Parole, c’est historique !
Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).
En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)
Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.
On peut finalement traduire par « mot choc ».
Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !
En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.
Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.
Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.
Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.
Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.
Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?
Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.
L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.
Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.
L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.
En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.
Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.
III. Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République et Second Empire
RESTAURATION (1814-1830)
« L’exactitude est la politesse des rois. »1907
LOUIS XVIII (1755-1824). Mémoires de Louis XVIII (1832), Étienne Léon Lamothe-Langon (baron de)
Mot souvent cité : d’après les souvenirs du banquier Jacques Laffitte, c’est la phrase favorite du roi. Émigré sous la Révolution, il a lui-même attendu plus de vingt ans après la mort de son royal frère (Louis XVI) pour régner à son tour. Cas de force majeure, Louis XVIII fera encore attendre quelques jours la France, ratant son rendez-vous avec l’histoire, cloué à Calais par une crise de goutte, le 12 avril 1814.
« Le Congrès ne marche pas, mais il danse. »1920
Prince de LIGNE (1735-1814), au Congrès de Vienne, 1814. De la réorganisation de la société européenne (1925), Augustin Thierry
Âgé de 80 ans, Charles-Joseph de Ligne, feld-maréchal autrichien devenu un cosmopolite éclairé, lié avec toutes les élites de son temps, de Voltaire à Goethe, parle ainsi du Congrès réuni à Vienne de septembre 1814 à juin 1815. Son but : établir une paix durable et refaire la carte politique de l’Europe.
Outre les souverains, les princes et les hommes d’État, les diplomates et les observateurs, une foule d’intrigants et de jolies femmes sont au rendez-vous viennois. Le prince de Metternich, chancelier d’Autriche (chef du gouvernement) et maître des lieux, organise une succession de fêtes et réceptions, bals et concerts, opéras et revues militaires. Le plaisir est roi, mis en scène à la française ou à la viennoise. Mais le Congrès travaille aussi et Talleyrand y veille.
« Si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant. »1921
TALLEYRAND (1754-1838), au Congrès de Vienne, octobre 1814. L’Europe et la Révolution française, volume VIII (1908), Albert Sorel
Cité en français, ce mot figure dans beaucoup de dictionnaires étrangers.
Il faut solder ce que les historiens appelleront la seconde guerre de Cent Ans : de 1688 à 1815, soit en cent vingt-sept ans, la France soutint contre l’Angleterre sept grandes guerres qui durèrent en tout soixante ans, notre pays étant finalement le perdant de l’histoire.
Représentant Louis XVIII, diplomate émérite, attentif aux moindres détails, Talleyrand demande qu’on ajoute une précision à un texte. On lui dit : « Cela va sans le dire. » D’où la riposte.
« Il faut tuer Buonaparte comme un chien enragé. »1934
TALLEYRAND (1754-1838), Congrès de Vienne, 12 mars 1815. Le Roi de Rome (1932), Octave Aubry
Les Cent jours, come-back le plus stupéfiant de l’histoire ! Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, a bouleversé le bon ordre du Congrès et mis le ministre français dans une situation délicate, si habile que soit notre diplomate, à 60 ans. Talleyrand est furieux, cela remet en question le (premier) traité de Paris où il a sauvé tout ce qui pouvait l’être, en séparant les Alliés par des manœuvres de coulisses.
Fouché qui est souvent son complice prédit : « Cet homme est revenu de l’île d’Elbe plus fou qu’il n’était parti. Son affaire est réglée, il n’en a pas pour quatre mois. »
« Un général anglais leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! […] Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »1944
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Waterloo, dernière défaite de sinistre mémoire. Le « mot de Cambronne » est passé à la postérité : anecdote rapportée par Hugo dans son roman, Sacha Guitry lui dédia une aimable comédie (de boulevard et non historique) titrée Le Mot de Cambronne.
On ne prête qu’aux riches : Pierre Jacques Étienne, vicomte de Cambronne, fit un beau parcours militaire. Engagé parmi les volontaires de 1792, il participe aux campagnes de la Révolution et de l’Empire. Nommé major général de la garde impériale, il suit Napoléon à l’île d’Elbe, revient avec lui en 1815, est fait comte et pair de France sous les Cent-Jours et s’illustre à Waterloo, dans ce « dernier carré » de la Vieille Garde qui va résister jusqu’au bout.
« La garde meurt et ne se rend pas. »1945
Général CAMBRONNE (1770-1842), paroles gravées sur le socle en granit de sa statue à Nantes (sa ville natale). La Garde meurt et ne se rend pas : histoire d’un mot historique (1907), Henry Houssaye
Ces mots sont bien gravés au pied de sa statue – et non : « La garde meurt mais ne se rend pas. » Il n’est cependant pas sûr que cette phrase ait été prononcée à Waterloo. Cambronne en personne l’a démenti : « Je n’ai pas pu dire ‘la Garde meurt et ne se rend pas’, puisque je ne suis pas mort et que je me suis rendu. » (cité par Pierre Levot, Biographie bretonne, 1900).
Le « Merde » lancé dans le feu de l’action est sans doute plus authentique, même si le général en refusa également la paternité. En tout cas, Napoléon vaincu dans la « morne plaine » fut contraint d’ordonner la retraite de la garde.
« Garde. – La garde meurt et ne se rend pas ! Huit mots pour remplacer cinq lettres. »1946
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)
Flaubert s’amuse à reprendre les deux mots supposés de Cambronne sans écrire le fameux « Merde ! » La plus grande défaite de Napoléon fera sa gloire : « L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne », dit Victor Hugo.
