Représentation déformante de la réalité, la caricature (de l’italien caricare, charger) est aussi définie comme « charge, imitation, parodie, pastiche, simulacre ». Art engagé dès l’origine (Moyen Âge), signée ou anonyme, sans tabou et destinée à tous les publics, elle joue un rôle historique comparable à la chanson.
Manière originale de revoir l’Histoire en citations, on trouve au fil de cet édito en 12 semaines les personnages principaux (Napoléon, de Gaulle, Hugo, Voltaire, Henri IV…) et les grands évènements (Réforme et guerres de Religion, Saint Barthélemy, Révolution, Affaire Dreyfus…), l’explosion de la caricature politique correspondant à des périodes de crises.
Encouragée par le développement de l’imprimerie au XVI° siècle, étouffée sous la censure de la monarchie absolue et de l’Empire, la caricature s’impose avec la presse populaire au XIX° et les dessins provocants de journaux spécialisés (La Caricature, Le Charivari…). Des formes naissent sous la Cinquième République : slogans de Mai 68, Guignols de l’Info et autres marionnettes à la télé, sans oublier les BD politiques souvent best-sellers.
Deux auteurs seront cités (= montrés) une dizaine de fois. Le plus célèbre, Gustave Doré, artiste peintre du XIXe, se voue à la caricature avec un art du trait qui fait mouche et mal. Bien différent avec sa série de gouaches, François Lesueur inventa sous la Révolution une caricature bienveillante et bon enfant comme la Carmagnole du Ça ira (première version).
Une invitée surprise, la physiogonomie. Formulée par Cicéron (« Le visage est le miroir de l’âme »), elle entre en scène avec le génie du peintre Le Brun sous Louis XIV, s’érige en science au siècle des Lumières, justifie les pires racismes (colonialisme, antisémitisme) et se banalise avec le « délit de sale gueule ».
« Taille, impôts et corvées » est écrit sur la pierre. Le peuple est écrasé d’impôts et méprisé par le clergé et la noblesse. Gravure colorisée anonyme, sans titre, datée de 1789 (à la veille de la Révolution). Musée Carnavalet à Paris (musée de l’Histoire de Paris)
« Le peuple est taillable et corvéable à merci. »966
Jean-François JOLY de FLEURY (1718-1802). Dictionnaire de français Littré, au mot « taillable »
C’est une réalité qui date du Moyen Âge, mais le mot est prononcé quand Turgot tente l’abolition de la corvée, en 1775-1776. La taille est pratiquement le seul impôt direct de l’Ancien Régime : représentant (en principe) le rachat du service militaire, il n’est payé ni par les nobles qui se battent en personne, ni par le clergé qui ne se bat pas. C’est donc un impôt roturier. Très injustement réparti, il retombe lourdement sur les plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens (argent, relations) pour s’en faire exempter. Même injustice pour la corvée royale – impôt en nature sous forme de journées de travail.
En 1789, la caricature devient un langage politique : une production massive d’estampes est relayée dans les pamphlets et dans une presse foisonnante. La liberté de la presse sera l’un des principes affirmés dans la Déclaration des droits de 1789. La floraison des journaux marque un spectaculaire éveil de la conscience populaire : 42 titres paraissent entre mai et juillet 1789, plus de 250 à la fin de l’année. Certaines feuilles ont une diffusion confidentielle, mais d’autres arrivent à 200 000 exemplaires.
Ici, cette estampe datée des premiers mois de 1789 vaut clairement « cahier de doléances ».
Trois personnages sont dans la campagne : l’un est à terre, une grosse pierre posée sur son corps, les deux autres sont juchés sur la pierre. Le personnage au sol est un paysan, il porte un habit rouge et un chapeau, une bêche est posée à côté, il est écrasé par la pierre « Taille, impôts et corvées ». Debout, le personnage de gauche qui porte une longue robe bleue tient un livre à la main, c’est un prêtre. Le personnage de droite a un uniforme et l’épée au côté, c’est un noble.
