« J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller. »
Charles BAUDELAIRE (1821-1867). Le Spleen de Paris (recueil posthume de poèmes en prose, 1869)
Les mystères ont défrayé la chronique en leur temps, nourris par la rumeur - bien avant la presse, les réseaux sociaux et toutes les « autoroutes de la désinformation » !
Petits et grands mystères alternent, souvent associés à des Affaires majuscules - des Templiers à l’Affaire Dreyfus. Tant de fois commentées, souvent fascinantes, elles sont un vivant reflet de leur époque, mais aussi de « l’âme humaine » qui ne varie guère.
Certains mystères sont aujourd’hui résolus – l’épidémie de peste noire, le Collier de la Reine, l’Affaire du Rainbow warrior. D’autres demeurent – l’assassinat d’Henri IV, l’énigme du Masque de fer et l’Affaire des poisons au siècle de Louis XIV, l’affaire du petit Grégory de nos jours.
Quelques personnages restent à jamais (et volontairement) mystérieux - du roi Philippe le Bel à François Mitterrand, en passant par le marquis de Sade… et de Gaulle : « La grandeur a besoin de mystère. On admire mal ce qu’on connaît bien. » Quant à Molière, objet des pires fake-news de son temps, sa vie comporte toujours certains mystères.
De nos jours, les « affaires » se multiplient, le journalisme d’investigation devient un genre prospère et les procès font la une des médias. Faut-il y voir un progrès dans la justice, la « transparence » et la démocratie, ou une dérive sociétale dangereuse ?
Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
L’épopée napoléonienne.
Napoléon suicidaire : face cachée du personnage, mort à 51 ans de mort naturelle… ou pas, selon diverses rumeurs.
« Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd’hui ? Du côté de la mort. »1
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), 3 mai 1786. Cité par Jean-Baptiste Marcaggi (1866-1933), historien, romancier, journaliste, directeur de la Bibliothèque d’Ajaccio de 1897 à 1910, et de 1921 à 1933
Il a 17 ans et désespère déjà de la vie. De retour en Corse, il maudit notamment les Français qui se sont emparés de son île et se livre à une introspection quasi-romantique, avec ce physique de « jeune premier » remarquable dans les premiers tableaux de David ou Antoine-Jean Gros.
« Quelle fureur me porte donc à vouloir ma destruction ? Sans doute, que faire dans ce monde ? Puisque je dois mourir, ne vaut-il pas autant se tuer ? Si j’avais déjà passé soixante ans, je respecterais le préjugé de mes contemporains et j’attendrais patiemment que la nature eut achevé son cours ; mais puisque je commence à éprouver des malheurs, que rien n’est plaisir pour moi, pourquoi supporterais-je des jours que rien ne prospère ? Que les hommes sont éloignés de la nature ! Qu’ils sont lâches, vils, rampants ! »
« Je suis annulé de la nature humaine ! j’ai besoin de solitude et d’isolement ; la grandeur m’ennuie ; le sentiment est desséché ; la gloire est fade ; à 29 ans, j’ai tout épuisé. »1767
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre à Joseph Bonaparte, Le Caire 25 juillet 1799. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert
C’est moins un mot historique (après la victoire d’Aboukir) qu’un diagnostic de dépression nerveuse – brève, il va aussitôt quitter l’Égypte et rentrer à Paris pour préparer son coup d’État de brumaire.
Hyperactif quasi maladif, infatigable battant, il songeait au suicide pour la première fois à 17 ans. Il fera plusieurs tentatives, à Arcis-sur-Aube où il se bat, à Fontainebleau après l’abdication, où il use du poison, puis à l’île d’Elbe, lieu du premier exil, avant de reprendre chaque fois courage. Brèves faiblesses d’un homme fort.
« J’ai tout fait pour mourir à Arcis. »1883
NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Caulaincourt, évoquant la bataille du 19 mars 1814. Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)
L’aveu est postérieur à la bataille. Plusieurs fois, Napoléon tenta de se suicider, notamment à l’opium. Et chaque fois, il regrettait cette mort qui se refusait à lui.
Mais le 19 mars 1814, l’épée à la main, il s’est jeté dans la mêlée à Arcis-sur-Aube, bientôt rejoint par sa Garde. La bataille est restée indécise face à Schwarzenberg, ex-ambassadeur d’Autriche à Paris, ex-allié de Napoléon pendant la campagne de Russie, qui commande à présent les armées alliées envahissant la France. L’étau se resserre autour de Paris.
Le soir du 12 avril 1814, à Fontainebleau, Napoléon tentera à nouveau de se suicider en avalant du cyanure – cette fois il vomit en souffrant abominablement et renonce à la mort qui ne veut pas de lui.
Deux pistolets avec lesquels l’empereur Napoléon Ier aurait voulu se suicider en 1814 ont été vendus aux enchères le dimanche 7 juillet 2024. Classés « trésors nationaux » par le ministère de la Culture, ils ne doivent pas quitter longtemps notre territoire.
« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »1982
NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases
Ces mots sont dans son testament, daté du 16 avril 1821. Il meurt le 5 mai, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène, cinq ans d’humiliation de la part du gouverneur anglais Hudson Lowe.
Interminable débat sur sa mort – enrichi par les découvertes de la médecine. Ulcère ou cancer de l’estomac – il aurait hérité de ce mal paternel et portait souvent la main sur son ventre. On détecte aussi la présence d’arsenic dans les cheveux – ce qui ne signifie pas forcément empoisonnement criminel…
S’il faut absolument chercher l’origine de la maladie et du décès de l’Empereur, il n’est pas interdit de penser que son attitude à Longwood fut suicidaire. Un psychothérapeute (métier alors inconnu) l’aurait aidé à prendre conscience de la perte de son statut de chef d’État, à surmonter le traumatisme de l’exil et à voir son avenir autrement. S’il avait accepté de négocier les conditions de sa détention, examiné les propositions d’Hudson Lowe – pas toutes malveillantes – de participer à la vie sociale de l’île en répondant aux invitations et en continuant à recevoir des invités ; s’il n’avait ressassé sans trêve les phases glorieuses de sa carrière, s’il n’avait sans relâche cherché les raisons de ses échecs ; s’il n’avait inconsciemment favorisé les querelles intestines de son entourage (les officiers, leurs épouses et les domestiques)… Si cet hyperactif né avait tout simplement pris un minimum d’exercice physique et renoncé à mener une vie confinée, à prendre la nuit pour le jour et à se nourrir à la va-vite (comme il l’avait toujours fait)… il aurait passé moins de temps à « se faire du mauvais sang » selon la formule populaire et n’aurait pas dégradé irrémédiablement sa santé à cinquante ans. Fin 1820, il aurait emménagé dans la neuve et confortable maison construite spécialement à son intention, attendant la lassitude de ses adversaires et la nécessité pour la France d’un « recours ». Il n’aurait eu que 60 ans… De Gaulle qui n’attendait que cela fut rappelé au pouvoir à 70 ans.
