Les punchlines (de la Gaule à la Révolution française) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Parole, c’est historique !

Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).

En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)

Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.

On peut finalement traduire par « mot choc ».

Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !

En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.

Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.

Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.

Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous  la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.

Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous  de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.

Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?

Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.

L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.

Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.

L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.

En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.

Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.

I. De la Gaule à la Révolution française.

GAULE (VIe siècle av. J.-C. - 481 apr. J.-C.)

« Malheur aux vaincus. »15

BRENNUS (IVe s. av. J.-C.), aux Romains, 390 av. J.-C. Histoire romaine, Tite-Live (historien romain né en 59 av. J.-C.)

Brennus est le chef des hordes gauloises qui déferlent sur l’Italie du Nord : conquise vers 390, elle devient la Gaule cisalpine. Rome est prise, pillée, incendiée. Catastrophe nationale et stupeur de toute l’Antiquité : pour la première et dernière fois (avant sa chute finale, mille ans après), la capitale de l’Empire romain tombe sous les coups d’une armée étrangère !

Brennus, vainqueur, jette son épée dans la balance où se pesait la rançon de la ville, pour augmenter le poids d’or réclamé comme prix de son départ. Aux protestations des Romains, il répond : « Vae Victis ». L’expression, devenue proverbe, signifie que les vaincus n’ont droit à aucune justice de la part des vainqueurs.

« Nous ne craignons rien, sinon que le ciel ne tombe sur nos têtes. »16

Un guerrier gaulois à Alexandre le Grand, 335 av. J.-C. Géographie, livre VII, Strabon (géographe grec né en 58 av. J.-C.)

Les Gaulois, tribus nomades, ont traversé l’Europe et poursuivi leur expansion jusqu’aux rives du Danube. Alexandre, roi de Macédoine, convie à sa table ces guerriers. Âgé de 20 ans, déjà conquérant dans l’âme et prêt à devenir le héros mythique de l’Antiquité, Alexandre demande durant le repas aux Gaulois ce qu’ils craignent le plus, s’attendant naturellement à ce qu’ils répondent que c’est lui. Eh bien, non ! Ces Gaulois ne craignent véritablement rien, ni personne. D’où cette insolente réplique passée à la postérité… et jusque dans les BD.

MOYEN AGE (481-1483)

« Souviens-toi du vase de Soissons. »72

CLOVIS (vers 465-511), vers 486. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Futur roi des Francs et baptisé en tant tel, le très païen guerrier n’a pas pardonné l’affront qui lui fut infligé après la bataille de Soissons, quand il passe ses troupes en revue et reconnaît l’insolent. Lui reprochant la mauvaise tenue de ses armes, il jette à terre sa francisque. Le soldat se baissant pour la ramasser, Clovis lui brise le crâne d’un coup de hache, en prononçant ces paroles.

Selon une autre version de cette « légende » qui appartient à notre « roman national », il lui aurait crié : « Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. » Le résultat est le même.

« Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! »191

Arnaud AMAURY (1135-1225), avant le sac de Béziers, 22 juillet 1209. Dialogi miraculorum (posthume), Césaire d’Heisterbach, savant et religieux allemand du XIIIe siècle

Digne des plus sanglantes guerres de Religion, l’ordre est attribué à cet abbé de Cîteaux, par ailleurs légat du pape chargé de ramener à la foi catholique les dévoyés, autrement dit les cathares.

Chef spirituel de la croisade contre les Albigeois, et même s’il n’a pas lui-même donné l’ordre, Amaury écrit dans une lettre à Innocent III : « Sans égard pour le sexe et pour l’âge, vingt mille de ces gens furent passés au fil de l’épée. » Catholiques et cathares confondus, et Dieu reconnaîtra les siens !

« Qui m’aime me suive ! »279

Philippe VI de VALOIS (1294-1350), avant la bataille du mont Cassel, 23 août 1328. Les Proverbes : histoire anecdotique et morale des proverbes et dictons français (1860), Joséphine Amory de Langerack

Premier Valois élu par les barons, il doit asseoir son autorité par son courage au combat. Devenu régent à la mort de Charles IV, Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, s’est fait couronner roi le 29 mai 1328, la veuve de Charles IV ayant mis au monde une fille posthume, écartée du trône par la loi salique.

Le roi veut aider le comte de Flandre qui fait appel à lui pour mater la révolte des Flamands sur ses terres. Il prend conseil auprès des barons qui l’ont élu le 29 mai dernier, mais qui protestent, trouvant la saison trop avancée dans l’été pour partir en campagne. Le connétable de France, Gautier de Châtillon, n’est pas de cet avis et le dit bien haut : « Qui a bon cœur trouve toujours bon temps pour la bataille. »

À ces mots, le roi embrasse son connétable (chef des armées) et lance cet appel : « Qui m’aime me suive ! » Et tous les barons le suivent. L’autorité de ce premier Valois encore contesté s’en trouve renforcée.

« Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera. »293

Chevalier Geoffroy de BOVES, ou du BOIS (XIVe siècle), à Jean de Beaumanoir, blessé au combat, mars 1351. Ballade de la bataille des Trente, chanson de geste, anonyme, Histoire de la littérature française (1905), Émile Faguet

Épisode bien connu de la guerre de Succession de Bretagne, qui relance les hostilités franco-anglaises. Le « combat des Trente » oppose 30 Français, commandés par le baron de Beaumanoir, et une troupe composée de 30 Anglais, Allemands et Bretons, commandée par Bemborough, capitaine anglais. Froissart relate ce fait d’armes « moult merveilleux » - c’est surtout un carnage qui va durer tout un jour.