« Soldats, droit au cœur ! »1965
Maréchal NEY (1769-1815), commandant lui-même son peloton d’exécution, 7 décembre 1815. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert
Berryer, son avocat, n’a pas pu sauver le « Brave des Braves », coupable de s’être rallié à l’empereur sous les Cent-Jours, alors qu’il s’était engagé à ramener « l’usurpateur dans une cage de fer ». Il est à présent victime désignée de la Terreur blanche, cette réaction ultra qui effraie Louis XVIII lui-même.
« Tout à coup, une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, Monsieur de Talleyrand soutenu par Monsieur Fouché. »1953
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)
Arrivant à Saint-Denis pour y retrouver Louis XVIII rentré en France après les Cent-Jours, il aperçoit Talleyrand et Fouché venus se rallier au roi. Il décrit l’effet que lui causa cette entrée des deux hommes allant se présenter ce 7 juillet 1815 à Louis XVIII qui leur rendra leurs portefeuilles – Affaires étrangères et Police. « La vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment. »
Le plus grand auteur de sa génération fut lui-même ministre de l’Intérieur, sous les Cent-Jours. L’année suivante, rayé de la liste des ministres d’État, il perd sa pension. Parce que, dit-il, « je m’élevais contre l’établissement d’un ministre de la Police générale dans un pays constitutionnel ». Le poste va rester, mais Fouché le perd en 1816, pour devenir un proscrit, exilé en tant que régicide (député de la Convention, il a voté la mort de Louis XVI). Quant à Talleyrand, honni des ultras comme des libéraux, il n’a plus guère de rôle politique sous la seconde Restauration.
« Vous vous plaignez d’un roi sans jambes, vous verrez ce que c’est qu’un roi sans tête. »1908
LOUIS XVIII (1755-1824), qui ne connaît que trop bien son frère, le comte d’Artois. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970)
Rendu quasi infirme par la goutte à la fin de sa vie, le roi parle du futur Charles X. À 57 ans, il a l’allure d’un jeune homme et monte royalement à cheval. Malgré cette séduction naturelle, il se fera détester.
Déjà impopulaire sous l’Ancien Régime, il se faisait remarquer par sa conduite légère et ses folles dépenses, à l’image de sa belle-sœur, Marie-Antoinette. De retour en France après vingt-cinq ans d’exil, il va accumuler les erreurs politiques, sous cette Restauration malgré tout fragile.
Il passe son temps entre la chasse, sa passion, et la religion – il deviendra dévot, faisant le vœu de chasteté perpétuelle en 1804 à la mort de sa dernière maîtresse, Louise d’Esparbès, grand amour de sa vie. Feignant de se désintéresser des affaires du royaume, il est en réalité le chef (occulte) du parti royaliste (ultra) : « Que voulez-vous ? Il a conspiré contre Louis XVI, il a conspiré contre moi, il conspirera contre lui-même. » Encore un mot d’humour de Louis XVIII parlant au duc de Richelieu, président du Conseil en 1821.
« J’aimerais mieux scier du bois que de régner à la façon du roi d’Angleterre. »1996
CHARLES X (1757-1836). Histoire de la Restauration, 1814-1830 (1882), Ernest Daudet
C’est dire sa volonté de s’affranchir de la Charte que Louis XVIII a certes « octroyée » à ses sujets, mais qui comporte des garanties contre les abus de l’Ancien Régime. L’Angleterre reste le modèle de cette monarchie constitutionnelle, chère aux philosophes des Lumières du XVIIIe siècle.
Charles X ne s’est jamais initié aux idées de son temps et ne saurait se plier aux règles du gouvernement représentatif. Cet homme charmant, toujours jeune d’allure à 67 ans et populaire pendant quelques mois, n’a certes pas le tempérament d’un monarque absolu et moins encore d’un tyran. Mais il reste un homme de l’Ancien Régime, entouré de courtisans qui font écran entre le roi et son peuple.
« À chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres, plus d’héritage ! »2014
Comte de SAINT-SIMON (1760-1825), Doctrine de Saint-Simon : Exposition. Première année (1829)
L’initiateur du socialisme (utopique) à la française est mort depuis quatre ans. Mais le socialisme (dit utopique) fait son chemin petit à petit dans le pays où les idées nouvelles se diffusent, malgré toutes les censures.
« Non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était d’excellente famille du côté de sa mère. »2000
Mgr Hyacinthe-Louis de QUÉLEN (1778-1839), 125e archevêque de Paris (de 1821 à sa mort). Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière
Ce mot lui est attribué. Chacun a naturellement à cœur de mettre Jésus dans son camp : sous la Révolution, Chabot, capucin défroqué, en fit le premier sans-culotte de l’histoire ! Pour le révolutionnaire Camille Desmoulins condamné à l’échafaud, le plus illustre supplicié fut aussi une référence.
L’archevêque de Paris se situe aux antipodes de l’échiquier politique. Très en cour auprès de Louis XVIII, puis de Charles X, élu à l’Académie française contre le poète et dramaturge Casimir Delavigne en 1824, il attribua cet honneur à la religion et non à ses titres académiques, dans son discours de réception. Membre de la Chambre des Pairs, incarnation de l’Ancien Régime, il lâcha en plein sermon cette formule propre à séduire les fidèles, comme à scandaliser libéraux et républicains. Moins bien vu sous la Monarchie de Juillet qui le considère comme (trop) légitimiste, il demeure archevêque, Dieu merci !
« La Cour rend des arrêts, et non pas des services. »2001
Antoine SÉGUIER (1768-1848), réponse au garde des Sceaux Peyronnet lui demandant d’arranger les choses, dans un procès contre la presse, janvier 1826. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Révolution (1839), Louis-Pierre Anquetil
Premier président de la Cour de Paris de 1811 à 1848, il donne une fin de non-recevoir à cette requête du garde des Sceaux, alors que le gouvernement est précisément accusé d’avoir fait pression sur certains juges. Et il se prononce en faveur des deux journaux impliqués, Le Constitutionnel et Le Courrier. La Compagnie de Jésus (les Jésuites) était en cause et le roi avait fait pression en leur faveur, en vain.
