Les punchlines (Cinquième République après de Gaulle) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Parole, c’est historique !

Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).

En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)

Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.

On peut finalement traduire par « mot choc ».

Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !

En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.

Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.

Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.

Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous  la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.

Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous  de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.

Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?

Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.

L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.

Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.

L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.

En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.

Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.

VIII. Cinquième République après de Gaulle.

1/ LES ANNEES POMPIDOU, GISCARD, MITTERRAND (1969-1995)

« C’est bonnet blanc et blanc bonnet. »3111

Jacques DUCLOS (1896-1975), candidat communiste à la présidence, juin 1969. Histoire des présidentielles (2008), Olivier Duhamel

Le Secrétaire général du Parti communiste a obtenu un bon score - plus de 21 % des voix. Il parle ici du choix entre Poher et Pompidou, les deux candidats de droite restant en lice pour le second tour de la présidentielle. Le 2 juin, le PC refuse de choisir « entre Charybde et Scylla » (autrement dit, Pompidou et Poher). L’abstention massive au second tour (31 %) aura une explication simple pour le PC : les électeurs n’ont pas voulu « avoir à choisir entre la peste et le choléra », pour reprendre un mot de Thorez (en 1934).

Pompidou l’emporte confortablement, avec 58 % des suffrages exprimés. D’Irlande où il s’est volontairement exilé durant ces élections, le général de Gaulle lui envoie ce télégramme : « Pour toutes raisons nationales et personnelles, je vous adresse mes bien cordiales félicitations. »

« C’est un petit pas pour l’homme, mais un grand bond pour l’humanité. »3115

Neil ARMSTRONG (1930-2012), premiers mots en direct de la Lune, 21 juillet 1969

L’astronaute américain pose une plaque en forme de message : « Ici, des hommes de la planète Terre ont mis pour la première fois le pied sur la Lune en juillet 1969 après J.-C., nous sommes venus pacifiquement au nom de toute l’Humanité. » L’humanité oublie d’être blasée et assiste en temps réel à ce rêve aussi vieux qu’elle, devenu réalité.

La conquête spatiale, prodige de technologie, est d’abord un enjeu politique, dans la « guerre froide » entre les États-Unis d’Amérique (incarnation du capitalisme) et l’Union soviétique (chantre du communisme). L’URSS a tiré la première, en lançant Spoutnik 1 en 1957. L’Amérique s’est rattrapée l’année suivante, avec Explorer 1. En 1961, le premier homme dans l’espace est russe, Youri Gagarine. Mais avec Apollo 11 qui décolle de Cap Kennedy en Floride, c’est un Américain qui marche enfin sur le sol lunaire.

Les explorations lunaires sont abandonnées au cours des années 1970, par les Américains comme par les Soviétiques. Mais la conquête de l’espace continue et la France y a sa place. En 1961, de Gaulle a créé le Centre national d’études spatiales et le CNES est devenu un acteur majeur de l’Europe spatiale : après l’échec d’Europa, trop lourd, trop coûteux, trop ambitieux, Ariane 1 est le premier modèle d’une famille de lanceurs qui place l’Europe en tête du marché mondial, au XXIe siècle. Incontestable réussite en termes d’emplois, de progrès économique et de recherche scientifique.

« Tout est à tous. »3122

Titre de La Cause du peuple, 9 mai 1970. Génération, tome II, Les Années de poudre (1988), Hervé Hamon, Patrick Rotman

Au lendemain de l’expédition du commando de la Gauche prolétarienne (GP) chez Fauchon, le 8 mai. Une vingtaine de « partisans » ont envahi à 13 h 30 cette épicerie de luxe, temple de la société de consommation, place de la Madeleine à Paris. Ils ont immobilisé les vendeurs, entassé caviar, truffes, foie gras, marrons glacés, alcools de luxe. Pour distribuer le tout aux habitants d’un bidonville près de Saint-Denis, puis à Ivry dans un foyer de travailleurs africains.

Des tracts expliquent cette action : « Nous ne sommes pas des voleurs, nous sommes des maoïstes. » Le 27 avril dernier, Sartre a accepté avec enthousiasme de prendre la direction de La Cause du peuple, journal gauchiste né le 1er novembre 1968, dans l’esprit et l’élan de Mai.

« Il y a plus inconnu que le Soldat inconnu : sa femme ! »3125

Banderole déroulée par le MLF sur la dalle du Soldat inconnu, place de l’Étoile, 26 août 1970. La Mémoire des femmes : anthologie (2002), Paulette Bascou-Bance

Autre banderole brandie : « Un homme sur deux est une femme. »

Elles sont une dizaine à manifester dans Paris déserté. Elles déposent une gerbe à la femme inconnue du célèbre Soldat inconnu. Et sont arrêtées.

Dès le lendemain, la presse déclare la naissance du MLF, Mouvement de libération des femmes. C’est sa première sortie médiatique – bien modeste. Le même jour à New York, 50 000 femmes célèbrent leur conquête du droit de vote, il y a cinquante ans. France-Soir ironise : « Quand les Américaines brûlent leurs dessous sur la place publique, la France du bœuf miroton hausse les épaules. Il n’y a pas eu d’autodafé de soutiens-gorge hier à l’Étoile. Seulement une bousculade. »

Le MLF, héritier spirituel de Mai 68, du Women’s Lib américain et de divers courants plus ou moins réformistes ou radicaux, va tenir sa première AG en octobre 1970. Au-delà d’un certain folklore, entre « provoc » et happening, les années 1970-1980 verront aboutir l’essentiel des revendications des femmes et la vie quotidienne en sera changée, profondément. Le plus important est sans doute la loi Veil du 18 janvier 1975, passionnément discutée, qui dépénalisera l’avortement, rebaptisé IVG (interruption volontaire de grossesse).

« Le général de Gaulle est mort. La France est veuve. »3127

Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration du président de la République, Allocution radiotélévisée, 10 novembre 1970

Cette mort remonte au soir du 9 novembre. Le général, avant dîner, faisait une patience (jeu de cartes), dans sa résidence personnelle de la Boisserie. Il est pris d’un malaise, c’est une rupture d’anévrisme. Il meurt 20 minutes après, âgé de 79 ans.

« En 1940, le général de Gaulle a sauvé l’honneur, il nous a conduits à la libération et à la victoire. En 1958, il nous a gagné la guerre civile. Il a donné à la France ses institutions, sa place dans le monde. En cette heure de deuil pour la patrie, inclinons-nous devant la douleur de Mme de Gaulle, de ses enfants et petits-enfants. Mesurons les devoirs que nous impose la reconnaissance. Promettons à la France de n’être pas indignes des leçons qui nous ont été dispensées, et que, dans l’âme nationale, de Gaulle vive éternellement », déclare le président Pompidou.

Le petit village de Colombey-les-Deux-Églises, département de Haute-Marne, va devenir un lieu de pèlerinage national.

« Bal tragique à Colombey : un mort. »3128

Hara-Kiri, Hebdo satirique, titre pleine page du lundi 16 novembre 1970, n° 94

Le 1er novembre, l’incendie d’un dancing a fait 146 morts et les journaux ont titré sur ce bal tragique. Le titre est détourné, dans l’esprit « bête et méchant » du journal. L’équipe a planché sur le problème, mais pour une fois, aucun dessin ne pouvait rivaliser avec ces simples mots : « Bal tragique à Colombey : un mort ».

Interdiction à l’affichage le jour même. Hari-Kiri est mort, vive Charlie Hebdo, qui paraît dès la semaine suivante, dans le même esprit, avec les mêmes journalistes : Cavanna, Reiser, Wolinski et Cie.

« On ne tire pas sur une ambulance. »3149

Françoise GIROUD (1916-2003), L’Express, 24 avril 1974

Le trait d’une charité sans pitié vise Chaban-Delmas dont la cote ne cesse de baisser dans les sondages. Le 4 avril, avant même la fin du discours d’hommage au président défunt d’Edgar Faure, président de l’Assemblée nationale, Chaban l’homme pressé annonçait par communiqué : « Ayant été trois ans Premier ministre sous la haute autorité de Georges Pompidou et dans la ligne tracée par le général de Gaulle, j’ai décidé d’être candidat à la présidence de la République. Je compte sur l’appui des formations politiques de la majorité présidentielle. » Candidature lancée trop tôt ? Pas assez solide face à Mitterrand à gauche ? Concurrencée par d’autres candidats à droite ?

