L’Histoire en caricatures (de l'Antiquité à la Renaissance) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Représentation déformante de la réalité, la caricature (de l’italien caricare, charger) est aussi définie comme « charge, imitation, parodie, pastiche, simulacre ». Art engagé dès l’origine (Moyen Âge), signée ou anonyme, sans tabou et destinée à tous les publics, elle joue un rôle historique comparable à la chanson.

Manière originale de revoir l’Histoire en citations, on trouve au fil de cet édito en 12 semaines les personnages principaux (Napoléon, de Gaulle, Hugo, Voltaire, Henri IV…) et les grands évènements (Réforme et guerres de Religion, Saint Barthélemy, Révolution, Affaire Dreyfus…), l’explosion de la caricature politique correspondant à des périodes de crises.

Encouragée par le développement de l’imprimerie au XVI° siècle, étouffée sous la censure de la monarchie absolue et de l’Empire, la caricature s’impose avec la presse populaire au XIX° et les dessins provocants de journaux spécialisés (La Caricature, Le Charivari…). Des formes naissent sous la Cinquième République : slogans de Mai 68, Guignols de l’Info et autres marionnettes à la télé, sans oublier les BD politiques souvent best-sellers.

Deux auteurs seront cités (= montrés) une dizaine de fois. Le plus célèbre, Gustave Doré, artiste peintre du XIXe, se voue à la caricature avec un art du trait qui fait mouche et mal. Bien différent avec sa série de gouaches, François Lesueur inventa sous la Révolution une caricature bienveillante et bon enfant comme la Carmagnole du Ça ira (première version).

Une invitée surprise, la physiogonomie. Formulée par Cicéron (« Le visage est le miroir de l’âme »), elle entre en scène avec le génie du peintre Le Brun sous Louis XIV, s’érige en science au siècle des Lumières, justifie les pires racismes (colonialisme, antisémitisme) et se banalise avec le « délit de sale gueule ».

ORIGINES DE LA CARICATURE : CHIMÈRES ET GARGOUILLES.

« Nos chimères sont ce qui nous ressemble le mieux. »1

Victor HUGO, Les Misérables (1862)

Chimère sur un plat à figures rouges apulien, v. 350-340 av. J.-C., musée du Louvre.

Monstres de la mythologie grecque et latine, les CHIMÈRES sont composées de divers animaux : lion, chèvre, dragon, serpent… Pour mieux impressionner, elles crachent parfois des flammes.

Éléments symboliques et décoratif, on les retrouve dans les civilisations antiques et sur divers supports, peintures murales, sculptures, etc. Objets de mille fantasmes, les historiens les interprètent à l’infini… et elles entrent tardivement dans la littérature.

Les chimères sont devenues synonymes d’idées sans rapport avec la réalité, mais ô combien séduisantes :

« On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères, mais que faire de grand sans elles ? »

De GAULLE, cité par André Malraux dans Les Chênes qu’on abat (1979)

Gargouilles de Notre-Dame, Paris.

Gargouilles de Notre-Dame, Paris.

Créatures malfaisantes, monstrueuses et grimaçantes, les GARGOUILLES : toujours située à l’extérieur des églises, elles sont censées repousser le Mal.

Elles font aussi office de gouttière comme dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, projetant l’eau de pluie à distance des murs pour protéger la pierre au fil des siècles. Ces gargouilles s’apparentent à divers titres au bossu Quasimodo (lui aussi monstrueux et protecteur), dans le célèbre roman qui popularisa le mot venu de l’ancien français « gargoule », gorge, tuyau de descente :

« Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. »

Victor HUGO, Notre-Dame de Paris (1831)

 

FIN DU MOYEN ÂGE

Gervais du Bus, Roman de Fauvel, France, XIVe siècle. BNF.

« Ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une statue. »2

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), parlant de Philippe le Bel. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

La caricature fait figure dès sa naissance d’art engagé.

