Représentation déformante de la réalité, la caricature (de l’italien caricare, charger) est aussi définie comme « charge, imitation, parodie, pastiche, simulacre ». Art engagé dès l’origine (Moyen Âge), signée ou anonyme, sans tabou et destinée à tous les publics, elle joue un rôle historique comparable à la chanson.
Manière originale de revoir l’Histoire en citations, on trouve au fil de cet édito en 12 semaines les personnages principaux (Napoléon, de Gaulle, Hugo, Voltaire, Henri IV…) et les grands évènements (Réforme et guerres de Religion, Saint Barthélemy, Révolution, Affaire Dreyfus…), l’explosion de la caricature politique correspondant à des périodes de crises.
Encouragée par le développement de l’imprimerie au XVI° siècle, étouffée sous la censure de la monarchie absolue et de l’Empire, la caricature s’impose avec la presse populaire au XIX° et les dessins provocants de journaux spécialisés (La Caricature, Le Charivari…). Des formes naissent sous la Cinquième République : slogans de Mai 68, Guignols de l’Info et autres marionnettes à la télé, sans oublier les BD politiques souvent best-sellers.
Deux auteurs seront cités (= montrés) une dizaine de fois. Le plus célèbre, Gustave Doré, artiste peintre du XIXe, se voue à la caricature avec un art du trait qui fait mouche et mal. Bien différent avec sa série de gouaches, François Lesueur inventa sous la Révolution une caricature bienveillante et bon enfant comme la Carmagnole du Ça ira (première version).
Une invitée surprise, la physiogonomie. Formulée par Cicéron (« Le visage est le miroir de l’âme »), elle entre en scène avec le génie du peintre Le Brun sous Louis XIV, s’érige en science au siècle des Lumières, justifie les pires racismes (colonialisme, antisémitisme) et se banalise avec le « délit de sale gueule ».
Louis XIII, Richelieu, Cossmann (tambour) et moine (SGK). Charles-Henri PILLE, 10 février 1883. Musée Léon-Dierx, unique musée des beaux-arts de La Réunion
Aucune caricature d’époque (et celle du XIXe siècle est bien pauvre). La censure en est la cause. Et Richelieu, Principal ministre, veille.
« L’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade. »580
Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique
Cet ouvrage venu de la chancellerie du cardinal, même s’il n’est pas entièrement de sa main, est l’exact reflet de ses idées. Ministre de Louis XIII, Richelieu fait preuve d’une très grande autorité pour contraindre à l’obéissance les protestants, les Grands, les Parlements et quelques autres rebelles. Ce qui lui vaut, surtout à la fin de son « règne », une grande impopularité personnelle.
Formulateur sinon inventeur de la raison d’État, Charles de Gaulle qui l’admirait rendit hommage à son action pour la France. Il n’est pas le seul.
« [Richelieu] acheva ce que Louis XI avait commencé […] Il rendit le pouvoir absolu. »582
Philippe BUCHEZ (1796-1865) et Pierre-Célestin ROUX (1802-1874), Histoire parlementaire de la Révolution française (1834-1838)
Historien du XIXe siècle, Buchez fait de Richelieu le premier héros de l’histoire moderne de la France, celui qui se bat pour l’unité du pays et le pouvoir du roi, l’un n’allant pas sans l’autre.
Fait remarquable, ce sont deux ministres qui, sous des rois trop faibles ou trop jeunes, ont fait la monarchie absolue et en quelque sorte créé le trône sur lequel Louis XIV s’installera. Tous deux cardinaux, mais de nature aussi différente que possible : Richelieu avec sa lucidité politique et son caractère intransigeant, puis son principal collaborateur et bientôt successeur, Mazarin, avec son insinuante diplomatie. Mais la monarchie absolue ne l’est jamais tout à fait…
« En France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. »815
Eugène SCRIBE (1791-1861), Discours de réception à l’Académie française (1834)
Restent de rares caricatures d’époque bravant la censure. Voici l’une des plus connues, allégorique et aisément déchiffrable.