La presse libérale est trop heureuse de répéter le mot qui a fière allure. Le magistrat niera d’ailleurs l’avoir dit dans une lettre à Peyronnet, en 1828. Peut-être par crainte d’être mal noté. Car Séguier n’a pas toujours été indépendant face au pouvoir. Il fit même preuve de servilité, mais la postérité a retenu le meilleur, et le mot est souvent repris, dans les procès qui touchent à la politique.
« Vous êtes un méchant, un infidèle, un traître ! »2006
HUSSEIN DEY d’Alger (vers 1765-1838), 30 avril 1827. La Restauration et la Monarchie de Juillet (1929), Jean Lucas-Dubreton
Joignant le geste à la parole, il frappe trois fois de son chasse-mouches Pierre Deval, consul de France dont le gouvernement refuse de payer des fournitures de blés qui datent du Consulat et de l’Empire.
Le Dey refuse de présenter des excuses. Ce qui pourrait n’être qu’un fait divers va déboucher sur la guerre : l’incident diplomatique venant aggraver des relations déjà tendues avec l’Algérie sert en effet de prétexte à l’intervention de la France.
« Je ne veux pas monter en charrette comme mon frère ! »2012
CHARLES X (1757-1836), hanté par le souvenir de Louis XVI guillotiné en 1793. La Cour de Charles X (1892), Imbert de Saint-Amand
L’exemple de son frère aîné devenu un roi martyr le confortait dans sa politique ultraroyaliste. N’est-ce pas sa faiblesse et ses concessions qui l’ont perdu ? Charles X assimile les Girondins de la Révolution aux libéraux de plus en plus agressifs, sous la Restauration. Sa peur devient obsessionnelle.
MONARCHIE DE JUILLET (1830-1848)
« C’était vraiment bien la peine de nous faire tuer. »2061
Honoré DAUMIER (1808-1879), lithographie publiée dans La Caricature (1835)
Au centre du dessin, trois morts sortent d’une tombe pour dire ces mots. À droite, une croix porte l’inscription « Morts pour la liberté ». À gauche, une colonne affiche la date des « 27-28-29 juillet 1830 » (évoquant le Génie de la Bastille, monument dédié aux victimes de cette révolution). Au lointain, on devine une charge furieuse contre des manifestants.
La Révolution de 1830 est l’une des guerres civiles les plus brèves (les Trois Glorieuses journées) et les moins sanglantes : 1 800 morts chez les insurgés, environ 200 dans la troupe. Mais la république a bel et bien été escamotée sous le nez des républicains, les cocus de l’histoire qui se rappellent la leçon et ne rateront pas leur prochaine révolution, en 1848.
« Vivre libres en travaillant ou mourir en combattant. »2069
Cri célèbre de l’émeute des canuts, 22 novembre 1831. Histoire du mouvement ouvrier, tome I (1948), Édouard Dolléans
C’est aussi la devise inscrite sur leur drapeau noir, symbole de l’anarchie. Mais la révolte des ouvriers de la soie est d’origine économique et non politique.
Les soyeux (fabricants) ne respectent pas le nouveau tarif des salaires, signé par leurs délégués dont ils contestent le mandat. Commencent alors les « trois glorieuses du prolétariat lyonnais » : grève, puis insurrection. Au matin du 22 novembre, les canuts de la Croix-Rousse descendent sur la ville en criant leur révolte. Ils se retrouvent sans le vouloir maîtres de Lyon, vidée de sa garnison qui risquait de pactiser avec les insurgés. Première grande grève de notre histoire : échec total, mais elle fera école et reste toujours vivante dans la mémoire collective, avec la Complainte des canuts, chanson d’Aristide Bruant, auteur anarchiste à la fin du XIXe siècle.
« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Mot d’un populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »
Hugo immortalise dans cette fresque historique la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque.
« Le cri du pauvre monte jusqu’à Dieu, mais il n’arrive pas à l’oreille de l’homme. »2048
Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Paroles d’un croyant (1834)
Créateur du catholicisme social, soucieux d’appliquer un idéal de justice et de charité conforme à l’enseignement de l’Évangile, Lamennais profite de la nouvelle liberté de la presse en 1830, et lance le journal L’Avenir avec ses amis Lacordaire et Montalembert. En exergue : « Dieu et la liberté ». Il est condamné par l’Encyclique Mirari vos (1832). Pour le pape, souverainetés du peuple et de Dieu sont incompatibles.
Après une grave crise de conscience, il rompt avec l’Église pour n’être plus que socialiste - ses deux amis se soumettent, sans abandonner leur action généreuse. Lamennais publie ses Paroles d’un croyant sous forme de versets comme la Bible, et y affirme son socialisme : Dieu veut l’égalité, la liberté et la fraternité des hommes. « La liberté est le pain que les peuples doivent gagner à la sueur de leur front », écrit-il encore pour encourager le peuple au combat contre tous ceux qui l’oppriment.
« C’est la Marseillaise du christianisme et l’auteur est un prêtre en bonnet rouge », dit-on alors. C’est surtout un courant d’opinion très représentatif de cette fermentation des idées, face à la misère du peuple qui s’aggrave et contraste avec l’enrichissement de la bourgeoisie.