Mais le destin auquel Napoléon croyait avec une superstition de vrai Corse lui a quand même donné vingt ans d’une épopée unique au monde, entrée dans la légende, avec ses soleils d’Austerlitz et ses zones d’ombre.
L’assassinat du duc d’Enghien : « l’air est plein de poignards »… et l’affaire est réglée en 24h, au mépris du droit et de la vérité.
« L’air est plein de poignards. »1741
Joseph FOUCHÉ (1759-1820), mi-janvier 1804. Fouché (1903), Louis Madelin
Bien que n’étant plus au ministère de la Police (supprimé entre 1802 et 1804), Fouché apprend la présence de Pichegru à Paris, général traître, déporté par le Directoire, évadé du bagne. Il a pour complice Cadoudal, chef chouan charismatique, déjà impliqué dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise fin 1800, et que Bonaparte a essayé de se rallier. Le général Moreau s’est plus ou moins joint au complot, s’estimant mal payé des services rendus au pouvoir, mais refusant de servir les royalistes. Tous ces hommes ont le projet d’enlever le Premier Consul.
Bonaparte informé, la capitale est mise aussitôt en état de siège.
« Je vis dans une défiance continuelle. Chaque jour, on voit éclore de nouveaux complots contre ma vie. Les Bourbons me prennent pour leur unique point de mire ! »1742
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à son frère Joseph. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Et ce n’est pas une paranoïa de dictateur ! De son propre aveu, le comte d’Artois (frère du comte de Provence et futur Charles X) entretenait 60 assassins dans Paris. C’est lui qui a nommé Cadoudal, réfugié à Londres, lieutenant général des armées du roi en 1800.
« Les Bourbons croient qu’on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu’ils veulent m’inspirer […] Je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui me tombera sous la main. »1743
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), 9 mars 1804. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers
Cadoudal vient d’être arrêté au terme d’une course-poursuite meurtrière au Quartier latin. Il a parlé sans le nommer d’un « prince français complice » : de l’avis de tous, c’est le duc d’Enghien, émigré près de la frontière en Allemagne.
Le lendemain, le Premier Consul, en proie à une fureur extrême, donne l’ordre de l’enlever, ce qui sera fait dans la nuit du 15 au 16 mars, par une troupe d’un millier de gendarmes, au mépris du droit des gens (droit international).
« Le gouvernement arrête que le ci-devant duc d’Enghien, prévenu […] de faire partie des complots tramés […] contre la sûreté intérieure et extérieure de la République, sera traduit devant une commission militaire. »1744
Procès-verbal du 20 mars 1804. Mémoires historiques sur la catastrophe du duc d’Enghien (1824), Louis-Antoine Henri de Bourbon
Le prince de 32 ans qui préparait son mariage ne comprend rien à ce qui lui arrive… Il se retrouve enfermé au château de Vincennes. Le soir même, il est jugé, condamné à mort.
« Qu’il est affreux de mourir ainsi de la main des Français ! »1745
Duc d’enghien (1772-1804), quelques instants avant son exécution, 21 mars 1804. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert
Bonaparte avait la preuve que le dernier rejeton de la prestigieuse lignée des Condé n’est pour rien dans le complot Cadoudal, même s’il est le chef d’un réseau antirépublicain ayant fait le projet de l’assassiner. De tous les condamnés à mort réellement impliqués, il ne regrettera que Cadoudal, 33 ans. Pichegru s’est suicidé dans sa cellule. Moreau, jugé, condamné à deux ans de prison, sera finalement exilé.
Mais l’histoire retient surtout le drame du duc d’Enghien. Bonaparte l’a laissé condamner après un simulacre de jugement, puis fusiller la nuit même dans les fossés de Vincennes. Sans regret ni remords.
« La saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique. »1746
NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Bonapartisme (1980), Frédéric Bluche
Empereur, il écrira ces mots, en repensant à l’exécution du duc d’Enghien. Dans son testament à Sainte-Hélène, il revendique la responsabilité de cet acte que la postérité jugera comme un crime…
« C’est pire qu’un crime, c’est une faute. »1747
Antoine Claude Joseph boulay de la meurthe (1761-1840), apprenant l’exécution du duc d’Enghien, le 21 mars 1804. Mot parfois attribué, mais à tort, à FOUCHÉ (1759-1820) ou à TALLEYRAND (1754-1838). Les Citations françaises (1931), Othon Guerlac
Conseiller d’État et pourtant fidèle à Bonaparte du début (coup d’État de brumaire) à la fin (Cent-Jours compris), Boulay de la Meurthe a ce jugement sévère. Le mot est parfois attribué à Fouché (par Chateaubriand dans ses Mémoires) ou à Talleyrand (par J.-P. Sartre). Mais les deux hommes ont eux-mêmes poussé Bonaparte au crime et il n’est pas dans leur caractère de s’en repentir !
Cette exécution sommaire indigne l’Europe et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour. Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon sous l’Empire – et en cela, il a politiquement bien joué.
RESTAURATION et MONARCHIE DE JUILLET
L’ordre des jésuites est rétabli au début de la Restauration : pédophilie en question, mystère bien gardé… ou pratique banale qui survit au XXe siècle ?
« Hommes noirs, d’où sortez-vous ?