Le Salut de la France dans les armes de la ville de Paris. 1649. Bibliothèque Mazarine.
« Le Salut de la France dans les armes de la ville de Paris. »1
Programme affiché des premiers frondeurs
Gravure sur bois : à bord de la nef aux armes de la ville de Paris et arborant les pavillons du roi de France, lui-même placé au-dessus d’elle et guidé par le Génie de la France… on reconnaît quelques personnages célèbres sur cette plaisante caricature.
Le prince de Conti est à la barre, accompagné en poupe des ducs de Beaufort et d’Elbeuf, du prince de Marcillac, chefs principaux de l’armée ; à la proue se trouvent le duc de Bouillon, le maréchal de La Mothe Houdancourt et le marquis de Noirmoutier, autres chefs militaires ; au centre autour du grand mât, les gens du Parlement et ceux de la Ville… les fameux frondeurs.
Tandis que Mazarin, dans l’eau (de la Seine ?), s’accroche à l’arrière du navire et tente de le faire chavirer, aidé de deux diables cornus qui représentent les monopoleurs et soufflent des vents contraires. À l’avant, Concini, marquis d’Ancre, accroché à son ancre, se noie en essayant de couler le navire et appelle Mazarin à la rescousse.
En résumé : malgré la Fronde et contre Mazarin, les Frondeurs assument le salut de la France avec la bénédiction du (jeune) roi qui deviendra grand.
La France fut malgré tout au bord de la révolution. Louis XIV, enfant marqué à jamais par l’épreuve, en tirera leçon pour rendre la monarchie absolue.
« Un vent de Fronde
S’est levé ce matin
Je crois qu’il gronde
Contre le Mazarin. »744Paul SCARRON (1610-1660), mazarinade. Poésies diverses : la mazarinade, Virgile travesti, roman comique
Tout-puissant ministre sous la régence d’Anne d’Autriche, mère du très jeune Louis XIV, Mazarin est l’homme d’État le plus durement chansonné de l’histoire de France durant la Fronde (1648-1653) ! Quant à Paul Scarron, l’un des rares auteurs osant signer ses mazarinades, sa veuve épousera en secondes noces Louis XIV vieillissant. Ironie de l’Histoire à venir…
1648, le coup de force du Parlement de Paris, exploitant la crise financière et le mécontentement général, a mis le feu aux poudres. Les causes du mouvement sont profondes, à la fois politiques, économiques, sociales. Sur fond de guerre étrangère avec l’Espagne trop heureuse de trouver des alliés parmi les frondeurs, la France fragilisée, Paris en tête, se déchaîne dans un tourbillon révolutionnaire où les parlements, le peuple et les Grands se relaient.
La cible numéro un est le cardinal au pouvoir, l’amant (supposé) de la Reine, l’Italien (naturalisé), le parvenu (enrichi), l’homme à abattre : Mazarin. C’est un véritable appel au meurtre.
« Notre France est ruinée,
Faut de ce Cardinal
Abréger les années,
Il est auteur du mal. »751La Chasse donnée à Mazarin, chanson populaire anonyme. Bulletin de la Société de l’histoire de France (1835), Renouard éd.
Le cardinal Mazarin succédant au cardinal de Richelieu est également détesté en raison de la crise des subsistances et de la lourdeur des impôts nécessaires pour financer la guerre. Le peuple taillable et corvéable à merci chante :
« Pour payer les subsides / J’ai vendu mon godet / Ma poêle, ma marmite / Jusques à mon soufflet / Moi, pour payer les tailles / J’ai vendu mes moutons / Je couche sur la paille / Je n’ai pas le teston [monnaie royale] / Moi, j’ai chose certaine / Vendu un gros pourceau / Mes chèvres et mes gélines / Pour payer les impôts. »
L’Histoire en chansons a beaucoup de talent, l’histoire par les caricatures se manifeste plus discrètement en attendant l’histoire contemporaine.