« Quel dommage que je n’aie pas été blessé, j’aurais pu faire grâce ! »2086
LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), après l’attentat de Fieschi, 28 juillet 1835. Le Roi Louis-Philippe, vie anecdotique (1891), marquis de Flers
Giuseppe Fieschi, condamné pour vol et escroquerie en Corse, vint à Paris et fut un temps agent secret de la police. Poussé par les républicains, il prépare un attentat. Le jour où Louis-Philippe se rend à la Bastille pour fêter sa révolution (les Trois Glorieuses de juillet 1830), la machine infernale éclate et fait 18 morts (dont le maréchal Mortier), mais le roi et sa famille ne sont pas touchés.
Le parti de la Résistance, sous l’impulsion de Thiers, ne va pas rater l’occasion : lois répressives de septembre 1835 contre les délits de presse et la propagande anticonstitutionnelle. C’est la fin de la politique libérale, et le véritable tournant du régime.
« On ne tombe jamais que du côté où l’on penche. »2094
François GUIZOT (1787-1874), Chambre des députés, 5 mai 1837. Histoire de la Monarchie de Juillet (1888), Paul Thureau-Dangin
Replaçons cette phrase dans son contexte, en rappelant d’abord son père, avocat protestant, guillotiné sous la Terreur, sa famille forcée à l’exil et lui-même professeur d’histoire : « J’accepte 1791 et 1792 ; les années suivantes mêmes, je les accepte dans l’histoire, mais je ne les veux pas dans l’avenir […] et je me fais un devoir, un devoir de conscience, d’avertir mon pays toutes les fois que je le vois pencher de ce côté. Messieurs, on ne tombe jamais… »
Ces mots, prémonitoires de la fin d’un régime qui pécha par excès d’ordre, s’appliquent à bien d’autres situations politiques et humaines.
« La France est une nation qui s’ennuie. »2098
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Discours à la Chambre, 10 janvier 1839. Dictionnaire de français Larousse, au mot « ennui »
Lamartine, député qui passera du « juste milieu » gouvernemental à la gauche (en 1843), s’adresse ici au roi et trouve une raison au mal de la France : « Vous avez laissé le pays manquer d’action. »
L’ennui est le mal du siècle et surtout celui de la génération romantique, qui vibre au souvenir exalté de la Révolution et de l’Empire et rejette cette monarchie bourgeoise, soutenue par une classe moyenne, satisfaite d’elle-même et viscéralement conservatrice.
Dans un discours à Mâcon, participant à la campagne des banquets, le 18 juillet 1847, Lamartine sera fier de pouvoir dire que cette phrase a fait le tour du monde. Sautant plus d’un siècle, on la retrouvera dans Le Monde, sous la signature de Viansson-Ponté, deux mois avant les événements de Mai 68.
« Ne me parlez pas des poètes qui parlent de politique ! »2113
LOUIS-PHILIPPE (1773-1850). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Le roi est d’autant plus irrité par l’opposition de Lamartine qu’il semble, avec l’âge, prendre goût au pouvoir et vouloir non plus seulement régner, mais gouverner. Lamartine connaîtra son heure de gloire politique aux premiers jours de la prochaine révolution qui aboutit à la Deuxième République.
« Pour chaque indigent qui pâlit de faim, il y a un riche qui pâlit de peur. »2101
Louis BLANC (1811-1882), Organisation du travail (1839)
Cet ouvrage fait connaître le jeune journaliste : il y expose un programme de réformes socialistes qu’il ne va plus cesser de défendre jusque sous la Troisième République où, fidèle à ses idées, il se retrouve député d’extrême gauche.
« La propriété, c’est le vol. »2102
Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)
Cette formule choc est un modèle de punchline ! Elle schématise la pensée de l’auteur, notre premier socialiste (non utopique) qui en est cependant très fier : « Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette. »
L’homme est attachant, ne serait-ce que par cet aveu : « Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir. » Fils d’une cuisinière et d’un tonnelier, c’est le seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire, au XIXe siècle.
Il critique le communisme de Marx (grand bourgeois) dans La Philosophie de la misère (1846). Marx lui répond dans La Misère de la philosophie (1847), le traitant, insulte suprême, de « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme ». Dans la guerre des idées, les mots ont vite fait de tuer l’adversaire. C’est Proudhon qui succombera sous la force du marxisme.
« Si l’on veut abolir la peine de mort, en ce cas que MM. les assassins commencent : qu’ils ne tuent pas, on ne les tuera pas. »2103
Alphonse KARR (1808-1890), Les Guêpes (1840)
Romancier, journaliste, directeur du Figaro (né hebdomadaire de gauche, parisien et satirique), il crée en 1839 la revue satirique mensuelle Les Guêpes dont les pamphlets visent le monde des arts, des lettres et de la politique, jusqu’en 1849.
Sous la Monarchie de Juillet, la presse ne souffre finalement pas trop des lois répressives. Quant à la peine de mort, c’est une longue histoire qui commence au Moyen Âge. L’égalité devant la mort est acquise sous la Révolution avec la guillotine, jusqu’à l’abolition en 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir et malgré une opinion publique toujours partagée sur la question.
« Ou la conquête, ou l’abandon. »2104
Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), Chambre des députés, 15 février 1840. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
La politique algérienne de la France est trop hésitante, aux yeux du futur maréchal. Le traité signé en 1837 entre Bugeaud et l’émir Abd el-Kader a été violé. La France y faisait pourtant d’importantes concessions, reconnaissant la souveraineté de l’« émir des croyants » sur près des deux tiers de l’Algérie et se contentant d’une occupation du littoral. Abd el-Kader a profité de la trêve pour se constituer une armée, proclamant en 1839 la guerre sainte contre les Français qui occupent l’Algérie depuis 1830. Le militaire met donc les politiques face à leurs responsabilités.