Quand Beaumanoir, suant sang et eau, s’arrête pour demander à boire, l’adversaire lui fait cette réponse cinglante : telle est sa colère que la soif lui passe et la force lui revient. La victoire revient aux Français (six morts, contre neuf Anglais) et la Bretagne à la France. Après la prise de Calais et le désastre de Crécy, c’est une revanche sur l’ennemi de cent ans.

« À cœur vaillant, rien d’impossible. »360

Jacques CŒUR (vers 1395-1456), devise. Le Grand Cœur (2012), Jean-Christophe Rufin

Ce mot devenu proverbe illustre l’esprit d’entreprise de cet homme d’affaires aux multiples activités (banque, change, mines, métaux précieux, épices, sel, blé, draps, laine, pelleterie, orfèvrerie), banquier de Charles VII qui finança comme tel la reconquête de la Normandie en 1449.
Maître des monnaies en 1436, argentier du roi en 1440, puis conseiller en 1442, chargé de missions diplomatiques à Rome, Gênes, il aide aussi le roi à rétablir une monnaie saine et à redonner vie au commerce français.

Soupçonné de malversations et crimes vrais ou supposés (empoisonnement d’Agnès Sorel, maîtresse du roi, morte en 1450), arrêté en 1451, il est condamné par une commission extraordinaire le 29 mai 1453 : confiscation de ses biens et amende de 400 000 écus. En 1454, il s’évade de prison, se fait innocenter par le Pape Calixte III qui lui confie le commandement d’une flotte pour guerroyer contre les Turcs. Il meurt en croisade à Chio, en 1456.

Son éphémère fortune symbolise la génération des nouveaux riches, issue de la guerre de Cent Ans. Mais cette vie en forme de roman d’aventures, qui a frappé ses contemporains, fait de lui un personnage de la proche Renaissance.

« Je suis France. »365

LOUIS XI (1423-1483). L’Âme de la France : une histoire de la nation, des origines à nos jours (2007), Max Gallo

1461. À 38 ans, Louis XI est enfin roi et la France existe bel et bien, après la guerre de Cent Ans contre les Anglais. Le roi la représente et l’incarne, face aux grands féodaux qui vont se dresser contre lui : trois coalitions de ces grands vassaux, en réaction contre l’affermissement du pouvoir royal.
Le général de Gaulle fera quasiment la même déclaration, pour exprimer qu’il défend l’intérêt général et n’est d’aucun clan, ni parti.

« Qui s’y frotte, s’y pique. »277

LOUIS XI (1423-1483), devise. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Louis XII prendra la même devise, associée au porc-épic. De sorte qu’il y a parfois confusion, dans certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.

Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer, à l’image du chardon – ou du fagot d’épines. Il passe pour égoïste et parcimonieux, voire avare, indifférent à ses deux femmes, Marguerite d’Écosse, qui se ronge de chagrin et Charlotte de Savoie qui ne fut guère plus heureuse.

Il est détesté des grands féodaux avec qui il a d’ailleurs comploté contre son père, du temps où il était dauphin et si impatient de régner. Ils ne cessèrent de comploter contre lui et il les combattit sans relâche pour le bien de la Couronne. Accomplissant ainsi son devoir de prince et quels que soient les moyens utilisés, Louis XI est en cela un grand roi pour la France.

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »369

CHARLES le Téméraire (1433-1477). L’Histoire du monde, volume III (1963), Jean Duché

Cet aphorisme devenu proverbe convient au personnage et à son parcours guerrier.

Fils de Philippe III de Bourgogne et membre de la dynastie des Valois, il lui succède à la tête de l’État bourguignon (1467) et s’engage dans la première grande coalition contre Louis XI - la Ligue du Bien public.

Le nouveau duc de Bourgogne n’a qu’un but : unir ses différents territoires en un seul royaume, des Pays-Bas à la vallée de la Saône et du Rhin à la mer du Nord. Il va fatalement s’opposer à Louis XI qui ne peut accepter un si grand État voisin de la France ! Il se heurte aussi aux princes allemands et à l’empereur qui s’allie avec Louis XI pour contrecarrer les ambitions démesurées du bien nommé « Téméraire ». Sa défaite et sa mort au combat devant Nancy mènent au démembrement de ses États. Louis XI y gagne le duché de Bourgogne, la Picardie et Boulogne.

« Car tel est notre plaisir. »378

LOUIS XI (1423-1483), édit du 31 octobre 1472, forme des placets royaux. Histoire des institutions politiques et administratives de la France (1966), Paul Viollet

Vers 1470, le pouvoir royal ne cesse de s’affermir, pesant de plus en plus lourd sur le clergé, l’Université, l’économie, la justice. Comme l’écrit Georges Duby dans son Histoire de la France : « Tout dépendait du Conseil du roi : diverse, tempérée par ses propres agents, la monarchie tendait vers la centralisation ; elle devint autoritaire sous Louis XI, absolue sous ses successeurs. »

Charles VIII, François Ier, Louis XIV reprendront la formule. À la fin du règne de Louis XVI, l’expression deviendra « Car tel est notre bon plaisir », adoptée par Napoléon et maintenue jusqu’à la Restauration comprise.

Le mot « plaisir » a souvent été mal compris. Il ne renvoie pas à une forme d’arbitraire royal, ni de caprice du souverain. Il exprime la volonté, la détermination d’un homme d’État.

