Voici quelque 200 Mots, parfois apocryphes, mais toujours sourcés comme dans l’Histoire en citations.
La présentation chronologique montre qu’on ne mourait pas sous l’Antiquité ni même au XIXe siècle comme aujourd’hui. Autre leçon de l’histoire, on meurt souvent comme on a vécu, roi ou empereur, chef d’État ou militaire, chrétien ou athée, poète ou philosophe, dramaturge ou acteur, artiste ou scientifique, d’où le classement thématique en neuf catégories. Le sexe ou l’âge ne jouent guère et certaines « morts à contremploi » surprennent.
Quelques personnages cumulent deux ou trois mots de la fin : Jésus, Voltaire, Hugo… Une période se révèle particulièrement riche, la Révolution : pendant six ans, la guillotine tue beaucoup plus que la maladie ou la vieillesse et la situation donne du talent, voire du génie (improvisé ou pas).
Quelques mots sont bissés au fil des siècles, le plus fréquent étant le plus émouvant : « Maman. »
Au final, on notera l’étonnante variété de tons et de styles, entre le drame et l’humour, le courage et la peur, le lyrisme ou la pudeur, la simplicité quotidienne ou la pause pour l’éternité. Reste une impression dominante : la sincérité de ces derniers instants. À vous de juger, dans cet édito en quatre semaines.
IV. Artistes (créateurs et interprètes), scientifiques.
ARTISTES (peintres, dessinateurs, photographes, compositeurs… et acteurs, chefs d’orchestre…).
« J’ai offensé Dieu et l’humanité parce que mon travail n’a pas atteint la qualité qu’il aurait dû avoir. »
Léonard de VINCI (1452-1519). Museo Leonardo da Vinci, Piazza del Popolo et Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.
Leonardo da Vinci est reconnu comme l’un des plus grands artistes, inventeurs, scientifiques et penseurs de tous les temps. Son génie en tant que peintre et sculpteur de la Renaissance fut célébré de son vivant. Il améliore la technique du sfumato (impression de brume) à un point de raffinement jamais atteint. Après sa Vierge aux rochers pour la chapelle San Francesco Grande de Milan et la Statue équestre de Francesco Sforza, toute l’Italie est séduite. Sa Joconde fascinera le monde, en partie pour le mystère de son sourire qui interroge encore !
Son travail d’ingénieur et de scientifique resta longtemps caché. Observateur infatigable, acharné à résoudre tout un éventail de problèmes complexes, il multipliait des plans et des esquisses pour les inventions dont certaines réalisées des siècles plus tard. Ainsi, la première machine volante, ancêtre de l’avion.
Il se passionne pour tout – trait commun à la Renaissance et au siècle des Lumières. Mais il impressionne par son approche méthodique du savoir et ses études approfondies en zoologie, botanique, anatomie, géologie : accumulation d’observations détaillées, de savoirs disséminés, pour tendre vers un surpassement tendant à la perfection. Pour preuve, ses innombrables croquis, notes et traités dans un souci encyclopédique avant l’heure.
En 1516, invité d’honneur à la cour de François Ier vainqueur à Marignan, après un voyage de deux mois sur les sentiers muletiers, apportant à la France sa très chère Joconde, il participe à des projets d’urbanisme. Malgré un AVC en 1517, il continue d’œuvrer et meurt deux ans après à Amboise, insatisfait de ne pas avoir assez fait !
Léonard de Vinci est le peintre le plus coté sur le marché de l’art : son Salvator Mundi (Sauveur du monde), petite peinture à l’huile sur bois qui lui est seulement « attribuée » vers 1500, a été vendue aux enchères chez Christie’s au prince héritier d’Arabie saoudite 450 millions de € (5 novembre 2017).
« Ôtez-moi ce crucifix ! Comment un artiste a-t-il pu rendre aussi mal les traits de Dieu ! »
Antoine WATTEAU (-1721) à 37 ans, au moment où un prêtre lui tend la croix. Archives historiques et littéraires du Nord de la France, Bureau des Archives (1834), Aimé Nicolas Leroy, Arthur Dinaux, André Joseph Ghislain Le Glay.
L’artiste représente le mouvement rocaille (style rococo), inspiré de l’allure contournée des coquillages et des rochers, forme de raffinement qui symbolise un art de vivre délicat et séduit les élites au siècle des Lumières. Inspiré aussi par la commedia dell’arte, Watteau aime représenter le théâtre dans ses tableaux, à travers les lourds rideaux et les thèmes à la mode, dans l’air du temps et de la théâtromanie qui fait fureur à son époque.
Malgré une carrière brève, il produit une œuvre considérable - des milliers de dessins et plus de deux cents tableaux que les princes d’Europe et les collectionneurs privés s’arrachent. Parmi les plus remarquables, son Pierrot (anciennement intitulé Gilles), deux Pèlerinages à l’île de Cythère et nombre de « fêtes galantes » où la musique et les musiciens sont mis en scène de manière originale et théâtrale.
Il meurt à 36 ans de la tuberculose - le « mal du siècle » à l’époque romantique décime depuis longtemps la jeunesse et atteint toutes les classes sociales, des familles royales aux classes populaires. Son mot de la fin est à son image d’artiste délicat, choqué par la vulgarité des formes et des choses ordinaires.
« Que diable me chantez-vous là, Monsieur le curé ! Vous avez la voix fausse. »
Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764 ) au prêtre venu lui apporter le réconfort de la religion. Lettres inédites de Voltaire à Mlle Quinault, à M. d’Argental, au Président Hénault… et autres personnages remarquables (1822), Renouard.
Pas de religion qui tienne, le compositeur a l’oreille toujours aussi fine à 80 ans !
L’œuvre lyrique de Rameau marque l’apogée du classicisme français qui s’oppose aux canons de la musique italienne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Son chef d’œuvre le plus spectaculaire : Les Indes galantes (1735). Cet opéra-ballet symbolise l’époque insouciante vouée aux plaisirs et à la galanterie – on parlera plus tard de débauche. Passé de mode et oublié pendant deux siècles, le spectacle est redécouvert et monté avec bonheur au Palais Garnier, l’opéra de Paris étant l’écrin parfait pour ce genre.
Ses œuvres pour clavecin, par nature plus confidentielles, n’ont jamais quitté le répertoire : Le Tambourin, Le Rappel des Oiseaux, La Poule furent jouées au XIXe siècle (au piano) à l’égal du répertoire de Bach, Couperin ou Scarlatti.