Bugeaud considère pourtant l’Algérie comme « le plus funeste des présents que la Restauration ait fait à la Révolution de juillet », prônant l’occupation restreinte de quelques bases stratégiques pour empêcher les raids barbaresques. Victor Hugo, le 15 janvier 1840, balaie ses réticences, entraînant la France sur la voie de la colonisation par l’émigration civile massive : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur. »
« Enrichissez-vous. »2114
François GUIZOT (1787-1874), Chambre des députés, 1er mars 1843. Histoire parlementaire de France : recueil complet des discours prononcés dans les Chambres de 1819 à 1848 (1864), François Guizot
Ministre des Affaires étrangères et pratiquement chef du gouvernement, son mot est souvent cité pour condamner ses conceptions politiques et résumer l’esprit égoïstement bourgeois de la Monarchie de Juillet. Exemple type de désinformation par utilisation d’une citation tronquée devenant punchline.
Rappelons le contexte. Guizot répond aux attaques de l’opposition : « Fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » Il reprend le mot lors d’un banquet, la même année : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (Le droit de vote était conditionné par un seuil d’imposition, le cens.)
« J’appelle bourgeois quiconque pense bassement. »2053
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Correspondance (1842)
Définir la bourgeoisie pour la critiquer est un exercice bien tentant pour les écrivains témoins de leur temps. Cette définition de la nouvelle classe régnante sous la monarchie de ce roi bourgeois est signée d’un fils de grand bourgeois (père médecin-chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen), passionné de littérature et particulièrement inspiré par la sottise bourgeoise qui s’affiche, insolente.
DEUXIEME REPUBLIQUE (1848-1852)
« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »2136
Karl MARX (1818-1883) et Friedrich ENGELS (1820-1895), Manifeste du parti communiste (1848)
Derniers mots de la dernière phrase du célèbre Manifeste : « Puissent les classes dirigeantes trembler à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Les classes dirigeantes – mais aussi une partie des classes populaires bientôt reprises en main par les notables – vont si bien trembler que les prolétaires perdront de nouveau ce combat social, sous la Deuxième République. Ce n’est qu’un épisode de la lutte des classes : le Manifeste en donne une théorie qui va marquer le monde pendant un siècle et changer plusieurs fois le cours de l’histoire.
« L’enthousiasme fanatique et double de la République que je fonde et de l’ordre que je sauve. »2145
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, 24 février 1848. XIXe siècle : les grands auteurs français du programme (1968), André Lagarde et Laurent Michard
Entré en politique avec la révolution de 1830, l’auteur doit continuer d’écrire pour des raisons financières – et c’est une œuvre d’historien qui le mobilise, son Histoire des Girondins. Mais la République va le mobiliser à plein temps et plein cœur, pendant deux ans.
Depuis son discours du 27 janvier 1843 qui le mit à la tête de l’opposition de gauche à la Monarchie de Juillet, Lamartine jouit d’une immense popularité. Il a conduit le peuple à la révolution rendue inévitable par l’aveuglement des conservateurs et le voilà porté au pouvoir en février 1848, par une sorte d’unanimité dont la fragilité et surtout l’ambiguïté vont éclater dans les semaines qui viennent.
« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »2140
Comte de MONTALEMBERT (1810-1870), Discours, entretiens et autres sources
D’abord aux côtés de Lamennais dont il subit l’ascendant comme Lacordaire, il rompt avec l’insoumis. Nommé pair de France en 1835, il poursuit sa lutte pour la défense de l’Église et la conquête des libertés essentielles. Élu à l’Assemblée constituante en avril 1848, il se rallie à la politique du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte et fait ensuite partie du Corps législatif jusqu’en 1857.
« La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! »2171
LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), exilé en Angleterre, apprenant que Cavaignac a fait tirer sur les émeutiers, le 25 juin 1848. Louis-Philippe, roi des Français (1990), Georges Bordonove
Le dernier roi de France, comme Louis XVI, eut la hantise de faire couler le sang des Français et refusa le plan de Thiers (en 1871, il débouchera sur le massacre, pendant la Commune de Paris).
Le général Cavaignac a pour mission de stopper cette guerre sociale. Des gardes nationaux de province se joignent à la troupe et aux gardes mobiles. Ses hommes prennent position dans les quartiers calmes et il laisse la révolte s’étendre, pour mieux la réprimer le lendemain, 25 juin, piégeant quelque 40 000 ouvriers au cœur de la capitale. La lutte est meurtrière, jusqu’au 26. L’archevêque de Paris, Monseigneur Affre, venu s’interposer sur une barricade du faubourg Saint-Antoine, un crucifix entre les mains, est tué d’une balle perdue. Le général Bréa veut parlementer avec les émeutiers pour leur éviter le pire : il est massacré avec son aide de camp. La fusillade est continue, la résistance désespérée.
« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. »2173
Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)
Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.
Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre. Mais Flaubert rejette dos à dos le bourgeois et le peuple.
« Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler ; nous ne sommes pas assez riches. Silence au pauvre. »2177
Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Le Peuple Constituant, 11 juillet 1848
Derniers mots du 134e et dernier numéro du journal qui cesse de paraître, en raison d’un cautionnement imposé à la presse. Prêtre en rupture d’Église, Lamennais est devenu un démocrate humaniste. Élu député à l’Assemblée constituante, siégeant à l’extrême gauche, il était rédacteur en chef de ce journal né avec la Deuxième République. Il se retire de la vie politique et meurt en 1854. Sa dernière volonté, que son corps soit conduit directement au Père-Lachaise, pour être enterré « au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres. »
George Sand, Michelet, Hugo ont dit ce qu’ils doivent aux idées de Lamennais, à son cœur et son courage militant.
« Plus ça change, plus c’est la même chose. »2193
Alphonse KARR (1808-1890), titre de deux recueils d’articles, Les Guêpes, janvier 1849
Le journaliste multiplie les pamphlets dans sa revue de satire politique, sans savoir à quel point l’avenir va lui donner raison ! « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète », écrira Paul Morand (Fermé la nuit). En vertu de quoi la République, bientôt volée aux républicains, débouchera sur l’Empire.