RENAISSANCE ET GUERRES DE RELIGION (1483-1589)

« France, mère des arts, des armes et des lois ! »390

Joachim du BELLAY (1522-1560), Les Regrets (1558)

Poète inspiré par l’amour du pays, il renonce à la carrière militaire pour les vers. La trilogie « des arts, des armes et des lois » résume fort bien l’histoire de cette époque si riche, si contrastée : « Le dialogue tour à tour sanglant et serein qu’on appela Renaissance » (Malraux, Les Voix du silence).

« L’aimable mot de Renaissance ne rappelle aux amis du beau que l’avènement d’un art nouveau et le libre essor de la fantaisie ; pour l’érudit, c’est la rénovation des études de l’Antiquité ; pour les légistes, le jour qui commence à luire sur le discordant chaos de nos vieilles coutumes » (Michelet, Histoire de France).

« Souvent femme varie
Bien fol est qui s’y fie. »446

FRANÇOIS Ier (1494-1547). Vie des Dames galantes, extraites des Mémoires de Brantôme

Brantôme, abbé laïc et chroniqueur du XVIe siècle, nous donne à voir le roi chevalier écrivant ces mots, sur le côté d’une fenêtre au château de Chambord.

Le jeune et beau François délaisse son épouse Claude de France, boiteuse et laide, mais très populaire, lui faisant quand même deux fils, dont le futur Henri II. Et il va multiplier les aventures. Michelet donne ce portrait du roi dans son Histoire de France : « Les femmes, la guerre – la guerre pour plaire aux femmes. Il procède d’elles entièrement. Les femmes le firent tout ce qu’il fut, et le défirent aussi. » Pour preuve, rappelons l’importance de sa mère Louise de Savoie, de sa sœur Marguerite d’Angoulême et de favorites influentes comme la duchesse d’Étampes et les multiples maîtresses qui, à la fin de sa vie, lui donnèrent la vérole – l’« abcès » dont il mourra.

« La maison est à l’envers lorsque la poule chante aussi haut que le coq. »408

Noël du FAIL (vers 1520-1591), Contes et Discours d’Eutrapel

Ce dicton du XVIe siècle inspirera Molière dans Les Femmes savantes : « La poule ne doit point chanter devant le coq. » Et selon Montaigne : « La plus utile et honorable science et occupation à une femme, c’est la science du ménage. »

Les femmes tiennent cependant une place importante dans la vie politique de ce temps : mères ou sœurs de rois – Anne de Beaujeu, Louise de Savoie, Catherine de Médicis – qui deviennent régentes quand leurs fils ou leurs frères partent à la guerre ou sont trop jeunes pour gouverner ; maîtresses ou sœurs royales – Diane de Poitiers, Marguerite d’Angoulême – qui jouent volontiers les reines et les mécènes. Jeanne d’Albret, Marie Stuart, Marguerite de France seront aussi des personnages de femme très différents, mais remarquables.

« On commence par brûler les livres, on finit par les personnes. »409

ÉRASME (1469-1536), en 1521. Les Origines de la Réforme (1914), Pierre Imbart de La Tour

La très catholique Sorbonne de Paris (collège pour étudiants en théologie) dénonce au Parlement les progrès de la doctrine de Martin Luther (protestant, réformateur de l’Église) et obtient un arrêt en vertu de quoi les livres la répandant seront brûlés.

Érasme, théologien et grand humaniste hollandais, ne se trompe pas : dès 1523, Jean Vallière, moine augustin de Falaise (Normandie), est brûlé vif à Paris comme luthérien. En 1529, c’est le tour de Berquim, gentilhomme ami d’Érasme. Les persécutions contre les protestants vont alterner pendant plus de trente ans avec des périodes de tolérance, jusqu’aux massacres à répétition qui auront pour nom guerres de Religion (1562-1598).

Au XIXe siècle, dans un contexte différent, l’écrivain allemand Heinrich Heine reprendra le mot d’Érasme : « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. »

« L’argent est le nerf de la guerre. »512

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur d’Espagne, août 1570. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

La « petite phrase » de Rabelais dans Gargantua (selon qui « les nerfs des batailles sont les pécunes ») va faire fortune dans l’histoire. Au XVIe siècle, tous les souverains d’Europe ont d’énormes besoins d’argent pour leurs guerres qu’il faut sans cesse faire ou préparer - record historique de 85 années de guerre en ce siècle. Elles coûtent de plus en plus cher, avec le développement des armes à feu, l’entretien d’armées permanentes, des effectifs croissants – le temps n’est plus des « grandes batailles » du Moyen Âge qui se livraient entre quelques milliers d’hommes (Crécy, Azincourt). Mais l’on n’atteint pas encore les 400 000 soldats de Louis XIV, ni les 4 millions de mobilisés de 1914 (pour un pays seulement deux fois plus peuplé).

« Tuez-les, mais tuez-les tous, pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher. »523

CHARLES IX (1550-1574), 23 août 1572. Nouvelle Histoire de France (1922), Albert Malet

L’amiral de Coligny (protestant modéré) échappa au matin du 22 août à un attentat, vraisemblablement organisé par les Guise (ultra catholiques). Le médecin Ambroise Paré assure que ce coup d’arquebuse au bras sera sans conséquence. Le roi se rend au chevet de son conseiller qui le conjure de se « défier de sa mère ».