Et Françoise Giroud de commenter : « Alors que MM. Giscard d’Estaing et Mitterrand provoquent des mouvements intenses d’admiration ou d’hostilité, on a envie de demander, sans acrimonie, à M. Chaban-Delmas : « Et vous, qu’est-ce que vous faites au juste dans cette affaire ? » Il encombre. Comment le battant a-t-il viré à l’ancien combattant ? »

« Vous n’avez pas le monopole du cœur. »3152

Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), à François Mitterrand, ORTF, 10 mai 1974. Convaincre : dialogue sur l’éloquence (1997), Jean-Denis Bredin, Thierry Lévy

Les deux candidats restant en lice s’opposent dans un débat télévisé entre les deux tours des présidentielles. C’est une première et ça va devenir un classique du genre.

Le ministre libéral et le député socialiste sont au coude à coude dans l’opinion publique dûment sondée : Ifop et Sofres donnent Giscard gagnant à 51 % et Publimétrie, exactement l’inverse. C’est dire l’importance du débat : un mot, un geste, un regard, un silence peut tout changer… Dans ce duel médiatique, Giscard se montre plus à l’aise que son aîné en politique et à l’état civil (58 ans). Autre petite phrase meurtrière, conforme à la stratégie de Giscard (48 ans) : « Monsieur Mitterrand, vous êtes un homme du passé. » La politique est un spectacle - ici, en direct devant 25 millions de téléspectateurs.

« La France vit au-dessus de ses moyens. »3171

Raymond BARRE (1924-2007), TF1, allocution du 22 septembre 1976. La Dérive de l’économie française : 1958-1981 (2003), Georges Dumas

Depuis le choc pétrolier de 1973, « le coq gaulois faisait l’autruche » (Olivier Chevrillon), entraînant l’économie dans une spirale suicidaire : gonflement des salaires nominaux, laminage des profits (donc des capacités de reconversion), déficit du commerce extérieur, effondrement certain, à terme, du niveau de vie.

Le nouveau Premier ministre (ex-professeur d’économie politique) expose le 5 octobre à l’Assemblée son plan d’assainissement économique et financier, nouveau plan Barre : « La lutte contre l’inflation est un préalable à toute ambition nationale. Aucun pays ne peut durablement s’accommoder de l’inflation sans risquer de succomber à de graves désordres économiques et sociaux et de perdre sa liberté d’action. »

Les réalités sont enfin prises à bras-le-corps, alors que le taux d’inflation menaçait d’atteindre 12-13 % dans l’année – il sera limité à 9,6 %. Mais les mesures d’austérité annoncées provoquent, inévitablement, l’hostilité des syndicats et de l’opposition.

« Le gouvernement ne détermine pas sa politique à la longueur des cortèges. »3173

Raymond BARRE (1924-2007), Assemblée nationale, 7 octobre 1976

Grèves et manifestations saluent le plan Barre. Le député communiste Robert Ballanger vient de dire à l’Assemblée : « Il est 17 heures : le dernier manifestant du cortège qui se déroule depuis ce matin entre la Nation et la place de la République vient d’arriver place de la République. » Le Premier ministre leur oppose ce que la presse appellera souvent son « assurance tranquille » et sa « fermeté intransigeante ».

« Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. »3174

Roland BARTHES (1915-1980), Leçon inaugurale au Collège de France, 7 janvier 1977

Sartre, fatigué (presque aveugle après une seconde attaque cérébrale), fait un peu silence, et Barthes prend un peu sa place, sans avoir la même audience auprès d’une jeunesse qui n’a plus si grand besoin de maîtres à penser.

À côté de son engagement politique, c’est un critique artistique et littéraire très inspiré par Marx et Freud, qui marque l’Université française et l’enseignement des lettres. Dernière belle époque des grands intellectuels du XXe siècle dont le discours ne peut réellement toucher qu’une élite. Voir la suite de la citation : « Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers ; ce que les linguistes appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ou ce par quoi, telle une supplique, j’essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est-à-dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète » (« Pouvoir et contre-pouvoir », leçon 1).

 « L’économie ne se change pas par décret. »3190

Michel ROCARD (1930-2016), Rendre ses chances à la gauche (1979)

Avant de faire couple conflictuel - Premier ministre et président à partir de 1988 - Rocard et Mitterrand s’affrontent devant l’opinion publique et dans leur propre parti : duel de deux hommes, de deux gauches. Rocard condamne un certain « archaïsme » politique, veut « parler plus vrai, plus près des faits », plus loin du marxisme – contre les nationalisations à 100 % et pour l’économie de marché. Il incarne la « seconde gauche », courant minoritaire auquel Mitterrand et les éléphants du PS laisseront peu de chance.

« Le premier des droits de l’homme, c’est le devoir pour certains d’aider les autres à vivre. »3189

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), au président Giscard d’Estaing, 26 juin 1979. Génération, tome II, Les Années de poudre (1988), Hervé Hamon, Patrick Rotman

Un groupe d’intellectuels est reçu à l’Élysée. Ils sont venus dire la détresse des réfugiés vietnamiens. Depuis deux mois, à l’initiative de Bernard Kouchner et de Médecins du Monde, le bateau Île de Lumière recueille et soigne les damnés de la mer, ces « boat people » fuyant le régime communiste du Vietnam réunifié. Le président promet que la France fournira autant de visas qu’Île de Lumière abrite de réfugiés.

Cette croisade humanitaire est l’occasion d’un rapprochement (sans lendemain) entre Aron et Sartre, après des décennies de divorce intellectuel. Accueil des réfugiés sans patrie, régularisation des étrangers sans papier, gestion de l’émigration clandestine : problèmes récurrents et toujours brûlants.

« Jusqu’à présent la France est coupée en deux, avec moi elle sera pliée en quatre ! »3196

Coluche (1944-1986), slogan du candidat à l’élection présidentielle de 1981. Dictionnaire des provocateurs (2010), Thierry Ardisson, Cyril Drouhet, Joseph Vebret

30 octobre 1980, il convoque la presse au théâtre du Gymnase pour une déclaration de candidature fidèle à son image : « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle. Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche. Le seul candidat qui n’a aucune raison de vous mentir ! »

Pour le prix de l’humour politique, Coluche joue hors concours et gagne à tout coup : « Je ferai remarquer aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n’est pas moi qui ai commencé. » Paraphrasant la blague communiste sur le communisme : « La dictature, c’est « ferme ta gueule » et la démocratie c’est « cause toujours ». »

Coluche, « c’est l’histoire d’un mec. » Mais sur ce coup médiatique, l’histoire tourne mal et tourne court pour le comique sorti de son rôle d’amuseur.

« Tout est culture. »2960

Jack LANG (né en 1939), ministre de la Culture, Assemblée nationale, 17 novembre 1981. Demain comme hier (2009), Jack Lang

Présentant son budget et défendant une notion à la fois sociale et socialiste, opposée à la culture réputée élitiste et bourgeoise. « Culturelle, l’abolition de la peine de mort que vous avez décidée ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! Culturel, le respect des pays du tiers-monde ! Culturelle, la reconnaissance des droits des travailleurs ! Culturelle, l’affirmation des droits de la femme ! » À chacun sa définition de la culture, l’une des plus célèbres restant celle de l’écrivain et critique Émile Henriot, collaborateur au Temps (à partir de 1919), puis au Monde : « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié. »

Mais le nouveau ministre a enfin les moyens d’une vraie politique culturelle – 1 % du budget de l’État – et le temps pour la mettre en œuvre !

Faire payer les riches.3214

Slogan de la nouvelle majorité, été 1981. Un pays comme le nôtre : textes politiques, 1986-1989 (1989), Michel Rocard

Après dissolution de l’Assemblée par le nouveau président, les législatives des 14 et 21 juin 1981 consolident largement la victoire de la gauche : 285 députés socialistes, et 44 communistes. Face à 88 RPR et 62 UDF (et 12 non-inscrits).