Nous sortons de dessous terre,
Moitié renards, moitié loups.
Notre règle est un mystère.
Nous sommes fils de Loyola,
Vous savez pourquoi l’on nous exila.
Nous rentrons ; songez à vous taire !
Et que vos enfants suivent nos leçons.
C’est nous qui fessons, et qui refessons,
Les jolis petits, les jolis garçons. »1967BÉRANGER (1780-1857), Les Révérends Pères, chanson. Histoire de la littérature française : de la révolution à la belle époque (1981), Paul Guth
Le plus célèbre chansonnier contemporain vise les jésuites, de retour avec la monarchie. Pie VII a rétabli leur ordre, le 7 août 1814. La Charte en forme de compromis constitutionnel reconnaît la liberté du culte, mais fait du catholicisme la religion d’État et les pères jésuites pensent avoir le quasi-monopole de l’éducation.
Les deux derniers vers aux accents plaisamment polissons dénoncent en fait la pédophilie, pratiquée dans certains collèges catholiques. Cela ne change rien à « la chose », mais l’adolescence n’existait pas sous l’Ancien Régime ni à cette époque où la majorité était à 13 ans – y compris pour les rois.
Deux siècles après, le rapport Sauvé recense plus de 300 000 victimes en 70 ans : chiffres chocs de la pédophilie dans l’Église. L’ampleur des abus mis en lumière le 5 octobre 2021 par la Commission est bien supérieure à ce qu’on imaginait… et plus importante dans l’Église qu’ailleurs. Depuis quelques jours, la hiérarchie catholique, tout particulièrement la Conférence des évêques de France (CEF) et la Conférence des religieux et religieuses en France (Corref), toutes deux commanditaires du travail, tentaient de préparer les esprits à un « chiffre effarant ».
Qu’en est-il hors de l’Église qui a perdu en Franc beaucoup de son influence (bonne ou mauvaise).
« À partir de l’âge de huit ans, il n’est pas convenable qu’une petite fille soit encore pucelle, même si elle suce la pine depuis plusieurs années. »
Frédéric BEIGBEDER (né en 1965), De la pédophilie en littérature (2009)
Bien connu pour ses provocations multiples, l’auteur nous offre « une citation, insupportablement comique, tirée du Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation (1926) de Pierre Louys ».
La pédophilie (néologisme apparu à la fin du XIXe siècle) ne date pas d’hier. Au XVIIIe, les archives judiciaires regorgent de viols d’enfants. Mais depuis un quart de siècle, le pédophile est devenu la figure même de l’ennemi public : délinquant sexuel « banal » ou violeur homicide. Le chiffre noir (les cas ni dénoncés ni réprimés) dépasserait celui de la répression. Entre famille et institutions publiques, des faits divers médiatisés scandent les épisodes répétés du saccage des innocents. Partout en Europe, ce contentieux, souvent incestueux, émeut l’opinion publique, mobilise les « Marches blanches » nées en Belgique (1996) et durcit le Code pénal. L’abus des enfants s’est médiatisé en France avec les cas Dutroux (1996) et Outreau (2001-2005) : deux faits divers qui questionnent la « protection », la « vulnérabilité sexuelle » et la parole des mineurs.
Le saccage des innocents est aussi ancien que répandu dans les sociétés européennes. L’archive judiciaire regorge de viols d’enfants. Dès l’aube du XVIIIe siècle au moins, les juges instruisent les cas dénoncés. A Genève, entre 1770 et 1790, le bannissement frappe les hommes qui abusent et infectent des fillettes. Toutes en restent « malades », « honteuses » et « brisées ».
La « séduction d’une victime si faible et si expérimentée que cet acte de séduction peut être assimilé à une violence » : ce plaidoyer d’un magistrat vers 1830 formule pourtant l’urgence répressive de la pédophilie. Réformant le Code pénal de 1810, la loi du 28 avril 1832 instaure l’ « attentat à la pudeur » sur les moins de 11 ans (13 ans en 1863 ; 15 en 1945). Le crime entraine désormais la réclusion ou les travaux forcés. Après 1850, la médico-légalisation de l’attentat à la pudeur forge les pathologies physiques et morales qui condamnent la « dangerosité du monstre ». Sous la Troisième République se votent enfin les premières lois protégeant l’enfance. Mais sous notre Cinquième République, une indulgence coupable était encore de règle (culturelle).
« À l’opposé des fesses des adultes, paquets de viande morte, réserves adipeuses, tristes comme les bosses du chameau, les fesses des enfants vivantes, frémissantes, toujours en éveil, parfois haves et creusées, l’instant d’après souriantes et naïvement optimistes, expressives comme des visages. »
Michel TOURNIER (1924-2016), Le Roi des aulnes (1970), roman et prix Goncourt la même année
Dans les années 1970, après Michel Tournier, André Gide et Roger Peyrefitte (trois homosexuels affichés), la pédophilie du photographe David Hamilton ou quelques « écrivains d’avant-garde » (Tony Duvert, Gabriel Matzneff) se montrent sans complexe et témoignent à la télé. Éloge de la jouissance non entravée !
En 1977, Libération soutient le Front de libération des pédophiles (FLIP) qui veut actualiser la « sexualité entre adultes et mineurs ». A contrario, depuis 1980, nourrissant les textes répressifs, la clinique pédopsychiatrique objective le trauma de l’enfant abusé. Celui-ci incarne la figure emblématique de la victime inguérissable qui aujourd’hui traque pénalement son ancien « ravisseur ». La honte a changé de camp.
Plus récemment, l’affaire de l’abbé Pierre va relancer le mystère d’une sexualité criminelle chez un homme de Dieu… qui fit par ailleurs tant de bien.
L’Extinction du paupérisme de Louis-Napoléon Bonaparte : socialisme sincère ou manœuvre politique ? Un mystère, clé l’élection présidentielle du futur empereur.
« La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive. »2118
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)
Le prince qui gouvernera bientôt la France n’est encore qu’un évadé du fort de Ham. Il y a passé six ans, après sa tentative de coup d’État à Boulogne, et a réussi à fuir en Angleterre, déguisé en maçon, sous le nom de Badinguet – surnom qui restera ironiquement et parfois cruellement attaché à sa personne fort chansonnée.