Rentré au Louvre, il répète pourtant ses propos à Catherine de Médicis, qui se concerte avec les Guise : le massacre des « huguenots » est décidé. Déjà les protestants se répandent dans les rues de Paris, réclamant justice au nom de Coligny. Catherine persuade son fils. Et à contrecœur, il donne son accord : « Tuez-les, tuez-les tous… »

« Saignez, saignez, la saignée est aussi bonne au mois d’août qu’au mois de mai ! »527

Maréchal de TAVANNES (1509-1573), 24 août 1572. Œuvres complètes, volume X (1823), Voltaire

Ancien page de François Ier, gouverneur de Bourgogne où il se distingua par son fanatisme contre les réformés, toujours plus fanatique que catholique, il pousse ses soldats au massacre de la Saint-Barthélemy, appelé la boucherie de Paris. L’ordre royal est suivi à la lettre: « Tuez-les tous ! » Le livre de comptes de l’Hôtel de Ville de Paris inscrit 1 100 sépultures, l’historien contemporain Jacques Auguste de Thou écrit : 30 000 morts. Entre les deux, 4 000 morts est un bilan vraisemblable.

« La messe ou la mort. »530

CHARLES IX (1550-1574), à Condé, le 24 août 1572. Précis de l’histoire de France jusqu’à la Révolution française (1833), Jules Michelet

Henri Ier de Bourbon-Condé a fait alliance avec son cousin Henri de Navarre, devenant l’un des chefs protestants les plus actifs. Il est mené devant le roi qui jure « par la mort Dieu » : il n’hésitera pas à faire tomber sa tête, s’il ne se convertit pas. « Je te donne trois jours pour changer d’avis […] Trois jours, après quoi il faudra choisir : la messe ou la mort. » Henri Ier va abjurer, comme le futur Henri IV et pour la même raison. La vie vaut bien une messe. Mais ce genre de conversion sous la contrainte vaut peu et ne dure pas.

« La messe ou la mort » devient un mot d’ordre : la formule d’un exorcisme collectif dans Paris où chaque Parisien se croit dépositaire de la justice divine, devant chaque huguenot fatalement coupable d’hérésie et traître au roi.

« Mon Dieu qu’il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant. »566

HENRI III (1551-1589), face au corps du duc de Guise, château de Blois, 23 décembre 1588. Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Il a osé : ordre donné aux Quarante-Cinq (sa garde personnelle, immortalisée par le roman de Dumas) d’assassiner Henri le Balafré, ainsi que son frère Louis, cardinal de Lorraine – arrêté, exécuté le lendemain dans sa prison.

NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE : HENRI IV ET LOUIS XIII (1589-1643)

« Plutôt mourir de mille morts ! »612

Exclamation de certains princes catholiques. Histoire de France au seizième siècle, La Ligue et Henri IV (1856), Jules Michelet

À la mort d’Henri III, assassiné le 2 août 1589, il leur faudrait à présent obéir à Henri III de Navarre, protestant, devenu roi de France sous le nom d’Henri IV. L’éventualité est à ce point inacceptable que les ligueurs (de Paris et d’autres villes) ont déjà proclamé roi le cardinal de Bourbon, sous le nom de Charles X. Leur chef militaire Charles de Mayenne, qui a succédé à son frère le Balafré assassiné en 1588 par Henri III, est pour l’heure le principal adversaire du nouveau roi.

Au bout de huit guerres de Religion, la France, par ailleurs épuisée, semble irréductiblement divisée en trois partis : le catholique, le protestant et le « mal content », celui des Politiques, parti du bon sens. C’est lui qui va aider le roi à s’imposer en son royaume, et à reprendre possession de la capitale.

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590. Histoire universelle (posthume), Agrippa d’Aubigné

Le panache blanc entre dans la légende et la commune de l’Eure (près de Chartres) prend le nom d’Ivry-la-Bataille.

Les soldats semblent hésiter : les troupes de la Ligue, commandées par le duc de Mayenne, sont trois fois supérieures en hommes et en armes. Le roi va trouver les gestes et les mots qu’il faut. Il plante un panache de plumes blanches sur son casque et harangue ses troupes : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres ! Voici votre roi ! Gardez bien vos rangs. Et si vous perdez enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous en servira, tant que j’aurai goutte de sang. Suivez-le. Si vous le voyez reculer, je vous permets de fuir… » Et le roi charge en tête de ses hommes.

« Bons chiens reviennent toujours à leur maître ! »618

HENRI IV (1553-1610), 19 mars 1590. La Chronique de Mantes (1883), Alphonse Durand, Victor Eugène Grave

Quand la ville de Mantes se rallie à lui, le roi se réjouit en ces termes toujours imagés : « Messieurs de Mantes, je n’avais aucune inquiétude de vous, car bons chiens… »

Dans les Parlements de province et même à Paris, des magistrats de plus en plus nombreux se déclarent pour le roi. Mantes (devenue Mantes-la-Jolie pour éviter la confusion avec Nantes) est un site stratégique : sur la Seine, à moins de 50 km de la capitale. Le roi y installe son quartier général. Il va conquérir peu à peu son royaume et en finir avec cette guerre civile doublée d’une guerre étrangère, notamment avec l’Espagne.

« Qui a la force a souvent la raison, en matière d’État. »685

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

« … Et celui qui est faible peut difficilement s’exempter d’avoir tort au jugement de la plus grande partie du monde. » Le cardinal est un homme du XVIIIe siècle. Pour lui, le pouvoir monarchique vient de Dieu et la puissance du pays n’existe que par ce pouvoir. Il faut donc que le roi sache se faire obéir à l’intérieur et craindre à l’extérieur. En vertu de quoi son « Principal ministre » lutte pour la restauration de l’autorité royale contre les Grands et les protestants, et pour la prépondérance de la France en Europe face aux puissants Habsbourg d’Autriche et d’Espagne.