SIÈCLE DE LOUIS XIV (règne personnel 1661-1715)
Le Bichon poudré : caricature d’un petit marquis. BNF, Bibliothèque nationale de France, estampe du XVIIe
« Qui est plus esclave qu’un courtisan assidu, si ce n’est un courtisan plus assidu ? »828
Jean de la BRUYÈRE (1645-1696), Les Caractères (1688)
Sous Louis XIV, la cour est un lieu de pouvoir à la fois envié et décrié, politiquement complexe et humainement passionnant.
Avoir du talent peut faciliter la vie des auteurs et des artistes à la cour. Mais la vie du « pur » courtisan est dure : rivalités de personnes, clans et coteries viciant les rapports humains, fêtes perpétuelles où le « paraître » est de rigueur, exigences minutieuses et minutées de l’étiquette, incommodités du château de Versailles aux couloirs froids et sales. La Bruyère si étranger au monde des « petits marquis » n’y sera pas vraiment à l’aise et le fera savoir dans ses Caractères.
« Pressez-les, tordez-les, [les courtisans] dégouttent l’orgueil, l’arrogance, la présomption. »825
Jean de la BRUYÈRE (1645-1696), Les Caractères (1688)
Bourgeois parisien, avocat à qui sa charge laisse des loisirs, La Bruyère est introduit dans la maison des Condé par Bossuet, comme précepteur, puis secrétaire du duc de Bourbon, petit-fils du Grand Condé.
Il vit là une « domesticité » honorable, mais mal supportée. La cour est un bon terrain d’observation pour ce moraliste et fournit un savoureux chapitre à ses Caractères : publiés anonymement par prudence, leur immense succès sera suivi de nombreuses éditions augmentées – c’est la revanche du talent et de l’esprit sur la naissance et la fortune.
La Poule d’Inde en Falbala : caricature d’une duchesse. BNF, Bibliothèque nationale de France, estampe du XVIIe
« Je définis la cour un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être
Tâchent au moins de le paraître :
Peuple caméléon, peuple singe du maître. »824Jean de la FONTAINE (1621-1695), Fables. Les Obsèques de la lionne (1678)
Né bourgeois, auteur à qui sa charge de « maître des Eaux et Forêts » laisse bien des loisirs pour fréquenter les salons, lire les Modernes, leur préférer d’ailleurs les Anciens, écrire enfin. Fouquet fut son mécène et à la chute du surintendant (1661), La Fontaine trouve d’autres riches protecteurs (et surtout protectrices, duchesse d’Orléans, Mme de la Sablière, Marie-Anne Mancini, etc.).
Courtisan à la cour, il est cependant épris de liberté et fort habile à la gérer, tout en ménageant son confort. C’est tout un art de vivre. Et le génie littéraire de l’auteur s’en accommodera à merveille.
Quant aux caricatures, comme les Fables, elles ont l’art de se servir des animaux, non pas tant pour « instruire les hommes » que pour s’en moquer plus ou moins cruellement et clairement.
Romeyn de HOOGHE, Louis XIV/Lion, 1672, eau forte. (tiré de Guédron-Baridon, L’Art et l’histoire de la caricature.)
« Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître,
De quelles nations le Ciel l’avait fait maître. »4Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables, La Cour du Lion
Le Lion est le roi des animaux… et pas seulement dans les Fables de La Fontaine.
À travers ses vers très inspirés d’Ésope et avec un génie qui lui est propre, il critique la cour et Louis XIV, représenté par Sa Majesté lionne – autrement dit le Roi-lion qui symbolise la brutalité. Il tire de ses fables une morale valable aussi bien au XVIIe siècle qu’à notre époque. Cette dénonciation n’est pas violente, contrairement au siècle des Lumières où les philosophes pourront blâmer le système – s’exposant quand même à l’exil ou la prison. L’utilisation des animaux dans ses œuvres permet à La Fontaine de ne pas être censuré. C’est un moyen d’éviter la censure.