« Nous ne comprenons pas plus une femme législatrice qu’un homme nourrice. »2197
Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Le Peuple, mai 1849. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière
Il écrit aussi, en janvier 1849, dans L’Opinion des femmes : « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane. » Bien que vrai socialiste, Proudhon s’inscrit dans la logique de son temps particulièrement misogyne et de cette Deuxième République. Il persiste et signe : « Nous ne savons si, en fait d’aberrations étranges, le siècle où nous sommes est appelé à voir se réaliser à quelque degré celle-ci : l’émancipation des femmes. Nous croyons que non. » (La Liberté, 15 avril 1848).
« Je suis leur chef, il fallait bien les suivre. »2198
LEDRU-ROLLIN (1807-1874), au lendemain de l’insurrection du 13 juin 1849. Ledru-Rollin (1859), Eugène de Mirecourt
Cette biographie à charge tend à ridiculiser ou minimiser le personnage, mais la réplique, souvent citée, très prisée des dictionnaires étrangers, est quand même celle d’un antihéros, conscient des limites de son rôle dans l’histoire. Résumons la situation.
Malgré les termes de la Constitution du 12 novembre 1848 (qui « respecte les nationalités étrangères et n’emploie jamais la force contre la liberté d’aucun peuple »), le parti de l’Ordre soutient le pape chassé de Rome où s’était établie une république : d’où l’expédition française contre Rome, le 24 avril 1849.
Ledru-Rollin, le chef des démocrates, met le ministère en accusation pour viol de la Constitution, le 11 juin. Accusation rejetée le lendemain, mais le 13, une manifestation dégénère en émeute, tandis qu’un groupe de députés tente de former un gouvernement provisoire. Ledru-Rollin a-t-il été débordé par « ses troupes » ? Déchu de son mandat de député, fuyant en Angleterre, condamné par contumace, il ne rentre en France que sous la Troisième République. Exemple de « non-carrière » politique, son nom reste néanmoins dans la liste des hommes de gauche.
« La République est le gouvernement qui nous divise le moins. »2201
Adolphe THIERS (1797-1877), Assemblée législative, 13 février 1850. L’Empire libéral : Louis-Napoléon et le coup d’état (1897), Émile Ollivier
Formule finalement adoptée par Thiers, d’après la citation initiale : « Je ne suis pas […] un ennemi de la République aujourd’hui. Elle a un titre à mes yeux : elle est, de tous les gouvernements, celui qui nous divise le moins. » Le parti de l’Ordre est au pouvoir et cette majorité satisfait ou rassure, sous cette Deuxième République.
Signalons sa particularité constitutionnelle, le monocamérisme du seul régime de notre histoire à chambre unique. Le bicamérisme est de règle depuis le Directoire en 1795, avec un Parlement composé d’une chambre basse élue au suffrage universel direct – aujourd’hui l’Assemblée nationale – et une chambre haute élue au suffrage universel indirect, réputée plus conservatrice – le Sénat.
« Quand le bâtiment va, tout va. »2202
Martin NADAUD (1815-1898), Assemblée législative, 5 mai 1850. Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon (1895), Martin Nadaud
Une vie exemplaire, comme il y en a peu en politique, un personnage qui a ému George Sand et qui aurait pu être le héros d’un de ses romans humanitaires.
Ouvrier maçon de la Creuse, élevé à la dure, monté à Paris (à pied) avec son père, autodidacte suivant les cours du soir tout en exerçant son métier, faisant des journées de travail de douze à quinze heures, accidenté plusieurs fois sur des chantiers périlleux, militant républicain sous la Monarchie de Juillet, il est élu de la Creuse le 13 mai 1849, député montagnard (socialiste) assez actif pour être arrêté, après le coup d’État de 1851. Banni, il s’exile sous le Second Empire, et rentre en France « avec la liberté », comme Hugo. De nouveau élu député de la Creuse, il participe à la relance du bâtiment. Et meurt à 85 ans, de retour dans la Creuse.
Sa petite phrase est devenue un mot historique souvent cité. Dans sa bouche, la portée en était moins générale et la forme moins concise : « Vous le savez, à Paris, lorsque le bâtiment va, tout profite de son activité. »
Autre expression d’une France agricole en voie d’industrialisation : « L’agriculture manque de bras. » Alphonse de Rainneville, ministre de l’Agriculture.
SECOND EMPIRE (1852-1870)
« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »2234
Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Punchline de luxe, devenue proverbe.
Le prestigieux proscrit témoigne de son opposition irréductible à l’empereur, à présent haï de lui. Le poète qui se veut « écho sonore » et conscience de son siècle refusera de rentrer en France après le décret d’amnistie. À la date où son œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
« Ce n’est pas la peine d’avoir risqué le coup d’État avec nous tous pour épouser une lorette. »2254
Duc de PERSIGNY (1808-1872), à Napoléon III, décembre 1852. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Parole du seul honnête homme dans l’équipe d’aventuriers qui prépara le 2 décembre 1851 et se retrouve ministre de l’Intérieur. La « lorette » est quand même une jeune fille de vraie noblesse espagnole (par son père, trois fois Grand d’Espagne), fort belle, moins sotte qu’on ne le dira. Mais sa mère irlandaise, quelque peu aventurière, promenait sa fille en Europe dans l’espoir d’un bon mariage. Et l’empereur en est fou !
La Princesse Mathilde fait chorus : « On peut tomber amoureux de Mlle de Montijo, mais on ne l’épouse pas. » Mais Napoléon III l’aime et l’épousera.