« Je pense, donc je suis. »722

René DESCARTES (1596-1650), Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie, qui sont des essais de cette méthode (1637)

Événement majeur dépassant le cadre de la littérature pour devenir fait de société. Le titre est à lui seul une citation et tout un programme, voire une déclaration de guerre à l’Ancien Régime ! Restée célèbre, elle va déclencher, avec quelques autres, des polémiques qui finiront par la mise à l’Index des œuvres de Descartes, après sa mort.

Selon ce philosophe absolument novateur, il faut vérifier par le raisonnement toutes les idées ou vérités reçues. C’est cela, l’essentiel de sa méthode. Mais c’est une rupture avec tout ce qui est enseigné dans les universités. Il remet notamment en cause la religion d’État. Le cartésianisme aura des vertus déstabilisantes et des conséquences scientifiques que l’auteur ne soupçonnait pas !

SIECLE DE LOUIS XIV (1643-1715)

« Notre France est ruinée,
Faut de ce Cardinal
Abréger les années,
Il est auteur du mal. »751

La Chasse donnée à Mazarin, chanson populaire anonyme. Bulletin de la Société de l’histoire de France (1835), Renouard éd

Le cardinal Mazarin succédant au cardinal de Richelieu est pareillement détesté, en raison de la crise des subsistances et de la lourdeur des impôts nécessaires pour financer la guerre.

Le peuple taillable et corvéable à merci chante : « Pour payer les subsides / J’ai vendu mon godet / Ma poêle, ma marmite / Jusques à mon soufflet / Moi, pour payer les tailles / J’ai vendu mes moutons / Je couche sur la paille / Je n’ai pas le teston [monnaie royale] / Moi, j’ai chose certaine / Vendu un gros pourceau / Mes chèvres et mes gélines / Pour payer les impôts. »

On dénombre près de 6 500 mazarinades, dont quelques appels au meurtre. L’anonymat est évidemment gage d’impunité.

« Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient. »759

MAZARIN (1602-1661). Dictionnaire de français Larousse, au mot « payer »

Un impôt de plus, des relations supposées avec la reine, une impopularité grandissante, tout est occasion de mazarinade (pamphlet), mais Mazarin se moque de ces chansons et de ceux qui les chantent. Il bravera toutes les formes d’opposition, gardant et renforçant son pouvoir jusqu’à sa mort.

« Dieu merci, il est crevé. »806

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires (posthume)

C’est le cri du cœur de la famille (son frère et une de ses sœurs) à la nouvelle de la mort du cardinal Mazarin, leur oncle. La belle et spirituelle mazarinette ajoute : « À vrai dire, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. »

En marge de la petite histoire et malgré le « filoutage » de l’homme, l’Histoire en fait un grand ministre, par ailleurs mécène éclairé.

« L’État, c’est moi. »807

LOUIS XIV (1638-1715). L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet

Mot réputé (à tort) apocryphe et souvent cité, il reflète la réalité et fut prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde).

Le jeune roi vient d’être sacré à Reims (1654), mais Mazarin exerce toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire.

Louis XIV, en costume de chasse, se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655).

Il a 16 ans. Le roi va régner 54 ans sans Premier ministre. Vu son caractère, ce sera une monarchie absolue.

« Garantissez-moi de mes amis, je saurai bien me défendre de mes ennemis. »860

Jean Hérault de GOURVILLE (1625-1703). Considération sur l’esprit et les mœurs (1787), Gabriel Sénac de Meilhan

Proscrit et fugitif, entraîné dans la disgrâce de Fouquet - surintendant déchu, condamné à la prison à vie, au terme d’un procès truqué, il fut pourtant soutenu par ses amis, La Fontaine, Mme de Sévigné, Mlle de Scudéry. Cette fidélité dans l’épreuve plaide en leur faveur, comme en la sienne.

« Si j’étais accusé d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par m’enfuir. »843

Appréciation sur la justice attribuée à divers hauts magistrats à la fin du XVIIe siècle. Dictionnaire de français Larousse, au mot « vol »

La monarchie absolue va de pair avec un certain arbitraire. Les intendants ne peuvent veiller à tout et partout. Le seigneur demeure puissant sur ses terres, tandis que le noble de robe ou le bourgeois récent acquéreur de la seigneurie n’est pas moins âpre ! Les magistrats sont trop peu nombreux (8 648 juges pour 17 millions d’habitants en 1665), parfois complices des nobles et alliés à eux. L’autorité royale n’intervient qu’en cas d’oppression flagrante. « La justice est une si belle chose qu’on ne saurait trop cher l’acheter », écrit Lesage dans Crispin rival de son maître (1707).

« J’ai failli attendre. »848

LOUIS XIV (1638-1715). Dictionnaire de français Larousse, au mot « attendre »

On lui prête ce mot, souvent cité, jamais « sourcé ». La duchesse d’Orléans, dans ses Mémoires, rapporte seulement que le roi ne peut souffrir qu’on le fasse attendre. Ce qui est assez normal pour un homme si occupé, si minuté dans l’emploi de son temps, et roi, de surcroît. Bourreau de travail, robuste de nature, il fait son métier à la cour, au bureau, à la guerre : « C’est par le travail qu’on règne! » dit-il.

« Sommes-nous trente-neuf, on est à nos genoux,
Sommes-nous quarante, on se moque de nous. »910

FONTENELLE (1657-1757), Épigramme sur l’Académie française

Poète et philosophe, élu à l’Académie en 1691. Il ne libérera son fauteuil que soixante-six ans après, mourant centenaire.

