Représentation déformante de la réalité, la caricature (de l’italien caricare, charger) est aussi définie comme « charge, imitation, parodie, pastiche, simulacre ». Art engagé dès l’origine (Moyen Âge), signée ou anonyme, sans tabou et destinée à tous les publics, elle joue un rôle historique comparable à la chanson.
Manière originale de revoir l’Histoire en citations, on trouve au fil de cet édito en 12 semaines les personnages principaux (Napoléon, de Gaulle, Hugo, Voltaire, Henri IV…) et les grands évènements (Réforme et guerres de Religion, Saint Barthélemy, Révolution, Affaire Dreyfus…), l’explosion de la caricature politique correspondant à des périodes de crises.
Encouragée par le développement de l’imprimerie au XVI° siècle, étouffée sous la censure de la monarchie absolue et de l’Empire, la caricature s’impose avec la presse populaire au XIX° et les dessins provocants de journaux spécialisés (La Caricature, Le Charivari…). Des formes naissent sous la Cinquième République : slogans de Mai 68, Guignols de l’Info et autres marionnettes à la télé, sans oublier les BD politiques souvent best-sellers.
Deux auteurs seront cités (= montrés) une dizaine de fois. Le plus célèbre, Gustave Doré, artiste peintre du XIXe, se voue à la caricature avec un art du trait qui fait mouche et mal. Bien différent avec sa série de gouaches, François Lesueur inventa sous la Révolution une caricature bienveillante et bon enfant comme la Carmagnole du Ça ira (première version).
Une invitée surprise, la physiogonomie. Formulée par Cicéron (« Le visage est le miroir de l’âme »), elle entre en scène avec le génie du peintre Le Brun sous Louis XIV, s’érige en science au siècle des Lumières, justifie les pires racismes (colonialisme, antisémitisme) et se banalise avec le « délit de sale gueule ».
Caricature de Gustave Eiffel en forme de Tour Eiffel, signée Edward Linley Sambourne (1844–1910) dans le magazine Punch, 29 juin 1889.
Gustave Eiffel (1832-1923), à l’image de sa tour, domine fièrement Paris au loin avec ses minuscules monuments historiques : planté sur ses piliers en guise de jambes, la tête couronnée d’un haut de forme dans le ciel et plus haute qu’une montgolfière, heureux d’avoir triomphé de tout !
« Si vous décidez la construction de la tour de M. Eiffel, je me coucherai sur le sol. Il ferait beau voir que les piques des terrassiers frôlent cette poitrine que n’atteignirent jamais les lances des Uhlans [Prussiens]. »2484
Tancrède BONIFACE (XIXe siècle). Guide de Paris mystérieux (1975), François Caradec, Jean-Robert Masson
Capitaine de cuirassier à la retraite, riverain du Champ de Mars, il mène la campagne de protestation contre la Tour Eiffel et intente un procès contre « le lampadaire tragique », « l’odieuse colonne de tôle boulonnée. » Le premier coup de pioche des travaux sera donné le 26 janvier 1887.
« La tour Eiffel, témoignage d’imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s’élève exprès pour proclamer cela jusqu’au ciel. C’est le monument-symbole de la France industrialisée ; il a pour mission d’être insolent et bête comme la vie moderne et d’écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris de nos souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l’Arc de Triomphe, la prière et la gloire. »2497
Édouard DRUMONT (1844-1917), La Fin du monde (1889)
Mon vieux Paris (1878), premier livre qui fit connaître l’auteur, débordait déjà de nostalgie pour cette capitale où il est né et qui a tant changé, depuis le Second Empire et les travaux d’Haussmann. Écrivain et journaliste, il reste surtout connu comme polémiste d’extrême droite.
Son rejet viscéral de la « Tour de 300 mètres » (premier nom de l’édifice) s’inscrit dans un concert de protestations signées des plus grands noms de l’époque. Citons l’une des premières publiées, jugeant le projet sur plan…
« II suffit, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare : Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans, nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, comme une tache d’encre, l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée. »
Collectif d’artistes, « Les artistes contre la tour Eiffel », Le Temps, 14 février 1887
Bénéficiant d’une concession de vingt ans, le projet suscita d’ardentes hostilités. Dès le premier coup de pioche en janvier 1887, cette « Protestation des artistes » contre son édification est signée de noms parmi les plus remarquables : Charles Garnier (architecte de l’Opéra à son nom), Charles Gounod (compositeur lyrique) et nombre d’auteurs connus, Victorien Sardou, Alexandre Dumas fils, François Coppée, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans…
« Méfions-nous des grands hommes. »
Gustave EIFFEL (1832-1923), réponse souvent citée, mais pas sourcée
Reste l’un des derniers jugements sans appel, sans doute le plus fameux pour son rejet viscéral et finalement comique, alors même que l’œuvre rencontre un succès à la démesure du projet d’Eiffel.
« Sa tour ressemble à un tuyau d’usine en construction, à une carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques. On ne peut se figurer que ce grillage infundibuliforme soit achevé, que ce suppositoire solitaire et criblé de trous restera tel. »2498
Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907), évoquant Eiffel et sa Tour, Écrits sur l’art - Certains (1894)
Le monument est inauguré le 6 mai 1889, pour la nouvelle Exposition universelle et le centenaire de la Révolution. Il fut plus attaqué en son temps que le Centre Beaubourg de Renzo Piano et Richard Rogers, ou l’Opéra Bastille de Carlos Ott, un siècle plus tard.
Des savants et des architectes prédisent sa chute et pire encore…
« À peine finie, la tour s’écroulera et tuera des milliers de Parisiens. »
« Arrivés au sommet, les visiteurs seront asphyxiés. »
« Le tout s’enfoncera sous terre créant un véritable cataclysme. »
Malgré tout, c’est le triomphe des ingénieurs, le défi de l’acier utilisé à l’extrême de ses possibilités - comme la pierre dans les cathédrales du Moyen Âge, le verre et le béton dans l’Arche de la Défense.
Le gigantesque chantier s’ouvre le 28 janvier 1887. On creuse des entonnoirs dans le Champ-de-Mars pour recevoir les maçonneries des piliers, on assèche le terrain. On pose « quatre fameux vérins hydrauliques », bref on invente des solutions à chaque étape.
Les Parisiens, mi-hébétés mi-émerveillés, assistent à l’élévation de l’édifice au « rythme incroyable » de douze mètres par mois. Sur le chantier, on n’effectue que l’assemblage des éléments de la Tour, dessinés et fabriqués dans les ateliers Eiffel à Levallois, près de Paris. L’entrepreneur, qui surveille jour et nuit l’avancement des travaux, affronte une grève des ouvriers qui réclament une augmentation de salaire, invoquant le rythme épuisant du travail et ses conditions risquées. Eiffel accepte et octroie des salaires exorbitants (pour l’époque). Seul mort à signaler, un ouvrier italien revenu sur les lieux après sa participation au chantier avec sa compagne, pour lui montrer la réalisation. Il fut écrasé au passage d’un ascenseur en installation.
31 mars 1889, le troisième étage est terminé. « Stupéfiante prouesse technique, remarquable rapidité d’exécution » (26 mois) : la tour « la plus haute du monde » (depuis celle de Babel, ajoutent les mauvaises langues) est inaugurée juste à temps. Eiffel reçoit la Légion d’honneur. Le 15 mai suivant, le monument est ouvert au public émerveillé par la vue et les ascenseurs hydrauliques « ultra rapides », totalement novateurs. En six mois, la Tour recevra deux millions de visiteurs. Un triomphe à la démesure des précédentes polémiques. 1889 sera pour Eiffel l’apogée de sa double carrière d’ingénieur et d’entrepreneur.
Mais Eiffel avait signé pour une concession de 20 ans et l’Exposition terminée, la curiosité retombe. Il va déployer son savoir-faire d’homme de réseaux et imposer l’idée que son œuvre a une utilité scientifique. La Tour devient un laboratoire, on y fait des observations météorologiques et astronomiques. À la fin du siècle naît l’idée de la « télégraphie sans fil ». En 1903, Eiffel autorise des expériences militaires qu’il finance lui-même. C’est le début de la TSF et de la transmission pour les armées. L’antenne installée au sommet permet d’écouter les Allemands à leur insu et les « grandes oreilles » de la Tour Eiffel vont capter des informations décisives. Une partie de l’armée allemande s’est arrêtée à cause de problèmes d’intendance. Plusieurs messages décisifs suivent, dont le « radiogramme de la victoire » permettant de déjouer l’attaque allemande sur la Marne…
À partir des années 1920, le réseau de TSF à usage strictement militaire bascule vers un usage civil et Radio Tour Eiffel est inaugurée le 6 février 1922. En 1925, la Tour sert de cadre aux débuts de la télévision. La technique s’améliore, des émissions expérimentales sont proposées entre 1935 et 1939.