Cette caricature montre les paysans écrasés par les impôts, car ils en paient trop. Les nobles et le clergé pèsent sur la pierre. Ils ne paient pas d’impôts et, en plus, ils en prélèvent sur les paysans (dîme pour le clergé, impôts seigneuriaux et corvées pour la noblesse).
La caricature véhicule clairement un message politique. Elle dénonce l’organisation sociale et l’ordre fiscal (il faudrait que tout le monde paie des impôts), elle porte donc les idées du tiers-état, car c’est lui qu’on voit écrasé par les impôts. Elle montre que la société française ne va pas bien, la société divisée en trois ordres n’est plus acceptée par les Français. Le tiers-état revendique l’égalité, à commencer par l’égalité fiscale.
Caricature des Trois-Ordres : Le Tiers-État portant sur son dos le Clergé et la Noblesse. 1789 (à la veille de la Révolution).
« À faut esperer qu’eu se jeu la finira ben tôt. » Un Paysan portant un Prélat et un Noble. Musée Carnavalet à Paris (musée de l’Histoire de Paris).
« Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »1265
Abbé SIEYÈS (1748-1836), Qu’est-ce que le tiers état (1789)
Premiers mots de cette célèbre brochure, publiée en janvier 1789. L’abbé Sieyès sera souvent la voix de la raison, dans cette folle époque à venir. Mais dans l’esprit de Sieyès, le « Tiers », c’est la bourgeoisie sans le peuple. Ce sera l’un des malentendus les plus graves de la Révolution française.
Face à la fronde des parlements et la crise financière, Louis XVI dut convoquer en août 1788 les états généraux qui s’ouvrent le 5 mai 1789. La rédaction des cahiers de doléances est l’occasion pour le tiers état de dénoncer les droits seigneuriaux et d’exiger une juste répartition de l’impôt. C’est dans ce contexte du premier semestre 1789 que fut réalisée l’image.
« Caricature des Trois-Ordres », elle donne à voir le paysan accablé par les privilèges. Il porte sur son dos le premier ordre (clergé) et le second (noblesse), évoquant l’injustice de la société d’Ancien Régime. L’image force le trait, représentant les deux premiers ordres en habit de cour. Le prélat porte culotte et bas de soie, au lieu de la soutane. Le noble arbore le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Les plumes exubérantes de son chapeau et sa jarretière soulignent sa frivolité. La fraise qui n’est plus portée depuis le XVIIe siècle font de lui une figure sociale désuète.
Sur le mode des caricatures hollandaises, le texte est un complément qui donne à l’image toute sa charge. Le paysan accablé s’appuie sur sa houe et de sa poche sortent des papiers où sont énumérés les charges qui reposent entièrement sur le tiers état : les taxes sur le sel et le tabac, la taille, la corvée, la dîme versée à l’Église et l’obligation de servir dans la milice provinciale créée par Louis XIV. En contrepoint, le texte qui s’échappe de la poche de l’ecclésiastique énumère les titres de noblesse et évoque les « pensions » que reçoivent du roi les membres des ordres privilégiés. En bas à gauche, les « lièvres seigneuriaux » (chasse réservée au seigneur) dévorent les choux plantés par le paysan. La légende « A faut espérer q’eu se jeu la finira bientôt » utilise le langage du paysan, signe d’une revanche à venir du tiers état sur les deux autres.
La caricature traduit en image commentée l’idée exprimée la même année par Siéyès : Le tiers état n’est rien car opprimé, mais il est tout car à lui seul il concourt à la prospérité de la nation … et Sièyes d’ajouter : « Rien ne peut aller sans lui, tout irait mieux sans les autres », les ordres privilégiés étant finalement inutiles.
La caricature est devenue en 1789 un langage politique qui véhicule dans le peuple parisien les aspirations à un changement radical. Elle a une double fonction d’image pédagogique par laquelle le tiers état prend conscience de son oppression et au final de sa force, et de pamphlet subversif suggérant que tout retour en arrière est inenvisageable.
Costume et Caricature. La Fermière en Corvé.
« À faut esperer qu’eu se jeu la finira bentot. » Les 3 ordres du temps passés, en juin 1789.