SIECLE DES LUMIERES : LOUIS XV ET LOUIS XVI (1715-1789)

« Et ce prince admirable
Passe ses nuits à table
En se noyant de vin
Auprès de sa putain. »1073

Pamphlet (anonyme). Chansonnier historique du XVIIIe siècle (1879), Émile Raunié

L’impopularité du Régent s’exprime par des vers publiés ou chantés, rarement signés – prudence oblige. Aucun des princes qui vont gouverner la France n’échappera désormais à ce genre d’écrits. Louis XV le Bien-Aimé mourra haï du peuple et Marie-Antoinette, dauphine adulée, devenue reine, sera la cible de pamphlets par milliers – ce sont les « basses Lumières ».

Comme le dit Eugène Scribe dans son Discours de réception à l’Académie française (1834) : « En France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. »

« Parbleu ! voilà un foutu royaume bien gouverné, par un ivrogne, par une putain, par un fripon, et par un maquereau ! »1074

Philippe d’ORLÉANS (1674-1723) répondant à un ministre venu lui demander de signer un décret. L’Amour au temps des libertins (2011), Patrick Wald Lasowski

Le Régent (l’ivrogne) soupe et boit avec une de ses maîtresses préférées, Mme de Parabère (la putain), en compagnie de John Law (le fripon), banquier écossais qui fait la politique financière de la France, et de l’abbé Dubois (le maquereau), vénal et libertin, mais supérieurement intelligent, responsable de la politique extérieure sous la Régence – le « maquereau » deviendra bientôt « rouget », autrement dit cardinal.

Philippe est dans un tel état d’ébriété qu’il ne peut même pas signer le décret, il tend la plume à ses trois compères, et finalement s’exécute, étant malgré tout le Régent de ce « foutu royaume ». Que la fête commence ! (1975) : le film de Bertrand Tavernier est une chronique historique fidèle à cette époque.

« Mon nom, je le commence, et vous finissez le vôtre. »1096

VOLTAIRE (1694-1778), au chevalier de Rohan-Chabot, janvier 1726. Histoire de la langue et de la littérature française, des origines à 1900 (1898), Louis Petit de Julleville

Réplique au chevalier affichant son mépris pour un bourgeois « qui n’a même pas un nom ». La scène se passe en public, dans la loge d’Adrienne Lecouvreur à la Comédie-Française.

Quelques jours plus tard, alors qu’il déjeune au château de Sully, des gaillards viennent donner la bastonnade à Voltaire. Ulcéré, l’auteur qui a trente ans passés, une jolie fortune héritée et bien placée, une certaine célébrité, la faveur de nobles protecteurs, exige une réparation par les armes. Une lettre de cachet le renvoie à la Bastille, méditer sur ce qu’il en coûte au roturier de répondre à un gentilhomme !

En mai, autorisé à s’exiler en Angleterre, Voltaire est reçu à bras ouverts par la bonne société politique et littéraire. Trois ans après, il en rapporte ses Lettres Anglaises (ou Lettres philosophiques), source de nouveaux ennuis pour l’insolent.

« Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher. »1106

Marie LECZINSKA (1703-1768), en 1737. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove

Le mot, souvent cité, est sans doute apocryphe – femme très réservée, princesse bien éduquée, elle n’a pu dire cela. Mais elle a dû le penser. En dix ans de mariage, elle donne dix enfants au roi (dont sept filles). La dernière grossesse est difficile, sa santé s’en ressent, elle doit se refuser à son époux sans lui dire la raison, il s’en offusque et s’éloigne d’elle, pour prendre une première maîtresse, suivie de tant d’autres !

La reine perd toute séduction, se couvre de fichus, châles et mantelets pour lutter contre sa frilosité. Toujours amoureuse, elle sera malheureuse, et l’une des reines les plus ouvertement trompées.

« Puisqu’il a repris sa catin, il ne trouvera plus un Pater sur le pavé de Paris. »1120

Les poissardes parlant de Louis XV, novembre 1744. Dictionnaire contenant les anecdotes historiques de l’amour, depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour (1811), Mouchet

Bien-Aimé, certes, mais déjà contesté. Les poissardes (femmes de la Halle) ont tant prié pour la guérison du roi malade ! Mais il vient de reprendre sa maîtresse Mme de Châteauroux, troisième des sœurs de Nesle, présentées au roi par le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal (embastillé à 15 ans pour débauche et remarié pour la troisième fois à 84 ans). La nouvelle fait grand scandale. La cour se tait, mais la rue a désormais son franc-parler.

« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. »1122

Comte d’ANTERROCHES (1710-1785), à Lord Charles Hay, Fontenoy, 11 mai 1745. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire

Guerre de Succession d’Autriche, lors d’un siège mené par les Français près de Tournai. Le commandant de la compagnie de tête des gardes anglaises a lancé : « Messieurs des gardes françaises, tirez. » Le commandant des gardes françaises lui répondit : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers. Tirez vous-mêmes. »

Cette réplique, plus tactique qu’il n’y paraît, est moins l’illustration d’une guerre en dentelle que l’expression d’un impératif militaire : quand une armée a tiré, le temps qu’elle recharge ses armes, l’ennemi peut attaquer avec profit. Voilà pourquoi le maréchal de Saxe dénonçait les « abus de tirerie ».

« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »1024

VOLTAIRE (1694-1778), Épîtres

Déiste fervent, il s’oppose aux encyclopédistes athées (Diderot, d’Holbach). Il croit à « l’éternel géomètre », l’« architecte du monde » : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. » Il trouve par ailleurs une grande utilité à Dieu qui fonde la morale : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serai moins volé. » Mais il s’en prend à la religion qui crée l’intolérance et en France, au catholicisme qui bénéficie de l’appui du pouvoir civil.

