Paris libertin (2003), Marc Lemonier, Alexandre Dupouy

La mode est aux épitaphes satiriques, et après le flot des poissonnades, on ne va pas rater cette ultime occasion de brocarder l’une des favorites les plus détestées dans l’histoire : c’est un méchant résumé de sa vie.

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