Il a profité de sa captivité pour exposer ses théories économiques largement influencées par le socialisme utopique du comte de Saint-Simon (1760-1825). Il sait se présenter comme le protecteur du monde ouvrier.
Sa sincérité socialiste est suspecte, à en croire Victor Hugo qui dans Napoléon le Petit (1852) reproduira un billet joint à l’ouvrage envoyé à un de ses amis : « Lisez ce travail sur le paupérisme et dites-moi si vous pensez qu’il soit de nature à me faire du bien. »
« Aujourd’hui, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu’avec les masses. »2243
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)
Une évidence bien sentie par le futur empereur qui saura séduire les foules, les manipuler à l’occasion – élections, plébiscites. Mais il est aussi l’homme du mieux-être économique, grâce au progrès industriel et commercial. Les mesures sociales chargées de bonnes intentions seront suivies de peu d’effets sous le Second Empire et le régime ne prendra que tardivement un tournant vraiment libéral.
« Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »2251
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)
L’utopie de ces trente pages écrites par le prisonnier au fort de Ham et le désir d’un futur souverain de se poser en « homme social » n’excluent pas une certaine sincérité. Fait unique pour l’époque de la part d’un prétendant au pouvoir, il tient à visiter les régions industrielles anglaises. Il a 25 ans et le spectacle de la misère le frappe.
« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »2289
Devise de l’Association internationale des travailleurs, 1864. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby
L’Association internationale des travailleurs (AIT) est la première Internationale, créée le 28 septembre 1864 par des militants français et anglais : « une grande âme dans un petit corps ». Elle tiendra congrès chaque année, de plus en plus hostile aux états bourgeois.
Après le Manifeste des soixante et l’AIT, un autre socialisme se réveille, plus évidemment révolutionnaire : le blanquisme. Plus personne ne croit à « l’extinction du paupérisme » par l’empereur, ni même au syndicalisme ouvrier selon Proudhon, notre premier grand socialiste qui meurt en janvier 1865.
La filiation de Louis-Napoléon Bonaparte : le poison du doute pour Napoléon III, une réalité toujours en question.
« L’Empereur, vous n’avez rien de lui !
— Tu te trompes, mon cher, j’ai sa famille. »2269NAPOLÉON III (1808-1873) à son cousin germain Jérôme-Napoléon Bonaparte (1856). Histoire de la France, volume II (1958), André Maurois
Jérôme-Napoléon, dit Prince Napoléon, fils de Jérôme Bonaparte (frère de Napoléon Ier) et frère de la princesse Mathilde, mettait ainsi en doute l’ascendance paternelle de l’empereur. Non sans quelques raisons…
Sa mère, Hortense de Beauharnais (fille de l’impératrice Joséphine), avait eu avant sa naissance en 1808 bien des amants : un écuyer, son premier chambellan qui était comte, un marquis, un amiral hollandais… Les historiens ignoreront toujours si Napoléon III est bien le fils de son père Louis Bonaparte, roi de Hollande. Une seule chose est sûre : le doute devait empoisonner l’empereur.
Une nouvelle hypothèse porterait le soupçon sur « Madame Mère », mère de Napoléon – et grand-mère de Napoléon III. Charles Bonaparte épouse à 18 ans Letizia Ramolino âgée de treize ans. La jeune femme réputée pour sa beauté est rapidement mère et Napoléon naît le 15 août 1769 à Ajaccio. La rumeur défendue par Hervé le Borgne et Edmond Outin sur une liaison adultérine avec Letizia ferait du comte de Marbeuf le père de Napoléon Bonaparte. Hypothèse démentie par les analyses ADN.
Sa famille n’était pas davantage un cadeau, surtout ce cousin germain, chef de la branche cadette, parfois appelé Napoléon V et surnommé Plon-Plon (diminutif affectueux de sa mère, devenu ridicule avec l’âge), qui affiche ses convictions anticléricales et jacobines. L’empereur se méfie de ce « César déclassé », impulsif et velléitaire, en état de fronde perpétuelle. Mais la famille, c’est la famille.
TROISIÈME RÉPUBLIQUE
1885. Panthéonisation immédiate de Hugo. Mais l’« horrible canaille » pourrait devenir une affaire, si l’on voulait déboulonner la statue ou approfondir le mystère d’un génie.
« … Je sens que je vais être une horrible canaille. »34
Victor HUGO (1802-1885), L’Éclat d’un siècle (1985), biographie d’Annette Rosa
« Prendre une jeune fille au lieu de la vieille qu’on a !
Manger de la chair fraîche avec du bon pain tendre,
Au lieu de la chair salée avec ses vieux biscuits
O fascination dont la splendeur me luit !
Je romps avec la vieille, il faut qu’elle s’en aille !
Je sens que je vais être une horrible canaille ! »
Dans l’un de ses rares sonnets (parfaitement méconnu), l’homme vieillissant s’avoue l’inavouable : il va « tromper » sa vieille et chère et fidèle maîtresse Juliette Drouet avec la jeune Judith Gautier - la belle égérie de Baudelaire et Flaubert.
Mais depuis longtemps (déjà en exil à Guernesey) et jusqu’à sa mort, il multipliera les relations très sexuelles avec de très jeunes filles, à une époque (hypocrite) où c’était à la fois mal vu et bien toléré.
À la fin de sa vie, Hugo est devenu le poète officiel de la République : l’école, par le biais des morceaux choisis, le fait connaître à tous les écoliers de France. Le 8 mai 1881, le conseil municipal de Paris donne à la partie principale de l’avenue d’Eylau où il habite (XVIe arrondissement de Paris) le nom d’avenue Victor Hugo. Ses admirateurs peuvent désormais adresser leur courrier à « Monsieur Victor Hugo, en son avenue. » La panthéonisation qui suivit sa mort de quelques jours fige à jamais la statue du grand homme au regard de la « patrie reconnaissante ».
Reste le secret plus ou moins bien gardé de sa vie privée.