Femme du Tiers état portant sur son dos les femmes de la noblesse et du clergé. Anonyme. BNF.
Représentation de l’inégalité sociale en VF (Version Femmes).
« Étant démontré, avec raison, qu’un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble, de même, un homme ne pourrait avec plus d’équité représenter une femme, puisque les représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés : les femmes ne pourraient donc être représentées que par des femmes. »1317
Cahier de doléances et réclamation des femmes, signé d’une Madame B.B. (cauchoise restée anonyme). « La revendication de la démocratie paritaire », Marie-Blanche Tahon, Politique et Sociétés, volume XVII (1998)
Les femmes, c’est un peu le « quart ordre » de l’époque. Sous la Révolution va s’exprimer un courant féministe, mais les hommes qui gouvernent n’accorderont pas aux femmes les droits bientôt reconnus aux « nègres » et aux juifs. Elles auront seulement le droit de mourir sur l’échafaud.
« Vous avez brisé le sceptre du despotisme […] et tous les jours vous souffrez que treize millions d’esclaves portent les fers de treize millions de despotes ! »1325
Requête des dames à l’Assemblée nationale. L’Assemblée constituante, le Philosophisme révolutionnaire en action (1911), Gustave Gautherot
Les grandes oubliées de l’histoire se manifestent avant même la prise de la Bastille, et ce n’est qu’un début. Mais la tourmente révolutionnaire va donner d’autres soucis que les droits des femmes aux hommes de la Révolution. Elles vont néanmoins manifester à plusieurs reprises…
Aux femmes de Paris venues à Versailles demander audience au roi pour réclamer du pain :
« Vous n’en manquiez pas quand vous n’aviez qu’un roi. Allez en demander à nos douze cents souverains ! »1352
Comte de SAINT-PRIEST (1735-1821), 5 octobre 1789. Bibliographie moderne ou Galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire (1816), Étienne Psaume
Secrétaire d’État à la Maison du roi, nommé ministre de l’Intérieur en août, il désigne en ces termes les députés de la Constituante. Ces journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre ont pour cause le chômage, la misère, tout ce qui exaspère le peuple de Paris. Aux raisons économiques s’ajoute l’attitude de Louis XVI qui n’a sanctionné ni l’abolition de la féodalité, ni la Déclaration des droits ; puis la rumeur de la cocarde tricolore foulée aux pieds lors d’un banquet devant la famille royale.
C’en est trop : une foule de femmes et de chômeurs marche sur Versailles, armée de piques et de fourches. Une délégation est reçue le soir du 5 octobre par le roi. Il promet d’assurer le ravitaillement de Paris où le pain demeure le premier besoin alimentaire du peuple.
« Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution » écrit Choderlos de Laclos en 1783 dans L’Éducation des femmes. Cela dit, la très symbolique marche des femmes a été encadrée au départ par des meneurs qui ont participé à la prise de la Bastille, trois mois plus tôt. On a vu des hommes armés de piques et de fourches, et certains travestis en femmes, trahis par leur voix…
« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »1397
Olympe de GOUGES (1755-1793), Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, septembre 1791. Le XIXe siècle et la Révolution française (1992), Maurice Agulhon
Le préambule du texte est dédié à la reine. Cette féministe, l’une des premières de l’histoire, mourra guillotinée en 1793, après bien d’autres provocations.
Elle plaide pour l’égalité entre les sexes, ce qui inclut le droit de vote et l’éligibilité (permettant de monter à la tribune en tant que député). Mais c’est impossible aussi longtemps que la femme est considérée comme juridiquement mineure, soumise au père ou à l’époux. Les femmes seront finalement la « minorité » la plus durablement brimée, dans cette histoire. Quelques-unes vont s’illustrer, héroïnes et souvent martyres, dans la suite de la Révolution.
Olympe de Gouges se bat aussi pour la cause des Noirs, et l’abolition de l’esclavage.
« Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage […] Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité. »1408
Théroigne de MÉRICOURT (1762-1817), Discours prononcé à la Société fraternelle des Minimes, 25 mars 1792. Discours imprimé par ordre de la Société Fraternelle de patriotes, de l’un & l’autre sexe, de tout âge & de tout état, séante aux Jacobins, rue Saint-Honoré (1792)
Belge, courtisane et cantatrice, surnommée « la Belle Liégeoise », elle entre en révolution comme on entre en religion. Chose fort mal vue de la part d’une femme. Elle devient alors la « Furie de la Gironde ». La voyant fouettée, ridiculisée, son frère la fait enfermer dans un asile pour qu’elle échappe à la mort. Elle y rencontrera la folie.
Autre première historique, les femmes se sont engagées pour défendre la patrie proclamée en danger.
« J’ai pris part à tous vos exploits
En vous versant à boire.
Songez combien j’ai fait de fois
Rafraîchir la victoire. »1437BÉRANGER (1780-1857), La Vivandière (1817), chanson
Présent à Paris au début de la Révolution, très tôt républicain de cœur, Pierre Jean de Béranger trouve son expression dans la chanson patriotique. Il n’imaginait absolument pas que son nom reste dans l’histoire, et c’est pourtant l’un de nos chansonniers les plus populaires !
Il rend hommage à l’entrée sur la scène de l’Histoire de ces femmes qui s’engagèrent aux armées, quand la patrie fut proclamée en danger (décret du 11 juillet 1792) : « Vivandière du régiment / C’est Catin qu’on me nomme / Je vends, je donne et bois gaîment / Mon vin et mon rogome [alcool]. / J’ai le pied leste et l’œil mutin, / Tintin, tintin, tintin, r’lin tintin ; / J’ai le pied leste et l’œil mutin : / Soldats, voilà Catin ! »
Appelées aussi cantinières, elles suivront toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire.
Réveil du Tiers État. Sur fond de forteresse (la Bastille), le peuple armé quitte ses chaînes pour la plus grande frayeur de la noblesse et du clergé. BNF.
« Ma feinte, Il était temps que je me réveille car l’oppression de mes fers me donnait le cauchemar un peu trop fort » dit la légende.
« Le débat public a changé de face. Il ne s’agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la Constitution ; c’est une guerre entre le tiers état et les deux autres ordres. »1263
Jacques François MALLET du PAN (1749-1800), Mémoires et correspondance, pour servir à l’histoire de la Révolution française (posthume, 1851)
Publiciste suisse, admirateur de la Constitution anglaise et partisan d’un despotisme éclairé, il juge fort bien de la situation en France, à l’aube de l’année 1789. Quand la Révolution sortira de la voie légale, il deviendra l’un des théoriciens de la contre-révolution.
Taine écrira en historien dans Les Origines de la France contemporaine : « Un grand changement s’opère au XVIIIe siècle dans la condition du tiers état. Le bourgeois a travaillé, fabriqué, commercé, gagné, épargné, et tous les jours il s’enrichit davantage. La bourgeoisie se démarque à la fois des classes privilégiées qui constituent les deux autres ordres et ne justifient plus leurs privilèges par leurs services rendus au pays, et des classes populaires sans Lumières et sans influence. »
La Révolution qui s’ouvre a également permis une véritable explosion de caricatures satiriques : plus de 1 500 publiées entre 1789 et 1792, principalement à Paris, quartier de la rue Saint-Jacques. Gravées sur cuivre par centaines et pour une même planche, elles peuvent ensuite être coloriées au pochoir, avant d’être vendues sous forme de feuilles volantes à un prix modique (quelques sous).Reste la presse, important véhicule.
« Il faut la conjonction systématique et délibérée d’une production massive d’estampes, avec relais dans les pamphlets et dans une presse foisonnante pour faire de la caricature non plus seulement une arme mais un langage politique en voie d’autonomisation. Tel sera le cas en 1789. »
Annie DUPRAT (née en 1948), La caricature, arme au poing : l’assassinat d’Henri III (2000)
En 1789, des journaux hebdomadaires comme Les Révolutions de France et de Brabant de Camille Desmoulins ou les Révolutions de Paris de l’éditeur Prudhomme font une large place au dessin, caricature satirique pour l’un, d’inspiration plus « reportage » pour l’autre.