Dans les années 1960, le tourisme international de masse se développe et le nombre de visiteurs augmente pour atteindre le cap des 6 millions d’entrées annuelles (en 1998). Allégée, plusieurs fois repeinte et traitée contre la corrosion, les ascenseurs de la troisième plate-forme sont remplacés, le restaurant gastronomique « le Jules-Verne » est installé, un dispositif d’éclairage composé de 352 projecteurs au sodium mis en place. En 2002, le cap des 200 millions d’entrées cumulées est dépassé. Paris et la Tour Eiffel (conçue pour être démolie vingt ans après) sont indissolublement liés aux yeux du monde. Nul ne l’eut imaginé à l’origine, même pas Gustave Eiffel !
Eugène Ogé (1861-1936), La Lanterne (1902).
La légende vaut citation dans La Lanterne, Journal Républicain Anti-clérical :
VOILA L’ENNEMI !
Après l’Affaire Dreyfus qui a durablement déchiré la France, deux blocs s’opposent à nouveau sur la question religieuse. La place de l’Église catholique dans les affaires politiques (définie en 1801 par le Concordat napoléonien) provoque une violente querelle entre le parti clérical et les groupes politiques majoritaires à la Chambre, en particulier le parti radical.
Cette étrange affiche en couverture de La Lanterne est surchargée de symboles ! Elle caricature à l’extrême l’adversaire : l’homme d’Église, sous les traits d’une chauve-souris géante, couvre de son ombre menaçante la « Ville lumière » privée de la clarté de l’astre solaire.
Des groupes de droite et de droite extrême, relayés par La Libre Parole, voient dans ce prélat une mise en cause de l’Archevêque de Paris François Marie Benjamin Richard, proche des Catholiques monarchistes ayant œuvré à la réalisation du Sacré-Cœur sur la butte Montmartre - avec le fameux petit Moulin à gauche. Mais seule importe la basilique géante au centre, enserrée par les mains crochues du terrible clerc. Il protège le bâtiment, la basilique étant considérée comme une repentance pour les fautes des Communards. Comme l’Archevêque Richard, il peut aussi honorer la mémoire de son prédécesseur, Monseigneur Darboy, pris en otage et exécuté par les troupes de la Commune lors de « la semaine sanglante ».
Autre évocation pour qui sait lire et voir : le mouvement des Lumières au XVIIIe siècle. La petite lampe en haut à gauche et le nom bienvenu de La Lanterne en rouge sont les seuls éléments représentés en couleurs vives. Cette revue est destinée à sortir la société française de l’obscurantisme dans lequel l’Église a plongé la France. Le prélat cache la clarté du soleil, mais pas celle de La Lanterne !
La trace laissée dans le ciel parisien et la prééminence des couleurs sombres soulignent aussi la puissance et l’omniprésence de l’Église, donc le besoin de s’opposer à elle avec force. La trace lugubre en forme de serpent s’analyse également de manière historique : elle se perd dans le ciel et symbolise le côté ancestral de cette influence de l’Église catholique sur la société française.
Notons pourtant l’absence de signes blasphématoires. L’anticléricalisme qui lutte contre l’influence de l’Église veut rallier le plus de personnes à sa cause et la tradition anticléricale au début du XXe siècle évite de choquer les fidèles sur des éléments de foi (représentation de Jésus, représentation de la croix, des apôtres…)
Mais l’anathème en titre-citation fait clairement écho à un discours anticlérical célèbre.
« Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi. »2450
Léon GAMBETTA (1838-1882), Discours sur les menées ultramontaines, Chambre des députés, 4 mai 1877. Le Cléricalisme, voilà l’ennemi ! (1879), Paroles de M. Gambetta, commentées par Émile Verney
La question religieuse a pris des proportions démesurées sous la Troisième République. En 1877, les catholiques français veulent aider le pape contre le gouvernement italien, mais les républicains refusent absolument cette intervention : « Nous en sommes arrivés à nous demander si l’État n’est pas maintenant dans l’Église, à l’encontre de la vérité des principes qui veut que l’Église soit dans l’État » proteste Gambetta. Il redonne à l’union des gauches son principe d’anticléricalisme. Sa formule fait mouche, elle va beaucoup resservir !
Caricature pour caricature, la chanson n’est pas en reste sur la presse.
« Allons Combes, chasseur de nonnes,
À ton cor, mets vite un bouchon […]
Tu mets sous scellés les nonettes,
T’y mettras pas la religion. »2541Antonin LOUIS (1845-1915), Le Chasseur de nonnes, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
Ancien séminariste devenu franc-maçon, militant provincial, esprit petit-bourgeois radical et borné, conservateur et anticlérical, le petit père Combes est président du Conseil de juin 1902 à janvier 1905. Il va lasser sa propre majorité, irriter le pape et, plus grave, révolter une partie du pays, en faisant fermer des milliers d’« écoles libres » et en dispersant quelque 18 000 religieux de congrégations.
La chanson reflète l’hostilité de l’opinion publique qui veut simplement « la liberté pour tout le monde ». L’imbroglio de la question religieuse qui dure depuis 1880 finira bien : la loi sur la séparation des Églises et de l’État, rapportée par Aristide Briand le 9 décembre 1905 (sous le nouveau ministère de Rouvier).
« Les Anglais chez nous » par Sancha (1874-1936), L’Assiette au beurre, janvier 1903. Musée national de l’Histoire de l’immigration, Paris.
La fin du XIXe siècle a vu l’avènement de la presse marchandise et le développement de la presse populaire. Mais la presse purement satirique demeure. L’Assiette au Beurre, hebdomadaire de seize pages en couleurs à tendance anarchiste, connaît des débuts difficiles en 1901. Elle renforce intelligemment sa ligne éditoriale humoristique en unissant l’art et la satire, marquant l’aboutissement de la caricature sociale et de mœurs, critiquant au fil de l’actualité et jusqu’à la guerre en 1914 l’armée, la police, la justice, les députés, le clergé, le travailleur…, Chaque numéro est confié à un dessinateur ou un groupe de collaborateurs de la revue - parmi eux, de futurs grands peintres, Van Dongen, Juan Gris, Félix Vallotton. Les dessins sont présentés en pleine page, ce qui accentue leur charge graphique, surtout en gros plan comme ici.
La légende vaut citation :
« Les Anglais chez nous »
Au tournant du siècle, le renforcement de l’État-nation favorise le développement de la xénophobie. Mais dans le même temps, Paris véritable carrefour artistique international est marqué par l’accélération de la mondialisation. Nombre d’artistes collaborant à L’Assiette au beurre sont étrangers : Van Dongen, hollandais, Leonetto Cappiello, italien, Félix Vallotton, suisse, Francisco Sancha y Lengo, dit Sancha, espagnol. Formé à l’école des Beaux-Arts de Malaga dans son pays, il devient l’élève de Juan Gris, peintre cubiste.
L’Assiette au beurre consacrera près de 1 300 dessins aux pays étrangers et à la figure de l’étranger qu’elle fige en accentuant certains traits. L’image du Royaume-Uni évolue entre 1901 et 1912. Les premières années sont marquées par une posture antibritannique et anticoloniale : attitude liée à la guerre des Boers, quand le Royaume-Uni s’empare du Transvaal et d’Orange, en Afrique du Sud. Et l’année 1903 commence avec cette Une : un portrait d’Anglais.
L’homme représenté en buste se détache sur un fond orange vif. Il porte un costume de ville, en contraste de mauvais goût avec un bonnet d’intérieur glissant sur ses cheveux mal peignés. L’Anglais a les yeux clairs perdus dans le vague, les oreilles décollées, un nez extrêmement rouge contrastant avec une trop longue moustache noire. Le dessin montre sans nuance ni concession cet Anglais classé dans la catégorie des ivrognes. La caricature transgresse les canons de la représentation humaine et stigmatise les valeurs morales qui y sont associées.
Mais dès cette année 1903, la France et la Grande-Bretagne se rapprochent et scellent un accord historique, l’Entente cordiale signée le 8 avril 1904. La presse relaie cette nouvelle attitude et L’Assiette au beurre se montrera favorable aux Britanniques. En 1912, Sancha s’installe à Londres.
Caricature de Pierre et Marie Curie, Vanity Fair, 22 décembre 1904.
« Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »3
Marie CURIE (1867-1934) Marie CURIE (1867-1934). Madame Curie (1938), Ève Curie
Et d’ajouter ce message qui vaut de nos jours plus que jamais : « C’est maintenant le moment de comprendre davantage, afin de craindre moins. La seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-même. Quand la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre. »
Suite aux travaux d’Henri Becquerel sur les rayonnements émis par l’uranium (minerai abondant sous la croûte terrestre), Marie et Pierre Curie sont parvenus à découvrir deux nouveaux éléments chimiques : le polonium et le radium. En 1903, le couple obtient la moitié du prix Nobel de physique pour ses travaux sur la radioactivité, l’autre moitié étant attribuée Becquerel. Le retentissement est considérable. L’hebdomadaire britannique Vanity Fair avait pour ambition de dépeindre la « foire aux vanités » victorienne. Cette caricature fait exception à sa règle, insistant sur la fascination pour le mystérieux produit.
Reléguée à l’extrême gauche et partiellement hors champ, une paillasse recouverte de divers objets laisse juste imaginer le décor d’un laboratoire. Ces outils alambiqués et démesurés participent au caractère étrange et satirique de la caricature.