« Tant que l’homme peut, tant que la femme veut. »
Victor HUGO (1802-1885), Cahiers et Notes
En marge des fameux « Carnets d’amour à Juliette Drouet », Hugo avait un autre carnet secret où il tenait le compte scrupuleux, chiffré et codé de ses innombrables conquêtes.
Cet homme à l’appétit sexuel toujours hors norme depuis ses vingt ans a poursuivi ses histoires libertines : les petites bonnes anonymes, mais aussi Judith Gautier (fille de Théophile Gautier), Sarah Bernhardt (la première star théâtrale qui reprend la reine de Ruy Blas), la très jeune Blanche Lanvin, l’une de ses dernières passions. Elle a 21 ans, le poète en a presque 70… Et la vieillesse ne l’arrête pas.
Dans son ultime Cahier conservé à la Bibliothèque nationale, daté du printemps 1885, Hugo marque encore d’une croix chacun de ses rapports sexuels : le dernier date du 5 avril. Il meurt le 22 mai de la même année, à 83 ans.
Indissociable de l’œuvre, il reste l’homme. L’Exposition « Eros Hugo, entre pudeur & excès » se tint de novembre 2015 à février 2016 dans la maison du poète, devenue Musée, place des Vosges à Paris. Nombre d’œuvres érotiques, pornographiques ou obscènes montrent son intérêt passionné, voire obsessionnel pour le sexe. Le septuagénaire s’exprime en 1876…
« Ce qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie. »
Victor HUGO (1802-1885), Exposition « Eros Hugo, entre pudeur & excès »
Le commissaire de l’exposition précise : « Cette violence touche à la fois aux passions de Victor Hugo qui fut un grand amoureux, et à sa sexualité, qu’on s’est complu à présenter comme frénétique. Elle touche à certaines qualités de son œuvre : la puissance, la générosité, le lyrisme… Elle a évolué avec le temps, mais il semble l’avoir surtout subie. » Ces vers, retrouvés au milieu de papiers en vrac non classés, en témoignent…
« O nuit, toi qui lascive et monstrueuse attises
Les soifs, les appétits, les sombres convoitises
La volupté, le mal, les noirs regards impurs
La louve au fond des bois, la fille au coin des murs ! »Victor HUGO (1802-1885), Exposition « Eros Hugo, entre pudeur & excès »
Il faut replacer les vers (quasi baudelairiens) dans l’époque : entre moralité affichée en public et débauche pratiquée en privé. Hugo a une femme légitime (Adèle Hugo, mère de cinq enfants), une femme « back-street » (Juliette Drouet, ex-comédienne et passion de sa vie), des maîtresses plus ou moins célèbres prises dans les coulisses des théâtres (il y a quand même un doute sur la star Sarah Bernhardt). Il séduit aisément les (très) jeunes filles et femmes à son service, s’offre des prostituées de passage, dessine des corps nus parfois épiés avec ses jumelles et prend des notes codées dans l’un de ses fameux carnets secrets.
La censure veille toujours, politique ou sociale. Mais en cette période d’Orientalisme, peintures et dessins de femmes nues s’exposent, baptisés odalisques du nom des jeunes vierges enfermées dans les Harems. Les autres femmes, lorettes et courtisanes, couvertes de la tête aux pieds, tarifient les parties du corps qu’elles dénudent.
Dans l’œuvre d’Hugo, la femme quotidienne est souvent victime de la concupiscence des hommes – voir la Fantine des Misérables. La femme déesse se retrouve face au désir non gérable du demi-dieu Eros : « À l’instant où la femme naquit, est morte l’innocence ». Ève est une pècheresse, une séductrice, « l’être en qui Satan avec Dieu se confond ». Toute la Lyre, recueil de poèmes, 1842.
« Hugo a du grossier et du naïf (je l’ai dit souvent, et je le redis ici d’après une personne qui le connaît encore mieux que moi). Juliette [Drouet] vieillie le garde par ses flatteries basses auxquelles il est pris. L’acteur Frédérick l’avait dit dès le premier jour : « Elle le prendra en lui disant : Tu es grand ! Et elle le gardera en lui disant : Tu es beau! Il y va chaque jour parce qu’il a besoin de s’entendre dire : Tu rayonnes, et elle le lui dit. Elle le lui écrit jusque dans ses comptes de cuisine qu’elle lui soumet (car avec cela il est ladre), et elle prend note ainsi : « Reçu de mon trop chéri…, reçu de mon roi…, de mon ange, de mon beau Victor, etc. tant pour le marché, — tant pour le blanchissage — quinze sous qui ont passé par ses belles mains, etc. »
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Mes Poisons (posthume, 1926). Sur Victor Hugo
Ce carnet intime servait d’étape préparatoire aux développements littéraires du plus grand critique de son temps. Au premier rang de ses observations à huis clos : lui-même mais également bon nombre de ses fréquentations (Hugo, Lamartine, Michelet, etc.)
Hugo est le plus célèbre. Il ne le ménage pas – ni l’œuvre, ni l’homme. En plus, il a bien connu le couple, « Toto » et « Juju ». Les petits côtés du grand homme qui l’a toujours trompée, mais toujours aimée.
Juliette meurt la première, le 11 mai 1883. On l’empêche de venir à ses obsèques, tant il est malheureux. On sait qu’il se consolera portant.
Il meurt le 22 mai 1885 - jour de la Sainte Juliette. Un siècle plus tard, quand on posait la question à André Gide : Le plus grand poète français : « Victor Hugo, hélas ! »
Ne déboulonnons pas la statue, mais admettons que ce grand homme avait ses petitesses et ses faiblesses.
Panama, mystérieuse affaire financière autour du canal : un des scandales de la Troisième République.
« La plus grande flibusterie du siècle… De l’or, de la boue et du sang. »2505
Édouard DRUMONT (1844-1917), La Libre Parole, septembre 1892. Marinoni : le fondateur de la presse moderne, 1823-1904 (2009), Éric Le Ray
Journaliste catholique, Drumont a déjà attaqué la finance juive dans un essai d’histoire contemporaine en forme de pamphlet, La France juive (1886). Il fonde ensuite un journal d’inspiration nationaliste et antisémite, La Libre Parole (sous-titré « La France aux Français ») et dénonce le scandale de Panama. « De l’or, de la boue et du sang » : résumé de l’affaire et titre du livre qu’il lui consacrera (1896).