Rameau reste aussi comme le premier théoricien de l’harmonie classique : ses traités font toujours figure de référence.
« Si le ciel m’avait accordé encore dix ans de vie, ou même cinq, j’aurais pu devenir un véritable peintre. »
Katsushika HOKUSAÏ (1760-1849). Musée Hokusai-DozoDomo.
On ose à peine imaginer le résultat… Mais il faut saluer l’incroyable modestie du « vieillard fou de dessin », universellement célèbre pour sa « vague bleue » (Cent vues du mont Fuji).
Le maître japonais de l’ukiyo-e (estampe) eut une vie longue et bien remplie de peintre, dessinateur et graveur, également auteur d’écrits populaires. En soixante-dix ans de carrière, il réalise une œuvre considérable : quelque 3 000 tirages couleur, des illustrations pour plus de 200 livres, des centaines de dessins et plus de 1 000 peintures. Ses Trente-six vues du mont Fuji (1831-1833) offrent en réalité 46 estampes dont La Grande Vague de Kanagawa.
Il influença nombre d’artistes européens, en particulier Gauguin, van Gogh, Claude Monet, Alfred Sisley, et tout le mouvement artistique appelé « japonisme ».
Âgé de 84 ans, il effectue un dernier voyage à Obuse pour exécuter encore quelques fresques et dessins. La ville créa en hommage à son illustre visiteur un musée avec des expositions temporaires, ainsi les « Trente-six vues du Mont Fuji » ou « Hokusai Manga ».
« Maintenant, je suis à la source du bonheur. »
Frédéric CHOPIN (1810-1849). Chrétiens et hommes célèbres au XIXe siècle (1892) Armand Baraud.
Chopin est né à Varsovie où il étudia le droit. À 21 ans, il quitte la Pologne déjà opprimée par les Russes et vient en France (son père est lorrain) pour se fixer à Paris, capitale artistique. Il y rencontrera George Sand, le couple vivra une liaison passionnée, créatrice, paradoxale (avec inversion des rôles de l’homme et de la femme) et fatalement difficile…
Surnommé le « poète du piano », il gagne sa vie comme interprète très apprécié dans les salons (qu’il préfère aux grandes salles de concert chères à son ami Liszt au style flamboyant). Mais c’est surtout un compositeur inégalé qui réunit tradition classique et innovation romantique, force et légèreté, grâce sentimentale et révolte violente d’un écorché vif - devant le sort fait à sa pauvre Pologne ou les injustices inhérentes à la condition humaine.
Tuberculeux et souffrant toute sa vie des poumons, il vécut une agonie terrible. Il supplie les médecins s’efforçant de prolonger sa vie : « Laissez-moi mourir en paix. Dieu m’a pardonné, le voici qui m’appelle. Laissez-moi, je voudrais tant mourir ! » Après une pause pour respirer, il poursuit : « Oh ! la belle science que savoir faire durer la douleur ! Encore si on le faisait pour le bien, pour accomplir un sacrifice ; mais m’accabler et me tourmenter avec tous ceux qui m’aiment ! » Jusqu’à son mot de la fin qui exprime le soulagement à la fois physique et moral d’être arrivé au terme de de tout.
Chopin continue de vivre en artiste toujours aimé du public et adoré des interprètes. Sa signature musicale est unique : on reconnaît Chopin en trois ou quatre notes. Mais il influencera toute une lignée de compositeurs : Fauré, Debussy, Ravel, Rachmaninov ou Olivier Messiaen.
« Ah ! Quel talent je vais avoir demain … On va enfin jouer ma musique ! »
Hector BERLIOZ (1803-1869). Dictionnaire Larousse.
Compositeur et chef d’orchestre, critique musical et écrivain, l’artiste fut particulièrement tourmenté : par son caractère… et sa difficulté à faire carrière. Les problèmes se cumulent : orgueil publiquement blessé, difficultés financières permanentes, provocations maladroites… et conscience aiguë de son génie.
L’échec de son Benvenuto Cellini lui ferme les portes de l’Opéra de Paris, en 1838. Non sans mal, son opéra-comique Béatrice et Bénédict sera créé à Baden-Baden en 1862 et son chef-d’œuvre lyrique, Les Troyens, n’a droit qu’à une création partielle à l’Opéra-Comique, en 1863. Qu’elles qu’en soient les raisons, c’est insupportable à l’artiste d’être si mal reconnu dans son pays et de voir sa création publiquement amputée.
Il invente plusieurs genres entre l’opéra (profane) et l’oratorio (religieux) : « monodrame lyrique » (Lélio ou le Retour à la vie), « légende dramatique » (La Damnation de Faust), « trilogie sacrée » (L’Enfance du Christ), œuvres conçues pour le concert – montage moins coûteux et public plus restreint.
Faisant souvent appel à des effectifs considérables dans sa musique symphonique, religieuse et chorale, il organise de grands concerts publics et invente le concept de festival. Il crée le genre de la mélodie avec orchestre qui fera école en France (Duparc, Chausson, Ravel et André Jolivet) et à l’étranger (cycles de Wagner, Mahler, Berg, Schönberg, Richard Strauss et Benjamin Britten). Il organise de vastes tournées de concerts et se produit en Allemagne, Europe centrale et jusqu’en Russie, reconnu comme un maître de l’orchestration et un chef d’orchestre novateur.
Cumulant tous les paradoxes, représentant du romantisme européen qui se considère comme un compositeur classique, sa musique fait l’objet de controverses ou de malentendus qu’il tente de dissiper dans ses Mémoires.
Il faut attendre les célébrations du centenaire de sa mort (1969) et du bicentenaire de sa naissance (2003) pour une reconnaissance des pouvoirs publics et des professionnels, mais le (grand) public n’est pas souvent au rendez-vous.
« J’espère de tout mon cœur que l’on peut peindre au ciel. »
Jean-Baptiste COROT (1796-1875). Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.
Le « Père Corot » passa longtemps pour un peintre amateur ayant tout loisir de voyager. Il part en Italie, pays irrésistiblement attirant pour les artistes, où il résida à trois reprises. Il parcourt la France, Normandie, Bretagne, Auvergne, cherchant toujours la (bonne) lumière et trouvant sans peine des amis pour l’héberger.