Notons que la caricature ne s’attaque jamais au Grand Roi, personnage sacré. Mais à l’étranger, ses adversaires constamment en guerre dans des coalitions groupant les Provinces-Unies, l’Angleterre, les Habsbourg, ne manquent pas d’exploiter l’arme de la caricature. Les plus connues et les plus répandues circulant en France sous le manteau sont publiées en Hollande – sous Napoléon, ce sera en Angleterre.
La personne du roi n’est pas déformée. La mode du portrait-charge qui pose une tête énorme sur un corps rétréci n’est pas encore de mise. Pas davantage d’animalisation ou de monstruosité. Le visage cherche la ressemblance avec le modèle qui peut être observé sur les monnaies, voire les gravures circulant au-delà des frontières de la France. Dans cette caricature de 1672, la relation au Lion, le roi des animaux, est quand même évidente… et fascinante.
Anonyme, Louis d’or au soleil, 1693, eau forte, Laurent Baridon et Martial Guédron, L’Art et l’histoire de la caricature (2021).
La légende vaut citation (et plaisante explication) :
« Tout le crime qu’on m’impose,
C’est que le soleil m’endort,
Et que les seuls louis d’or
Qui font tout remuer, font que je me repose. »5
La critique contre le règne se manifeste lors des nombreuses guerres où le roi fait véritablement son métier : 1672, guerre contre la Hollande, 1690 et suivantes, guerre de la Ligue d’Augsbourg et finalement guerre de succession d’Espagne, 1702-1714. Le peuple qui approuve au début du règne se lasse de la grandeur à ce prix. Pour entretenir et renouveler des armées toujours plus nombreuses, Louis XIV multiplie les expédients : création d’offices, manipulations monétaires, levées d’impôts dans les régions conquises… Moins connue, l’arme des louis d’or pour s’acheter des alliés.
Dans le Louis d’or au soleil, le graveur (prudemment anonyme) a figuré le prince Louis-Guillaume de Bade (1655-1701), dit Louis le Turc pour sa victoire contre les Turcs. Assoupi, il porte en sautoir un écu d’or frappé à l’effigie de Louis XIV. Sa main repose sur des sacs de monnaie venus de toute l’Europe : « ducats d’Allemagne », « guinées d’Angleterre », « doublons d’Espagne », « Louis d’or », autant de monnaies qui ont permis au roi d’acheter sa neutralité supposée, ou son manque de zèle… Le grand soleil qui l’inonde de ses rayons l’endort et le sous-titre de la gravure est explicite.
Reste la question sans réponse : ce filleul de Louis XIV était-il français de cœur ? ou français dûment acheté à denier comptant par le Grand Roi ?
Romeyn de HOOGHE (1645-1708), graveur et caricaturiste baroque des Pays-Bas. Louis XIV en Apollon conduit par Madame de Maintenon, 1701
Rappelons qu’on ne caricature pas la personne toujours sacrée et de droit divin du Roi-soleil !
« Nec pluribus impar. »
« Supérieur à tous. »853LOUIS XIV (1638-1715), sa devise
« Non inférieur (ou : inégal) à plusieurs (ou : au plus grand nombre) » – c’est littéralement intraduisible ! On peut quand même essayer, en recourant à une litote. D’autres traductions existent, signées d’historiens. Pierre Larousse, auteur du dictionnaire, pose la question et avoue qu’il n’y a pas de réponse claire, même pas celle de Louis XIV dans ses Mémoires : « Je suffirai à éclairer encore d’autres mondes. »
Quoiqu’il en soit, la devise latine accompagne l’emblème choisi depuis la fête du Carrousel, en juin 1662 : le Soleil. Ainsi se développe une mystique d’origine divine mais en réalité bien païenne, celle du « Roi-Soleil », personnage presque supraterrestre dont le culte atteint son apogée avec l’installation de Louis XIV à Versailles, en 1682. La charge tient à la mise en scène dans laquelle le roi est représenté, en soleil attristé, assombri, sans éclat. La métaphore de la devise du roi Soleil reste le référent systématique, comme dans sa devise énigmatique.