L’une des premières caricatures françaises apparaît à la fin du Moyen Âge dans un poème satirique contre le roi de France : Philippe IV le Bel (alias Maitre de Fauvel) prend la forme d’un âne méchant et pervers - les six lettres de « Fauvel » étant les initiales de six vices : Flatterie, Avarice, Vilenie (U et V facilement confondus en calligraphie), Variété́ (Velléité́ synonyme d’inconstance), Envie, Lâcheté́.

Divers scandales privés ou politiques ont donné l’image d’un roi indécis, cible de la caricature. Dans la chronique médiévale, il est très diversement jugé comme en témoigne notre Histoire en citations.

Évêque de Pamiers et ami du pape Boniface VIII qui a créé cet évêché pour lui, le portrait que Bernard Saisset fait du roi, ennemi déclaré du pape, est fatalement partial. Les adversaires de Philippe le Bel l’appelleront souvent « roi de fer » ou « roi de marbre », il doit donc y avoir une part de vérité dans ce jugement.

« Le roi est un faux-monnayeur et ne pense qu’à accroître son royaume sans se soucier comment. »236

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), 12 juillet 1301. Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (1936), Georges Alfred Laurent Digard

Philippe le Bel a gardé cette réputation de faux-monnayeur, et ce n’est ni médisance ni légende.

Le faux-monnayage royal consiste, lors de la refonte de pièces de monnaie, à diminuer leur poids en métal précieux, tout en conservant leur valeur légale. Certaines années, entre 1295 et 1306, la moitié des recettes royales vient de ce bénéfice sur le monnayage ! Bien plus tard, on recourra à la « planche à billets ».

Ces mesures sont toujours impopulaires et Philippe le Bel n’est pas un roi aimé du peuple. Mais avec l’argent ainsi acquis, il peut financer des guerres lui permettant d’agrandir son royaume – raison d’être essentielle du métier de roi à cette époque.

« Fervent dans la foi, religieux dans sa vie, bâtissant des basiliques, pratiquant les œuvres de piété, beau de visage et charmant d’aspect, agréable à tous, même à ses ennemis quand ils sont en sa présence, Dieu fait aux malades des miracles évidents par ses mains. »231

Guillaume de NOGARET (vers 1260-1313), à propos de Philippe IV le Bel. Mémoire à propos de l’affaire du pape Boniface, archives de Guillaume de Nogaret

Chancelier de 1302 à 1313, Nogaret trace ce portrait (flatteur) de son maître. Le personnage demeurera une énigme, pour les historiens. Disons qu’il sait bien cacher son jeu.

En fait, ce roi législateur, s’inspirant des « bons usages du temps de Saint Louis », a des principes qui ne résistent pas devant les réalités. C’est le lot de la plupart des hommes d’État, surtout quand ils restent longtemps au pouvoir – trente ans pour Philippe le Bel.

L’histoire retiendra à son passif trois grandes affaires de nature différente : les manipulations monétaires classiques, son conflit aigu avec la papauté (histoire à suivre jusqu’au Concordat de 1801) et l’affaire unique en son genre des Templiers, avec le procès fait aux Chevaliers du Temple surtout coupables d’avoir amassé trop d’argent – le fameux trésor d’ailleurs introuvable.

RENAISSANCE (années 1517-1521, La Réforme)

Schoen ERHARD (1491-1542), La Cornemuse du diable ou Diable à la cornemuse (1530). British Museum de Londres, Royaume-Uni

« Si les chrétiens savaient… »3

Cette célèbre caricature signée d’un peintre et graveur allemand est maintes fois reproduite. Elle représente Satan « jouant » un moine comme s’il était une cornemuse. Deux interprétations existent.

Le moine est Martin Luther (ressemblance frappante) et cette image antiprotestante prend place dans nombre de manuels scolaires. Mais d’autres historiens y voient au contraire la critique du monachisme catholique par les luthériens : « Si les chrétiens savaient… »

Quoiqu’il en soit, la gravure fut utilisée à des fins de propagande. Ces images souvent caricaturales qui se répandent facilement après la découverte de l’imprimerie pouvaient être insérées dans des pamphlets (elles étaient alors de petite taille et anonymes) ou sur des affiches accompagnées de textes virulents, voire de chansons.