Au cours de ses pérégrinations, il ne cesse de peindre des paysages idylliques étoffés de petits personnages, selon les règles du genre. Il reste malgré tout inclassable, échappant aux « écoles » modernes ou néo-classiques et même à la reproduction de la nature peinte « sur le motif ». Cette liberté fait tout son charme. À la fin de sa vie, reconnu par le marché plus que par les Salons (professionnels), il vit très bien de sa peinture et nombre de ses (jeunes) confrères profitent de sa générosité. Il crée l’école de Barbizon et passe pour le « père de l’impressionnisme », réputation paradoxale pour cet artiste qui ne s’est épanoui que par la liberté.
Il meurt à bout de forces le 22 février, tenant entre ses doigts des pinceaux imaginaires et murmurant ses derniers mots « d’une voix saccadée, hachée par la fièvre. »
Il y a quelque 3 000 tableaux à son catalogue (et autant de dessins et gravures), mais plus de 10 000 toiles signées Corot dans les collections américaines – la proportion des « faux » se banalisera que le marché de l’art qui prospère, alors que les œuvres sont tellement plus faciles à imiter que chez les maîtres classiques qui travaillaient d’ailleurs en atelier.
« À quoi bon, puisque la tristesse durera éternellement ? Je voudrais que ce soit fini. »
Vincent VAN GOGH (1853-1890) refusant d’être soigné après sa dernière tentative de suicide. Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.
Van Gogh n’aura pas le bonheur, la chance ni le talent d’un Corot. Mais il a du génie et sa cote post mortem bat des records sur un marché devenu fou. C’est l’archétype de l’artiste maudit, la réalité est plus complexe.
Il grandit aux Pays-Bas dans une famille bourgeoise. Il tente de faire carrière comme marchand d’art, mais refusant de voir l’art comme une marchandise, il est licencié. Il se rêve instituteur, puis prédicateur, veut devenir pasteur, mais échoue aux examens de théologie. Il décide alors d’être peintre à 27 ans – cette vocation ne se démentira jamais, malgré les dix ans d’épreuves et d’échecs.
Il part pour Amsterdam et peint son premier vrai tableau, Les Mangeurs de pommes de terre. Il passe en Belgique, puis vient à Paris où vit son frère : relation aussi personnelle que professionnelle avec ce marchand d’art reconnu qui ne pourra vendre qu’un seul de ses tableaux. Il explore la peinture et le dessin en autodidacte, mais comprend vite l’utilité des cours, visite les galeries d’art et les musées, pour enrichir sa culture picturale.
Van Gogh admire Rembrandt, Delacroix et autres génies, mais s’inspire de ses confrères qu’il fréquente, Monet, Cézanne, Degas… Il part finalement pour trouver la lumière du Midi qui va désormais irradier sa peinture, comme les fameux Tournesols (1888). Il invite son ami Gauguin à partager sa vie d’artiste au grand soleil d’Arles, fin 1888. L’aventure ne dure pas deux mois et finit mal – diverses versions du « fait divers », Van Gogh l’aurait menacé d’un rasoir, avant de retourner l’arme contre lui, se coupant l’oreille…
Interné à sa demande dans un asile à Saint-Rémy-de-Provence, ses œuvres traduisent son agitation intérieure - La Nuit étoilée (1889). Il se réfugie enfin à Auvers-sur-Oise où vit le docteur Paul Gachet, ami de Cézanne. Une relation de confiance s’établit entre eux, il réalise ses derniers grands tableaux, dont le Portrait du docteur Gachet. Mais la dépression l’emporte et il se suicide - selon la thèse la plus répandue. Son frère Théo lui survit six mois, atteint de la syphilis. Ils sont réunis dans le cimetière d’Auvers-sur-Oise.
L’artiste est un cas pathologique traité de son vivant (pour accès psychotiques et instabilité mentale), toujours pas résolu après sa mort : d’innombrables psychiatres ont tenté d’identifier sa maladie : schizophrénie, trouble bipolaire, syphilis, saturnisme, épilepsie du lobe temporal, maladie de Ménière (vertiges). Restent la malnutrition, le surmenage, l’insomnie, l’addiction à l’alcool et surtout l’absinthe. La « fée verte » (alcool titré à plus de 70°)) fit des ravages dans les milieux artistiques et littéraires : Verlaine, Rimbaud, Apollinaire et autres « artistes maudits ».
Reste l’œuvre, plus de 2 000 toiles et dessins datés principalement des années 1880. Réputé inclassable, Van Gogh se situe dans la mouvance postimpressionniste (comme Gauguin), précurseur du fauvisme avec sa palette vive et sa touche exaltée, de l’expressionnisme et même du symbolisme par sa conception mystique de l’art.
Mort dans la misère, peu connu dans les années 1890, il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands artistes de tous les temps et les plus cotés : cinq tableaux sur les 45 vendus aux enchères pour plus de 50 millions de $.
« Je savais bien, papa, que vous ne manqueriez pas l’hallali. »
Henri de TOULOUSE-LAUTREC (1864-1901). Henri de Toulouse-Lautrec ou les Labyrinthes du Temps (2015), Gérard et Julie Conton.
Ses derniers mots sont pour son père, venu à son chevet au moment de sa mort : allusion aux goûts de cet aristocrate fantasque et passionné de chasse. Les relations entre père et fils ne sont pas claires, le premier devait l’aimer, mais regretter sa « déchéance » sociale et déplorer naturellement la maladie génétique responsable de l’extrême fragilité de ses os, d’où son infirmité et sa monstruosité.
Peintre, dessinateur, lithographe, affichiste et illustrateur français, né à Albi au sein d’une famille de la plus ancienne noblesse provinciale, il « tourne mal », devenant artiste et se mêlant aux milieux malfamés.
Portraitiste de génie, il immortalise les têtes d’affiche du music-hall, d’Aristide Bruant à Jane Avril, Yvette Guilbert. Familier des maisons closes, il s’attache à la réalité quotidienne des prostituées. Le théâtre, le vaudeville ou les scènes d’avant-garde pour lesquelles il conçoit programmes et décors alimentent aussi son goût insatiable pour la comédie humaine. Il mène sa vie au rythme de sa création. Son travail acharné, lié aux plaisirs de la vie festive et à l’abus d’alcool altèrerons peu à peu sa santé : son cocktail préféré, cognac et absinthe dissimulé (dit-on) dans sa canne creuse. On retrouve la maléfique fée verte…
Un autre mot de la fin est prêté à l’artiste : « Maman !… rien que toi ! » De fait, il revint mourir le 9 septembre 1901 dans la propriété de sa mère en Gironde.