Le double portrait en pied donne à voir Marie Curie se tenant derrière son époux, Pierre Curie. Leur posture solennelle est inspirée des photographies officielles tirées des séances de poses du couple en laboratoire. Leur regard déterminé converge vers la fiole contenant du radium. Le caricaturiste donne à voir le caractère inébranlable des chercheurs par l’exagération de certains attributs physiques - la bouche pincée, les yeux acérés, le front exagérément développé. Ce n’est pas un portrait à charge, mais plutôt l’illustration fantasmée de la découverte du radium : ses rayons se diffusent en cercles concentriques. Ce halo lumineux et dynamique irradie (au sens propre et figuré) pour éclairer les parties saillantes des visages. Cette lumière confère à la caricature une aura mystique, quasi surnaturelle. Les propriétés lumineuses du radium sont perçues dans l’imaginaire collectif comme extraordinaires, voire magiques. La caricature tend ainsi à illustrer le fantasme populaire planant autour de l’étrange découverte qui va bouleverser le monde. Le couple qui est à l’origine est aussi extraordinaire que modeste.
« Il faut faire de la vie un rêve et faire d’un rêve une réalité. »
Pierre CURIE (1859-1906), Journal intime (manuscrit) écrit à 18 ans. Gallica, fonds numérisé de la BNF
En 1895, Pierre Curie épousa une jeune polonaise, Maria Sklodowska, venue poursuivre ses études scientifiques à la faculté des sciences de Paris en 1892. Elle s’intéresse de près aux découvertes de Wilhelm Röntgen sur les rayons X et à celles d’Henri Becquerel qui découvrit la radioactivité en 1896. Pierre Curie abandonne ses recherches sur le magnétisme pour travailler avec sa femme sur l’uranium.
Pendant dix ans, le couple tente d’extraire une quantité suffisante pour en déterminer la masse atomique, tentative réussie en 1902. D’où le prix Nobel de physique en 1903. Cette même année, ils sont lauréats de la Médaille Davy.
Le couple continue à travailler. Pierre, grand garçon timide, silencieux et doux, au visage méditatif jusqu’à la tristesse, fuyait le bruit fait autour de ses recherches. Il n’avait que faire de la gloire, cherchant le calme nécessaire à son étude. Il redoutait aussi les conclusions hâtives tirées ici ou là des faits constatés. Fuyant les honneurs et les décorations, l’argent du Nobel servit à financer la suite des recherches dans une sorte de hangar mal éclairé. Des tables, des fourneaux, des flacons de verre, des éprouvettes, un matériel succinct, rue Lhomond, derrière le Panthéon. C’est là que va naitre le radium extrait de l’uranium, dans des conditions aujourd’hui impensables, vu la dangerosité des manipulations, en attendant le laboratoire en cours de construction…
19 avril 1906, sa mort bouleverse le destin. À l’angle de la rue Dauphine, courant pour éviter un fiacre qui se dirige vers le pont Neuf, il se heurte au cheval d’un camion arrivant en sens inverse. Il glisse et tombe sur le macadam. Une roue arrière le blesse mortellement à la tête. Ses obsèques ont lieu dans l’intimité familiale. Marie Curie va continuer le combat, tout entière vouée à la cause scientifique.
« Sans la curiosité de l’esprit, que serions-nous ? Telle est bien la beauté et la noblesse de la science : désir sans fin de repousser les frontières du savoir, de traquer les secrets de la matière et de la vie sans idée préconçue des conséquences éventuelles. »
Marie CURIE (1867-1934). Madame Curie (1938), Ève Curie
Sa carrière culmine en 1911 : prix Nobel de chimie (doublé unique dans l’histoire). Mais comme Pierre, elle n’a que faire de la reconnaissance et doit affronter la rumeur : la « Veuve radieuse » est la maîtresse de son confrère Paul Langevin, en instance de divorce. La presse nationaliste dénonce le scandale et plusieurs duels à l’épée au vélodrome du Parc des Princes opposent les partisans et les détracteurs du couple ! Marie va désormais consacrer toute sa passion à la recherche.
Quand la guerre éclate, elle se rapproche du Dr Béclère qui lui enseigne l’usage des rayons X à des fins diagnostiques. Elle décide de mettre ses connaissances au service de la santé - et de la France, en 1914. Mi-août, elle crée le premier service de radiologie mobile. Soutenue par de riches bienfaiteurs, elle récupère plus de 200 véhicules (les « petites Curie ») qu’elle équipe de dynamos, d’appareils à rayons X et de matériel photo. Elle sillonne les routes et longe les tranchées à la recherche de blessés. Ses postes de radiologie auraient sauvé un million de vies pendant la guerre ! À 17 ans, sa fille Irène rejoint Marie au front. Elle la seconde, apprend sur le terrain.
Marie mourra d’une leucémie ou « anémie pernicieuse », suite à une exposition aux rayons dont elle sous-estimait l’extrême dangerosité, naturellement liée à leur efficacité.
Alfred Le Petit. La Poule aux œufs d’or, Sarah Bernhardt-Fédora — Victorien Sardou. Le Grelot, 31 décembre 1882.
Photographie de Nadar en 1859 : Sarah « maigre à faire pleurer les oies » et « pire que jolie », fascinante.
Cette caricature est une vraie scénette de théâtre. Clairement signée (à droite) par Alfred Le Petit qui a sa part de gloire (et d’argent), Sarah Bernhardt pose en vedette au centre, juive au long nez, « maigre à faire pleurer les oies », mais fière dans son rôle-titre : LA POULE AUX ŒUFS D’OR. Qualificatif équivoque : courtisane à ses débuts, comme sa mère Youle, singulièrement belle comme sur la photographie de Nadar, Sarah se battra pour échapper à cet engrenage de la prostitution et devenir à cet égard la star « intouchable ».
Elle achève de pondre les œufs dorés tombant dans des paniers déjà pleins, tandis qu’au pied de la scène, un Victorien Sardou au regard concupiscent surveille son croupion fécond d’un œil torve. C’est la recette de sa nouvelle pièce au Vaudeville, dont Sarah Bernhardt affichée en bas tient le rôle-titre.
« Quand même. »6
Sarah BERNHARDT (1844-1923), sa devise. Ma double vie (1907)
« Ce n’était pas un fait du hasard, mais bien la suite d’un vouloir réfléchi. À l’âge de neuf ans, j’avais choisi cette devise, après un saut formidable au-dessus d’un fossé que personne ne pouvait sauter et auquel mon jeune cousin m’avait défiée ; je m’étais abîmé la figure, cassé un poignet, endolori le corps. Et pendant qu’on me transportait, je m’écriais, rageuse : « Si, si, je recommencerai, quand même, si on me défie encore ! Et je ferai toute ma vie ce que je veux faire ! »
« Je résolus d’être la grande artiste que je souhaitais être. Et je me vouai à ma vie. »
Sarah BERNHARDT (1844-1923), Ma double vie (1907)
Défiant tous les « quand même » et relevant tous les paris, malgré les critiques, les ennemis, les échecs inévitables dans une longue carrière, Sarah Bernhardt devient un mythe vivant et mérite ses surnoms : la Divine, l’Impératrice du théâtre, la Voix d’or selon Hugo bouleversé par sa création dans la Reine de Ruy Blas. Quant à Jean Cocteau, fasciné par le personnage, il invente pour elle l’expression qui lui va si bien : « monstre sacré ».
Elle a inventé la notion de star, avec son excentricité, ses colères, ses caprices, sa générosité, sa bisexualité affirmée, mais aussi l’attention portée à la maîtrise de son image. Durant toute sa carrière, elle est la cible des caricaturistes, dans les journaux satiriques de l’époque parmi lesquels Le Grelot, Le Charivari ou encore L’Éclipse. Que ce soit son physique, ses succès, ses nombreuses activités artistiques, ses origines juives, ses prises de positions politiques - notamment lors de l’affaire Dreyfus -, les caricaturistes s’acharnent. Elle trouve de mauvais goût certains dessins dirigés contre elle, mais n’est pas pour autant hostile à la caricature qui lui sert de « réclame », avec la même intelligence que Sand, Hugo ou Dumas.
Les tournées internationales de « Sarah Barnum » lui permettent de « remplir la sacoche », d’entretenir son fils Maurice, sa cour, sa « ménagerie » de bêtes parfois sauvages… et un train de vie extravagant. Dans ses Mémoires, elle dit tout de sa rencontre avec l’imprésario américain Edward Jarrett qui connaît l’importance de la « réclame » et sait utiliser à merveille les défauts comme les qualités de sa vedette. La carrière de Sarah Bernhardt est amplement documentée, commentée, illustrée – avec sa photogénie stupéfiante.
« Maigre à faire pleurer les oies »
Alors que la mode est aux femmes épanouies de Renoir, elle est caricaturée comme enceinte après avoir avalé une cerise… Sarah relève le défi et sublime ce défaut dès ses premières photographies signées Nadar – c’est lui qui a eu l’idée d’arracher un épais rideau de son studio et de le mettre sur ses épaules pour cacher les salières.