Quant à Mme de Maintenon… son rôle de conseillère plus ou moins secrète est connu depuis son mariage plus ou moins secret (morganatique).
« Le plus grand roi du monde, couvert de gloire, épouser la veuve Scarron ? Voulez-vous vous déshonorer ? »894
LOUVOIS (1639-1691), à Louis XIV qui lui fait part de son projet de mariage, 1683. Mémoires et réflexions sur les principaux événements du règne de Louis XIV (1715), marquis de la Fare
François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, ose reprocher au roi son intention d’épouser la Maintenon, veuve d’un bohème des lettres.
Sans ressources, la « veuve Scarron » était devenue gouvernante des enfants de Louis XIV et de sa favorite, Mme de Montespan. La gouvernante supplanta la maîtresse. Après la mort de sa femme, la reine Marie-Thérèse (30 juillet 1683), le roi va écouter son cœur plutôt que son ministre préféré. Il épousera secrètement (en 1683 ou 1684) Mme de Maintenon qui ne pardonnera jamais à Louvois : il sera disgracié sur son intervention, après la chute de Mayence (en 1689).
Mme de Maintenon, Veuve de Scarron. Musée du Donjon de Niort. Anonyme.
La légende vaut là encore citation :
« Je dois sans contredit être jointe à la Ligue
J’ai bâti des couvents et Saint Cyr en fait foi
De veuve de Scarron, je suis femme d’un Roy
Et si j’ai réussi, c’est par ma seule intrigue. »7
Le visage horriblement déformé est affublé d’un furoncle au bout du nez. La « veuve Scarron » porte un vêtement noir à capuche de moine, mais la catho coquette arbore des boucles d’oreille, une croix autour du cou et une fleur de lys en broche sur l’épaule gauche.
Le portrait est sous-titré de ces quatre vers qui résument son ascension sociale : la Veuve Scarron devenue femme de Roi, ayant fondé en 1686 la maison d’éducation de Saint-Cyr, destinée aux jeunes filles nobles et sans fortune – ce qui fut son cas.
Principal grief et cause de son impopularité : son rôle dans la révocation de l’édit de Nantes, plus ou moins clair et diversement jugé par les historiens.
« Dieu se sert de tous les moyens. »899
Mme de MAINTENON (1635-1719). Histoire de Madame de Maintenon et des principaux événements du règne de Louis XIV (1849), duc Paul de Noailles
Ou encore : « Dieu se sert de toutes voies pour ramener à lui les hérétiques. » Un casuiste (cité par Michelet dans son Histoire de France) aura un autre mot pour faire passer la chose : « Un petit mal pour un grand bien ».
Ainsi et au nom de la foi, cette très chrétienne épouse royale se résigne à la brutalité des dragonnades contre les protestants, les conversions forcées avec les enfants systématiquement enlevés à leurs parents, ou l’exil massif vers la Belgique et autres pays d’accueil.
Ironie de l’histoire, rappelons que Mme de Maintenon, veuve Scarron - infirme disgracié, pensionné comme « malade de la reine » Anne d’Autriche, auteur du Roman comique et de mazarinades frondeuses -, est née Françoise d’Aubigné, petite-fille du protestant Agrippa d’Aubigné. Lequel s’est battu toute sa vie pour sa religion, déplorant que l’édit de Nantes, signé par son ami Henri IV, ne fît pas la part assez belle aux réformés !
« La plaie de la révocation de l’édit de Nantes saigne encore en France. »900
VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance (Lettre au comte de Schouvalof, 30 septembre 1767)
Au siècle suivant, c’est le grand avocat de la tolérance religieuse qui s’exprime, mais aussi le premier véritable historien du Siècle de Louis XIV.