La majorité, profitant d’un véritable « état de grâce », se lance dans une frénésie de réformes, certaines structurelles : nationalisations, décentralisation. Des mesures immédiates sont prises pour améliorer le sort des défavorisés : relèvement de 25 % des allocations familiales, majoration de 20 % du minimum vieillesse, relèvement du SMIC, mais aussi création d’un impôt sur les grandes fortunes (ISF). C’est l’« été fou ».

« Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire. »3219

André LAIGNEL (né en 1942), à Jean Foyer, Assemblée nationale, 13 octobre 1981. Crises et alternances, 1974-2000 (2002), Jean Jacques Becker, Pascal Ory

Foyer, grand juriste, vient simplement d’affirmer : « La seule nécessité qui exige la nationalisation est que celle-ci soit inscrite dans le Programme commun. » La « petite phrase » de Laignel, punchline restée célèbre, a fâcheusement poursuivi son auteur.

« Un ministre, ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. »3234

Jean-Pierre CHEVÈNEMENT (né en 1939), ministre de la Recherche et de l’Industrie, qui démissionne le 22 mars 1983

Le mois dernier, en Conseil des ministres, le président Mitterrand a dénoncé la « bureaucratie tatillonne » du ministère conduit par Chevènement. Par ailleurs, il désapprouve la « parenthèse libérale » qui s’annonce.

Chevènement, dirigeant du CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste), incarne l’aile gauche du PS. Il a favorisé le rapprochement avec le PC, concrétisé par la signature du Programme commun de gouvernement en 1972. Son discours trop radical et l’arrivée de Rocard auquel il s’oppose, ont entraîné sa mise à l’écart. Mais il a soutenu Mitterrand contre Rocard et rédigé le programme socialiste en vue de la présidentielle. D’où sa présence au gouvernement, dès le 22 mai. Minoritaire face au changement de politique, il va renoncer à son poste et retrouver sa liberté de parole. Il récidivera plus tard, deux fois. Au total, trois démissions, c’est beaucoup, pour un ministre. C’est même un record (de France).

« Les pacifistes sont à l’Ouest, et les missiles sont à l’Est. »3241

François MITTERRAND (1916-1996), 20 janvier 1983 au Bundestag à Bonn (RFA). La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal

Conscient du déséquilibre des forces en Europe et de la supériorité de l’URSS, le président français tient à rappeler cette vérité géopolitique.

Depuis les années 1970, les Soviétiques installent dans les pays satellites d’Europe centrale des missiles nucléaires à moyenne portée (les SS-20), pointés sur les centres stratégiques de l’Europe occidentale. Pour répliquer à cette menace, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN proposent d’installer en Allemagne fédérale des missiles d’une puissance égale (les Pershing), orientés vers l’URSS et l’Europe communiste. Mais les mouvements pacifistes et gauchistes se mobilisent contre le projet américain, avec le slogan : « Plutôt rouges [communistes] que morts ! » Les jeunes Allemands sont les plus nombreux à manifester, contre le parapluie américain et pour le désarmement.

Devant les députés allemands, Mitterrand se montre ferme et son intervention est un soutien inespéré à l’OTAN. Il aidera au retournement de l’opinion publique occidentale. Dans les manifestations à venir, « Faites l’amour et pas la guerre » est contré par un nouveau slogan : « Il vaut mieux un Pershing dans son jardin qu’un Russe dans son lit ». Les Soviétiques vont finalement reculer et démanteler leurs SS-20. La guerre froide est bien finie. En attendant la grande détente, une nouvelle entente se dessine, à la fin des années 1980.

« L’extrême droite, ce sont de fausses réponses à de vraies questions. »3249

Laurent FABIUS (né en 1946), émission « L’Heure de vérité », Antenne 2, 5 septembre 1984. « L’Union européenne en quête de sécurité intérieure et extérieure » (6 mars 2009), Alain Lamassoure, député européen, colloque IHEDN

En 1984, Jean-Marie Le Pen fait une entrée fracassante au Parlement européen en ayant fait campagne contre l’immigration, et Fabius réagit pour dire que oui, on peut parler d’immigration (sujet trop longtemps tabou en France), mais que la xénophobie n’est pas la solution.

Cette phrase, souvent reprise, avec quelques variantes, s’applique également à d’autres « vraies questions » et l’ascension du leader de l’extrême droite gêne plus la droite que la gauche, même si certains commentateurs pensent le contraire.

« Contrairement à ce qui se passe dans les westerns, c’est le premier qui dégaine qui est mort. »3267

Édouard BALLADUR (né en 1929), parlant de la cohabitation Mitterrand-Chirac en 1986. Manager en toutes lettres (2011), François Aelion. Cité aussi dans Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1999, à propos d’une cohabitation inverse, entre Chirac (président) et Jospin (Premier ministre)

Contrairement à ce qui se passe dans les westerns, attaquer serait une stratégie suicidaire. Le Premier ministre, gouvernant, est logiquement le plus exposé aux critiques et aux sondages. Mais les Français sont très satisfaits de la cohabitation, rêvant même (par sondages) d’un gouvernement idéal, dirigé par Michel Rocard et composé pour moitié de leaders PS et de RPR-UDF. C’est de la pure politique fiction.

Pour l’heure, et dans la réalité, les deux cohabitants au sommet, Mitterrand et Chirac, doivent éviter de s’affronter ouvertement. Vu les tempéraments, les situations et les âges respectifs, le « supplice » vaut pour Chirac le battant.

« Notre nouvelle frontière, c’est l’emploi. »2945

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours à l’Assemblée nationale, 9 avril 1986. Revue politique et parlementaire, nos 921 à 926 (1986), Marcel Fournier, Fernand Faure

Premier discours du nouveau Premier ministre (et de la première cohabitation avec un président de gauche et un gouvernement de droite). Après l’inflation, le chômage est la seconde plaie de l’économie française. Nul jusque vers 1950, le nombre de chômeurs a passé la barre des 500 000 à la fin des années 1960, celle du million au milieu des années 1970, des 2 millions en 1982, pour atteindre 2,5 millions en septembre 1986. La courbe est insensible aux changements de majorité et rebelle aux mesures prises par chaque gouvernement dans sa lutte pour l’emploi. Le plein emploi appartiendrait-il à une époque révolue ? En tout cas, la France frôle la barre des 3 millions de chômeurs en 2012, la crise mondiale n’étant pas seule en cause.

« Nous allons terroriser les terroristes. »3262

Charles Pasqua (1927-2015), ministre de l’Intérieur du gouvernement Chirac, mars 1986. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Climat de terreur à Paris : les attentats se multiplient et Pasqua répète cette formule qui plaît à l’opinion publique et à la presse. Au JT d’Antenne 2, le 12 avril, il en donnera une version light ou soft : « L’insécurité doit changer de camp et entre nous et les terroristes, la guerre est engagée. »

Le 7 août, l’Assemblée vote les lois Pasqua, très répressives. Mais à la rentrée, la vague terroriste recommence. L’attentat le plus meurtrier, rue de Rennes, devant le magasin Tati, fait 7 morts, 51 blessés.

Entre le terrorisme anarchiste des années 1892-1894 en France, le terrorisme politique du FLN et de l’OAS, en Algérie comme en métropole, et le terrorisme islamiste qui culminera, le 11 septembre 2001, aux États-Unis, la violence prend toutes les formes : attentats, assassinats, enlèvements. Il y a des pays plus ou moins exposés, mais aucun n’est épargné. Il y a des époques plus ou moins violentes, mais au-delà des chiffres, la médiatisation augmente naturellement le « climat d’insécurité ».

« Mieux vaut perdre des élections que perdre son âme. »3270

Michel NOIR (né en 1944), Le Monde, 18 mai 1987

Face à la montée du Front national, Chirac a un gros problème et deux conseillers de poids, Édouard Balladur et Charles Pasqua.

Le premier, prudent, prône le silence : « Chaque fois que l’on parle de Le Pen, on lui donne de l’importance. » Le second est convaincu que la droite a vocation à s’ouvrir jusqu’au FN. Devenu Premier ministre, Chirac ne tolère plus aucune infraction à ce code de bonne conduite.