Ferdinand, comte de Lesseps (1805-1894), diplomate et entrepreneur français, a créé en 1881 une compagnie pour le percement de l’isthme. Des difficultés techniques et bancaires l’obligent à demander de nouveaux fonds. Pour se lancer sur le marché des obligations, il lui faut une loi – il achète les voix de parlementaires et de ministres… Trop tard. Sa compagnie est liquidée (février 1889), 800 000 souscripteurs sont touchés. On tente d’étouffer le scandale, mais une enquête pour abus de confiance et escroquerie est lancée contre de Lesseps, père et fils.
Dans la nuit du 19 au 20 novembre 1892, le suicide du baron Reinach, intermédiaire entre la Compagnie de Panama et le monde politique, met le feu aux poudres. À la tribune de la Chambre, le député royaliste Jules Delahaye accuse sans les nommer 150 députés d’avoir été achetés. La presse dénonce les « chéquards » et les « panamistes », dont Clemenceau. C’est le plus gros scandale financier de la Troisième République.
« L’affaire de Panama a montré toutes les forces sociales de ce pays au service et sous les ordres de la haute finance […] La nation doit reprendre sur les barons de cette nouvelle féodalité cosmopolite les forteresses qu’ils lui ont ravies pour la dominer : la Banque de France, les chemins de fer, les mines. »2506
Alexandre MILLERAND (1859-1943), Profession de foi aux électeurs du XIIe arrondissement, 1893. Les Socialistes indépendants (1911), Albert Ory
Idée toujours actuelle du pouvoir de la finance internationale ! Sont d’ailleurs citées des entreprises qui seront nationalisées en 1945-1946.
Millerand, républicain radical devenu socialiste (avant de finir conservateur et président de la République après la guerre) fait partie de ces hommes nouveaux qui, comme Jean Jaurès, seront députés au terme des élections des 20 août et 3 septembre 1893.
Chez Clemenceau, la haine pour sa femme dépasse les bornes de la misogynie et confine à l’assassinat moral : une affaire judiciaire et un mystère comportemental.
« Lois, règlements, police, tout protège l’homme. Lois règlements, police, tout écrase la femme. »56
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), La Mêlée sociale (1907), recueil d’articles
Cet homme de gauche regrette la misogynie dont souffrent les femmes à son époque Il se montrera très protecteur avec Louise Michel – un cas politique et humain particulier. En octobre 1870, maire de Montmartre, il exprima publiquement son admiration pour cette femme qui s’efforçait d’instruire les enfants pauvres ou abandonnés de la capitale. Lorsque la « Vierge rouge » fut déportée en Nouvelle-Calédonie pour avoir participé activement à la Commune de Paris, il continua de lui écrire et lui adressa même des mandats. Et sa dernière « love-story » sera très touchante.
Le Tigre n’en reste pas moins un grand misogyne. Phallocrate, il a une représentation essentialiste des différences des sexes. « Selon la physiologie », l’un est fort, l’autre est faible. Son machisme est théorisé « scientifiquement » dans un essai de jeunesse, afin de réfuter l’ouvrage révolutionnaire de John Stuart Mill, De l’assujettissement des femmes (1869). Clemenceau rétorque : « La femme est un homme malade. » Aux affaires, il ne cesse de réaffirmer son opposition au droit de vote des femmes. Dans sa vie privée, il multiplie les conquêtes, menant ses affaires de cœur avec audace et discrétion. Il existe peu de lettres de ses amours : il demandait à ses bonnes amies, souvent des femmes mariées, de brûler les correspondances.
Reste le cas de Mary Clemenceau : il relève de l’assassinat moral évoqué par Napoléon dans sa Correspondance : . « Il y a différentes manières d’assassiner un homme : par le pistolet, par l’épée, par le poison ou par l’assassinat moral. C’est la même chose, au définitif, excepté que ce dernier moyen est le plus cruel. »
Le 25 juillet 1865, suite à un dépit amoureux avec Hortense Kestner (belle-sœur de son ami Auguste Scheurer-Kestner, l’un de ses plus fidèles soutiens en politique), il s’embarque pour les États-Unis. C’est aussi pour échapper, en tant que jeune républicain, au régime réactionnaire du Second Empire.
Clemenceau trouve dans le Connecticut un poste d’enseignant dans une école pour jeunes filles. Le féroce anticlérical s’éprend d’une de ses élèves, Mary Plummer. Elle a dix-sept ans. Elle est ravissante. Orpheline d’un dentiste de Bristol, elle est élevée par son oncle maternel, Horace Taylor, riche négociant. Clemenceau veut l’épouser mais sans passer par l’église comme il le faudrait.
« Il faut choisir entre Dieu et moi ! »
« Préfère vous. »Mary PLUMMER (1848-1922) répondant le lendemain par télégramme à Georges CLEMENCEAU (1841-1929). TV5 Monde, Info. 28 septembre 2018
Ils se marient en juin 1869 à New York et le couple revient en France l’année suivante. Trois enfants vont naître de cette union dans les trois années qui suivent : Madeleine, Thérèse, Michel.
Ils se séparent en 1876. Clemenceau multiplie les maîtresses, Mary « devenue exclusive et jalouse » selon son mari, se plaint de ses absences. L’épouse délaissée noue une idylle avec le jeune précepteur des enfants.
Clémenceau l’apprend. Fou de rage, il la fait suivre, fait constater un flagrant délit d’adultère par un commissaire de police. Il exige que la loi soit appliquée. Le délit d’adultère est passible de 15 jours de prison. Mary se retrouve pendant deux semaines à Saint-Lazare, parmi les voleuses et les prostituées.
À sa sortie, il demande le divorce et l’obtient aux torts de sa femme qui n’aura rien - et surtout pas la garde des trois enfants ! Divorcée, Mary est redevenue américaine. Clemenceau exige qu’elle soit expulsée de France comme étrangère condamnée pour délit de droit commun… Avec sa belle-sœur américaine, ses malles et ses affaires, la voici escortée par des gendarmes à Boulogne-sur-Mer. Les deux femmes embarquent sur un vapeur avec un billet de troisième classe. Direction Boston, aux États-Unis.