À l’époque, Sarah n’est encore qu’une actrice débutante. Ce cliché nous renvoie l’image d’une magnifique jeune femme au regard mélancolique, accoudée à une colonne, les épaules nues, drapée comme dans un burnous qui rappelle le goût de l’époque pour l’Orient. Son visage est modelé par un éclairage latéral, caractéristique des portraits de Félix Nadar. Aucun détail superflu ne détourne l’attention du spectateur de ce modèle dont la rayonnante beauté laisse pressentir le grand destin. À la différence de ce qui se pratiquait alors dans les autres ateliers, le décor se ramène ici à presque rien, et pour tout bijou Sarah porte un camée à l’oreille.
Bedonnante passée la cinquantaine, elle créera l’Aiglon (1900) d’Edmond Rostand, dernier héros romantique qu’elle a voulu et qu’elle jouera plus de mille fois : un défi devenu l’un de ses plus grands triomphes. Fascinée par le progrès, elle découvre le cinématographe et le phonographe, trop tôt pour ces techniques naissantes, trop tard pour elle, mais elle se lance « quand même », au risque de laisser d’elle une image fausse, démodée… Amputée à 70 ans de la jambe droite (tuberculose osseuse et série de chutes sur le genou dans le rôle-titre de Tosca), elle refuse d’être appareillée : « On me portera » dit-elle. La « Mère Lachaise » jouera sur scène et devant la caméra pendant dix-huit ans, ne s’apitoyant jamais sur son sort, se moquant d’elle-même – « Je fais la pintade » - et mourant pendant le tournage de son dernier film, La Voyante de Sacha Guitry.
Clemenceau Le Père la Victoire. 1918. Musée Carnavalet. Histoire de Paris.
« Nous voulons vaincre pour être justes. »2604
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, Déclaration ministérielle du 20 novembre 1917. Discours de guerre (1968), Georges Clemenceau, Société des amis de Clemenceau
Appelé à 76 ans par Poincaré, le 16 novembre 1917, il forme un nouveau gouvernement, accepté par une très forte majorité de députés, le 20 novembre. Clemenceau le « tombeur de ministères », le « Tigre » va devenir le « Père la Victoire », exerçant une véritable dictature, avec suprématie du pouvoir civil sur le militaire. Il incarne une république jacobine au patriotisme ardent, animé par la volonté de se battre jusqu’au bout, mais autrement. Il commence, en décembre, par poursuivre les politiciens défaitistes, Malvy, mais aussi et surtout Caillaux, ex-président du Conseil, accusé d’intelligence avec l’ennemi.
« Sur le front, les soldats voyaient apparaître un vieil homme au feutre en bataille, qui brandissait un gourdin et poussait brutalement les généraux vers la victoire. C’était Georges Clemenceau. »2605
André MAUROIS (1885-1967), Terre promise (1946)
L’auteur des Silences du colonel Bramble (1918), agent de liaison auprès de l’armée britannique, évoque ses souvenirs dans ce livre dont le succès décidera de sa carrière d’écrivain.
Moins terrible que sa légende de Tigre, Clemenceau recherche le contact avec les poilus des tranchées qui l’appellent affectueusement et simplement « le Vieux ».
Le « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race » auquel de Gaulle rend hommage dans ses Discours et messages, va restaurer la confiance dans le pays. Après s’être battu pour l’amnistie des Communards, contre la colonisation de Jules Ferry, contre Boulanger et le boulangisme, pour Dreyfus et avec Zola dans l’Affaire, pour la laïcité de l’État, pour l’ordre et contre les grèves, Clemenceau va mener son dernier grand combat national.
« Je me battrai devant Paris, je me battrai dans Paris, je me battrai derrière Paris ! »2609
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), printemps 1918. Les Grandes Heures de la Troisième République (1968), Robert Aron
L’offensive allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames (lieu de sanglante mémoire) enfonce en quelques heures les positions franco-anglaises, fait une avancée de 20 km en un jour, franchit bientôt l’Aisne et la Marne, créant une nouvelle « poche » de 70 km sur 50.
Foch, un moment contesté, est sauvé par Clemenceau. Et les Alliés reçoivent d’Amérique les renforts prévus, en hommes et en matériel. D’où la contre-offensive menée par Foch : seconde bataille de la Marne, déclenchée le 18 juillet. Les chars d’assaut (tanks) sont pour la première fois utilisés à grande échelle. Ils enfoncent les barbelés allemands en un rien de temps. Cette fois, la victoire est plus rapide qu’espéré : la guerre d’usure a physiquement et moralement atteint l’armée allemande. Défaite le 8 août à Montdidier, elle commence une retraite générale. Malgré tout, ce ne sera jamais la débâcle, seulement le recul pied à pied, sur le terrain peu à peu reconquis.
« Il me semble qu’à cette heure, en cette heure terrible, grande et magnifique, mon devoir est accompli […] Au nom du peuple français, au nom du gouvernement de la République française, j’envoie le salut de la France une et indivisible à l’Alsace et à la Lorraine retrouvées. »2612
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours écrit et parlé à la Chambre des députés, 11 novembre 1918. Histoire politique de la Troisième République : la Grande Guerre, 1914-1918 (1967), Georges Bonnefous, Édouard Bonnefous
Le député Paul Deschanel, président de la Chambre, a appelé Clemenceau qui monte à la tribune sous les vivats, tire de sa poche un long papier. Et cet homme de 77 ans lit d’une voix claire. Avant de conclure…
« Honneur à nos grands morts […] Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours soldat de l’idéal. »2613
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours écrit et parlé à la Chambre des députés, 11 novembre 1918. Histoire de la Troisième République (1979), Paul Ducatel
Pour la France, c’est le « Père la Victoire » qui lui a donné le courage de vaincre. Pour les Alliés, la France qui a fourni l’effort de guerre essentiel ressort auréolée d’un immense prestige. Mais le bilan humain est vertigineux. En Europe, la Grande Guerre aura fait 18 millions de morts, 6 millions d’invalides, plus de 4 millions de veuves et deux fois plus d’orphelins. Le maréchal Lyautey, ministre de la Guerre pendant quelques mois dans le cabinet Briand, avait dit au déclenchement du conflit : « C’est la plus monumentale ânerie que le monde ait jamais faite. »
« Le Tigre », Georges Clemenceau caricaturé par Sem à la une de La Baïonnette, 13 mars 1919.
On voit le Tigre républicain terrassant l’Aigle impérial réduit à l’état de pitoyable volatile, mais le fauve vainqueur a lui-même triste mine – avec une sensibilité rarement vue dans les représentations du redoutable bomme d’État. Il est pourtant étrangement reconnaissable, avec son regard plus humain que nature et sa terrible moustache. La France est unanimement reconnaissante au Père la Victoire, mais l’après-guerre est politiquement cruelle pour lui comme pour le pays.
« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »2633
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours de Verdun, 14 juillet 1919. Discours de paix (posthume), Georges Clemenceau
Le Père la Victoire est toujours à la tête du gouvernement d’une France épuisée par l’épreuve des quatre ans de guerre, même si une minorité artiste et privilégiée fête la décennie des « Années folles » d’après-guerre.
Mais le vieil homme est devenu le « Perd la Victoire » : piètre négociateur au traité de Versailles signé le 28 juin, il a laissé l’Anglais Lloyd George et l’Américain Wilson l’emporter sur presque tous les points. Et il ne sera pas président de la République, l’Assemblée préférant voter en 1920 pour un homme qui ne lui portera pas ombrage, Deschanel.
Les paroles de Clemenceau sont prophétiques d’une autre réalité qui marque les vingt ans à venir : « L’Allemagne, vaincue, humiliée, désarmée, amputée, condamnée à payer à la France pendant une génération au moins le tribut des réparations, semblait avoir tout perdu. Elle gardait l’essentiel, la puissance politique, génératrice de toutes les autres » (Pierre Gaxotte, Histoire des Français).
Charles Lucien Léandre. Dessin en couleur publié dans Le Rire Rouge, n°179, 20 avril 1918.
La légende vaut citation :
UN PAPE QUI N’A PAS L’AIR TRES « CATHOLIQUE » …17
D’autant plus que le Kaiser lui donne quelque distraction.
Charles Lucien Léandre (1862-1934) est illustrateur, lithographe, caricaturiste, dessinateur, sculpteur et peintre. L’éventail de ses dons rappelle Honoré Daumier, mais l’artiste peintre sera mieux reconnu par ses confrères. Comme Daumier et nombre de caricaturistes, il met ses dons au service d’une cause qui lui tient à cœur.
Dans cette illustration tragique, il dénonce l’inaction de l’église catholique en la personne du pape Benoît XV (1854-1922), face aux atrocités commises par l’armée allemande au cours de la Première Guerre mondiale – le pape en longue robe blanche aux allures de chef d’orchestre du chaos bénit en réalité le massacre d’une mère et de son bébé au premier plan… et ignore l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Reims en arrière-plan, crucifié entre « le pouvoir temporel » et « le denier de St-Pierre ».
Y’a bon BANANIA – un slogan publicitaire et un tirailleur qui font miracle à la Belle époque du colonialisme.