Et voilà que son ministre du Commerce extérieur, Michel Noir, fait sensation avec cette affirmation stratégique, partout reprise et promue au rang de citation politique ! Un conseil de cabinet est convoqué pour sermonner l’impertinent et les ministres sont priés d’éviter toute polémique, s’ils veulent rester en fonction.

« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. »3273

Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Monde, 22 février 1988

Formule empruntée à Henri Queuille du parti radical-socialiste, 21 fois ministre sous la Troisième et la Quatrième République, « petit père Queuille » par ailleurs très populaire. Pasqua, la même année, reprend presque la même formule, dans un discours : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. »

Ce cynisme déclaré permet à certains hommes politiques de dire à peu près n’importe quoi, encouragés par des auditeurs-téléspectateurs-électeurs-citoyens qui ont une attention d’enfant de 5 ans, et une mémoire de poisson rouge, estimée à 5 minutes. Disons, quelques jours. Mais sur Internet, la mémoire des blogs et blogueurs confine à l’éternité, ce qui pourrait inciter l’Homo politicus à plus de prudence.

« La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir. »3279

François MITTERRAND (1916-1996), campagne pour les élections européennes de juin 1989. Mitterrand : une histoire de Français (1998), Jean Lacouture

Prononcés en janvier 1989, ces mots seront souvent repris, pour devenir citation.

L’Europe est plus que jamais l’avenir, même si la réalité européenne est toujours en crise. Institutions bloquées, méfiance face à cette forme de globalisation qui entraîne délocalisations, insécurité sociale, suspicions nationales. L’Union européenne reste malgré tout un gage de paix avec la réconciliation devenue amitié franco-allemande, et l’euro, monnaie unique pratiquement acceptée de tous.

La fin du communisme et la critique du capitalisme laissent ouvert un vaste chantier, avec la question de l’identité européenne et des frontières (avec ou sans la Turquie). La foi européenne n’est plus ce qu’elle était, mais peu de causes mobilisent durablement les foules.

« Je ne vais pas laisser Dieu à la porte de l’école. »3283

FATIMA (13 ans), 8 novembre 1989. Dictionnaire des citations de l’histoire de France (1990), Michèle Ressi

C’est l’affaire du Foulard (ou voile islamique) – la première qui fait la une de la presse – avec le mot d’une des trois collégiennes de Creil, mises en vedette et refusant de quitter ce « fichu foulard ».

Le foulard coranique, manifestation d’intégrisme, est devenu en France fait de société et affaire d’État, divisant les partis et mobilisant les médias. Il relance régulièrement le problème de la laïcité au sein de l’école publique et alimente les querelles autour de l’immigration. La loi du 15 mars 2004, appelée parfois loi sur le voile islamique, en application du principe de laïcité, régit « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». D’où l’interdiction de tout signe religieux « ostensible », ce qui inclut le voile islamique, mais aussi la kippa et le port de grandes croix. Vingt ans après, le port de la burka (voile intégral) dans la rue et autres lieux publics relance le débat, avec la confusion entre religion musulmane et islamisme, dans le contexte d’une identité nationale toujours délicate à définir.

« Nous ne pouvons pas héberger en France toute la misère du monde. »3286

Michel ROCARD (1930-2016), émission « 7 sur 7 », TF1, 3 décembre 1989

Cette phrase le poursuit depuis ce jour, injustement. Vérité d’évidence, dite dans un contexte précis, chiffres à l’appui : le Premier ministre dénonce un détournement du droit d’asile, passant de 18 000 demandes en 1980 à 60 000 en 1989 (doublement en 1988). Il expliquera plus tard : la France, toujours terre d’asile pour les réfugiés politiques, ne peut plus être comme jadis une terre d’immigration pour la main-d’œuvre étrangère.

La phrase est reprise sous diverses formes, dans d’autres contextes et par d’autres acteurs politiques, cependant que les socialistes accusent l’un des leurs d’abandonner les valeurs de la gauche. Rocard va donc préciser, dans la même émission de TF1, le 4 juillet 1993 : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part. »

« La Bourse, j’en ai rien à cirer. »3294

Édith CRESSON (née en 1934), Premier ministre, Journal du Dimanche, 19 mai 1991

Socialiste et mitterrandienne depuis toujours, plusieurs fois ministre depuis dix ans, opposée au gouvernement de Rocard dont elle a d’ailleurs démissionné, elle le remplace à Matignon, le 15 mai 1991. Et les cours flanchent.

Le soir même de ce mot malheureux dans le Journal du Dimanche, elle corrige le tir à la télévision, invitée de  « Sept sur Sept » : « C’est une boutade. La Bourse est un des paramètres de l’économie. Ce n’est pas le seul. » La petite phrase va devenir célèbre – au point d’inspirer le titre d’une émission culte sur France Inter : « Rien à cirer ».

Mais elle multiplie les propos maladroits sur les Anglais (« des homosexuels ») et les Japonais (« des fourmis »). L’état de grâce va être court. La presse ne la ménage pas, les « éléphants du PS » lui savonnent la planche, on discute sa légitimité, sa nomination ne serait que « le fait du Prince ». Sexisme, sans doute, mais l’impréparation est totale, à la tête de ce gouvernement. La première nomination d’une femme au poste de Premier ministre en France se termine vite et mal. Elle devra démissionner au bout de dix mois, remplacée par Pierre Bérégovoy, le technicien.

« Je suis responsable, mais pas coupable. »3296

Georgina DUFOIX (née en 1943), résumant sa position de ministre des Affaires sociales dans l’affaire du sang contaminé, TF1, 4 novembre 1991

Tragédie sanitaire : plus de 6 000 hémophiles ont été contaminés par le virus du sida, entre 1982 et 1985. Le scandale éclate en avril 1991 : un article dans L’Événement du jeudi incrimine le CNTS (Centre national de transfusion sanguine) qui savait le danger, dès 1984. Le dernier procès des trois anciens ministres impliqués date de 1999. Affaire complexe et tragique. L’opinion publique, sensible aux problèmes de santé, est choquée par ce long feuilleton.

La « petite phrase » résumant le système de défense de la ministre a suscité maintes réactions : incompréhension, indignation, injures et diffamation. Pourtant, en droit, il peut y avoir responsabilité sans culpabilité, droit civil et droit pénal ne devant pas être confondus.

« Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents. »3307

Jacques CHIRAC (1932-2019). Le Dauphin et le régent (1994), Catherine Nay

Métaphore carnassière, sinon cannibale, qui sera reprise par Sarkozy. Chirac le battant annonce sa candidature à la présidentielle, le 4 novembre 1994 (La Voix du Nord).

Aux législatives de 1993, la droite a laminé la gauche, remportant 80 % des sièges : le septennat de Mitterrand se termine dans un climat délétère, entre les affaires, les révélations, les désillusions. Chirac ne veut plus jouer le Premier ministre, pour mieux préparer la présidentielle. Balladur, l’« ami de trente ans », y va et vit une « cohabitation de velours » avec le président. Il devient le favori des sondages (65 % d’opinions positives). Pour ne pas faire éclater le parti, il n’annoncera sa candidature que le 18 janvier 1995, soutenu par Pasqua et Sarkozy - qui lui doit son premier poste ministériel, au Budget.

Chirac a vu venir la trahison … et part en campagne avant Balladur. Il va cibler les jeunes, avec un programme basé sur l’égalité des chances, la justice, la fraternité. Dans ce duel à droite, Chirac, « dauphin » agité, bonapartiste de rupture, s’oppose à Balladur, le « régent » tranquille, l’orléaniste libéral. Toutes les élections présidentielles tournent au psychodrame, avec l’affrontement des personnages et des courants.

« Une fracture sociale se creuse. »3313

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours fondateur de sa campagne présidentielle, 17 février 1995

C’est un orateur né, mais il a besoin de conseillers. Au plus bas dans les sondages, le maire de Paris prépare son retour sur la scène nationale. Henri Guaino, gaulliste social, lui souffle l’idée de fracture sociale, empruntée à Marcel Gauchet, historien et philosophe de la lutte des classes, et reprise également par Emmanuel Todd.