« Je sens venir tout de bon le moment de dire : ne bougeons plus. »;
NADAR (1820-1910), pseudonyme de Félix Tournachon, mourant à 89 ans. Dictionnaire amoureux de l’Humour (2012), Jean-Loup Chiflet.
Caricaturiste, écrivain, aéronaute (fasciné par cette nouvelle technique permettant d’obtenir des clichés inimaginables), le photographe le plus célèbre immortalisa toutes les célébrités de son temps avec un art du portrait remarquable : voir Baudelaire, Berlioz, Sarah Bernhardt, Corot, Courbet, Dumas, Hugo, Manet, Mallarmé, Maupassant, Nerval, Offenbach, Proudhon, Rossini, Jules Verne, Wagner, Zola et tant d’autres saisis dans la vérité de l’instant – encore fallait-il un temps de pause, d’où l’humour bien en situation du mourant.
Renommé pour son œuvre photographique de portraitiste rivalisant avec les peintres - à la fois concurrencés, mais libérés de l’obligation de « faire vrai » - il fut d’abord caricaturiste (genre florissant dans la grande presse), publiant aussi des romans, nouvelles, poèmes en prose, brèves de comptoir, témoignages et portraits… littéraires.
Ses relations avec son frère cadet, Adrien Tournachon, défrayèrent un temps la chronique judiciaire : le pseudonyme Nadar avait été utilisé par une société constituée autour de ce frère, provoquant parfois la confusion. Un arrêt de la Cour impériale de Paris lui en restitua la propriété exclusive en 1857, pour signer ses écrits et toutes ses œuvres, avant d’être utilisé par son atelier photographique dirigée par son fils Paul. En 1900, celui-ci organise une rétrospective de son œuvre à la grande Exposition universelle de Paris.
« Mourir, c’est difficile, quand il n’y a pas de public. »
MOUNET-SULLY (1841-1916) à son ami Édouard Champion. Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.
Né dans une famille bourgeoise qui le destinait à devenir avocat, il préfère suivre sa vocation d’acteur – les deux métiers ayant d’ailleurs des points communs.
Après un an au Conservatoire de Paris, il débute à l’Odéon en 1868 dans de petits rôles. Après la guerre de 1870, recommandé par un ancien maître, il entre à la Comédie-Française, débutant dans le rôle d’Oreste déchiré entre sa folie et sa lucidité au cours du monologue final (Andromaque de Racine). Le public applaudit, mais la critique lui reproche son jeu trop peu conventionnel dans cette tragédie classique. Sa stature imposante, sa gestuelle harmonieuse, sa voix parfaitement timbrée vont l’imposer comme le Tragédien de sa génération, renouvelant son art à l’égal d’un Talma (sous l’Empire). Mounet-Sully est une vivante et géniale contradiction du Paradoxe de Diderot. Pour lui, l’acteur doit incarner le personnage plutôt que le jouer. Sa partenaire la plus illustre qui fut aussi sa maitresse, Sarah Bernhardt, poussera plus loin encore ce jeu très personnel.
Nommé sociétaire dès 1874, il est ovationné dans tous les grands rôles du répertoire : Rodrigue dans Le Cid, Néron dans Britannicus, Hippolyte dans Phèdre, atteignant son apogée en 1881 dans Œdipe roi, repris en 1888 au Théâtre antique d’Orange. Autre triomphe avec Hamlet. Il multiplie les prises de rôle dans le répertoire classique et moderne.
Devenu doyen en 1894, il jouera encore, septuagénaire et malgré divers maux, jusqu’à sa dernière (ré)apparition en Polyeucte. On peut oublier l’auteur dramatique.
Son mot de la fin, qui doit toucher nombre d’artistes interprètes, rappelle la chanson créée par Dalida : « Moi je veux mourir sur scène / Devant les projecteurs… » mais elle choisit le suicide, comme quelques autres.
« Je crois que je commence à y comprendre quelque chose… »,
Auguste RENOIR (1841-1919), mourant d’une congestion pulmonaire à 78 ans. Pierre-Auguste Renoir, mon père (1981), Jean Renoir.
Mourant d’une congestion pulmonaire qui l’épuise, il peint jusqu’au bout de ses forces, mains paralysées auxquelles on attache ses pinceaux avec des rubans – peut-être une légende, à suivre. Il aurait dit aussi, dans le même registre : « Je fais encore des progrès. » Et plus simplement : « Rendez-moi ma palette » pour peindre le bouquet de fleurs devant la fenêtre.
Surnommé « le peintre du bonheur » par le choix des sujets traités, voici l’un des rares artistes de génie qui n’est ni maudit, ni alcoolique, ni torturé, ni caractériel… On peut même le qualifier de bourgeois assumé, avec une vie familiale harmonieuse, une maîtresse qui devient sa femme et son modèle, quatre enfants dont deux fils artistes - le cinéaste Jean Renoir et Pierre, son frère comédien.
Renoir a tout représenté : nus, portraits, scènes de groupe, paysages, marines, natures mortes, scènes de genre, et des enfants modèles. Il fut aussi pastelliste, graveur, lithographe, sculpteur et dessinateur : cumuls de talents fréquents.
Impressionniste au début avec ses paysages, il évolue vers un style plus réaliste. Peintre figuratif intéressé désormais par le portrait et les nus féminins épanouis, il place la gaieté au cœur de ses toiles marquées par les conséquences du progrès sur la société, par la mise en scène du quotidien joyeux dans un cadre urbain ou bucolique, intime ou populaire.
Considérée par les collectionneurs de son temps comme inachevée, maladroite et bâclée, sa peinture sera bientôt perçue comme révolutionnaire, rompant avec les conventions de l’art officiel de l’époque ! Quand il abandonne le plein air et renoue avec ses maîtres préférés, Fragonard, Raphaël ou François Boucher, ses anciens « compagnons de route » impressionnistes l’accusent de trahison et lui reprochent de sacrifier à la peinture officielle des héritiers de David ! Et pourtant, l’histoire de l’art considère que cette dernière période du maître, marquée par un retour vers le classicisme, a inspiré une jeune génération d’artistes, tels Picasso, Matisse ou Bonnard.