Le slogan publicitaire vaut citation dans cette longue histoire coloniale :
BANANIA Y’a bon
Y’a bon BANANIA18
« Le tirailleur sénégalais est un merveilleux mercenaire, puisqu’il a la vraie qualité du soldat, celle qui prime tout : l’aptitude à se faire tuer. »2401
L’Écho d’Oran, 25 décembre 1910. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière
On peut débattre à l’infini du colonialisme et les historiens ne s’en privent pas. Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui s’imposera après la Seconde Guerre mondiale, on intente un procès aux peuples et aux responsables politiques jadis coupables de ce « crime ». C’est pécher par anachronisme et ignorer les réalités géopolitiques de ce temps heureusement révolu. Cela dit, la lecture du grand quotidien algérien (rédigé en français) montre plus clairement que de longs discours l’inhumanité du colonialisme et le racisme inhérent.
Le corps des Tirailleurs sénégalais fut créé en 1857 par Louis Faidherbe, gouverneur général de l’AOF (Afrique de l’Ouest Française). Ces unités de combat indigènes doivent pallier l’insuffisance des effectifs venant de métropole. Les régiments sont constitués d’esclaves affranchis (rachetés par les Français à leurs maitres africains), mais aussi de prisonniers de guerre et de volontaires. Les Tirailleurs dits sénégalais viennent de toutes les colonies françaises d’Afrique. Après 1905, ils deviennent indispensables : forces de police sur l’immense territoire africain sous administration française et intervention lors des révoltes sporadiques (en Mauritanie, au Maroc), ils serviront dans la Grande Guerre (1014-1918) à renforcer les troupes sur le front lorrain. Beaucoup de généraux français entreront dans la carrière comme officiers dans les Tirailleurs - Joffre, Gallieni, Marchand, Gouraud, ou encore le général Mangin. Il écrit La Force Noire, faisant l’apologie de ces troupes africaines avec des arguments racistes : les Africains, dotés d’un système nerveux moins développé, sont moins sensibles à la douleur.
« Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. »
Léopold Sédar SENGHOR (1906-2001), poème préliminaire d’Hosties noires (1956)
Délaissant l’Antillaise de ses premières affiches, la marque Banania (née en 1914) cherche à transformer en produit patriotique son cacao additionné de farine de banane et s’identifie dès 1915 à un tirailleur sénégalais hilare, adoptant comme slogan la locution « y’a bon », associée à sa pratique sommaire du français.
Créé en 1857, le corps des Tirailleurs sénégalais compte 31 000 hommes en 1914, tous recrutés en Afrique occidentale française. Ils ont servi au Maroc à partir de 1908 et le 14 juillet 1913, défilé pour la première fois à Paris, faisant sensation. En 1916, ils sont massivement engagés sur le front métropolitain. Plus de 134 000 au total viennent combattre en Europe, dont 100 000 recrutés entre 1916 et 1918. La publicité se montre plus rapide à mobiliser leur image ambivalente de sauvages féroces, mais loyaux.
L’affiche dessinée en 1915 par Giacomo de Andreis (1885-1952) représente un tirailleur assis sous un arbre, son fusil à ses pieds, savourant une gamelle de Banania. Il porte sa tenue de parade : fez rouge à pompon, courte vareuse bleue, culotte bouffante. La vaste plaine en arrière-plan évoque des blés mûrs et la savane africaine sous un ciel jaune banane. Seuls les brodequins poussiéreux suggèrent la présence de la guerre dans ce paysage qui semble tout ignorer des tranchées.
L’artiste reprend les stéréotypes raciaux utilisés par la publicité depuis les années 1890 : l’uniforme exotique et quasiment d’opérette (abandonné au combat, car trop voyant) ; le contraste outré entre la peau noire et le blanc des dents exhibées par le rire, ou des yeux écarquillés ; la mimique et la gestuelle comme modes d’expression, faute de mots en français. Et l’insouciance d’un soldat auquel une boisson lactée fait oublier la guerre.
La petite histoire veut que l’un d’eux, blessé et rapatrié du front, ait été embauché à l’usine de Courbevoie où il se serait exclamé « Y’a bon Banania ! » après avoir goûté la boisson. Vrai ou faux ? Peu importe. Le slogan mariant assonances et allitérations aura une longue et parfois terrible postérité. « Cela correspond à l’esprit colonialiste français de l’époque, déclare le directeur du musée du chocolat, Fabrice Stijnen. On peut lui faire dire ce que l’on veut en changeant le contexte – et aujourd’hui ce slogan a effectivement pris une forte connotation raciste. Il est devenu hautement polémique. »
D’où la nécessité, affirmée dès 1948 par Senghor dans Hosties noires, de déchirer « les rires Banania sur tous les murs de France ». Mise au rebut à la fin des années 1970, cette imagerie a fit une brève réapparition à partir de 2005 sous couvert de nostalgie, avant d’être condamnée en 2011 pour ce qu’elle est : l’adhésion tacite à un racisme structurel qui doit au contraire être combattu.
L’utilisation dévoyée de l’ancien slogan contre la très médiatique garde des Sceaux française Christiane Taubira née en 1952 en Guyane et indépendantiste - « Y’a bon Banania, y’a pas bon Taubira » - et l’existence de nombreux collectionneurs de produits dérivés de la marque Banania démontrent l’emprise mentale sur des consommateurs façonnés par l’idéologie coloniale et par une méconnaissance de l’autre relevant d’un racisme plus ou moins conscient.
1925. La Revue nègre. Affiche de Paul Colin. Musée franco-américain du Château de Blérancourt.
Triomphe de l’Art déco - image des Années folles, antidote à la Grande Guerre – destin de femme exemplaire, du music-hall au Panthéon. C’est une histoire plus belle que nature et totalement vraie qui commence ainsi !
« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »19
Joséphine BAKER (1906-1975). Alliages culturels : la société française en transformation (2014), Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil
Dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est furieusement à la mode et la première exposition d’Art nègre va influencer les artistes Fauves et Cubistes. Le peintre Fernand Léger conseille à l’administrateur du Théâtre des Champs-Élysées de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : « la Revue nègre », vingt-cinq artistes dont douze musiciens parmi lesquels le trompettiste Sidney Bechet et une danseuse de 19 ans à l’incroyable présence.
Paul Colin crée l’affiche de la revue, osant une géniale caricature en mouvement. Sur le fond blanc, le brun foncé et le rouge des figures stylisées se détachent nettement. La danseuse en blanc et gris « crève l’écran », toute en légèreté, suggestion érotique et frêle provocation, opposée à l’énergie brute et massive du musicien et du danseur. La rondeur exagérée de ses formes et des yeux du couple nègre, archétype aux épaisses lèvres rouges et aux cheveux crépus, tire le dessin vers un mauvais goût assumé.
La « Vénus noire » est lancée ce 2 octobre 1925 : sur scène, elle a le diable au corps, vêtue d’une ceinture de plumes blanches et dansant le charleston avec son partenaire Joe Alex. Scandale et succès immédiat. La salle affiche complet. Forte de sa renommée, Joséphine devient la meneuse des Folies Bergère en 1926 : les plumes laissent place à la ceinture de bananes. Encore plus provoquant ! Le tout Paris des Années folles n’a plus que ce nom à la bouche : Joséphine Baker. D’autres artistes afro-américains vont séjourner en Europe : peintres, sculpteurs, poètes, romanciers trouvent à Paris le lieu où prolonger la « renaissance nègre » de Harlem et y apprécient une société libérale qui ignore la ségrégation.
« J’ai deux amours : mon pays et Paris. »
Chanson de 1930. Paroles de Géo Koger et Henri Varna, musique de Vincent Scotto
C’est le refrain fétiche de Joséphine Baker et jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle entre en scène, sur un plateau de télévision, dans un restaurant ou une boîte de nuit, l’orchestre se met aussitôt à jouer les premières mesures : « J’ai deux amours / Mon pays et Paris / Par eux toujours / Mon cœur est ravi / Ma savane est belle / Mais à quoi bon le nier / Ce qui m’ensorcelle / C’est Paris, Paris tout entier. »
Le Panthéon lui ouvre ses portes le 30 novembre 2021. Elle « coche toutes les cases » comme l’on dit : artiste populaire, star mondiale, femme libre, descendante d’esclave noire, bisexuelle assumée, naturalisée française, résistante triplement décorée, protectrice des animaux, mère de douze enfants adoptés et chacun d’ethnie différente… Sa vie est un feuilleton dont l’héroïne est douée de tous les talents, avec un sacré caractère et une énergie hors norme dont elle a quand même abusé jusqu’à la limite de ses forces.
« Eh oui ! Je danserai, chanterai, jouerai, toute ma vie, je suis née seulement pour cela. Vivre, c’est danser, j’aimerais mourir à bout de souffle, épuisée, à la fin d’une danse ou d’un refrain. »
Joséphine BAKER (1906-1975), Les Mémoires de Joséphine Baker recueillies par Marcel Sauvage (1949)
Elle a tenu parole, ses dernières apparitions sont pathétiques, telle est sa (riche) nature ! Mais ce n’est pas la raison de sa panthéonisation et ses racines sont plus profondes. Elle nous a donné la clé de l’énigme qu’est sa vie.