« Après nous, le déluge. »1151

Marquise de POMPADOUR (1721-1764), à Louis XV, fin 1757. Dictionnaire des citations françaises et étrangères, Larousse

La marquise tente de réconforter le roi, de nature maladivement mélancolique, de surcroît fort affecté par la défaite de son favori et de son armée à Rossbach, le 5 novembre. « Il ne faut point vous affliger : vous tomberiez malade. Après nous, le déluge. » Mot attribué à la favorite, pour illustrer l’indifférence et l’égoïsme qu’on lui prêtait.

Le mot est aussi attribué au roi, pour les mêmes raisons, mais dans un autre contexte. Il parle du Dauphin et signifie un peu légèrement qu’il se moque bien ce qu’il adviendra de la France, quand lui-même sera mort. Voltaire le cite, pour stigmatiser « cet égoïste de droit divin » qui n’aime rien et que tout ennuie.

Troisième explication : l’astronome Maupertuis avait annoncé pour 1758 le retour de la comète de Halley, censée provoquer un déluge. Et les plus fatalistes de s’exclamer : « Après nous, le déluge. »

« Ni chiens, ni filles, ni laquais, ni soldats. »1161

Écriteau à la porte des jardins et autres lieux publics. Naissance de l’escroquerie moderne du XVIIIe au début du XIXe siècle (2005), Catherine Samet

C’est dire la piètre estime de l’époque pour l’armée : le recrutement est organisé de telle manière qu’on enrôle les plus pauvres, avec tous les « déchets de la société », maraudeurs et vauriens, misérables et autres laissés pour compte. La notion de patrie est dévaluée, la philosophie antimilitariste et l’opinion souvent défaitiste, alors que l’Angleterre soutient l’effort de guerre, ses hommes et leurs chefs.

« Respectons éternellement le vice et ne frappons que la vertu. »1182

Marquis de SADE (1740-1814). L’Histoire de Juliette (1797)

An 1768, Sade fut emprisonné sept mois, ayant enlevé et torturé une passante. En 1763, les deux semaines au donjon de Vincennes pour « débauche outrée » n’étaient qu’un premier avertissement. Le divin marquis passera au total trente années de sa vie en prison.

« Depuis l’âge de quinze ans, ma tête ne s’est embrasée qu’à l’idée de périr victime des passions cruelles du libertinage. » Né de haute noblesse provençale, élève des jésuites, très jeune combattant de la guerre de Sept Ans, marié en 1763, il sera condamné à mort en 1772 pour violences sexuelles. Incarcéré en Savoie, évadé, emprisonné de nouveau à Vincennes, puis à la Bastille, transféré à Charenton quelques jours avant le 14 juillet 1789, libéré le 2 avril 1790 par le décret sur les lettres de cachet, avant de nouvelles incarcérations. Sa famille veille à ce qu’il ne sorte plus de l’hospice de Charenton, où il meurt en 1814.

Son œuvre, interdite, circule sous le manteau tout au long du XIXe siècle. Elle est réhabilitée au XXe, avec les honneurs d’une édition dans la Pléiade. Premier auteur érotique de la littérature moderne, Sade donne au dictionnaire le mot sadisme : « perversion sexuelle par laquelle une personne ne peut atteindre l’orgasme qu’en faisant souffrir (physiquement ou moralement) l’objet de ses désirs » (Le Robert).

« Mon plus grand chagrin est qu’il n’existe réellement pas de Dieu et de me voir privé, par là, du plaisir de l’insulter plus positivement. »989

Marquis de SADE (1740-1814). L’Histoire de Juliette (1797)

Au-delà des philosophes vaguement déistes ou résolument athées, Sade se pose comme le plus irréligieux des grands marginaux du siècle. Jamais la perversion n’a été poussée si loin et deux siècles plus tard, elle demeure exemplaire et scandaleuse. Le « divin marquis » joue à vivre les provocations qu’il conte, d’où sa condamnation à mort pour violences sexuelles. Dans la Philosophie dans le boudoir, il écrit comme pour se justifier : « Je ne m’adresse qu’à des gens capables de m’entendre, et ceux-là me liront sans danger. »

« J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé. »1036

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)

Cette petite phrase fait réagir Voltaire : « J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »

De fait, c’est une provocation lancée à ce siècle épris de raison et à tous ses confrères qui font métier de penser. Mais le Discours sur l’inégalité est un brûlot dangereux à bien d’autres égards, pour la société.

« Un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. »1215

BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Barbier de Séville (1775)

Sa vie fut un roman, celle d’un aventurier, libertin, parvenu, trafiquant d’armes, très représentatif de cette période de fermentation sociale qui précède la Révolution. Fils d’un horloger, professeur de harpe des filles de Louis XV, puis juge des délits de braconnage sur les terres royales, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est introduit dans le monde de la finance. Un procès l’oppose à un Grand (le comte de La Blache) et lui vaut une notoriété subite, en lui offrant l’occasion de dénoncer publiquement la vénalité d’un de ses juges.

Cette version du Barbier remporte un succès immédiat : premier acte théâtral véritablement prérévolutionnaire, en attendant la suite, Le Mariage… En 1777, Beaumarchais invente la « grève de la plume », mobilise ses confrères et crée la première société d’auteurs au monde, pour la défense des intérêts d’une corporation jusqu’alors exploitée par les Comédiens-Français. C’est dire comme ce personnage combattant agit et innove sur tous les terrains.

« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. »1217

Mot attribué (sans doute à tort) à MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), et incontestablement emprunté à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778). La Grande Peur de 1789 (1932), Georges Lefebvre

Le mot se trouve dans les Confessions (rédigées de 1765 à 1770, édition posthume). Il conclut plaisamment une anecdote vraie ou fausse, mais il reflète une réalité sociologique : l’ignorance (ou l’insouciance) des privilégiés face à la misère du peuple.

Le temps n’est plus aux famines, mais les disettes sont périodiques en cas de mauvaise récolte, surtout aux périodes de soudure. En mai 1775 à Paris, la hausse du prix du pain, denrée vitale, entraîne une vague d’émeutes. C’est la « guerre des Farines », prémices de la Révolution. C’est aussi une révolte contre la libéralisation du commerce des grains, par édit de Turgot (13 septembre 1774). La concurrence devait faire baisser les prix, en vertu du « Laissez faire, laissez passer » cher aux physiocrates. C’est compter sans la spéculation.

« Le peuple ressemble à des bœufs, à qui il faut un aiguillon, un joug, et du foin. »1028

VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance, 17 avril 1765

Courtisé en tout temps par les démagogues, en attendant d’être divinisé par la Révolution, le peuple est souvent assimilé à la populace et ouvertement méprisé par le mondain Voltaire. De tous les philosophes, il n’est pas le plus aristocratique - comparé à Montesquieu, authentique seigneur féodal de la Brède. Mais c’est assurément le moins « peuple », s’opposant en cela aussi à Rousseau.

Dans la même veine et la même source, lettre du 19 mars 1766 : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit ; il n’est pas digne de l’être. »

« Pour tout homme, le premier pays est sa patrie et le second c’est la France. »1232

Thomas JEFFERSON (1743-1826). Le Peuple (1846), Jules Michelet

Il deviendra en 1801 le troisième président des États-Unis, après Georges Washington et John Adams. Auparavant, il a été ambassadeur des États-Unis à Paris (de 1785 à 1789). Francophile et francophone, philosophe imprégné des Lumières, humaniste, c’est aussi un savant. Il exprime ici l’opinion générale : la France est très populaire outre-Atlantique, depuis 1777 et l’arrivée des volontaires, La Fayette en tête, devenu le « Héros des Deux Mondes ».

Vergennes (qui a longtemps hésité) va déclarer la guerre à l’Angleterre en 1780, entraîner l’Espagne à sa suite et envoyer un corps expéditionnaire, commandé par Rochambeau. La France arme également une flotte de guerre qui remporte quelques victoires mémorables. Enfin, c’est à Versailles qu’est signé le traité de paix ratifiant l’indépendance des États-Unis (1783).

Notre pays a deux raisons de participer à cette guerre : prendre la revanche tant attendue contre l’Angleterre et répondre à l’attente des colons anglais d’Amérique, dont l’idéologie s’inspire de Montesquieu et Rousseau. Mais comme prévu par Turgot qui s’y opposait comme ministre des Finances, les dépenses militaires creuseront un déficit abyssal, estimé à un milliard de livres tournois – trois à quatre fois le budget de l’État en 1783.

« Il ne faut pas être plus royaliste que le roi. »1204

Phrase en vogue sous Louis XVI et devenue proverbe. La Monarchie selon la Charte (1816), François René de Chateaubriand

Maxime inventée à la veille de la Révolution, pour critiquer les aristocrates qui défendent l’idée de monarchie et les intérêts du roi avec plus d’ardeur que le roi lui-même. Ce sont naturellement les privilégiés, la noblesse et le haut clergé, les notables, tous ces gens attachés à leurs avantages acquis et qui ne comprennent pas qu’en les défendant ainsi, ils jouent à plus ou moins long terme contre leurs intérêts et contre le régime.

Louis XVI n’en est pas moins très « royaliste », imprégné de tous ses droits et devoirs de roi de droit divin, jusqu’à dire en 1787 : « C’est légal parce que je le veux. » Sans doute assez intelligent pour comprendre la nécessité des réformes, mais pas assez courageux pour soutenir durablement ceux qui en ont le projet, c’est surtout un roi dramatiquement faible. Comme tous les faibles, il est capable de coups de tête qui surprennent son entourage et même de coups de force qui vont déchaîner le pays.

« Parlement à vendre
Ministres à pendre
Couronne à louer. »1255

Mots gravés sur les murs du Palais de justice, mai 1788. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Des meneurs crient au coup d’État. Des soulèvements éclatent partout en France, orchestrés par une campagne de cabales et de pamphlets. En Languedoc à Toulouse, en Bretagne à Rennes, on manifeste. En Dauphiné à Grenoble le 7 juin 1788, on se soulèvera pendant la « journée des Tuiles », émeute où les insurgés contre l’autorité royale affrontent la troupe à coups de tuiles. Tout annonce la Révolution. Le peuple de Paris va s’exprimer de plus en plus violemment.

« Tremblez, tyrans, votre règne va finir. »1256

Écriteau placé au Théâtre des Italiens, sur la loge de la reine, mai 1788. La Reine Marie-Antoinette (1889), Pierre de Nolhac

Le roi essaie de faire passer des édits par lit de justice. Les Parlements organisent la résistance, font la grève de la justice et demandent la réunion des États généraux. Les remontrances succèdent aux remontrances, les émeutes aux émeutes. Le roi doit fixer la date de la convocation tant redoutée : au 1er mai 1789.

Le 16 août 1788, c’est la banqueroute : l’État suspend ses paiements. Principal ministre d’État, l’archevêque Loménie de Brienne démissionne. Paris illumine et brûle son mannequin.

Lire la suite : les punchlines (Révolution, Directoire, Consulat et Premier Empire)

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