Mais que lui importe, il peint ce qu’il aime, enfin reconnu du public et soutenu par le marchand d’art Ambroise Vollard, assuré de vivre de son art. Bref, un homme heureux et attaché son travail jusqu’à la fin, malgré ses mains déformées par la polyarthrite rhumatoïde. Ses ongles pénétrant dans la chair de ses paumes, des bandelettes de gaze talquées les protègent – d’où la légende du pinceau attaché à sa main. Mais les deux faits peuvent être véridiques.
Il a réalisé quelque 4 000 tableaux (plus que Manet, Cézanne et Degas réunis). À son catalogue, un grand nombre de titres célèbres exposés dans tous les musées du monde (outre les collections privées) : Bal du moulin de la Galette, La Balançoire, Paysages Bords de la Seine, Le Déjeuner des canotiers, Les Grandes Baigneuses, Femme nue couchée, La Toilette : femme se peignant…
« Comme la mort est lente à venir… Je veux des fleurs, beaucoup de fleurs. »
Sarah BERHNARDT (1844-1923). Sarah Bernhardt (1977), Philippe Jullian
La diva du théâtre a toujours eu avec la mort une relation personnelle très originale, sinon malsaine. Par exemple, elle recevait volontiers dans son lit en forme de cercueil. Quant à l’abondance de fleurs offerte en bouquets ou corbeilles, voire jetées sur scène au rideau de fin, c’est la preuve pour l’artiste interprète qu’elle est aimée du public.
Née juive, semi-prostituée pour vivre, « maigre à faire pleurer les oies » selon son expression, elle imposer sa diction, sa gestuelle et son personnage hors norme.
Star de Paris et mondialement adulée, créatrice de l’Aiglon (d’Edmond Rostand), interprète des plus grands classiques (Phèdre de Racine) et romantiques (la Dame aux camélias de Dumas fils, la reine de Ruy Blas de Victor Hugo), elle meurt à 78 ans, amputée d’une jambe, ayant toujours refusé d’être appareillée : « On me portera ! » dit-elle.
Toute sa vie, elle a forgé son personnage, créé un style, passionné les foules, usé et génialement abusé de « la réclame » - on dirait aujourd’hui « la com », en un temps où la célébrité venait de la scène – le sport professionnel n’existait pas et le cinéma naissait à peine, muet.
Ses Mémoires sont un petit chef d’œuvre, forme et fond, le portrait d’une époque et un hymne au Théâtre qui a connu sa plus belle époque avec elle et quelques autres grands noms (Mounet-Sully, Coquelin, Réjane…). Deux anecdotes entre mille. Elle partait régulièrement en tournée « pour remplir la sacoche », voyageant en train avec sa ménagerie qui occupait un wagon ! En Amérique du sud, l’enthousiasme de la foule était tel qu’à la sortie des artistes, on dételait les chevaux pour avoir l’honneur de porter sa voiture jusqu’à son hôtel.
« Allons voir quelle musique on entend là-haut. »
André MESSAGER (1853-1929). Les Mots de la fin, 200 adieux historiques (2017), Catherine Guennec. Ou Ruiz.
Son nom est quelque peu oublié, sa musique passée de mode, mais il reste un tube : le duo de l’escarpolette toujours présent sur You Tube et en plusieurs version. Véronique, 1898
Messager fut donc le compositeur heureux de Véronique (1898) entre autres opérettes, le genre à la mode : La Fauvette du temple, La Basoche, Madame Chrysanthème, Les P’tites Michu, Fortunio, Monsieur Beaucaire.
Il fut aussi chef d’orchestre, débutant aux Folies-Bergères et se retrouvant (par le jeu des relations) à l’Opéra-comique où il crée Louise de Gustave Charpentier et Pelléas et Mélisande que Claude Debussy lui a dédié.
Il sera même codirecteur de l’Opéra de Paris. Il fait des tournées comme chef aux États-Unis, en Argentine, écrit quelques symphonies. Bref, une carrière éclectique, mais toujours sous le signe de la musique.
« Oui, en somme, je meurs guéri. »
Jean-Louis FORAIN (1852-1931) à son médecin lui assurant que sa température, sa tension, son pouls étaient normaux. Étonnant Sacha Guitry (1985), James Harding, Charles Floquet.
Guitry collectionnait les mots de la fin et de préférence, les mots d’esprit. Celui-ci devait plaire au malade qu’il fut longtemps, souffrant mais malgré tout souriant et travaillant.
Forain, peintre et illustrateur attiré par Montmartre fréquente la Bohème parisienne à 17 ans. Anarchiste dans l’âme, il est pour les Communards. Son esprit blagueur est apprécié au club « zutiste » et aux dîners des « Vilains Bonshommes » avec Rimbaud et Verlaine. Hiver 1871, il partage avec le jeune Rimbaud un logis de fortune et devient le complice des deux poètes qui le baptisent « Gavroche », pour son esprit narquois et sa gouaille montmartroise.
Sous l’influence des impressionnistes Manet et Degas, il pénètre le petit monde de l’Opéra avec ses danseuses et ses abonnés – devenus thème de prédilection. Il participe aux expositions impressionnistes entre 1879 et 1886.
Reconnu pour le trait caustique de ses dessins de presse, il opte pour la satire sociale, fustige l’hypocrisie de la bourgeoisie et les contradictions de la politique de son temps. « Où aura lieu votre prochaine exposition ? - Dans les kiosques ! » répond-il. En 1889, il lance son journal Le Fifre pour « conter la vie de tous les jours, montrer le ridicule de certaines douleurs, la tristesse de bien des joies. » Les crises qui bouleversent la Troisième République – scandale de Panama, flambée anarchiste, affaire Dreyfus – l’orientent vers la caricature politique.
Enfant terrible du Tout-Paris, recherché pour ses bons mots, il se retrouve membre de cercles selects - le Jockey Club ou l’Automobile Club. Il a sa table chez Maxim’s et participe dans aux dîners d’Ambroise Vollard (grand marchand d’art) aux côtés de Degas, Cézanne, Renoir. C’est quasiment la gloire, mais ça ne change pas son caractère ni son inspiration.
« Pourquoi a-t-on éteint la lumière !? »
Raoul DUFY (1877-1953), alors qu’il est allongé dans sa chambre ensoleillée où il meurt d’une crise cardiaque. Piques et répliques de l’Histoire (2017), Stéphane Bern
Né au Havre, il s’expose et s’impose bientôt à Paris comme peintre des Années folles, boudé par la critique mais prisé du public séduit par sa liberté de tons et de traits qui caractérise son talent.