Rappelons le choc de la Réforme sous la Renaissance, avec la contestation systématique des pouvoirs établis et des autorités religieuses. Luther, moine allemand, déclenche le mouvement en 1517, affichant ses 95 thèses contre les indulgences (et autres travers de la religion chrétienne) :

« Il faut enseigner aux chrétiens que si le pape connaissait les exactions des prédicateurs d’indulgences, il préférerait voir la Basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu’édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis. »

Martin LUTHER (1483-1546). Thèse 50

Grâce à l’imprimerie, ses thèses circulent en Europe. S’appuyant sur le Nouveau Testament, Luther le théologien veut corriger les abus de l’Église catholique en même temps que sa doctrine, pour supprimer tout ce qui est contraire aux enseignements du Nouveau Testament. Autrement dit, il veut réformer en profondeur l’Église existante.

Son enseignement, ses écrits, ses prédications ont immédiatement un grand rayonnement après l’affichage des 95 thèses, suivi de la condamnation par Léon X qui refuse d’entendre le rebelle et l’excommunie en 1553. Luther se résigne à une rupture qu’il n’a pas souhaitée. Ainsi naît l’Église luthérienne, nommée en Allemagne Église évangélique, car elle se veut un retour à l’Évangile.

Lucas CRANACH L’ANCIEN (1472-1553), caricature anticatholique des débuts de la Réforme, 1545

« Pape Léon X chevauchant une truie, tenant dans sa main gauche un excrément qu’il bénit de sa main droite. »4

Lucas CRANACH L’ANCIEN (1472-1553)

Et sa longue barbe est aussi un signe de saleté…

Peintre et graveur de la Renaissance allemande, ami et adepte de Luther, il fait une violente injure au chef suprême de l’Église catholique responsable de la rupture. Il n’est naturellement pas le seul, dans cette histoire religieuse à suivre en France comme en Allemagne et au-delà. Notons en passant l’humour du message qui touche la grande majorité d’analphabètes. Il y a plus quand même subtile dans le genre…

« Si par hasard on demande pourquoi, dans sa dernière heure, Léon ne pouvait prendre les sacrements : il les avait vendus. »

Jacopo SANNAZARO (1457-1530, poète italien réfugié en France, épigramme sur la simonie (achat, vente de biens spirituels, de sacrements, de postes hiérarchiques, de charges ecclésiastiques ou de services intellectuels)

Jean de Médicis (en italien Giovanni di Lorenzo de Medici), né le 11 décembre 1475 à Florence et mort le 1er décembre 1521 à Rome, fut pape de 1513 à 1521 sous le nom de Léon X. Connu comme mécène et digne représentant de la richissime famille des Médicis, son pontificat reste surtout attaché à la controverse de la vente des Indulgences, une des sources de l’opposition de Luther et du schisme entre catholiques et protestants (commencé en 1517 avec la Réforme). Peu avant sa mort, le pape dut se résoudre à exclure Luther de la communauté chrétienne, ce qu’il considérait comme un échec personnel.

Paradoxalement, la même mésaventure ou malédiction historique s’attachera au nom de Catherine de Médicis, responsable du massacre de la Saint-Barthélemy devenu inévitable, vu la haine entre cathodiques et protestants français.

GUERRES DE RELIGION (1572. MASSACRE DE LA SAINT BARTHÉLEMY)

Assassinat de Coligny (auteur anonyme). L’Histoire par l’image (Signalons cette source précieuse qui prend toujours le soin d’expliquer et de contextualiser les œuvres. Elle nous servira plusieurs fois de référence dans ce long édito. Elle montre la théâtralisation de l’Histoire et l’instrumentalisation de ces estampes volontiers caricaturales, avec un réel impact à l’époque des faits.)