« C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »
Joséphine BAKER (1906-1975) à Jacques Abtey chef du contre-espionnage militaire à Paris qui la cite dans « Les Français Libres ». La Guerre secrète de Joséphine Baker (1948), Jacques Abtey
Septembre 1939. Le capitaine Abtey est chargé de recruter des « Honorables Correspondants » susceptibles de se rendre partout et sans éveiller les soupçons, pour recueillir des renseignements sur l’activité des agents allemands. Elle se présente à lui en toute simplicité, lors de leur première rencontre, villa Beau Chêne au Vésinet. Elle expliquera ensuite sa méthode pour faire passer des messages secrets : « C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent à l’hôtel. A Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant… Ces papiers seraient sans doute compromettants si on les trouvait. Mais qui oserait fouiller Joséphine Baker jusqu’à la peau ? Ils sont bien mis à l’abri, attachés par une épingle de nourrice (à son soutien-gorge). D’ailleurs mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction… Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes ! »
Lors de son passage à Alger en 1943, le général de Gaulle, en reconnaissance de ses actions dans la Résistance, lui offre une petite Croix de Lorraine en or - qu’elle vendra aux enchères pour la somme de 350.000 francs au profit exclusif de la Résistance. Titulaire d’un brevet de pilote pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, elle rejoint les Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air (IPSA) et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.
À ses funérailles en 1975, c’est la première femme d’origine américaine à recevoir les honneurs militaires. Et le Panthéon ? Idée émise par l’écrivain Régis Debray dans une tribune du Monde, 16 décembre 2013. Son passé de résistante, sur lequel la Vénus noire fut toujours discrète, ainsi que son combat contre le racisme beaucoup plus médiatisé, méritent de rester dans nos mémoires.
« Quelle importance y a-t-il à ce que je sois noire, blanche, jaune ou rouge ? (…) Dieu, en nous créant, n’a pas fait de différence. Pourquoi l’homme voudrait-il le surpasser en créant des lois auxquelles Dieu même n’a pas songé ? »
Joséphine BAKER (1906-1975), Discours du 28 décembre 1953 – Meeting de la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) (LICA) devenue en 1980 LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme)
Dans son château des Milandes (où elle perd tout l’argent gagné en tournées), elle est fière de sa « tribu arc-en-ciel ». Faute de pouvoir être mère, elle a adopté ses douze enfants, chacun d’une ethnie différente (coréen, finnois, français, japonais, ivoirien, colombien, canadien, algérien, marocain, vénézuélien, juif français…).
Elle retourne aux USA en 1963 et participe à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté organisée par Martin Luther King - elle prononce un discours, vêtue de son ancien uniforme de l’Armée de l’air française et de ses médailles de résistante. Tout le reste de sa vie, elle mettra sa popularité au service de ses idées inlassablement répétées : « Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n’importe où je la trouve, car je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut pas se défendre dans ce domaine. »
Bref, une belle personne, à tout point de vue, partie de la Revue nègre au music-hall des Champs-Élysées et bienvenue au Panthéon de Paris.
Le géant Sennep. « Hommage à un génie de la caricature », signé Ralph Soupault, Fantasio, 16 juillet 1933.
« L’ennui avec nos hommes politiques, c’est qu’on croit faire leur caricature, alors qu’on fait leur portrait. »2844
SENNEP (1894-1982), Potins de la Commère, France-Soir, 18 juin 1958
C’est l’un des plus talentueux caricaturistes de la presse française, venu de l’Action française, d’extrême-droite avant la Seconde Guerre, mais gaulliste rallié en 1941 et dessinateur attitré du Figaro. Il cible tout particulièrement les politiques en forçant systématiquement le trait : les gros sont énormes, les maigres filiformes, parfois représentés sous forme d’animaux. À la fin de la Troisième République, il caricaturait Hitler et sa réflexion s’applique parfaitement au dictateur. Les documents d’époque (film ou photo) en témoignent et la voix complète le personnage – génialement incarné par Chaplin, en 1940.
En attendant, la France de 1933 s’installe dans la crise économique. Les divers gouvernements de centre droit ou centre gauche appliquent les mêmes méthodes et renoncent au bout de quelques mois. L’instabilité ministérielle provoque une montée de l’antiparlementarisme et une violente mise en cause des institutions de la Troisième République, portées par les ligues d’extrême droite.
« Être patriote, et être Français, en 1932, c’est vivre crucifié. La France est en pleine décomposition. »2659
Henry de MONTHERLANT (1895-1972), Carnets, 1930-1944 (1957)
Fervent lecteur de Barrès, patriote, sans être pour autant nationaliste, adversaire déclaré de l’Allemagne nazie, mais soupçonné ensuite de collaboration, Montherlant est moins politiquement engagé que la plupart de ses confrères. Il est surtout lucide, dans son pessimisme hautain.
La France est malade de la crise économique mondiale qui l’atteint avec retard. La bataille politique perturbe un régime parlementaire dont l’instabilité ministérielle est chronique. Les accords de Lausanne (juillet 1932) entérinent le renoncement de la France aux réparations allemandes. Et le nouveau président de la République, Paul Doumer, est victime d’un attentat commis par un émigré russe, le 6 mai 1932. La situation ne peut qu’empirer dans cette Entre-deux-guerres de tous les dangers, avec la montée des dictatures à nos frontières.
Cette caricature pleine-page, en noir et blanc, est extraite de Fantasio, petit hebdomadaire parisien d’échos et d’humour (1906-1936) tiré à quelques dizaines de milliers d’exemplaires. Son auteur Ralph Soupault (1904-1962) débuta dans la presse d’extrême gauche, rejoignit l’autre extrême de l’Action française au milieu des années 1920. Collaborateur sous l’Allemagne nazie, il sera condamné pour intelligence avec l’ennemi à la Libération.
Soupault salue ici son aîné Sennep. Depuis une dizaine d’années dans L’Action française, puis dans L’Écho de Paris et dans Candide, il s’amuse férocement des mœurs du Palais-Bourbon – Chambre des députés figurée en arrière-plan - et fustige l’incurie des hommes publics devant la situation. Le voici donc ici en géant à grosses lunettes, armé d’un pulvérisateur à insectifuge, provoquant la panique parmi les leaders politiques de tous bords.
Qui sont-ils ? Au premier plan, les responsables du Cartel des gauches, radicaux et socialistes de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO)) qui, après avoir remporté les élections de 1932, se sont montrés incapables de gouverner ensemble - les socialistes, refusant de participer au cabinet formé par Édouard Herriot, l’ont conduit à sa perte et finalement poussé les radicaux à gouverner avec le centre droit. On reconnaît, dans le coin gauche, Herriot, puis les socialistes Léon Blum (les bras levés) et Pierre Renaudel (qui nous fait face).
Ce dessin est aussi une caricature de la poussée antiparlementaire qui se banalise, avant d’atteindre son paroxysme au lendemain de la manifestation sanglante du 6 février 1934, devant le Palais-Bourbon. En 1933, le dessin antiparlementaire reste bon enfant ; il versera dans la pire injure, l’année suivante.
1934. Le régime parlementaire s’écroule. Anonyme.
La légende vaut citation avec un constat et une solution :
Le régime parlementaire s’écroule !
Révision de la Constitution.21
Le Palais-Bourbon, au fronton duquel pend un triste drapeau tricolore, se fissure et s’effondre.
La foule des députés affolés fuient en une débandade indigne, au point de chuter les uns sur les autres. Le responsable de ce séisme politique n’est pas désigné. Mais l’opinion éclairée ne peut que constater…
« Sans doute faut-il incriminer d’abord les institutions qui, d’avance, détruisent les chefs. Nul régime n’aura, autant que le nôtre, usé d’individus plus rapidement. »2624
François MAURIAC (1885-1970), Mémoires politiques (1967)
L’écrivain engagé écrit ces mots en juillet 1933 : valse des gouvernements, crédibilité du régime entamée dans l’opinion, d’où ce procès du radicalisme et, de façon plus générale, de la politique sous cette République frappée d’impuissance.
Selon André Tardieu, on a « substitué la souveraineté parlementaire à la souveraineté populaire ». Le journal Ordre nouveau se déchaînera en février 1934 (époque de l’affaire Stavisky) : « Il n’y a plus de politique ; il n’y a plus que des politiciens, six cents bavards soit inconscients, soit trop malins, toujours impuissants. Élire un député signifie trop souvent aujourd’hui donner l’impunité parlementaire à un escroc, un receleur, un dangereux imbécile. » On reconnaît le « tous pourris » devenu plus tard slogan délétère et plus ou moins populiste.
Le mode de scrutin proportionnel, qui induit un émiettement de la représentation, favorise l’instabilité gouvernementale. Les affiches participent de ce combat qui vaut à la violence politique d’opérer un retour en force, le 6 février 1934. Au lendemain de cette grave crise politique, la droite retrouve le pouvoir, mais se voit réduite à de nouveaux expédients. Le ministère Doumergue tombera en novembre 1934 après avoir une nouvelle fois tenté de réviser la Constitution, tentative restée vaine et qui sera la dernière de la Troisième République.