Jean Cocteau l’apprécie à sa juste valeur : « Dufy est un bienfaiteur. En un temps où l’on vit dans l’angoisse du lendemain, où les gazettes sont pleines d’affreuses tueries, voici le chantre de la joie, le peintre de la grâce légère, de la fraîcheur, de l’allégresse. La vue d’une toile de Dufy nous réconforte, nous console, écarte de notre pensée les tristesses du réel. » Irrésistible, indispensable Dufy ! Ses explosions de couleurs ont fini par séduire le monde de l’art jusqu’à New York. On a toujours besoin de cette lumière et ses tableaux défient le temps et les modes.
« Qu’on me retire tous ces trucs ! Vous m’emmerdez tous ! »
Maurice UTRILLO (1883-1955) à 72 ans, en colère et montrant les tuyaux de perfusion qu’il avait dans les bras. Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.
Peintre de l’École de Paris, né à Montmartre qui fit sa gloire et vice versa, c’est le fils naturel de Suzanne Valadon, ex modèle et l’une des rares femmes peintres qui fut aussi son professeur.
Après une enfance difficile où il souffre de la faim et du froid, alcoolique dès l’adolescence, il doit être soigné pour des crises de démence et multiplie les séjours à l’asile, sa mère l’assistant dans ses épreuves autant qu’il est possible.
Il peint facilement et avec plaisir les rues de Montmartre, mais c’est pour se payer à boire et régaler ses amis. Il est souvent dans un tel état d’ébriété qu’il n’ose plus peindre sur motif, craignant d’être moqué ou attaqué, alors il peint sur carte postale – des petits tableaux qui seront ensuite reproduits à l’infini en cartes postales !
Il mourra en cure à Dax, avec sa femme. Un destin tragique, une carrière difficile et une vie d’artiste sincère, vécue dans la douleur.
« Si Dieu existe, vraiment, il exagère ! »
Georges BRASSENS (1921-1981). Ici Paris, Spécial BRASSENS, Ses derniers mots, 4 novembre 1981.
C’est peut-être la moins sûre des sources… mais une évidence s’impose : les relations de Brassens avec Dieu font partie intégrante de son œuvre (à travers quelque 200 chansons). L’expression impie en forme d’exclamation plaisante se retrouve d’ailleurs dans l’une d’elle, rarement reprise, « Dieu, s’il existe » :
« Au ciel de qui se moque-t-on ? / Était-ce utile qu’un orage
Vînt au pays de Jeanneton / Mettre à mal son beau pâturage ?
Pour ses brebis, pour ses moutons, / Plus une plante fourragère,
Rien d’épargné que le chardon ! / Dieu, s’il existe, il exagère, / Il exagère. »
On ne compte plus les textes où Dieu est cité, interpellé, provoqué ou invoqué sur tous les tons. C’est surtout la religion et la bigoterie qui insupportent à ce « mécréant de Dieu », cet anarchiste « sans Dieu ni maitre » obsédé par la mort, bien avant que se déclare le cancer qui finit par l’emporter à 60 ans. Fin octobre 2021, on célèbre à la fois le centenaire de sa naissance et le soixantième anniversaire de sa mort. D’où le plaisir de réentendre l’auteur-compositeur-interprète (ACI) et de comprendre à quel point il reste populaire auprès des nouvelles générations.
SCIENTIFIQUES (médecins, astronomes, mathématiciens, physiciens, chimistes, physiologistes, biologistes, ingénieurs…)
« Ne dérange pas mes cercles ! ».
ARCHIMEDE (287-212 av JC) au soldat romain qui dérange le savant inconscient de la situation et tout à son problème scientifique. Vie des Hommes illustres (manuscrit daté de 100-120), Plutarque.
Après plusieurs années de siège, Syracuse tomba aux mains des Romains. Le général Marcus Claudius Marcellus souhaitait néanmoins épargner le savant. Malheureusement, un soldat romain croisa Archimède alors que celui-ci traçait des figures géométriques sur le sol, inconscient de la prise de la ville par l’ennemi. Troublé dans sa concentration par le soldat, Archimède lui aurait lancé « Ne dérange pas mes cercles ! » Le soldat, vexé de ne pas voir obtempérer le vieillard de 75 ans, l’aurait alors tué d’un coup d’épée. En hommage à son génie, Marcellus lui fit de grandes funérailles et fit dresser un tombeau décoré à la demande d’Archimède, d’un cylindre renfermant une sphère, et, pour inscription, le rapport du solide contenant au solide contenu.
Physicien, mathématicien et ingénieur, l’un des plus grands scientifiques de l’Antiquité inventa le principe du levier et laisse son nom au fameux principe sur les corps plongés dans un liquide : « Eurèka ! » dit-il quand il a trouvé.
Autre mot, autre version : « Attendez que j’aie fini mon problème » lance Archimède au soldat romain venu l’arrêter.
« Je suis né sans savoir pourquoi, j’ai vécu sans savoir comment, et je meurs sans savoir pourquoi ni comment. »
Pierre GASSENDI (1592-1655). L’Art de mourir (1932), Paul Morand.
Mathématicien, philosophe, théologien et astronome français. Le 12 août 1654, Gassendi observe sa dernière éclipse dans le château de Montmor, au Mesnil-Saint-Denis. Soigné par sept médecins, et de nombreux apothicaires, il reçoit douze saignées, sept purges et vingt-deux lavements avant de s’éteindre le 24 octobre 1655 entre les bras de son élève.
Selon le témoignage de ses contemporains, Gassendi se levait régulièrement à trois heures du matin, jamais plus tard que quatre heures, et quelquefois à deux. Il étudiait jusqu’à onze heures, à moins de recevoir une visite et se remettait à l’étude vers deux ou trois heures après midi jusqu’à huit. Il soupait légèrement (une tisane tiède, des légumes, rarement de la viande) et se couchait entre neuf et dix. On le disait pieux, et pratiquant avec scrupule ses devoirs de prêtre ; ses paroissiens l’appelaient le saint prêtre. Par sa pauvreté, sa modestie, sa douceur, son humanité, sa bienfaisance, sa charité et sa simplicité, il faisait figure d’un anachorète, vivant dans le monde selon la règle d’un monastère. Peu d’auteurs ont imaginé qu’il s’agissait là d’une posture, ou d’un masque.