« Si c’était un homme du moins ! C’est un goujat ! »524

Amiral Gaspard de COLIGNY (1519-1572), dans la nuit du 23 au 24 août 1572. Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet

Coligny (protestant modéré) toise l’homme qui va le frapper, un certain Bême, sbire des Guise (famille ultra-catholique), même pas un seigneur digne de lui ! Cette exclamation de mépris peut être considérée comme son « mot de la fin »… et le début de la Saint-Barthélemy.

Ce grand militaire avait servi tous les rois de France depuis François Ier, participé à toutes les guerres, quitté plusieurs fois la cour pour fuir ses intrigues, toujours rappelé pour ses qualités de courage, de diplomatie et de tolérance, quand il se convertit à la religion réformée. Sa fin à 53 ans est des plus humiliantes : surpris en chemise de nuit, achevé à coups de dague, son corps jeté par la fenêtre, éventré, émasculé, décapité, puis porté au gibet de Montfaucon, exhibé, pendu par les pieds, exposé à d’autres sévices, pour finir à nouveau pendu place de Grève, comme un vulgaire malfaiteur.

La Saint-Barthélemy donne à voir une remarquable iconographie de l’époque, les gravures contemporaines juxtaposant plusieurs événements et temporalités.

Cette première illustration est scindée en deux par le mur de la maison de Coligny. À gauche, le blessé, encore dans son lit, transpercé par les épées des meurtriers. À droite, on voit ce qui s’ensuit, le massacre général des huguenots parisiens, certains défenestrés, d’autres jetés dans un puits, tous frappés à coups d’épée, hommes, femmes ou enfants mêlés.

Assassinat de Coligny et massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Gravure de Frans Hogenberg, XVIe siècle. Département des estampes et de la photographie de la BnF.

« Tuez-les, mais tuez-les tous, pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher. »523

CHARLES IX (1550-1574), 23 août 1572. Nouvelle Histoire de France (1922), Albert Malet

Même juxtaposition des faits et des lieux, plus frappante encore.

À gauche, la première tentative ratée d’arquebusade de Coligny. De fait, l’amiral échappa au matin du 22 août à un attentat, vraisemblablement organisé par les Guise. Le célèbre médecin Ambroise Paré assure que ce coup d’arquebuse au bras sera sans conséquence. Le roi se rend au chevet de son conseiller qui le conjure de se « défier de sa mère ». Rentré au Louvre, il répète pourtant ses propos à Catherine de Médicis qui se concerte avec les Guise : le massacre des huguenots est décidé…

À droite, l’assassinat de la première victime, Coligny dans l’hôtel rue de Béthizy, quartier Saint-Germain-l’Auxerrois.

Au centre, le massacre général des huguenots parisiens qui s’ensuit. Les protestants se répandent dans les rues, réclamant justice au nom de Coligny. Catherine persuade son fils. Et à contrecœur, le jeune roi donne son accord : « Tuez-les, mais tuez-les tous… »

Le Massacre de la Saint-Barthélemy (1572), François Dubois (1529-1584), Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

« Périsse le souvenir de ce jour ! »535

Michel de l’HOSPITAL (vers 1504-1573), évoquant la Saint-Barthélemy. Œuvres complètes de Michel de L’Hospital, chancelier de France (1824)

Peintre protestant né à Amiens en 1529, Dubois échappa aux massacres qui se sont produits à Paris le 24 août 1572 et les jours suivants en province. Il va témoigner à sa manière pour l’Histoire.

Réfugié à Genève, capitale calviniste, il réalise un grand tableau dénonçant les violences commises par les catholiques parisiens les plus exaltés. Œuvre unique en son genre, il en fait un mémorial illustrant les souffrances du « petit troupeau » de Dieu. Le martyre est un signe d’élection.

Au centre de l’image, à l’arrière-plan, le Louvre dont la porte noire s’ouvre telle une bouche infernale crachant des démons enragés qui assassinent hommes, femmes et enfants. Les axes de fuite du tableau convergent vers cette scène. Une silhouette sombre se découpe devant le bâtiment : Catherine de Médicis, la mère du roi Charles IX à qui les huguenots attribuent la responsabilité du massacre.