« L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres. »2257
Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)
Paroles d’exil. Il faut être hors de France pour avoir cette liberté d’expression. Il faut être Hugo pour avoir ces mots. Le prestigieux proscrit de Jersey, bientôt de Guernesey, se veut l’« écho sonore » et la conscience de son siècle et refusera de rentrer après le décret d’amnistie.
Après le pamphlet politique contre « Napoléon le Petit », Les Châtiments sont une œuvre poétique ambitieuse. Suite au crime du 2 décembre et à la répression, Dieu inflige le châtiment et l’expiation. Le Poète, seul face à l’océan, parlant au nom du Peuple, est le messager qui annonce l’espoir, avec la venue de temps meilleurs.
« Je ne lis jamais les journaux français, ils n’impriment que ce que je veux. »2259
NAPOLÉON III (1808-1873). Le Guide de la presse (1990), Office universitaire de presse
L’empereur ne manque pas d’humour, à l’occasion. Et il parle vrai. Depuis le 23 février 1852, un système de pénalités graduées va de l’avertissement à la suppression, en passant par la suspension. Mais l’autocensure suffit souvent, surtout que la presse d’opposition n’existe plus – des quelque 200 journaux à Paris en 1848, il en reste 11 après le coup d’État du 2 décembre 1851.
« J’y suis, j’y reste. »2264
MAC-MAHON (1808-1893), au fort de Malakoff, surplombant la citadelle de Sébastopol, 8 septembre 1855. Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1960), Jacques Silvestre de Sacy
Mot attribué au général qui a fini par prendre le fort de Malakoff et ne veut pas le rendre, alors que les Russes annoncent qu’ils vont le faire sauter. Le siège de Sébastopol durait depuis 350 jours, quand Mac-Mahon prend la tête des colonnes d’assaut et part à l’attaque, entouré de ses zouaves.
Le commandant de l’armée de Crimée, Pélissier, va y gagner son bâton de maréchal, le titre de duc de Malakoff, sa place au Sénat, une pension annuelle de 100 000 francs et divers honneurs. Mac-Mahon, pour ce mot et ce fait de guerre, entre dans l’histoire – il aura d’autres occasions de se manifester, devenu président de la République sous le prochain régime.
« Quand la liberté rentrera en France, je rentrerai. »2277
Victor HUGO (1802-1885), Déclaration, Hauteville-House, Guernesey, 18 août 1859. Actes et Paroles. Pendant l’exil (1875), Victor Hugo
Exilé au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 après avoir tenté de soulever le peuple de Paris, plus opposant et républicain que jamais, Hugo refuse de profiter du décret d’amnistie générale pour les condamnés politiques : « Personne n’obtiendra de moi que, en ce qui me concerne, j’accorde un moment d’attention à la chose appelée amnistie. Dans la situation où est la France, protestation absolue, inflexible, éternelle, voilà pour moi le devoir. Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. » Rappelons cet alexandrin de l’exilé : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. » L’exil volontaire commence, il saura en tirer parti.
Pour l’heure, Napoléon III reste un « aventurier heureux » à qui tout réussit : la diplomatie et la guerre, l’économie et la politique.
« Nos cœurs ont suivi le cours de nos rivières. »2280
Parole des Savoyards, devenu proverbe, printemps 1860. Napoléon III et le Second Empire : le zénith impérial, 1853-1860 (1976), André Castelot
Selon les sources, la forme peut varier : « Nos cœurs vont là où vont nos rivières », « Notre cœur va du côté où coulent nos rivières », etc. Pour dire que les Savoyards votent leur rattachement à la France, par plébiscite des 22 et 23 avril 1860, en vertu du traité de Turin du 24 mars 1860 (épilogue de la campagne d’Italie de 1859). Avec 250 000 oui, contre seulement 230 non !
Ce plébiscite peut être présenté comme l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais les Savoyards ont en fait ratifié une cession de territoire, décidée en 1858 par accord secret lors de l’entrevue de Plombières du 20 juillet – Cavour, au nom du roi Victor-Emmanuel II, se rend dans cette station thermale des Vosges où Napoléon III est en cure. Ils conviennent d’un troc, dans le cadre des négociations diplomatiques relatives à l’unification de l’Italie : en échange de l’aide diplomatique et militaire pour libérer la péninsule de l’occupation autrichienne, le comté de Nice et le duché de Savoie reviennent à la France.
Les Niçois feront le même choix, le 15 avril 1860. Ces conquêtes pacifiques sont à porter au crédit du Second Empire.
« Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »2251
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)
L’utopie de ces trente pages écrites par le prisonnier au fort de Ham et le désir d’un futur souverain de se poser en « homme social » n’excluent pas une certaine sincérité. Fait unique pour l’époque, un prétendant au pouvoir tint à visiter les régions industrielles anglaises. À 25 ans, le spectacle de la misère frappe.
« Monsieur Tout-le-monde est plus riche que Monsieur de Rothschild. »2236
Henri GERMAIN (1824-1905), maxime du créateur du Crédit Lyonnais en 1863. Les Grandes Étapes de l’histoire économique (2002), Yves Carsalade
À côté de la banque suisse protestante et de la banque juive allemande qui, comme les Rothschild, travaillent avec les grosses fortunes, de nouveaux organismes financiers se créent et font appel au grand public.
Le Crédit mobilier des frères Pereire donne l’exemple en 1852 : première grande banque d’affaires moderne qui jusque dans ses déboires financiers servira de leçon. Citons aussi le Crédit foncier (1852) spécialisé dans les prêts à l’agriculture et à la construction immobilière, le Crédit lyonnais (1863), la Société générale (1864). Les épargnants qui portent leur argent à ces banques de dépôts leur achètent des actions et obligations négociables en Bourse. Ce mécanisme financier, sur fond de forte croissance économique, permet au petit capitaliste de s’enrichir.