« L’artère bat … l’artère bat encore … l’artère ne bat plus. »
Albrecht von HALLER (1708-1777) comptant jusqu’à la fin ses pulsations. L’Art de mourir (1932), Paul Morand.
Physiologiste suisse et écrivain d’expression allemande, il apprend la médecine, voyage et enseigne l’anatomie à Bâle. Nommé en 1734 professeur d’anatomie à l’université de Berne, sa ville natale, il part deux ans plus tard pour Göttingen où, durant dix-sept ans, il enseigne la chirurgie, la botanique (il fonde le Jardin des Plantes) et l’anatomie. En 1751, présidant le Collège des chirurgiens, il rédige les règlements de la Société royale de Göttingen où, durant dix-sept ans, il enseigne la chirurgie, la botanique (il fonde le Jardin des Plantes) et l’anatomie.
Sa santé s’altérant, il regagne Berne en 1753, participe à l’administration de son pays, réorganise l’université de Lausanne, dirige les salines de Roche. Quelques années plus tard, George II d’Angleterre, qui avait fondé l’Université de Göttingen, lui demande d’y reprendre son enseignement. Mais le « grand Haller » reste fidèle à Berne qui l’honore à la mesure de ses mérites et y termine une vie tout entière vouée au travail.
« Oui ! Je tremble, mais c’est de froid. »
Jean-Sylvain BAILLY (1736-1793), avant son exécution dont les préparatifs s’éternisent, 12 novembre 1793. Histoire de la Révolution française, volume II (1869), Louis Blanc.
Révolution française. Condamné politique, il attend, dans le froid et sous la pluie. Exécution prévue au centre de l’esplanade, mais l’on décide de transporter la guillotine et de la remonter dans un coin obscur. Cela prend du temps et le vieil homme ne peut réprimer les tremblements de tout son corps. Un assistant du bourreau se moque : « Tu trembles, Bailly ! » D’où la réponse.
Ex-président de la Constituante et maire de Paris au lendemain de la prise de la Bastille, c’est un grand scientifique, astronome et mathématicien, membre de l’Académie des Sciences (1763) et de l’Académie française (1783).
Mais c’est bien connu, « La République n’a pas besoin de savants ! » Lavoisier, 51 ans, demandait qu’on diffère l’exécution de quelques jours, le temps de terminer une expérience. Un de ses collègues, le médecin Hallé, était venu présenter au tribunal un rapport énumérant tous les services rendus à la patrie par l’illustre chimiste : « Il faut que la justice suive son cours », trancha le vice-président du Tribunal révolutionnaire avec cet argument sans appel.
« C’est dommage de s’en aller, ça commence à devenir drôle. »
Louis-Joseph GAY-LUSSAC (1778-1850). Encyclopédie Larousse.
Le savant regrettait de quitter la terre alors que la science faisait tant de progrès, au XIXe siècle !
Gay-Lussac entre dans l’histoire des sciences par un exploit que l’on qualifierait aujourd’hui de sportif : le 16 septembre 1804, embarqué à bord d’un ballon libre, il s’élève à 7 016 mètres d’altitude ! C’est quasiment le début de la conquête de l’espace.
Élève de la promotion 1797 de Polytechnique, ingénieur des Ponts (1800), il est choisi comme préparateur par Berthollet et travaille sur la loi de la dilatation des gaz (1802). Il entreprend avec Biot deux voyages aérostatiques (1804). Membre du Bureau consultatif des arts et manufactures (1805), il fait avec Humboldt un voyage scientifique en Italie et en Allemagne (1805-06) et présente avec lui à l’Académie des sciences où il est élu (1806), le mémoire sur la loi de combinaison des gaz. Il publie des observations sur le magnétisme (1807). Il fait partie des fondateurs de la Société d’Arcueil.
Devenu professeur de physique en Sorbonne (1809), il se consacre à la chimie industrielle. Il découvre le cyanogène et l’acide prussique ; s’intéresse aussi aux volcans, nuages, foudre, orages, salinité de la Mer morte. Membre du Comité des poudres et salpêtres (1818), associé à l’Académie de médecine (1820), professeur de chimie générale au Muséum d’histoire naturelle (1832) et pair de France (1839) après avoir été député, il cesse d’enseigner, mais continue ses recherches et publications. Nommé administrateur de la Compagnie des glaces de Saint-Gobain, il crée la « tour Gay-Lussac » permettant de prévenir la libération dans l’atmosphère des oxydes d’azote.
Les savants qui ont personnellement connu Gay-Lussac évoquent tous un personnage « à l’antique », d’une justice absolue dans ses jugements scientifiques. La simplicité de son âme ne fut jamais altérée par toutes les autres dignités qui honorèrent le savant. Sa personne reste modeste, comparée à l’importance de son œuvre.
« J’ai fait ce que j’ai pu. »
Louis PASTEUR (1822-1895), mourant d’une seconde attaque cérébrale. Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.
Physicien et chimiste de formation, il reste célèbre dans le monde entier pour avoir, le premier, appliqué le concept de vaccination à l’homme, en sauvant un jeune Alsacien, Joseph Meister, mordu par un chien enragé (1885). L’enfant ne contracta pas la maladie (mortelle). Il mit au point d’autres vaccins, contre la maladie du charbon, le choléra.
On lui doit beaucoup d’autres découvertes dont l’utilité pratique est à la fois universelle et quotidienne.
En 1864, il démontre la fausseté de la théorie de génération spontanée, selon laquelle certains êtres vivants, dont les micro-organismes qu’il étudie, naissent simplement par l’alliance de facteurs externes et sans recours à d’autres substances organiques. En présentant ses travaux, Pasteur montre que ces organismes sont issus de germes déjà existants. Le débat qui l’oppose au biologiste Félix Archimède Pouchet depuis 1858 est clôt.
En 1865, nouvelle découverte après dix ans de travaux sur le processus de fermentation et les causes d’acidité dans le vin, la bière et le lait. Ayant découvert que des micro-organismes - ou bactéries - sont à l’origine, il propose une méthode pour les détruire : chauffer le liquide à une température minimum de 55° C, le faire refroidir aussitôt. C’est le système de pasteurisation qui permet la conservation alimentaire, tout en préservant la qualité des produits.