La maison de l’amiral de Coligny apparaît au centre de l’image. Sa fin tragique est représentée en trois temps : corps défenestré, cadavre décapité, corps traîné jusqu’au gibet de Montfaucon, lieu des exécutions judiciaires, représenté au fond à droite. De l’autre côté de la Seine, l’église des Grands-Augustins et la tour de Nesle.

La topographie de ce tableau non conforme à la réalité obéit à la volonté du peintre : rassembler dans cette scène tous les faits et lieux notables des épisodes de la Saint-Barthélemy, l’apogée de la violence religieuse au XVIe siècle.

L’Histoire en citations, de son côté, accorde la place qu’elle mérite à ce massacre comparable à la Terreur sous la Révolution ou la Commune de 1871, et véritablement mémorable malgré le souhait de l’ex-chancelier adepte de la tolérance auprès de Catherine de Médicis : « Périsse le souvenir de ce jour ! » Mot cité comme un « cri de honte et de douleur que tous les vrais Français répétèrent ». Ce jour à jamais mémorable a donc commencé par l’assassinat d’un des chefs protestants célèbres, paradoxalement conseiller du jeune roi (naturellement catholique), Charles IX.

Suite à l’attentat contre l’amiral de Coligny, le massacre des principaux chefs protestants (réunis à Paris à l’occasion des noces du jeune Henri de Navarre avec Marguerite, la fille de la reine Catherine de Médicis) est décidé à la cour. Le tableau de Dubois attribue clairement la responsabilité des violences à la reine mère et l’œuvre participe à la construction de sa légende noire, avec l’obsession du roi son fils qu’elle a persuadé : « Tuez-les, mais tuez-les tous, pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher. »

Le massacre parisien fera quelque 3 000 victimes entre le 24 et le 28 août. Les corps jetés à la Seine s’échouèrent au pied de la colline de Chaillot, les autres furent charroyés à l’extérieur de la ville.

Une douzaine de villes suivent l’exemple de la capitale (Orléans, Lyon, Rouen, Bordeaux, Toulouse…). Au total, plus de 10 000 assassinats. Cependant que des dizaines de milliers de protestants se convertissent – c’est « la messe ou la mort » -, d’autres s’exilent.

SOUS HENRI III (1553-1589)

« Je ne suis mâle ni femelle,
Et si je suis bien en cervelle
Lequel des deux je dois choisir.
Mais qu’importe à qui on ressemble,
Il vaut mieux les avoir ensemble,
On en reçoit double plaisir. »6

Caricature d’un Mignon dénonçant son caractère efféminé. Description de l’Isle des Hermaphrodites nouvellement découverte. Cologne, 1724

Au XVIe siècle, les fameux « mignons » du roi Henri III sont volontiers décriés : insolents et turbulents, frisés et pomponnés Hermaphrodites, « garces du cabinet » qui savaient « branler à propos la crête d’un panache, garnir et bas et haut de roses et de nœuds des cheveux poudrés, soigner leurs dents aux pastilles de musc, farder leur teint de blanc d’Espagne, de rouge, faire les bègues, les las, avoir une voix molle et claire, une paupière languissante et pesante ».

Cela dit, les tableaux d’époque montrent toujours les costumes de cour très maniérés, qu’ils soient masculins ou féminins, cependant que Brantôme, abbé laïc et chroniqueur du XVIe siècle, rectifie l’image :

« Ce sont eux [les mignons] qui à la guerre ont été les premiers aux assauts, aux batailles et aux escarmouches, et s’il y avait deux coups à recevoir ou à donner, ils en voulaient avoir un pour eux, et mettaient la poussière ou la fange à ces vieux capitaines qui causaient [raillaient] tant. »559

BRANTÔME (1540-1614). Lexique des œuvres de Brantôme (1880), Ludovic Lalanne.

Homme de cour autant que de guerre, il défend ici et en témoin direct, la réputation des mignons du roi. Ils firent beaucoup parler dans l’Histoire qui les jugea très diversement.