L’édit de Fontainebleau du 18 octobre 1685 (enregistré le 22) révoque l’édit de Nantes (pris par Henri IV en 1598) : pasteurs bannis, écoles protestantes fermées, temples détruits, enfants des « nouveaux convertis » baptisés. Et interdiction de quitter la France sous peine de galères. C’est l’impardonnable faute politique du règne, même si la majorité des Français de l’époque l’approuvaient, à commencer par Bossuet, théoricien de la monarchie absolue de droit divin.
Reste la guerre qui n’en finit pas et tourne mal pour la France.
« Ah ! que votre âme est abusée
Dans le choix de tous les guerriers.
Faut-il qu’une vieille édentée
Fasse flétrir tous vos lauriers ? »929Contre Maintenon, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
L’influence de cette femme de tête sur le roi vieillissant fait toujours jaser. Le peuple épuisé, ruiné, lassé d’une gloire dont il voit désormais les faiblesses, prend cette femme pour bouc émissaire. Cependant que la guerre de Succession d’Espagne tourne au drame, avec des troupes moins combatives, sous des chefs militaires aussi médiocres que La Feuillade, Marcin, Villeroy (ou Villeroi).
« Louis, avec sa charmante,
Enfermé dans Trianon,
Sur la misère présente,
Se lamente sur ce ton :
Et allons, ma tourlourette
Et allons, ma tourlouron. »934Louis avec sa charmante, chanson
La crise économique et sociale ronge le pays et même à la cour, les marchands exigent d’être payés comptant, pour livrer au roi le linge à son usage personnel ! On est loin de la belle époque de Versailles ! La fin de règne est tragique à tout point de vue.
Charles LE BRUN (1619-1690), Livre de portraiture pour ceux qui commencent à dessiner (posthume, 1705 ) source : Gallica-BnF
Charles LE BRUN (1619-1690), Traité de la physionomie de l’homme comparée à celle des animaux (posthume).
« Mon dessein n’a pas été d’expliquer les passions en Orateur, ni même en Philosophe, mais seulement en Physicien. »8
René DESCARTES (1596-1650), Lettre à son éditeur (14 août 1649) à propos de son dernier livre (posthume), Les Passions de l’âme (ou Traité des Passions de l’âme)
Dans le contexte de la vision mécaniste du vivant, liée à l’apparition de la science moderne au XVIIe siècle, notre philosophe conçoit le corps comme une machine disposant d’une certaine autonomie : il peut se mouvoir indépendamment de l’âme. D’où son approche physiologique des passions de l’âme. Autrefois conçues comme une anomalie, les passions deviennent un objet naturel dont il s’agit d’expliquer le fonctionnement, pour éviter leur mauvais usage ou leur excès. Poussée à l’extrême, sa théorie de « l’animal-machine » sera aussi admirée que critiquée.
Se référant à ce traité, Charles Le Brun, premier peintre du roi Louis XIV, directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture et de la Manufacture royale des Gobelins, va distraire un peu de son temps et appliquer son génie tout terrain à l’Expression générale et l’Expression des passions. Il illustre son propos par des dessins quasi scientifiques, montrant les déformations, sous l’empire des sentiments, du visage humain, vu de face et de profil. Il remet à l’honneur la physiognomonie zoologique, comparant visage humain et face animale, insistant sur les traits animaux de la face humaine (Conférences sur l’expression des différents caractères des passions, publiée en 1702). Le Brun étudie quatre points précis : les traits et les hommes célèbres de l’Antiquité et les rapports entre leurs traits et leurs caractères ; les traits des hommes par rapport aux animaux ; les yeux et les sourcils ; enfin le cerveau de l’homme. Le Louvre possède en deux albums près de 250 dessins physiognomoniques dans lesquels les visages d’hommes sont mis en parallèle avec la tête de l’animal correspondant à ses traits.
La physiognomonie va prendre rang de science au siècle des Lumières, devenant aussi dangereuse que séduisante, exploitée au XIXe siècle par les caricaturistes… et les criminologues (Cesare Lombroso en tête), justifiant toutes les formes de racisme et de colonialisme, avant d’être officiellement discréditée, mais toujours latente jusqu’à nos jours.