Clemenceau est-il satisfait ? Non. Sa haine pour Mary va trouver un épilogue particulièrement atroce. Il réunit ses trois enfants et brûle devant eux toutes les photographies et lettres de son ex- femme. Ainsi, ils n’auront pas le moindre souvenir de leur mère. Et, comme il reste un buste en marbre de la jeune femme sur la cheminée, il se saisit d’un marteau et brise rageusement l’objet. Toujours en présence de ses enfants.
À jamais, Mary restera « La traîtresse » pour Clemenceau. Elle ne se remettra jamais de sa disgrâce. Elle revient en France en 1900 et s’installe dans un petit appartement parisien situé au 208, rue de la Convention. Elle devient guide pour touristes et publie plusieurs articles pour des revues américaines. Restée moralement perturbée par ces événements conjugaux, elle mourra dans une solitude terrible, le 13 septembre 1922.
Le Tigre a dévoré sa femme. Il écrira laconiquement à son frère Albert…
« Ton ex-belle-sœur a fini de souffrir. Aucun de ses enfants n’était là. Un rideau à tirer. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Lettre du 27 septembre 1922 à son frère Albert. Georges Clemenceau, Correspondance (1858-1929), Bibliothèque nationale de France (2008)
Elle est enterrée au cimetière de Bagneux, avec une concession pour cinq ans. Sa tombe a aujourd’hui disparu.
Une fiche Wikipédia tente de lui rendre justice et de perpétuer sa mémoire. Qualifiée de « jolie fille stupide et conventionnelle » dont Clemenceau se serait aperçu « qu’elle n’avait ni l’intelligence ni la curiosité d’esprit qu’il aurait voulue », Mary Plummer subit en réalité le même traitement que beaucoup de femmes d’hommes célèbres : « Abîmé par de nombreux biographes qui ont jugé « l’Américaine trop bête pour le grand homme », [son souvenir] est à réécrire dans un souci de vérité et de justice. » Sylvie Brodziak et Samuël Tomei, Dictionnaire Clemenceau (2017).
« Je vous aiderai à vivre , vous m’aiderez à mourir. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), titre du livre de Nathalie Saint-Cricq (2021)
Un an après la mort de son ex-femme. 2 mai 1923. Comme chaque jour, Clemenceau s’installe à sa table de travail. À 82 ans, le « Père la Victoire » n’a rien perdu de sa flamboyance ni de son orgueil. Alors que la République l’a remercié, il va vivre ses années les plus passionnées.
Marguerite Baldensperger (1882-1936), éditrice de quarante ans sa cadette, a rendez-vous pour lui proposer d’écrire un livre. Dès lors, leurs destins seront liés, alors que tout les oppose. Elle est aussi réservée et discrète que le « Tigre » est colérique et tempétueux. Mais dès leur rencontre, un pacte les unit : « Je vous aiderai à vivre, vous m’aiderez à mourir ».
Marguerite surmontera le grand chagrin de sa vie – le suicide de sa fille Annette, 17 ans, amoureuse d’un pasteur marié et plus âgé qu’elle. Elle reprendra goût à l’existence. Clemenceau puisera dans sa présence une vigueur nouvelle pour le combat politique et retrouvera la fougue de ses anciennes batailles. Malgré les années qui les séparent, ils vont s’aimer, chacun à leur façon. Près de 668 lettres, que certains qualifient de lettres d’amour, entre 1923 et 1929.
Dernière victime de l’Affaire Dreyfus ? La mort d’Émile Zola restera un mystère.
« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »2515
Émile ZOLA (1840-1902), Le Figaro, 25 novembre 1897
Zola commente la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus.
L’histoire, complexe et longue, commence fin septembre 1894, quand une femme de ménage française de l’ambassade allemande, travaillant pour le Service de renseignements, découvre un bordereau prouvant la trahison d’un officier de l’état-major français. Le 10 octobre, le général Mercier, ministre de la Guerre, met en cause Alfred Dreyfus. On lui fait faire une dictée, il y a similitude entre son écriture et celle du bordereau en cause.
Dreyfus est condamné à la déportation en Guyane par le Conseil de guerre de Paris, le 22 décembre 1894. Ni lui ni son avocat n’ont eu accès à des pièces d’un « dossier secret ». Diverses irrégularités seront ensuite mises en évidence. Sa qualité de juif joue aussi contre lui, à une époque où l’antisémitisme a ses hérauts, ses journaux, ses réseaux.
« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516
Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime
Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus qui deviendra l’« Affaire » de la Troisième République et la plus grave crise pour le régime. Méline refuse la demande en révision du procès. Les dreyfusards (très minoritaires) vont mobiliser l’opinion publique par une campagne de presse.
« J’accuse. »2517
Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898
L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui. Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien l’œuvre de Zola : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ».
Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.
« Un jour la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur. »2518
Émile ZOLA (1840-1902), La Vérité en marche, déclaration au jury. L’Aurore, 22 février 1898
Le procès Zola en cour d’assises (7-21 février 1898) fit connaître l’affaire Dreyfus au monde entier.
Formidable tribune pour l’intellectuel converti aux doctrines socialistes et aux grandes idées humanitaires ! « Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai. »
En attendant, Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.
« Aujourd’hui, la vérité ayant vaincu, la justice régnant enfin, je renais, je rentre et reprends ma place sur la terre française. »2524
Émile ZOLA (1840-1902), L’Aurore, 5 juin 1899
Le 3 juin, la Cour de cassation, « toutes Chambres réunies », s’est prononcée pour « l’annulation du jugement de condamnation rendu le 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus ».
Dreyfus a été sauvé par les « dreyfusards » ou « révisionnistes » : gracié par le président de la République, il sera réintégré dans l’armée en 1906. Mais l’Affaire a littéralement déchiré en deux la France, tous les partis, les milieux, les familles. Quant à Zola alors au faîte de sa gloire littéraire, les cinq dernières années de sa vie sont marquées par un engagement sans relâche pour la cause de Dreyfus.