Encore faut-il mettre l’idée en situation, trouver les mots et le ton. Chirac y parvient, déjouant tous les pronostics de ses adversaires et des observateurs. Ce discours-programme crée un véritable espoir, chez les jeunes et dans les classes populaires : « La France fut longtemps considérée comme un modèle de mobilité sociale. Certes, tout n’y était pas parfait. Mais elle connaissait un mouvement continu qui allait dans le bon sens. Or, la sécurité économique et la certitude du lendemain sont désormais des privilèges. La jeunesse française exprime son désarroi. Une fracture sociale se creuse dont l’ensemble de la nation supporte la charge. La « machine France » ne fonctionne plus. Elle ne fonctionne plus pour tous les Français. »

« Tout le monde a menti dans ce procès, mais moi j’ai menti de bonne foi. »3314

Bernard Tapie (né en 1943), lors du procès OM-Valenciennes, mars 1995. Le Spectacle du monde, nos 394 à 397 (1995)

Diversion dans la campagne présidentielle, épilogue du feuilleton médiatico-juridico-sportif qui passionne le public, avec deux stars à l’affiche : le foot et « Nanard », empêtré dans une sale affaire au Tribunal de Valenciennes.

Le mot, qui vaut aveu, définit ce personnage atypique, cynique, talentueux dans son genre, popu et bling-bling à la fois, ogre hyperactif touchant à tous les métiers, présent dans tous les milieux : chanson, télévision, sport, économie et politique. De 1988 à 1992, le voilà député des Bouches-du-Rhône, député européen, ministre de la Ville, conseiller régional. Parallèlement, il a dirigé avec brio l’Olympique de Marseille jusqu’en 1993, date où commencent les ennuis judiciaires.

Accusé d’abus de biens sociaux et de fraude fiscale, le présent procès l’implique dans une tentative de corruption, lors du match OM-VA (Olympique de Marseille contre Valenciennes). Voulant protéger ses joueurs qui vont affronter le Milan AC dans la Coupe des clubs champions, le patron de l’OM a payé des joueurs de Valenciennes pour qu’ils « lèvent le pied ». L’OM a gagné sur les deux tableaux en 1993 (Coupe d’Europe et Coupe de France), mais des joueurs ont parlé. Tapie a démenti, avant de céder : « J’ai menti, mais… » Condamné à deux ans de prison, dont un an ferme, pour corruption active et subornation de témoin, il fait appel. Condamnation définitive en 1996. Et résurrection médiatique et financière, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

2/ LES ANNEES CHIRAC ET SARKOZY (1995-2012)

« Un chef, c’est fait pour cheffer. »3317

Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Figaro Magazine, 20 juin 1992

L’autorité est une vertu première, il le fera savoir et de quelle manière ! Le mot le plus dur vise le ministre le plus populaire du gouvernement Raffarin, Nicolas Sarkozy qu’il a été obligé d’accepter au poste le plus important – ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, en mars 2004.

Devant les velléités d’indépendance et la trop visible impatience de l’ambitieux à lui succéder, le président déclare le 14 juillet qu’il ne peut y avoir de différend entre eux, pour une raison simple : « Je décide et il exécute. »

Bernadette Chirac confirme : « Je suis mariée à un homme qui n’est pas corrézien pour rien. Il a un sens de l’autorité bien affirmé. Sa femme doit l’accompagner, le suivre, et ne pas prendre position à tout bout de champ » (Paris Match, juillet 2005). Malgré son autorité de chef proclamée, Chirac complète son autoportrait en montrant qu’il sait déléguer : « Si on a pris le soin de bien s’entourer, le collaborateur responsable prend 99 fois sur 100 la décision que vous auriez souhaitée, voire, de temps à autre, une décision meilleure » (Les Mille Sources).

« Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »3322

Jacques CHIRAC (1932-2019), cité dans Marianne n° 184 (mars 2012)

Politiquement incorrect, assez macho et un peu cavalier - la source est d’ailleurs dans la tradition de la cavalerie. Il n’y a que Chirac pour oser et afficher cette image publique, voire présidentielle. Un florilège fait la joie des bêtisiers politiques et des collectionneurs de perles. Un humoriste en scène pourrait les tester :

« Portez des couleurs plus vives, faites-vous sponsoriser par les grands couturiers, soyez bronzés, n’ayez pas l’air de cadavres. » Conseil du président aux ambassadeurs, août 1996. Le candidat s’est lâché plus librement encore :

« J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson que les limitations de vitesse » (L’Auto-Journal, 1er août 1977).

« Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière » (Libération, 17 Février 1995). La même année, toujours en campagne pour la présidentielle : « J’aime le bon vin, je n’abuse pas. Mais la bière a un avantage, c’est que cela désaltère, vous comprenez, désaltérer, cela coupe la soif et il n’y a pas trop d’alcool dedans, beaucoup moins que dans le vin. Alors on peut boire davantage. » Quand on sait que Sarkozy ne boit jamais d’alcool et colore de jus de fruit rouge le verre d’eau avec lequel il doit trinquer, pour la photo…

La cote de popularité de Chirac connaît des hauts et des bas en deux mandats et 12 ans de pouvoir, mais sa liberté de ton et son côté bon vivant le rendent malgré tout sympathique. Karl Zéro, qui voulait démolir le personnage (Dans la peau de Jacques Chirac) en est finalement convenu. La marionnette des Guignols de l’info, si caricaturale soit-elle, profitera au candidat ! Face à elle, celle de Balladur, si hautaine, devient affreusement antipathique.

« Je suis droit dans mes bottes et je crois en la France. »3336

Alain JUPPÉ (né en 1945), Premier ministre, TF1, 6 juillet 1995

Un mois après son entrée en fonction, le plus fidèle ami de Chirac doit répondre sur le loyer de son appartement parisien, trop bas pour être honnête, et la baisse de loyer demandée pour l’appartement de son fils Laurent.

Affaire dérisoire, mais symbolique. Juppé devient vite impopulaire : sa « cote d’avenir » passe de 63 % en juin à 37 % en novembre (baromètre TNS Sofres pour Le Figaro Magazine). Sa défense paraît rigide, illustrée par l’expression qui le poursuivra (empruntée à la cavalerie militaire) : « Je suis droit dans mes bottes. » Autrement dit, je ne plie pas, j’ai ma conscience pour moi. Personnage rare en politique, « le meilleur d’entre nous » dit Chirac, son plus fidèle ami.

« Il faut dégraisser le mammouth. »3344

Claude ALLÈGRE (né en 1937), ministre de l’Éducation nationale, 24 juin 1997

Chercheur reconnu, médaillé et primé par ses confrères, malgré ses prises de position écologiques sur le climat « politiquement incorrectes ». Il prévoit une réforme des lycées pour « l’égalité dans la diversité » des filières. Il veut changer les horaires, développer des « activités culturelles et citoyennes ». Projets mal reçus, mais c’est surtout son langage qui choque le milieu enseignant.

L’image fait mouche et le mammouth devient l’emblème de la contestation. On réfute ses chiffres (sur l’absentéisme des professeurs, la durée de leurs congés) et ses jugements tranchés sur diverses matières (les maths dévaluées par les machines à calculer, l’anglais qui ne doit plus être une langue étrangère pour les Français).

Le mammouth est quand même la plus grosse erreur de langage. Le ministre revient sur sa petite phrase, précisant qu’elle visait l’administration centrale et non les professeurs. Il va d’ailleurs ajouter 70 000 emplois au million existant. Mais en mars 2000, Lionel Jospin devra sacrifier son ami Allègre et rappeler à l’Éducation nationale le très consensuel et populaire Jack Lang.

Que les pollueurs soient les payeurs.3555

Slogan écologiste devenu principe juridique, lors des marées noires

12 décembre 1999, en pleine tempête sur le Finistère, l’Erika, pétrolier battant pavillon maltais, coule. 31 000 tonnes de fuel dérivent et vont polluer 400 kilomètres de côtes, tuant plus de 150 000 oiseaux…

La première marée noire date de 1967 : le Torrey Canyon, pétrolier du Koweït, 120 000 tonnes de brut qui vont souiller les côtes de Cornouailles et de Bretagne. La consommation de pétrole a explosé depuis 1950 et cette catastrophe contribue à l’éclosion d’une écologie politique. L’Europe découvre un risque jusqu’alors négligé, les pays menacés prennent des mesures de prévention. Mais la série noire continue. Amoco Cadiz, Erika, Exxon Valdez, en un demi-siècle, les marées noires se succèdent, au rythme des dégazages, naufrages de navires ou explosions de plateformes pétrolières : désastres aux coûts exorbitants.