1934. Suite. Jeu de massacre parlementaire. Anonyme.
Sur cette affiche, le texte occupe les deux-tiers de la surface et le Parlement, de victime et d’objet qu’il était, devient le sujet malheureux et ridicule de l’Histoire.
La légende (résumée) vaut citation :
Jeu de massacre parlementaire.
En 17 ans le Parlement français a renversé 30 ministères.
FRANÇAIS ! un pareil régime ne peut pas durer…
EXIGEZ la réforme de la Constitution…23
Il y a 17 ans, c’était la fin de la Grande Guerre. Les 30 ministères renversés dans ce jeu de massacre prennent place dans un cadre qui rappelle (vaguement) la silhouette du Palais-Bourbon, Les « têtes » à abattre sont présentées dans l’ordre chronologique de succession des ministères, avec la photographie de chacun des présidents du Conseil sur un socle à son nom, de Clemenceau à Doumergue. « La durée moyenne d’un ministère est de 6 mois », dit le texte.
Le régime en question n’est pas nommé, mais simplement désigné par ses actes : massacres des ministères, impuissance face à la crise et aux tensions européennes qui ne sont pas davantage nommées. Le Français interpellé est invité à agir en exigeant la réforme de la Constitution, réforme qui passe par l’obtention du droit de dissolution et de référendum, deux mesures susceptibles de modifier radicalement l’équilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif. Ce serait revenir aux origines de la Troisième République et d’un pouvoir présidentiel fort, à l’époque de Mac-Mahon… qui a dû se soumettre, puis se démettre, laissant place au pouvoir parlementaire.
Ce genre de débat reprend toute son actualité en 2024, après la dissolution de la Chambre des députés par le président Macron qui n’avait plus de majorité pour gouverner. La Cinquième République est un régime présidentiel (créé par de Gaulle), succédant à la Quatrième, régime parlementaire qui s’est révélé trop faible pour régler le grave problème de la Guerre d’Algérie. Éternel retour des dilemmes et des choix politiques.
1919. Comment voter contre le bolchévisme ? L’homme au couteau entre les dents, Adrien Barrière.
Autre version en 1936 : Contre ça, votez communiste. Cabrol.
La première légende valait citation :
« Comment voter contre le bolchévisme ? »28
NAPOLÉON III (1808-1873), encerclé à Sedan, 1er septembre 1870. Histoire contemporaine (1897), Samuel Denis
La symbolique du couteau entre les dents connut un succès grandissant en France. La première référence revient à Adrien Barrière qui illustre en 1919 la couverture d’une brochure appelant les Français à voter contre le bolchevisme, symbolisé par l’homme au couteau entre les dents, lors des élections législatives de novembre.
À partir de la révolution d’Octobre (1917), les diplomates et militaires français en poste en Russie tentent de comprendre la nouvelle donne politique et de composer avec un pouvoir bolchevique qui promeut la « paix sans annexion ni compensation ». Loin de représenter un moment de rupture, la séquence de novembre 1917 à l’été 1918 est riche en projets de coopérations militaires et d’hypothèses d’alliance entre Français et bolcheviks.
Les Français, leurs alliés et les bolcheviks ne renoncent que très tardivement à l’idée d’une coopération militaire, voire d’une alliance contre l’Allemagne. Il faut une série de crises diplomatiques et militaires pour que la rupture soit consommée et que les bolcheviks soient désormais considérés comme des ennemis.
La seconde légende vaut également citation en 1936 :
« Contre ça, votez communiste ! »
En 1934, les Républicains nationaux d’Henri de Kérillis (1889-1958), ancien résistant de la Grande Guerre appartenant à la droite patriote, sinon nationaliste, réactivèrent le symbole en plaçant cette fois le couteau entre les dents non plus d’un bolchevik ivre de sang, mais d’un Staline diabolisé !
En 1936, à la veille des élections législatives qui vont donner la victoire au Front populaire, Cabrol le caricaturiste du Populaire (journal communiste) renoue à son tour avec le détournement de l’emblème de l’anticommunisme. Dans un style volontairement caricatural, cette parodie perpétue l’ancrage du symbole du couteau dans l’imaginaire national, tout en dévoilant nettement l’alternative pour les Français : Hitler ou Staline, « national » ou « communiste », barbarie ou Front populaire.
Rappelons que la Section française de l’Internationale communiste (S.F.I.C.) est née en novembre 1920 de la scission entre socialistes et communistes, lors du congrès de Tours de la S.F.I.O. Entre 1921 et 1933, le PCF (parti communiste français) connaît une période d’éclipse électorale et de désaffection militante. Abandonnant avec l’accord de Staline la stratégie de lutte « classe contre classe », les communistes s’engagent alors dans le combat antifasciste. Hitler s’étant définitivement emparé du pouvoir en Allemagne, Staline, un temps hésitant, accepte la possibilité d’une alliance avec les socialistes et les radicaux-socialistes, partis « bourgeois ». En France, la montée en puissance des ligues d’extrême droite, dont la crise du 6 février 1934 est la manifestation la plus visible, justifie plus encore l’adoption de la « politique de la main tendue » par Maurice Thorez, dirigeant de la S.F.I.C. Socialistes, communistes et radicaux signent alors des accords électoraux qui leur permettront de remporter largement les élections législatives de 1936 et de former un gouvernement de « Front populaire ». Le Nouveau Front populaire en 2024 renouvellera le pari. L’enjeu n’est pourtant pas le même, malgré la dramatisation de la situation. L’Histoire ne se répète pas, mais elle bégaie.
Cabrol recourt au même cadrage contre Hitler, résumé dans un « ça » profondément méprisant, auquel il oppose radicalement le terme « communiste ». Le manche du couteau est orné de symboles contemporains : la tête de mort des Croix-de-feu à gauche, le casque ailé et l’épée des Jeunes Patriotes au centre, la fleur de lys de l’Action française à droite. La moustache de Hitler, loin de rappeler des flammèches comme dans la chevelure de Staline, dessine clairement une aigle impériale allemande (figure héraldique). Il accentue le caractère parodique du portrait : les pupilles rappellent des svastikas (croix aux branches coudées), les oreilles et le nez du dictateur nazi sont rouges, ses traits complètement déformés, sa fameuse frange exagérée jusqu’au ridicule. Il en faudra plus pour le tuer – une guerre mondiale.
La Terre promise, caricature de Léon Blum par Ralph Soupault (1904-1962), Le Charivari (en couverture), 20 février 1937. (lithographie en couleur). Collection privée.
Contrairement à l’Allemagne qui connaît très tôt un regain d’antisémitisme, l’Union sacrée suivie de la victoire de 1918 en France ont empêché que se diffusent massivement la haine des juifs. Il faut attendre les années 1930 pour que l’antisémitisme retrouve un certain niveau d’adhésion, mouvement qui s’accentue avec l’accession d’un juif à la présidence du Conseil : Léon Blum. L’appel nominatif au meurtre est à venir…
Parmi les dessinateurs judéophobes, Ralph Soupault caricaturiste engagé d’extrême-droite se montre le plus acharné, réactualisant des motifs qui avaient émergé pendant l’Affaire Dreyfus et les années suivantes. Le sécateur qui permet de démembrer la France renvoie ici à la circoncision.
« Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie. »2681
Léon BLUM (1872-1950), constat du chef du gouvernement, 31 décembre 1936. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby
« … La France a une autre mine et un autre air. Le sang coule plus vite dans un corps rajeuni. Tout fait sentir qu’en France, la condition humaine s’est relevée. »
Georges Duby confirme, dans son Histoire de la France : « Le Front populaire, ce n’est pas seulement un catalogue de lois ou une coalition parlementaire. C’est avant tout l’intrusion des masses dans la vie politique et l’éclosion chez elle d’une immense espérance […] Il y a une exaltation de 1936 faite de foi dans l’homme, de croyance au progrès, de retour à la nature, de fraternité et qu’on retrouve aussi bien dans les films de Renoir que dans ce roman de Malraux qui relate son aventure espagnole et justement s’appelle L’Espoir. »
« Je veux pas faire la guerre pour Hitler, moi je le dis, mais je veux pas la faire contre lui, pour les Juifs… On a beau me salader à bloc, c’est bien les Juifs et eux seulement, qui nous poussent aux mitrailleuses… Il aime pas les Juifs Hitler, moi non plus… »2688
Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), Bagatelles pour un massacre (1937)
(Céline met une majuscule aux Juifs, dans la logique de la doctrine nazie, faisant référence au peuple, et plus encore à la race).
Ce n’est pas le seul antisémite de ces années-là, mais c’est l’un de ceux qui s’expriment avec le plus de violence - et un génie littéraire non contestable dans ses romans. Ce pamphlet où la haine l’égare achève de faire l’unanimité contre lui. Il s’est déjà créé des ennemis chez les bien-pensants avec son Voyage au bout de la nuit (1932) qui attaque le militarisme, le colonialisme, l’injustice sociale. Ses impressions de retour d’URSS publiées dans Mea Culpa (1936) lui ont ensuite aliéné tous les sympathisants communistes. Il pourra ensuite jouer les incompris, mais difficilement les victimes.