Zola sort de ses démêlés judiciaires avec une stature du justicier pour toute une frange de la population, défenseur de valeurs de tolérance, de justice et de vérité. En témoignent les innombrables hommages qui lui sont rendus dès février 1898.
Mais cet engagement coûte très cher au romancier. Sur le plan financier d’abord : en fuite, dans l’impossibilité de payer ses condamnations, la justice fait saisir ses biens et les revend aux enchères. L’un de ses éditeurs, Fasquelle, se porte acquéreur de ses meubles et lui sauve la mise à plusieurs reprises. Sur le plan moral, Zola souffre aussi, devenu la cible de tous les anti-dreyfusards, il incarne à lui seul le traître à la patrie et à l’armée. Dès 1898, l’écrivain est l’objet d’un torrent d’articles satiriques, de caricatures, de chansons et de livrets le traînant dans la boue, l’insultant, le diffamant. Dans certains journaux, il est même l’objet d’attaques quotidiennes.
L’attaque la plus cruelle est lancée par Ernest Judet, rédacteur en chef du Petit Journal au moment du premier procès de l’écrivain : une campagne de presse contre son père François Zola engagé à la Légion étrangère vers 1830, accusé de détournement de fonds et d’avoir été chassé de l’armée. Zola se lance alors dans une enquête fouillée sur son père, et démonte point à point les arguments du journaliste nationaliste de manière factuelle. Il prouve aussi que les documents sur lesquels Judet s’appuie sont des faux grossiers. Il s’ensuit un procès, Zola est acquitté.
« La mort d’Émile Zola, épouvantable accident. »
Le Petit Bleu de Paris, titre du 30 septembre 1902
La mort est survenue au matin du 29 septembre 1902 en son domicile du 9e arrondissement de Paris, 21 bis, rue de Bruxelles, à la suite d’une asphyxie par un gaz survenue la nuit précédente, issue d’émanations toxiques produites par sa cheminée.
Le même jour, c’est « Mort tragique d’Émile Zola » pour Le Français, « Mort dramatique » pour Le Matin. Quand Le Soir annonce « La vérité sur la mort de Zola » L’Aurore, le plus sobre, titre sur six colonnes à la Une : « Émile Zola ». L’émotion est immense, à la mesure de la popularité de Zola.
Cette mort provoque une immense émotion. La presse nationale et internationale rend hommage à ce romancier de génie disparu à l’âge de 62 ans. Mais le souvenir de l’affaire Dreyfus est encore vivace et certains journaux comme La Croix ou La Libre Parole raillent un « fait divers naturaliste » et vont jusqu’à lancer la rumeur d’un suicide… Sans suite.
L’atmosphère est sous haute tension, au point qu’Alexandrine, veuve de l’écrivain, demande à Anatole France de ne pas évoquer l’affaire Dreyfus au cours de son discours et déconseille à Alfred Dreyfus de se rendre aux obsèques… Il viendra pourtant et l’immense cortège où se pressent nombre d’ouvriers vibre au rythme de l’oraison funèbre écrite et prononcée par Anatole France son ami, dreyfusard de la première heure.
« Envions-le [Zola], sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine. »2536
Anatole France (1844-1924), Éloge funèbre d’Émile Zola, 5 octobre 1902. Réhabilitation d’Alfred Dreyfus par la Chambre des députés [en ligne], Assemblée nationale
Discours prononcé au cimetière de Montmartre, lors de l’enterrement de Zola.
Anatole France fait naturellement allusion au combat mené par son confrère pour que la vérité éclate enfin dans l’affaire Dreyfus. Lui-même fit partie de ces intellectuels engagés dans le camp des « révisionnistes ».
« La rumeur d’outrage qui enveloppe le nom et le cercueil de Zola est une rumeur de gloire. »
Jean JAURÈS (1859-1914), éditorial du jour de la panthéonisation dans l’Humanité, 4 juin 1908
Six ans plus tard, malgré l’offensive antidreyfusarde, la Chambre des députés a voté le transfert des cendres du cimetière de Montmartre au Panthéon, par 344 voix contre 144. Là encore, la tension est à son comble : les débats parlementaires sont houleux et opposent notamment Jean Jaurès et Gaston Doumergue à Maurice Barrès. Une communauté antidreyfusarde et plusieurs courants de l’extrême-droite s’offusquent qu’un « traître » entre au Panthéon.
Jaurès, le fondateur de l’Humanité, poursuit son hommage à Émile Zola, évoquant les huées nationalistes ayant perturbé le cortège funéraire de l’écrivain. Cérémonie grandiose et solennelle, interrompue soudain par un bruit de coup de feu : Alfred Dreyfus s’est fait tirer dessus. Le coupable, un journaliste, Louis Grégori, est rapidement arrêté. Sous pression des groupes d’extrême-droite, il est finalement acquitté.
Le coup de théâtre n’intervient qu’un demi-siècle plus tard.
« Hacquin, je vais vous dire comment Zola est mort. (…) Zola a été asphyxié volontairement. C’est nous qui avons bouché la cheminée de son appartement. »
Pierre HACQUIN (mort en 1970). Les Énigmes de l’histoire de France, sous la direction de Jean-Christian Petitfils (2018)
En 1953, le journaliste Jean Bedel fait paraître une série d’articles : un pharmacien normand du nom de Pierre Hacquin lui a confié que bien des années auparavant, en 1928, un homme dont le nom est d’abord tenu secret lui aurait avoué la vérité. L’homme en question, Henri Buronfosse (1874-1928), était fumiste, c’est-à-dire ramoneur, et aurait bouché le conduit de cheminée de l’écrivain la veille de sa mort alors qu’il travaillait sur une cheminée voisine.
Madame Zola ne voulait pas faire d’enquête, ne souhaitant pas relancer un scandale. Mais l’arrière-petite-fille d’Émile Zola, Martine Leblond-Zola, pense que « l’hypothèse d’un assassinat politique est crédible », dans le climat politique explosif du début des années 1900.
Cependant, comme il n’y a aucune preuve réelle, la mort de Zola reste un mystère.
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