Après sept ans d’enquête, le procès de l’Erika commence, le 12 février 2007 : quatre mois d’audience, quinze inculpés, quarante-neuf témoins et experts, une cinquantaine d’avocats. Le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement le 16 janvier 2008 : le groupe Total est reconnu coupable de pollution maritime et condamné à verser 192 millions d’euros. Le principe du pollueur payeur est clairement validé et pour la première fois, le droit reconnaît le préjudice écologique en tant que tel. Le 25 septembre 2012, la Cour de cassation confirme toutes les condamnations déjà prononcées depuis treize ans et ajoute à la responsabilité pénale une responsabilité civile pour le groupe Total. Selon Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral, « c’est un très grand jour pour tous les défenseurs de l’environnement. »

« Le monde n’est pas une marchandise. »3357

José BOVÉ (né en 1953), titre de son livre (2000)

Syndicaliste agricole, déjà connu pour s’être opposé à l’extension du camp militaire dans le causse du Larzac, durant les années 1970, il devient célèbre le 12 août 1999, en démontant le McDonald’s de Millau. Action symbolique pour dénoncer la « malbouffe », fruit contre nature d’une agriculture productiviste et d’une mondialisation indifférente aux spécificités culturelles.

Ce livre raconte le combat des agriculteurs contre la surproduction et le règne d’une alimentation sans goût. Ils veulent produire mieux, lutter contre la désertification des campagnes et préserver les ressources naturelles.

Contestataire médiatique, moustache au vent, pipe à la bouche et grande gueule, il viole régulièrement la loi pour arracher les plants de culture OGM et passe quelques jours en prison. Présent aux « Sommets de la terre » organisés périodiquement et dans les zones sensibles d’une planète malade ou folle, entré dans l’arène politique comme député européen en 1999, il sera candidat à la présidentielle en 2007. Toute tribune est bonne pour lutter contre les ravages du capitalisme, en plaidant la cause de l’écologie et de l’altermondialisme. Deux idées-forces, pour attaquer d’un bon pas le troisième millénaire.

Un autre monde est possible.2962

Slogan du mouvement altermondialiste. 100 propositions du Forum social mondial (2006), Arnaud Blin

D’origine belge, le terme déferle en 1999 dans la francophonie : titre de film (documentaire), de chanson, de livre. Preuve de la popularité de ce mouvement et du mot ! Prenant la place de l’antimondialisation, une opposition qui prône la violence, l’altermondialisme (ou altermondialisation) propose une espérance, et c’est toujours préférable.

Le dictionnaire Larousse le définit comme « mouvement de la société civile qui conteste le modèle libéral de la mondialisation et revendique un mode de développement plus soucieux de l’homme et de son environnement ». Mariage naturel de l’écologie et de l’anticapitalisme, prônant la « justice économique », la protection de l’environnement, les droits humains, l’altermondialisme veut inventer une mondialisation (ou globalisation) maîtrisée et solidaire, par opposition à la mondialisation actuelle, injuste et dangereuse.

Le mouvement, qui oscille entre rupture et réformisme, est souvent associé à ATTAC. Fondée en 1998 et présente en 2012 dans une cinquantaine de pays, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne milite d’abord pour la « Taxe Tobin », suggérée en 1972 par le lauréat du prix Nobel d’économie. C’est aussi un mouvement d’éducation populaire, persuadé que le savoir des citoyens est le meilleur outil pour changer le monde - une idée-force, pas suffisamment médiatisée, mais qui se concrétise heureusement par la force des choses et des nouvelles technologies.

« Les valeurs du verbe « être » sont supérieures aux valeurs du verbe « avoir ». »3369

François BAYROU (né en 1951), Penser le changement (avec Luc Ferry, 2002)

Le candidat centriste se lance dans la campagne présidentielle et on le retrouvera tous les cinq ans, avec les mêmes arguments. Cet humaniste bénéficie d’un vrai courant de sympathie auprès du public.

Béarnais et fils d’agriculteur, professeur de lettres, il entre en politique à 30 ans : « Il n’y a qu’une seule question politique : comment voulez-vous élever vos enfants ? » Plusieurs fois ministre de l’Éducation nationale, on l’accusera une fois de vouloir « réformer à la hussarde », une autre fois de « gouverner avec un sondoscope en bandoulière ».

Principal paradoxe, ce rassembleur aux idées consensuelles se retrouve toujours dans un jeu de cavalier seul, opposé au système des partis et du parti dominant. Mais comment ne pas être sensible à cette parole : « Le peuple a besoin d’autre chose que de la simple satisfaction des nécessités matérielles. » Avec cet ultime espoir : « En démocratie, c’est la force des arguments qui compte. » Maire de Pau, il revient sur le devant de la scène politique avec Emmanuel Macron, dans le rôle de haut-commissaire au Plan.

« La route est droite, mais la pente est forte. »3376

Jean-Pierre RAFFARIN (né en 1948), nouveau Premier ministre à l’Assemblée, 3 juillet 2002. La Route est droite, mais la pente est forte : un an déjà (2003), Marie-Noëlle Lienemann

Au lendemain des législatives gagnées dans la foulée de l’élection présidentielle surprise face à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac surprend par le choix de ce Premier ministre giscardien. Cette phrase dit bien la difficulté de la tâche qui l’attend. Il multiplie les « raffarinades ». L’homme affiche sa modestie : « Les têtes qui gonflent sont celles qui éclatent. » Il se décrit lui-même : « J´ai mes rondeurs, mais j´ai mon énergie. » Il a un physique et une mentalité de sénateur – il est d’ailleurs sénateur de la Vienne, élu et réélu, et il retournera au Sénat, après trois années passées à Matignon, trois fois renouvelé pour trois gouvernements successifs : « Je suis le pilote de l´Airbus gouvernemental. »

Populaire au début, dans « la France d’en bas » comme dans « la France d’en haut », réformateur – « Il faut mettre en place la République du bon sens » –, il se montre ferme face aux grèves et aux manifestants, aux éternels chantiers, aux problèmes récurrents : « La route est droite, mais la pente est forte. »

Citons encore : « Les jeunes sont destinés à devenir des adultes » ; « Les veuves vivent plus longtemps que leur conjoint » ; « La France est forte, quand c´est une force qui va et qui sait où elle va » ; « Savoir se vaincre dans la victoire, c’est être deux fois vainqueur » ; « À force de penser au pluriel la politique, certains ont oublié le singulier de la France » ; « L´Europe à laquelle nous devons penser demain, ce n´est pas l´Europe d´hier. » Dès 2003, le Premier ministre obtient le prix spécial du (nouveau) Press Club de France, humour et politique, pour un an de raffarinades. Cédons à la tentation et donnons la dernière visant Madame Royal, prix de l’humour politique en 2006 : « Ségolène, elle séduit au loin et irrite au près. »

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… »

Jacques CHIRAC (1932- 2019), Sommet mondial de Johannesburg, Afrique du Sud, 2 septembre 2002

Plus de 100 chefs d’État (et quelque 60 000 participants) font le bilan du Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992, et du Protocole de Kyoto (Japon) en 1997, les États signataires s’engageant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, dioxyde de carbone en tête (le fameux CO2).
Centré sur le développement durable, le Sommet adopte un plan d’action écologiquement et généreusement ambitieux : lutte contre la paupérisation, contrôle de la globalisation, gestion des ressources naturelles, respect des droits de l’homme, etc.