Henri III les couvrit de biens et d’honneurs, ils furent en retour très fidèles et vaillants au combat. Michelet confirme dans son Histoire de France : « Puisque ce mot de mignon est arrivé sous ma plume, je dois dire pourtant que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’acharnèrent à lui donner […] Plusieurs des prétendus mignons furent les premières épées de France. » Ainsi, le duc Anne de Joyeuse mort au combat à 26 ans.

Mon Musée des souverains. Henri III / 7. Illustration de périodique. Musée Carnavalet. Portrait d’Henri III plus efféminé que nature à la veille de son assassinat en 1589.

« Son visage de blanc et de rouge empâté,
Son chef tout empoudré, nous montrèrent ridée
En la place d’un roi une putain fardée. »7

Agrippa d’AUBIGNÉ, (1552-1630), Les Tragiques, V, 773-796 – Princes

Calviniste pur et dur, il ne supporte pas le spectacle frivole d’un roi toujours entouré de ses mignons à la cour et accusé (à tort) d’homosexualité – Henri III, quoique sans enfant, aimait son épouse Louise de Lorraine. Il aimait aussi les femmes et l’on parlerait aujourd’hui de bisexualité, mais la légende des « mignons » entretint l’équivoque à la cour comme à la ville… et dans l’esprit du poète prodigue de détails :

« Pensez quel beau spectacle, / Et comme il fit bon voir / Ce prince avec un busc, / Un corps de satin noir
Coupé à l’espagnole, où des déchiquetures / Sortaient des passements et des blanches tirures ;
Et afin que l’habit s’entresuivît de rang,/ Il montrait des manchons gaufrés de satin blanc,
D’autres manches encor qui s’étendaient fendues, / Et puis jusques aux pieds d’autres manches perdues ;
Ainsi bien enmanché, il porta tout ce jour / Cet habit monstrueux, pareil à son amour :
Si qu’au premier abord, chacun était en peine
S’il voyait un Roi femme ou bien un homme Reine. »

Henri III est poursuivi par l’image caricaturale de son caractère efféminé qui l’oppose à son successeur Henri IV, le Vert galant ! Dernier Valois, il sera victime d’une authentique campagne de caricatures qui va conduire à l’assassinat de ce « nouvel Hérode ».

Mais c’est l’époque des « régicides » et Henri IV subira le même sort, après une tout autre vie.

SOUS HENRI IV (1553-1610)

Anonyme, Histoire de la Ligue, trois estampes, année 1594 : Naissance de la Ligue. Effectz de la Ligue. Déclin de la Ligue, Paris, BnF.

C’est le retour aux chimères dans toute leur horreur ! La situation s’y prête.

« Une guerre étrangère est un mal bien plus doux que la civile. »411

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)

En cette fin de siècle déchiré et déchaîné, Montaigne prône la « pitié », autrement dit la tolérance, une vertu alors fort mal partagée ! Le conflit latent depuis 1521 dégénère en véritable guerre civile après le massacre de Wassy en 1562 – surnommé « première Saint-Barthélemy ». La France, qui a vécu rien moins que onze guerres d’Italie de 1492 à 1559, va subir, cette fois sur son territoire, huit guerres de Religion de 1562 à 1598, jusqu’à l’édit de pacification de Nantes signé par Henri IV le 13 avril 1598.

Mais tout le début de son règne se résume en une lutte pour (re)conquérir son royaume déchiré. Entre les deux camps extrêmes (papistes catholiques et huguenots protestants), il va heureusement trouver des alliés modérés.

« Nous voulons un Roi qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir ; qui châtiera les violents, punira les réfractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les ailes aux ambitieux, fera rendre gorge à ces éponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. Enfin, nous voulons un Roi pour avoir la paix. »621

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

Les excès de la Ligue (qui a pris le pouvoir à Paris) effraient le monde parlementaire et la haute bourgeoisie. Cependant que la voix du bon sens, la voix du parti des « Politiques » et la voix du peuple s’expriment dans ce passage qui désigne nommément le roi désiré : « Nous reconnaissons pour notre vrai Roi légitime, naturel, et souverain seigneur, Henri de Bourbon, ci-devant Roi de Navarre. C’est lui seul qui peut nous relever de notre chute, qui peut remettre la Couronne en sa première splendeur et nous donner la paix. »

L’idée de ce pamphlet naît avant la réunion des États généraux, convoqués à la fin de l’année 1592 sur l’initiative du duc de Mayenne. Ligueur catholique, il veut se faire élire roi à la place d’Henri IV. D’autres prétendants au trône existent, face au roi hérétique (né protestant).