« S’ils s’obstinent, ces cannibales, à faire de nous des héros, il faut que nos premières balles soient pour Mandel, Blum et Reynaud. »2697
« À bas la guerre », l’Action Française, numéro saisi le 27 septembre 1938. La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean-Marie Mayeur
Le numéro paraît en pleine crise de Munich, avec l’article ainsi titré. Les termes disent la violence de l’opposition d’extrême droite : antisémitisme et appel (nominatif !) au meurtre, ce qui a déjà tué Jaurès à la veille de la guerre, en 1914.
Guernica (1937), Musée Reina Sofia de Madrid.
« C’est vous qui avez fait cela ?
— Non… Vous ! »32Réponse de Pablo PICASSO à Otto ABETZ, ambassadeur du Troisième Reich à Paris durant l’Occupation. Cité par Roland Penrose (1900-1984), Pablo Picasso. His Life and Work (1958), biographie traduite en français, Picasso (1962)
Picasso avait quitté le Bateau-Lavoir, cité d’artistes de ses débuts à Montmartre, et vivait rue des Grands-Augustins à Paris. Aux visiteurs allemands des années 1940, il distribuait volontiers des photos de Guernica (toile conservée à New York au MoMA) :
« Emportez-les. Souvenirs, souvenirs ! »
Lundi 26 avril 1937, jour de marché, quatre escadrilles composées d’appareils de la légion Condor, de bombardiers italiens et escortées par des avions de chasse allemands bombardent la ville, symbole historique des libertés traditionnelles basques. Cette opération permet aux 44 avions allemands et 11 italiens de tester leurs nouvelles armes. L’attaque débute à 17 h 30 et dure trois heures, par vagues successives, à la mitrailleuse puis aux bombes explosives et incendiaires. Entre les destructions directes et la propagation des incendies, les deux tiers de cette ville de 6 000 habitants sont détruits. Le bilan humain demeure controversé - de 120 morts à plus de 1 500.
Quelques jours après, Picasso apprend le drame de Guernica. Très impliqué dans la défense de la République espagnole et marqué par la prise de Malaga - sa ville natale - par les rebelles en février, il décide de prendre ce crime pour thème de la commande faite par le gouvernement républicain en guerre, destinée à décorer le pavillon de l’Espagne à l’Exposition internationale dite « des arts et des techniques appliqués à la vie moderne » de Paris. Il espère, entre autres, convaincre la France de sortir de sa neutralité et de s’engager au côté des Républicains. L’intervention directe des Allemands et des Italiens pourrait provoquer cet engagement. Il n’en fut rien.
Du 1er au 11 mai, Picasso conçoit Guernica et le réalise en quelques semaines, assisté de sa maîtresse Dora Maar qui photographie l’œuvre en gestation et l’artiste en pleine création. Le choix du noir et blanc n’est pas seulement dû à l’urgence et aux couleurs du deuil. Il rejoint la perception des reportages photographiques dans les journaux. La toile achevée le 4 juin est exposée à partir du 12 juillet : trop « fou », trop « compliqué », trop cérébral. Par ailleurs insuffisamment engagé de façon explicite : ni symboles politiques, ni références exactes à l’événement, ni évocation de la cause menant à la catastrophe. Tout cela fait aujourd’hui sa force, son universalité, son intemporalité : un manifeste contre la guerre et l’horreur, par la représentation, dans une grande « peinture d’histoire » (3,493 x 7,766 m), d’une scène de violence, de barbarie et de mort. On peut y voir une géniale caricature de la réalité, appartenant à la période cubiste de l’artiste, née en 1906 avec Les Demoiselles d’Avignon.
« J’exprime clairement mon horreur sur la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort. »
« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi. »
« Peindre un tableau, c’est engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve déchirée. Ce drame l’emporte sur toute autre considération. »
Pablo PICASSO (1881-1973)
Après l’Exposition, la toile part pour Londres, puis voyage en Europe, afin de collecter des fonds pour la cause républicaine. À partir de 1939, elle est au Museum of Modern Art (Moma) de New York. En novembre 1970, dans une lettre écrite avec son avocat Roland Dumas, Picasso refuse que le tableau aille en Espagne au pouvoir de Franco, et aussi longtemps que « les libertés publiques n’y seront pas rétablies ».
Tout a été dit sur les sources d’inspiration du tableau (Horreurs de la guerre de Cranach et Goya, Massacre des Innocents de Poussin) et sur son symbolisme (taureau, cheval, oiseau, lumière). Reste la portée politique et historique de Guernica.
« Je ne cherche pas, je trouve. »3142
Pablo PICASSO (1881-1973). Le Sens ou La Mort : essai sur Le Miroir des limbes d’André Malraux (2010), Claude Pillet
Le 8 avril 1973 meurt à Mougins le plus grand peintre du siècle, âgé de 91 ans et travaillant jusqu’au bout – il fut aussi dessinateur, graveur, sculpteur, céramiste. C’est un mythe toujours vivant. En 1907, ses Demoiselles d’Avignon, rupture avec l’art figuratif et attentat contre la vraisemblance, provoquèrent stupeur et scandale. Malraux voit dans l’ensemble de son œuvre « la plus grande entreprise de destruction et de création de formes de notre temps. »
Les années 1970 et 1980 marquent l’explosion du marché de l’art avec une inflation record des prix de vente : Yo Picasso (Moi Picasso, autoportrait) voit son prix décupler de 1981 à 1989 (310 millions de francs). En 2010, Nu au plateau de sculpteur (portrait de sa maîtresse et muse Marie-Thérèse Walter en 1932) bat le record de l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue aux enchères : adjugée pour 106,4 millions de dollars chez Christie’s à New York.
La folie des prix continue et Picasso « garde la cote » : printemps 2021, ses Femmes d’Alger (1955) ont battu un nouveau record aux enchères chez Christie’s à New York : 161,5 millions de dollars.
Hitler dresse le cousin russe. Fin août 1939. Gilbert. Carte postale. Mémorial de Caen.
La légende vaut citation, bien dans le ton de la caricature plus subtile qu’il n’y paraît :
« Hitler dresse le cousin russe. »39
Nées à la fin du XIXe siècle, les cartes postales reprennent des thèmes politiques ou d’actualité sur un mode satirique, humoristique et plus ou moins didactique. Florissantes des années 1910 aux années 1930, elles sont moyens de communication autant qu’objets de collection. Diffusée dans toute la France, cette carte postale reprend les codes caractéristiques du genre, montrant un véritable jeu de dupes dont personne n’est dupe (pas plus les parties prenantes de l’accord que les observateurs étrangers et français).
Le dessin au trait simple et direct représente l’accord entre Hitler et Staline conclu par le pacte germano-soviétique (23 août 1939) : traité de non-agression entre l’Allemagne et l’Union Soviétique, signé au Kremlin en présence de Staline par les ministres des Affaires Étrangères allemand (von Ribbentrop) et russe (Molotov).
Cet accord stupéfie le monde entier ! La rhétorique nazie est nourrie d’anticommunisme, l’URSS et ses dirigeants étant toujours présentés comme les ennemis du fascisme contre lequel ils ont d’ailleurs lutté en Espagne pendant la guerre civile. Les communistes occidentaux sont déboussolés : en France, des militants, cadres et parlementaires démissionnent du parti. Le Président du Conseil Daladier trouve dans ce pacte une occasion d’interdire la presse communiste (26 août), avant de dissoudre le parti une fois la guerre déclarée (27 septembre).
Même si la Russie communiste n’est plus l’allié de 1914, la perspective d’avoir à affronter l’Allemagne sans un soutien russe ouvrant un front à l’est effraie à juste titre. A l’instar de la carte postale « Hitler dresse le cousin russe » éditée entre fin août et septembre 1939, nombre de médias (illustrations, presse, radio, actualités filmées) reviennent très largement sur cet événement.
L’ambiguïté de la caricature reflète la perplexité de l’opinion. Les deux leaders se tiennent debout sur une carte de l’Europe (Hitler à l’Ouest, Staline à l’Est). Reconnaissable à sa mèche (exagérée, un peu désordonnée), à sa moustache et son uniforme avec la croix gammée, Hitler joue du tambourin pour un Staline caricaturé en ours, portant une casquette marquée de l’étoile rouge - on reconnaît les traits de son visage, jusqu’à la moustache. Le tambourin évoque un dressage en douceur, presque hypnotique par la musique (les belles paroles), mais le fouet sous le bras d’Hitler suggère d’autres manières et d’autres étapes possibles du rapport entre le maître et la bête.
De même, la mine et la silhouette bonhommes de Staline sont démenties par la faucille pleine de sang qu’il tient entre ses « mains ». L’obéissance, la docilité de l’ours dressé et normalement inoffensif doivent être relativisées. Presque aussi menaçantes que le fouet et la faucille, les pattes griffues de Staline comme les chaussures cloutées d’Hitler suggèrent un danger pour l’Europe sur laquelle elles pèsent.
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