Le discours du président français est (bien) écrit par Jean-Paul Deléage, physicien, géopoliticien, maître de conférences universitaire, militant et historien de l’écologie. Une petite phrase reste en mémoire, une punchline qui fait image : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »

Mais la suite vaut citation : « La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables…. Au regard de l’histoire de la vie sur Terre, celle de l’humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l’homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L’Homme, pointe avancée de l’évolution, peut-il devenir l’ennemi de la Vie ? Et c’est le risque qu’aujourd’hui nous courons par égoïsme ou par aveuglement. Il est apparu en Afrique voici plusieurs millions d’années. Fragile et désarmé, il a su, par son intelligence et ses capacités, essaimer sur la planète entière et lui imposer sa loi. Le moment est venu pour l’humanité, dans la diversité de ses cultures et de ses civilisations, dont chacune a droit d’être respectée, le moment est venu de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d’harmonie, et donc d’apprendre à maîtriser la puissance et les appétits de l’homme. »

Tout cela très bien dit par un président convaincu qui lancera un nouvel Appel similaire, le 3 février 2007, pour clore la Conférence de Paris : « Nous nous engageons à mettre la préoccupation de l’environnement au centre de nos décisions, et à prendre les mesures qui s’imposent pour conjurer des périls qui menacent la survie même de l’Humanité, en particulier celui du changement climatique. Il est temps d’admettre que nous sommes parvenus au seuil de l’irréversible, et que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre… »

Et après ? La Fondation Jacques Chirac, créée en 2008, s’insère dans la ligne de cet Appel. Chirac est mort (avec une bonne cote de popularité) et l’écologie politique reste un chantier toujours populaire et à suivre.

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »3380

Patrick LE LAY (1942-2020), PDG de TF1, juillet 2004. Philosophie et modernité (2009), Alain Finkielkraut

Déclaration plus que malheureuse, alors qu’il est interviewé pour son livre Les Dirigeants face au changement. Il énonce quelques professions de foi qui vont choquer l’opinion : « Soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit… » Aux antipodes du « mieux-disant culturel », on se retrouve dans la logique d’une téléréalité chère à TF1 comme à M6.

Le problème, c’est la concurrence entre les chaînes privées et publiques, toutes plus ou moins tributaires de leur budget publicitaire, ce qui brouille la différence. Rappelons que la télévision, sous le signe de Malraux et de ses successeurs au ministère de la Culture, avait pour mission de divertir, d’instruire et d’informer.

« Un Premier ministre, on le lèche, on le lâche, on le lynche ! »3383

Alain JUPPÉ (né en 1945). La Malédiction Matignon (2006), Bruno Dive, Françoise Fressoz

Il a vécu un court état de grâce, devenu Premier ministre (1995-1997) et maire de Bordeaux. Reconnu par Chirac comme « le meilleur d’entre les hommes de droite », il se rend vite impopulaire par le projet de réforme des retraites, le gel des salaires des fonctionnaires, la déroute des Juppettes (huit femmes débarquées du gouvernement après quelques mois d’exercice) et cette raideur de l’homme qui se dit lui-même « droit dans ses bottes. » Mais le pire est à venir.

En 1998, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêt » – pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. 30 janvier 2004, le tribunal correctionnel de Nanterre le condamne lourdement : dix-huit mois de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et dix ans d’inéligibilité ! L’appel interjeté suspend l’application de la peine jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel. Le 1er décembre 2004, condamnation réduite à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Juppé vit une traversée du désert qui passe par le Canada… et se termine à la mairie de Bordeaux.

Nombre de commentateurs estiment qu’il paya pour Chirac, reconnu comme responsable moralement.

« Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un croc de boucher. »3398

Nicolas SARKOZY (né en 1955), ministre de l’Intérieur, citation authentifiée après coup par « le salopard » visé, Dominique de Villepin. La Tragédie du Président (2006), Franz-Olivier Giesbert

Dans la série « duels fratricides », voici la séquence Villepin-Sarkozy et l’affaire Clearstream, obscure histoire de corbeaux et de manipulations, feuilleton financier, politique et judiciaire qui commence en 2004 et trouve son épilogue juridique en 2010.

Un petit groupe de politiciens et d’industriels tente de manipuler la justice pour évincer des concurrents, en les impliquant dans le scandale des frégates de Taïwan. Ils auraient touché des commissions sur la vente de ces navires de guerre et l’argent se trouverait sur des comptes occultes. Parmi les dizaines de noms cités, on trouve Sarkozy, alors ministre de l’Économie, mais aussi Chevènement, Strauss-Kahn, Madelin.

La presse dévoile l’existence d’un rapport de la DST sur l’affaire et ces listings falsifiés. Sarkozy accuse Villepin de dissimuler à la justice les conclusions de l’enquête qui l’innocenterait et se constitue partie civile. Villepin sera mis en examen le 27 juillet 2007, pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance, complicité d’usage de faux ». Après nombre de rebondissements médiatisés à plaisir, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement, le 28 janvier 2010 : Dominique de Villepin est relaxé. Jean-Louis Gergorin, le « cerveau » de l’affaire, est condamné à quinze mois de prison ferme et Imad Lahoud, auteur des lettres anonymes, à dix-huit mois.

« La France, tu l’aimes ou tu la quittes. »3395

Nicolas SARKOZY (né en 1955), avril 2006. La Fracture identitaire (2007), Ivan Rioufol

Il s’est défendu d’être l’auteur de cette punchline qui fait la fortune des rappeurs ! C’est quand même le résumé d’un message tout aussi clair, au cours d’un meeting « Imaginons la France d’après » (slogan de l’UMP, signé Frank Tapiro, conseiller médiatique de sa campagne) : « On en a plus qu’assez de devoir en permanence s’excuser d’être Français […] S’il y en a que ça gêne d’être en France […] qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas. »

Notons la similitude sémantique avec les propos de Georges Marchais, dans les années 1980. Ce franc-parler « popu » amusait chez le Premier secrétaire du PC, ouvrier et fils d’ouvrier, recevant dans son pavillon de banlieue à Champigny et se faisant photographier devant sa 2 CV. C’est plus déroutant chez un homme de droite, né à Neuilly-sur-Seine, avocat d’affaires, notoirement fasciné par l’argent et les riches. Au-delà de la forme, c’est surtout le fond qui peut choquer. Les socialistes ne se privent pas de relever ses propos.

« Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser. »3394

Nicolas SARKOZY (né en 1955), ministre de l’Intérieur, 25 octobre 2005, en déplacement officiel à Argenteuil, reportage sur France 2, le 26 octobre

C’est une habitante d’une tour HLM qui l’interpelle du haut de son balcon : « Quand nous débarrasserez-vous de cette racaille ? » Le ministre lui répond. Et il reprend, en insistant : « Le mot racaille était peut-être un peu faible. »

Les médias s’empressent de relever ces provocations verbales du ministre de l’Intérieur, qui s’empresse à son tour de les répéter : « Ce sont des voyous, des racailles, je persiste et je signe », déclare-t-il le 10 novembre sur France 2, lors d’une émission spéciale « À vous de juger », consacrée à la crise des banlieues. Et le ministre de l’Intérieur promet d’en débarrasser le pays, au nom des « braves gens qui veulent avoir la paix ».

« Désormais, quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit. »3434

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au siège de l’UMP, 6 juillet 2008

Il va présider le Conseil européen et représenter l’Union pendant six mois, l’Europe est donc au programme. Mais pour mobiliser un parti de droite et chauffer une salle militante, s’en prendre aux syndicats et aux socialistes est plus payant. Il conclut alors sur ce qu’il va pouvoir dire à nos partenaires européens, que « la France change beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément qu’on ne le croit », la preuve en est que, « désormais… »

Tonnerre d’applaudissements dans la salle, la punchline fait mouche, la formule devient aussitôt une « phrase culte », elle « fait le buzz » sur les réseaux sociaux qui organisent des votes : provocation ou vérité ? Les deux ! Les avis sont partagés, comme toujours face à cet hyperprésident omniprésent, mais la presse (majoritairement à gauche) invite le chef de l’État à se ressaisir, et les syndicats sont vent debout…

Le service minimum instauré en 2008 dans les services publics (enseignement, transports) évite le blocage ou la gêne des usagers trop souvent « pris en otage ». Le quinquennat, placé sous le signe de la crise économique, se verra épargner les grandes grèves des régimes précédents, mais à la moindre manifestation sociale, la petite phrase reviendra comme un boomerang au président. C’est de bonne guerre.