Le clergé devient vite un des sujets de prédilection avec ses moines débauchés et ses cardinaux obèses. Loin d’être épargné, Louis XVI, avant même de perdre la tête, est mis à mort par des dessinateurs anonymes qui le représentent en cochon, « si gras qu’il en est ladre ». La presse royaliste publie de son côté des caricatures anti-révolutionnaires.
Tout le monde s’y mettra sous le regard bienveillant du Comité de salut public qui vante « cette sorte de peinture parlée et colorée convenant à merveille aux illettrés » et demande à Jacques-Louis David, le grand peintre de l’époque, de ridiculiser le gouvernement anglais !
J’savois ben qu’jaurions not tour. Gravure anonyme. En 1789. Musée Carnavalet.
« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira
Le peuple en ce jour sans cesse répète,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira.
Malgré les mutins tout réussira […]
Pierre et Margot chantent à la guinguette :
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira.
Réjouissons-nous le bon temps viendra. »1371LADRÉ (XVIIIe siècle), paroles, et BÉCOURT (XVIIIe siècle), musique, Le Carillon national, chanson. Chansons nationales et populaires de France (1846), Théophile Marion Dumersan
Le chant est plus connu sous le nom de son refrain : « Ah ! ça ira ». Ladré, chanteur des rues, en a écrit les paroles sur Le Carillon national, musique de contredanse signée Bécourt, violoniste de l’orchestre au théâtre des Beaujolais. La reine Marie-Antoinette la jouait volontiers sur son clavecin…
Le texte, innocent à l’origine, reprend l’expression de Benjamin Franklin, résolument optimiste et répétant au plus fort de la guerre d’Indépendance en Amérique, à qui lui demande des nouvelles : « Ça ira, ça ira. » Le mot est connu, le personnage populaire et dans l’enthousiasme des préparatifs de la fête, le peuple chante : « Ça ira, ça ira. » C’est la Carmagnole des premiers jours, trop souvent oubliée pour ne penser qu’à la Terreur de fait, avant d’être décrétée !
Gouaches révolutionnaires de Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826) Modèle de la Bastille et Serment des enfants. Musée Carnavalet.
« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »1273
Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)
Fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, Michelet connaît la misère dans sa jeunesse et en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions d’un autre style, manifestant contre la misère des ouvriers, il composera dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : dix ans et sept volumes pour une œuvre inspirée, remarquablement documentée. Les plus belles pages de son œuvre maintes fois rééditée, souvent mentionnée sous le terme générique d’« Histoire de France ».
Le travail d’illustration de Jean-Baptiste Lesueur vaut également document pour l’Histoire, avec une originalité réjouissante ! Ce témoignage contemporain est signé d’un Girondin qui échappera à la « charrette » en 1793. Il invente la caricature bon enfant et bienveillante qui devient sa marque de fabrique.
L’ensemble des gouaches de Lesueur (conservées pour la plupart au musée Carnavalet de Paris) constitue un témoignage unique de la période révolutionnaire. Sorte de journal en images, la technique dans laquelle il est réalisé, ainsi que son ampleur, laissent supposer une fonction publique, théâtrale, voire « muséographique ». Ces petits tableaux et les textes qui les accompagnent reflètent les sentiments variés, enthousiastes ou réprobateurs, de la petite bourgeoisie parisienne face à l’événement et au quotidien révolutionnaires. Authentique « pris sur le vif ».
Scènes historiques, scénettes plus anodines ou personnages isolés comme des figurines militaires sont saisis avec vivacité, justesse d’observation, sens de la couleur et de la mise en page. Cette série documentaire donne à voir la sans-culotterie, l’armée, les femmes, le costume; mais aussi les mentalités et leur évolution dans la conjoncture politique des années 1789-1806, avec d’autant plus de force que les gouaches ont été peintes immédiatement après l’événement ou le fait qu’elles représentent.
Gouaches révolutionnaires de Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826). La Constituante. Année 1789.