Professeur à Dijon et Strasbourg, nommé ensuite doyen et professeur de chimie à la nouvelle université de sciences à Lille, il fait ce qu’il dit toujours à ses élèves : « Il faut travailler. » Rien ni personne ne peut le détourner de ses travaux.
En 1885, Pasteur refusa de poser sa candidature aux élections législatives, alors que les paysans de la Beauce, dont il avait sauvé les troupeaux grâce au vaccin contre le charbon, l’auraient sans doute porté à la Chambre des Députés.`
Une première attaque cérébrale le rendit hémiplégique. Il se remet, mais gardera des séquelles : perte de l’usage de la main gauche et difficulté à se déplacer.
Couvert d’honneurs et de décorations, l’Institut à son nom est inauguré en 1888 par le président de la République Sadi Carnot. Il se résume en trois chiffres (2020) : 144 unités de recherche à Paris, 32 instituts dans le monde, 10 prix Nobel.
« Je veux qu’on me laisse tranquille. »
Marie CURIE (1867-1934) recevant une dernière piqûre censée la soigner. Marie Curie (2008) Henry Gidel.
Nul ne conteste la valeur et la portée des découvertes de Pasteur, à l’inverse des travaux de Marie (et Pierre) Curie. La chimie fait peur, que dire de physique et de la radioactivité ! D’ailleurs, Marie Curie va mourir à 66 ans d’une leucémie, conséquences de ses travaux dont elle ne s’était pas suffisamment protégée !
Physicienne et chimiste polonaise, naturalisée française par son mariage en 1895 avec le physicien Pierre Curie (1859-1906), le couple partage avec Henri Becquerel le prix Nobel de physique récompensant leurs recherches sur les radiations (radioactivité, rayonnement corpusculaire naturel). En 1911, elle obtient le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium.
Scientifique d’exception, c’est la première femme à avoir reçu le prix Nobel et, à ce jour, le seul doublé. Elle reste aussi un cas unique de récompense dans deux domaines scientifiques distincts. Après la mort accidentelle de Pierre, il lui faudra surmonter ce drame, combattre le machisme du milieu scientifique et le chauvinisme. Mais cette surdouée intellectuelle aura tous les courages personnels pour mener à bien cette tâche.
Très consciente des raisons de son épuisement final, elle est hospitalisée au sanatorium de Sancellemoz en Haute-Savoie, face à Saint-Gervais et à la chaîne du Mont-Blanc.
Sa fille Ève l’accompagne et veille au respect de son anonymat. Le voyage en train est éprouvant. Sur place, les médecins comprennent que la tuberculose n’est pas en cause, tandis que le nombre de globules blancs et rouges diminue rapidement. La température dépasse 40°. Le 3 juillet la température baisse, Marie parvient pour la dernière fois à lire son thermomètre. Son autre fille Irène Joliot-Curie, accompagnée de son mari Frédéric, arrivent juste à temps pour la voir mourir le 4 au matin, ayant refusé tout acharnement thérapeutique.
Le directeur de l’hôpital précise dans son bulletin que « la maladie est une anémie pernicieuse aplastique à marche rapide fébrile. La moelle osseuse n’a pas réagi, probablement parce qu’elle était altérée par une longue accumulation de rayonnements. »
« Pourquoi ? Pourquoi ? »
Jacques MONOD (1910-1976), mourant d’une leucémie (comme Marie Curie). Les Mots de la fin, 200 adieux historiques (2017), Catherine Guennec.
Question tenaillante pour tous les intellectuels, les plus brillantes intelligences comme les plus humbles mortels. Mais un témoin confirme… il l’a bien dit.
Il fait l’essentiel de sa carrière à l’Institut Pasteur, devient professeur à la faculté des Sciences de Paris, puis au Collège de France, enfin directeur de l’Institut Pasteur de 1971 à 1976. Prix Nobel de physiologie ou médecine avec François Jacob et André Lwoff pour ses travaux en génétique, il lance avec François Jacob le projet de création d’un centre de recherche spécialisé en biologie moléculaire - Institut Jacques-Monod en 1982.
Son essai Le Hasard et la nécessité (1970) porta les débats en matière de biologie sur la place publique. Monod y expose ses vues sur la nature et le destin de l’humanité dans l’univers, concluant : « L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. » Adhérent au Parti communiste français au lendemain de la guerre, il prend ses distances en 1948, au moment de l’affaire Lyssenko.
Ses apports à la biologie moléculaire sont considérables. Il met en évidence l’existence d’une molécule servant de lien entre le génome (ADN) et les protéines : l’ARN messager. L’acide ribonucléique messager, ARN messager, est une copie transitoire d’une portion de l’ADN correspondant à un ou plusieurs gènes. Il est utilisé comme intermédiaire par les cellules pour la synthèse des protéines. Le concept d’ARN messager a valu le prix Nobel à Jacques Monod, François Jacob et leurs collaborateurs à l’Institut Pasteur. Son application engendre une nouvelle génération de vaccins, notamment contre la Covid.
« Merci la Terre. »
Haroun TAZIEFF (1914-1998). Les Mots de la fin, 200 adieux historiques (2017), Catherine Guennec.
Ingénieur agronome, ingénieur des mines, volcanologue et écrivain, né russe puis naturalisé successivement belge (1936) et français (1971, considéré en France et à l’étranger comme l’un des créateurs de la volcanologie moderne.
Explorateur soucieux de vulgarisation scientifique au meilleur sens du terme, il réalise Les Rendez-Vous du Diable, film primé plusieurs fois.
Il se passionne aussi pour la mer, accompagnant l’autre grand vulgarisateur scientifique Jacques-Yves Cousteau sur la Calypso dès 1951. Multipliant les campagnes de terrain, il devient spécialiste de l’étude sur le vif de la phénoménologie des éruptions, révélant l’importance des éruptions sous-marines qu’il fut le premier à observer, décrire et analyser aux Açores.
Fondateur de la volcanologie moderne, il plaide pour le développement multidisciplinaire. Ses innovations concernent autant les concepts que les instruments de mesure, les moyens d’accès aux bouches éruptives actives, la protection des chercheurs de terrain et la prévention des risques pour les populations locales – science naturellement inexacte, d’où certaines polémiques sur les injonctions qu’il donna parfois. Il valide aussi la fameuse théorie de la tectonique des plaques entre continents.
À sa mort, la presse grand public et les spécialistes sont unanimes à lui dire merci.
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