« Travailler plus pour gagner plus, c’est mon programme. »3404

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Rungis, 1er février 2007

La « valeur travail » avait une connotation marxiste, le candidat de la droite lui redonne un autre sens, économique, politique et idéologique. Rungis est un lieu symbolique : ce marché international remplace les anciennes halles de Paris, les travailleurs se lèvent tôt et travaillent dur.

Le « travailler plus pour gagner plus » est l’un des points forts de sa campagne, décliné en plusieurs versions : « Je veux être le président du pouvoir d’achat », « La crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail », « Il faut tout faire pour que le travail rapporte davantage que l’assistance », « Je veux permettre à ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus de pouvoir le faire », « On ne dira jamais assez le mal que les 35 heures ont fait à notre pays. Comment peut-on avoir cette idée folle de croire que c’est en travaillant moins que l’on va produire plus de richesses et créer des emplois ? »

Le « travailler plus pour gagner plus » se heurtera bientôt à la crise mondiale qui affole les statistiques du chômage durant tout le quinquennat. Ce n’est pas une raison pour nier l’intérêt de ces arguments.

« La croissance, j’irai la chercher avec les dents. »3415

Nicolas SARKOZY (né en 1955), en campagne présidentielle, mars 2007. Le Spectacle du monde, nos 536 à 540 (2007)

Expression carnassière du candidat, plusieurs fois répétée avec de menues variantes et inspirée par Chirac, son père en politique : « Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents. » Sarkozy persiste après son élection, devant les patrons : « J’irai chercher la croissance avec les dents, je serai le président du pouvoir d’achat ! », déclaration du 30 août 2007 à l’Université du MEDEF.

La crise mondiale en décidera autrement. L’échec n’est donc pas imputable au président.

« Si à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie. »3436

Jacques SÉGUÉLA (né en 1934), émission « Les 4 vérités », France 2, 13 février 2009

Vraie gaffe de com, impardonnable chez un homme de pub. Et c’était pour « défendre » Sarkozy, qualifié de bling-bling ! « Comment peut-on reprocher à un président d’avoir une Rolex ? Tout le monde a une Rolex. Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ! »

Séguéla tentera de se rattraper quelques jours plus tard. Il a plus de 50 ans et il n’a même pas de montre ! Pour finir, il avoue : « J’ai dit une immense connerie. »

Quant à Sarkozy, la Rolex n’est pas seule en cause, ni les Ray Ban, ni la soirée au Fouquet’s, ni le yacht de Boloré… C’est l’accumulation de ces signes extérieurs qui accrédite la version du président des riches. Le bouclier fiscal, disposition qui plafonne l’imposition globale du contribuable, profite surtout aux très privilégiés. La proximité du pouvoir avec les principales fortunes du pays semble érigée en système de gouvernement. Une oligarchie domine l’ensemble des secteurs, de l’industrie aux médias, en passant par les arts et les lettres. Tout cela est assumé sans complexe. Bayrou en fait beaucoup lui aussi, mais dans le sens contraire.

« Moi et mes amis, on n’est pas la jet-society, on est la tractor-society. »3411

François BAYROU (né en 1951), Le Point, 8 mars 2007

C’est de bonne guerre médiatique et le Béarnais a une belle cote de popularité auprès des Français. On ne vote pas pour le candidat le plus « sympa », mais il va réussir sa campagne et placer quelques idées qui ne sont ni de gauche, ni de droite, juste de bon sens, de facture bien française et républicaine.

« Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la Révolution citoyenne. »3442

Jean-Luc MÉLENCHON (né en 1951), titre et sous-titre de son essai (Flammarion, 2010)

Avec un sens inné de la punchline (joint à une solide culture historique), le nouveau tribun de la gauche fourbit ses arguments pour la prochaine présidentielle. Il sait que l’écrit deviendra parole, c’est clair à la lecture : « La consigne, « Qu’ils s’en aillent tous », ne visera pas seulement ce président, roi des accointances, et ses ministres, ce conseil d’administration gouvernemental de la clique du Fouquet’s ! Elle concernera toute l’oligarchie bénéficiaire du gâchis actuel. « Qu’ils s’en aillent tous ! » : les patrons hors de prix, les sorciers du fric qui transforment tout ce qui est humain en marchandise, les émigrés fiscaux, les financiers dont les exigences cancérisent les entreprises. Qu’ils s’en aillent aussi, les griots du prétendu « déclin de la France » avec leurs sales refrains qui injectent le poison de la résignation. Et pendant que j’y suis, « Qu’ils s’en aillent tous » aussi ces antihéros du sport, gorgés d’argent, planqués du fisc, blindés d’ingratitude. Du balai ! Ouste ! De l’air ! »

En 2008, Mélenchon, ex-trotskiste, a quitté le PS pour fonder le PG, Parti de Gauche. Le 21 janvier 2011, il proposera sa candidature à l’élection présidentielle de 2012.

Dans ce livre et dans les discours à venir, on voit clairement la haine des riches, sans doute plus morale ou légitime, mais aussi violente et dangereuse que la haine des noirs, des juifs, des émigrés, des étrangers, tout ce qu’il reproche au Front national, son ennemi numéro un. Il va se référer à Robespierre et Saint-Just, symboles de la Terreur révolutionnaire, et ce sont toujours des liaisons dangereuses, voire vertigineuses.

« Indignez-vous ! »3443

Stéphane HESSEL (1917-2013), titre de son essai (Indigène éditions, 2010)

Parole d’un jeune homme en colère de 92 ans. « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse », écrivait André Gide (Nouveaux Prétextes).

Ce livre de 32 pages, publié par un petit éditeur de Montpellier, vendu 3 euros, sans promotion médiatique, tourne au phénomène d’édition : 950 000 exemplaires en 10 semaines. Traduit en 34 langues, le livre se vendra à 4 millions d’exemplaires.
L’auteur, né en Allemagne d’un père juif, naturalisé français en 1937, résistant face au nazisme et déporté à Buchenwald, participe à la rédaction, en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Diplomate de métier, européen de gauche, il est proche de Mendès France et Michel Rocard.

Le militant reprend les idées du CNR (Conseil national de la Résistance) : engagement politique de la société civile, primauté de l’intérêt général sur l’intérêt financier, solidarité entre les générations. Il les confronte aux sujets d’indignation actuels : existence des sans-papiers, planète maltraitée, écart des richesses dans le monde.

Sorti le jour où la réforme des retraites est votée, le livre coïncide avec une vague de fond nourrie du mécontentement et du malaise des Français. Edgar Morin diagnostique le « réveil public d’un peuple jusqu’à présent très passif », avec un engagement des citoyens hors des partis politiques. Le mouvement des Indignés, soutenu par les réseaux sociaux sur Internet et associé au Printemps arabe, va essaimer dans le monde et manifester un peu partout en 2011 (comme en Mai 68) : plus de 70 pays, Espagne en tête avec ses Indignados contre la crise (et le campement du village alternatif sur la Puerta del Sol), Portugal, Italie, Grèce, Israël, jusqu’aux États-Unis (près de Wall Street, temple du capitalisme). La France ne suit pas vraiment. Est-ce la répression policière qui en dissuade, notre protection sociale qui amortit les effets de la crise, ou la perspective des prochaines élections qui mobilise déjà l’opinion ?

« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. »2970

André MALRAUX (1901-1976), La Légende du siècle (1972)

Malraux tenait au mot « spirituel » – et non pas « religieux », voire « mystique », deux qualificatifs trahissant à l’évidence sa pensée, certes complexe. Tadao Takemoto fait précisément allusion à cette idée, dans son essai : André Malraux et la Cascade de Nashi (1989). Si cette phrase ne figure dans aucune de ses œuvres publiées, il l’a sans doute prononcée, dans la série télévisée La Légende du siècle (signée Claude Santelli et Françoise Verny).

Reste à savoir de quelle spiritualité il s’agira. Entre le retour du religieux, la vogue des sectes, l’attrait pour la philosophie, la quête de sens et d’éternité, l’aspiration à un ailleurs ou autrement, toutes les voies, individuelles ou collectives, sont possibles comme antidote au matérialisme sous toutes ses formes.

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