La légende vaut citation, pour sa précision.
« Député en Mission en Costume de Représentant du peuple. »
« Honoré Gabriel Riquetti Cidevant Comte de Mirabeau faisant une motion à l’assemblée Constituante. »
« Député sortant de l’assemblée. »
« Hommes de Couleur, Députés des Colonies à la Convention Nationale. »
« Le Député Granet toujours en carmagnole de toile grise, son gros bâton, et tenant son chapeau ainsi. »
Notons une inexactitude, en fait un raccourci historique, occasion de faire connaissance avec un parcours politique représentatif du temps. Le député marseillais François Omer Granet (1758-1821) n’a pas pu rencontrer Mirabeau mort en 1791 ! Élu député à la Législative, il siège à gauche dans l’assemblée. Il participe à la sanglante journée révolutionnaire du 10 août 1792 : les bataillons de fédérés marseillais et bretons prennent le palais des Tuileries avec les insurgés des faubourgs de Paris.
En septembre, réélu député des Bouches-du-Rhône à la Convention, il siège sur les bancs de la Montagne. Lors du procès de Louis XVI, il vote « la mort dans les vingt-quatre heures » et rejette l’appel au peuple et le sursis à l’exécution. En avril 1793, il vote contre la mise en accusation de Marat (le plus extrémiste des députés). Élu membre du Comité de Salut public aux côtés de Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois, il refuse pourtant d’y siéger. Trop, c’est trop…
Sous le Consulat et l’Empire, il sera maire de Marseille, honoré de la Légion d’Honneur par l’empereur. Révoqué lors de la première Restauration, élu député des Bouches-du-Rhône durant les Cent-Jours, il est banni par loi du 12 janvier 1816 contre les régicides et les soutiens à Bonaparte. Amnistié en 1818, il rentre en France. Un destin d’homme politique qui tourne bien, cela arrive, même hors les gouaches de Lesueur.
Rappelons enfin et surtout le personnage de Mirabeau qui a littéralement lancé la Révolution par son éloquence – et n’est pas mort guillotiné, la maladie le sauvant des « bois de justice ».
« L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux. »1324
MIRABEAU (1749-1791), Assemblée nationale, 27 juin 1789. Discours et opinions de Mirabeau, précédés d’une notice sur sa vie (1820)
L’Orateur du peuple fait de la fraternité l’invention majeure de la Révolution – priorité sera plus souvent donnée à la liberté et l’égalité. Avec la conscience de vivre un moment historique et un formidable optimisme – le bonheur est à l’ordre du jour. Comme dans les gouaches de Lesueur.
Gouaches révolutionnaires de Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826).1790. Plantation d’un arbre de la Liberté. Musée Carnavalet.
Encore une gouache révolutionnaire optimiste, pour une caricature bon enfant et bienveillante.
« C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre ; comme l’arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c’est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la fraternité du genre humain. »15
Victor HUGO (1802-1885), Discours lors de la plantation d’un arbre de la liberté sur la place des Vosges, 2 mars 1848
Par imitation de ce qui s’était fait aux États-Unis à la suite de la guerre de l’indépendance avec les « poteaux de la Liberté », l’usage s’introduisit en France de planter avec cérémonie un jeune peuplier dans les communes françaises. L’exemple fut donné en 1790 par le curé de Saint-Gaudent, dans la Vienne, qui fit transplanter un chêne de la forêt voisine au milieu de la place de son village.
Mais la réalité révolutionnaire fut souvent plus dramatique.
« L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. »1475
Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), à la tribune, 20 janvier 1793. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne
Le président de la Convention, dans l’effervescence générale, justifie ainsi la condamnation à mort de Louis XVI, contre la partie la plus modérée de l’assemblée qui souhaitait atténuer la peine. Lui-même s’est prononcé pour la mort, sans appel au peuple, sans sursis à l’exécution.
On retrouvera Barère en juillet 1793, membre du Comité de salut public et l’un des organisateurs les plus zélés de la Terreur, nommé l’Anacréon de la guillotine.
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