Malheureusement, sans contre-pouvoir, sans syndicat et sans mécanismes correcteurs du marché, ce capitalisme triomphant enrichit les riches et la classe moyenne, mais n’améliore pas la condition des pauvres.
« La France, dit l’Almanach impérial, contient trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. »2294
Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1er juin 1868
Première phrase du premier numéro. Cette punchline annonce un vent de liberté sur l’Empire. C’en est fini du régime de la presse de 1852. Depuis le 9 mai 1868, l’autorisation préalable et le système des avertissements sont supprimés - au grand mécontentement des bonapartistes autoritaires, mais sans réelle satisfaction des républicains, car la liberté de la presse souffre encore de restrictions. Gouverner, c’est mécontenter, doit penser l’empereur qui prendra d’autres mesures libérales.
L’opposition ne désarme pas. Son expression plus libre la renforce et la nouvelle génération aspire à plus de liberté. Le socialisme récupère et politise une agitation ouvrière qui multiplie les grèves dures (la première en date fut celle des typographes parisiens, en mars 1862).
Des journaux socialistes apparaissent : La Réforme et Le Travail. De nouveaux titres républicains, signés de noms connus : L’Électeur libre de Jules Favre, Le Réveil de Delescluze, Le Rappel, inspiré par Hugo, La Lanterne (hebdomadaire) et La Marseillaise (quotidien) de Rochefort, plume acérée qui a fait ses classes au Charivari et au Figaro (journal de gauche, à l’origine).
« On peut tout faire avec des baïonnettes, excepté s’asseoir dessus ! »2300
Prince NAPOLÉON (1822-1891), septembre 1869. Mot également attribué à Clemenceau (1841-1929) et au Feld-maréchal autrichien Schwarzenberg (1771-1820), déplorant la fragilité du régime en 1814 (Restauration). Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VII (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
Le ministre de l’Intérieur (Forcade Laroquette, homme de droite) affirme que l’Empire est assez fort pour vaincre ses opposants. « Plon-Plon », l’éternel frondeur de la famille, réplique à juste titre qu’un pouvoir assis sur la force de ses baïonnettes n’est pas stable.
De fait, le régime est doublement ébranlé. Sur le front politique, l’opposition profite de la presse libérée et des élections plus loyales du 24 mai : 3,5 millions de voix (contre 4,4 millions aux bonapartistes). Sur le front social, c’est la crise et les syndicats tolérés depuis 1866 poussent à des grèves qui prennent un caractère dramatique - Firminy en juin 1869, Carmaux en octobre.
Napoléon III décide d’aller plus avant sur la voie libérale. Émile Ollivier, républicain modéré, se rallie à l’Empire. Il est chargé de former le nouveau cabinet pour satisfaire les hommes du centre gauche.
« Par le fer et par le sang. »2306
Otto von BISMARCK (1815-1898), chancelier de la Confédération d’Allemagne du Nord. Bismarck (1961), Henry Valloton
« Ce n’est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, mais par le fer et par le sang. » Ces mots posent le personnage, surnommé le Chancelier de fer. « Par le fer et par le sang » est une expression qui lui est chère, comme « la force prime le droit » – traduction de sa Realpolitik.
Bismarck a déjà ravi à l’Autriche sa place à la tête de l’ex-Confédération germanique : la défaite autrichienne à Sadowa (1866) fut un « coup de tonnerre » en Europe. Il veut faire l’unité allemande sous l’égide de la Prusse. Pour cela, il lui faut prouver sa force : écraser la France est le moyen le plus sûr. Il manœuvre pour monter contre elle les États du sud de l’Allemagne et les rassembler dans sa Confédération.
Face au futur chancelier du Reich, il y a Napoléon III. « L’empereur est une grande incapacité méconnue », disait Bismarck en 1864. C’est surtout un homme prématurément vieilli, physiquement atteint et maladivement indécis.
« Nous sommes prêts et archiprêts, il ne manque pas à notre armée un bouton de guêtre. »2310
Maréchal LEBŒUF (1809-1888), lors du vote de la mobilisation et des crédits de guerre, Corps Législatif, 15 juillet 1870. Revue des deux mondes, volume XXI (1877)
Ministre de la Guerre et major général de l’armée, il répond au doute de Thiers : « Vous n’êtes pas prêts. » Et il insiste : « De Paris à Berlin, ce serait une promenade la canne à la main. » C’est une illusion et Bismarck, bien informé par son chef d’état-major, connaît les forces ou plutôt les faiblesses de la France. Ses canons de bronze se chargent par la gueule et non par la culasse comme les canons Krupp en acier ; les traditions tactiques de l’armée d’Afrique sont impropres à une guerre européenne et l’expédition du Mexique a désorganisé l’administration militaire ; ses généraux sont vieux et routiniers ; enfin, le Corps législatif n’a jamais voté les crédits nécessaires à l’armée. C’est un peu tard pour se rattraper, alors que la Prusse prépare cette guerre depuis quatre ans.
« Nous l’acceptons le cœur léger. »2311
Émile OLLIVIER (1825-1913), Corps législatif, le jour de la déclaration de guerre à la Prusse, 19 juillet 1870. Les Causes politiques du désastre (1915), Léon de Montesquiou
Porté par l’opinion publique, le président du Conseil et garde des Sceaux accepte la responsabilité de la guerre, alors que des intervenants (républicains et pacifistes) évoquaient le sang bientôt versé. Il insiste sur ces mots qui lui seront reprochés jusqu’à sa mort : Émile Ollivier reste à jamais pour l’histoire « l’homme au cœur léger ».
Lire la suite : les punchlines (Troisième République et Première Guerre mondiale)
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