« Délit de sale gueule. Situation d’une personne qui est harcelée ou méprisée du simple fait de son apparence, de préjugés, ou du fait qu’elle dérange un groupe ayant un certain statut. »
Wiktionnaire
Expression récente qui trouve ses racines jusque dans l’Antiquité – nous reviendrons sur le mot de Cicéron : « Le visage est le miroir de l’âme. »
Fin de règne de Louis XIV. Caricature de Louis XIV par William Thackeray, datée du 18 juillet 1811. Dominique Moncond’huy, Petite histoire de la caricature de presse en 40 images (2015)
Les trois personnages de la caricature sont légendés ainsi : REX - LUDOVICUS - LUDOVICUS REX
Ce dessin parodie le portrait officiel de Louis XVI par Hyacinthe Rigaud (1701) et dénonce le faux-semblant : le roi y apparaît en majesté alors qu’il est déjà âgé, malade, voûté, édenté.
La caricature va plus loin. En tête, la somptuosité du costume - dénommé REX « le roi » - laisse entendre que le roi est d’abord une enveloppe vide. Au centre, LUDOVICUS, petit vieux chauve, frêle et sans grâce, n’est qu’un corps marqué par les ans. Tandis qu’à droite, LUDOVICUS REX prolonge l’apparat près d’un fauteuil.
Message évident : le roi Louis dans sa splendeur n’est qu’apparence. D’où la question à méditer : dans cette représentation de Louis XIV, qu’est-ce qui fait de lui « le roi » ? Le costume ou l’individu ? Le système de signes ou la réalité de la personne ? Questions toujours d’actualité, jusque dans le conflit constant de l’être et du paraitre dans La Société du spectacle (1967) signée Guy Debord.
Au XXIe siècle, le message devient vertigineusement actuel, avec le pouvoir de l’image truquée ou pas, des conseillers en communication, des influenceurs et des réseaux sociaux.
« Quoi Madame, vous vous affligez de me voir en état de bientôt mourir ? N’ai-je pas assez vécu ? M’avez-vous cru immortel ? »942
LOUIS XIV (1638-1715), à Mme de Maintenon, 25 août 1715. La Santé de Louis XIV (2007), Stanis Perez
La santé du roi décline rapidement et Fagon, son médecin personnel, semble le seul à ne pas le voir ! La cour et l’Europe guettent. Louis XIV, à presque 77 ans, malgré une ancienne goutte et une récente gangrène à la jambe, fera jusqu’au bout son métier de roi et les gestes de l’étiquette. Reste l’apport du siècle de Louis XIV à l’Histoire.
Ballet royal de la nuit. Louis XIV (15 ans) en Apollon. Aquarelle anonyme, 1653. BNF.
« Louis XIV fit plus de bien à sa nation que vingt de ses prédécesseurs ensemble. »949
VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)
Souvenir d’un grand règne, apogée de la monarchie absolue et exemple unique dans l’Histoire, faste pour les arts et les lettres, quoique totalement dirigé.
Le Versailles du « Roi-Soleil » en est le plus éclatant symbole. La vie littéraire (La Fontaine, Boileau), musicale (Lully) et théâtrale (Molière, Racine), encouragée par le mécénat royal et influencée par les goûts personnels du souverain, engendre une série de chefs-d’œuvre. Le classicisme français renforce le prestige de la royauté, dans une Europe baroque, mais fascinée par ce rayonnement culturel.
Le Roi danse – ici, il a 15 ans. Un an après et avant même le début du règne personnel qui commence à la mort de Mazarin (1661), il s’affirmera politiquement.
« L’État, c’est moi. »807
L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet.
Mot réputé apocryphe, souvent cité, qui reflète la réalité, et fut prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde).
Louis XIV vient d’être sacré roi à Reims (1654), mais Mazarin exerce toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers, pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire !
Louis XIV, en costume de chasse, se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produit. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire, et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655). Il a 16 ans.
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