Les « États de la Ligue » s’ouvrent le 26 janvier 1593 à Paris. Entre autres revendications : un roi catholique pour la France. Henri IV va finalement l’emporter au prix d’une conversion : « Paris vaut bien une messe ! » Paris ou la couronne, ce mot attribué à Henri IV est certainement de Sully, son compagnon de toujours, protestant mais avant tout soucieux des intérêts de la France.

« Tu fais le catholique
Mais c’est pour nous piper
Et comme un hypocrite
Tâche à nous attraper,
Puis, sous bonne mine,
Nous mettre en ruine. »626

Pamphlet ligueur (anonyme). La Satire en France ou la littérature militante au XVIe siècle (1886), Charles Félix Lenient

Ni la conversion ni le sacre du roi ne peuvent rallier les catholiques irréductibles (baptisés parfois papistes) : les nombreux complots et tentatives d’assassinat qui marqueront le règne d’Henri IV le prouvent assez. Mais au final, il l’emportera sur la Ligue.

« À peine [Henri IV] fût-il rentré dans Paris qu’on ne vit plus que maçons en besogne. »629

Le Mercure français (1611). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le roi a fini par battre les Ligueurs pour entrer enfin dans Paris, sa capitale. C’est une ville littéralement dévastée par la Ligue qu’Henri IV a trouvée en 1594.

Dans les quarante années qui suivent, la capitale va connaître un essor extraordinaire et doubler sa population. Les Valois préféraient le Val de Loire, les premiers Bourbons seront plus parisiens.

En tout cas, Henri IV eut assez de mal à entrer dans Paris : il est bien décidé à y résider et à s’occuper personnellement des travaux qui s’imposent. Il ouvre aussitôt des chantiers pour réduire le chômage, embellir la ville et servir sa gloire. La place Dauphine, la place Royale et le pont Neuf datent de ce règne qui fut trop court pour que se réalisent bien d’autres projets architecturaux.

Henri IV en Dieu Mars, attribué (entre autres) à Ambroise Dubois, puis à Jacob Brunel, peintres contemporains. Château de Pau

« Vive Henri IV
Vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et de se battre
Et d’être un Vert Galant ! »605

Vive Henri IV, chanson anonyme. Chansons populaires du pays de France (1903), Jean-Baptiste Weckerlin

Ce premier couplet est contemporain du roi. Au fil des siècles, d’autres s’ajoutent, à mesure qu’Henri IV devient l’un des mythes de l’histoire de France.

Ce tableau lui aussi contemporain (appartenant à la seconde école de Fontainebleau, vers 1605-1606) donne à voir un roi extraverti et bon vivant, athlétique et triomphant, représenté en empereur vainqueur d’ennemis dont il foule aux pieds les dépouilles, armures, casques, armes.

Tête couronnée de lauriers, tenant le bâton de commandement dans la main droite, le roi est revêtu d’une armure d’un rose vif en contraste avec le vert des rideaux de fond. Son visage bien reconnaissable et très expressif, cheveux et barbe grisonnant, fines rides et léger sourire, donne à voir un souverain triomphant, mais aussi cordial et compatissant, dont le règne se veut pacificateur.

C’est la légende vivante de ce roi qui va mourir assassiné par Ravaillac, c’est aussi une forme de caricature bienveillante d’un Henri IV devenu le plus populaire de nos rois, poignardé par Ravaillac après une vingtaine de tentatives d’assassinats. C’est le temps des régicides et son prédécesseur Henri III subit le même sort.

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire