Dans l’immense répertoire musical contemporain diffusé à profusion, la chanson « à message » ou chanson engagée se taille une place littéralement historique et contredit souvent la formule d’Aristote : « La musique adoucit les mœurs » !
« Je ne chante pas pour passer le temps » (1965), titre, refrain et profession de foi de Jean Ferrat qui pourrait être celle de toutes les voix citées de 1945 à nos jours, d’Aznavour à Vian (Boris), en passant par Balavoine, Barbara, Ferrat, Ferré, Gainsbourg, Goldman (les Restos du cœur), Lavilliers, Montand, Moustaki, Nougaro, Perret, Renaud, Sardou, Anne Sylvestre… et Johnny Halliday en invité surprise.
Sans oublier les « standards » anglo-saxons entre autres protestsongs, avec les incontournables Joan Baez, Bob Dylan, John Lennon et autres Rolling Stones.
Même si l’amour demeure le thème le plus chanté (et le plus commercial), toutes les questions politiques et sociétales se retrouvent : l’anarchie (de droite ou de gauche) et l’antimilitarisme, l’écologie, le féminisme, l’homophobie, le racisme, l’émigration, mais aussi la résistance, l’appel à s’engager.
En plein âge d’or de la chanson française et jusque dans les années 70, l’omniprésence de la censure étonne, entre l’interdiction (rare) et l’entrave à la diffusion (radio et télé).
On a parlé des années de rêve qui mènent à Mai 68, opposé aux années de plomb avec un regain de brutalité à partir de 1970. La nouvelle vague du rap déferle au XXIe siècle, NTM côtoyant Diam’s.
Faut-il en déduire une politisation de la société, une plus grande violence dans ses manifestations ? Cet effet de loupe sur l’actualité peut être trompeur. Restent tous ces témoignages chantés, étonnants à divers titres.
Douce France, Charles Trenet (1945) – Quand un soldat, Yves Montand (1952) - La Mauvaise réputation, Georges Brassens (1952) - Le Déserteur, Boris Vian (1954) – Blowin’ in the Wind, Bob Dylan (1962) - Göttingen, Barbara (1964) - Je ne chante pas pour passer le temps, Jean Ferrat (1965) - La Montagne, Jean Ferrat (1965) - Ni Dieu, ni maître, Léo Ferré (1965) - Paris Mai, Claude Nougaro (1968) - Street Fighting Man, The Rolling Stones (1968) – Camarade, Jean Ferrat (1969) - Les Anarchistes, Léo Ferré (1969) - Sans la nommer, Georges Moustaki (1969) - Le Métèque, Georges Moustaki (1969) - Ma France, Jean Ferrat (1969) - Poème sur la 7e, Johnny Halliday interprète de Philippe Labro (1970).
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Douce France (1943-1947)
(Refrain) « Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t’ai gardée dans mon cœur
Mon village au clocher, aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur
Oui je t’aime
Et je te donne ce poème
Oui je t’aime
Dans la joie ou la douleur. »1Charles TRENET (1913-2001 ), auteur, compositeur et interprète
Écoutez Douce France sur Youtube.
1945. Après la guerre, Trenet est le premier à donner un récital de chansons (au Théâtre de l’Étoile) et ce refrain sera naturellement au programme. Il encouragera ses amis Montand et Aznavour à faire de même et toutes les vedettes l’imiteront ensuite.
Écrite sous l’Occupation allemande, cette chanson passe pour un hymne de résistance. Mais à la Libération, la commission d’épuration le condamne pour avoir chanté devant l’ennemi. Trenet n’est pas le seul artiste à être ainsi « inquiété ». Il avouera par ailleurs que cette sombre période de l’Histoire ne l’a pas véritablement inspiré…
Reste ce refrain inoubliable (enregistré en 1947). Perpétuellement créateur, écrivant La Mer en quelques minutes sur un coin de table, « le Fou chantant » fera aussi carrière en Amérique, se révélant un show man à l’aise devant tous les publics et accumulant les « bis » pour ne pas sortir de scène, jusqu’à ses (derniers) adieux à 85 ans. Trenet nous laisse quelque mille titres et inaugure la belle époque de la chanson française.
La plupart des titres à venir sont l’œuvre d’auteurs, compositeurs, interprètes, répertoriés comme ACI à la SACEM, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Pour simplifier, nous ne ferons pas mention des nombreux arrangeurs, adapteurs et autres coauteurs légaux qui participent souvent à la confection d’une chanson ou à son lancement.
Quand un soldat (1952)
« Quand un soldat s’en va-t-en guerre il a
Dans sa musette son bâton d’maréchal
Quand un soldat revient de guerre il a
Dans sa musette un peu de linge sale
Partir pour mourir un peu
A la guerre à la guerre
C’est un drôle de petit jeu
Qui n’va guère aux amoureux (…)
Quand un soldat s’en va-t-en guerre il a
Des tas d’chansons et des fleurs sous ses pas
Quand un soldat revient de guerre il a
Simplement eu d’la veine et puis voilà. »2Yves MONTAND (1921-1991), interprète, paroles et musique de Francis Lemarque
Écoutez Quand un soldat sur Youtube.
Sa première chanson « engagée », son antimilitarisme est acclamé par le (grand) public, mais il doit la retirer pour accéder à certaines scènes subventionnées, tandis que d’autres titres sont interdits d’antenne (nationale).
D’origine italienne (né Ivo Livi), chanteur populaire, acteur vedette et homme engagé dans diverses causes (avec sa femme Simone Signoret), il s’est parfois trompé, mais sut toujours le reconnaître. Aimé autant que détesté pour cela, c’est surtout un remarquable professionnel dans quelque genre qu’il pratique. Il s’impose notamment au music-hall, bien avant la mode du one-man-show. En 1953, son récital parfaitement construit reste à l’affiche du Théâtre de l’Étoile huit mois à guichets fermés (un record) : premier double album 33 tours enregistré en public, leçon de music-hall toujours exemplaire.
Montand est jeune, il exprime la jeunesse avec une conviction et un dynamisme stupéfiants. Il est naturel, il ne pose pas, il est en scène comme à la ville. C’est le copain, le camarade, le grand frère, un homme simple issu du peuple. Il ne cesse de faire des progrès constants (sa liaison avec Édith Piaf y contribue), il sent ce qui touche le public et pratique le ménage des genres. C’est aussi un modèle de courage, de volonté et de dignité, qui parvient à chanter en dépit de l’hostilité viscérale de ses détracteurs. Quand un groupe de fascistes s’installe bruyamment au premier rang pour saboter son tour de chant, il continue, impassible et sûr de lui. Il affiche des réactions épidermiques, saines, face à toute censure, qu’elle soit morale ou politique.
La Mauvaise réputation (1952)
« Le jour du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas
Cela ne me regarde pas
Je ne fais pourtant de tort à personne
En n’écoutant pas le clairon qui sonne
Mais les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux
Non, les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux
Tout le monde me montre au doigt
Sauf les manchots, ça va de soi. »3Georges BRASSENS (1921-1981), auteur, compositeur, interprète
Écoutez La Mauvaise réputation sur Youtube.
La chanson eut un retentissement médiatique considérable. L’artiste plutôt secret et discret se retrouva sur le devant de la scène, même si ce grand ACI (auteur, compositeur, interprète de presque tous ses titres) ne cherchait pas vraiment le feu des projecteurs ! À l’inverse de Trenet ou Montand, il souffrait d’un mauvais trac qui le paralysait. Dans un tout autre style, Léo Ferré se révèlera lui aussi un grand « non-carriériste ».
Boycotté par les stations de radio, premier des médias pour lancer une chanson et un artiste à cette époque, La Mauvaise réputation n’en devient pas moins et très rapidement un tube antimilitariste et anticonformiste. L’humour l’emporte naturellement et tout en douceur sur la violence de cette intime conviction.
Militant libertaire, rappelons que Brassens adhéra à la Fédération anarchiste de 1946 à 1948. Mais un authentique « anar » ne peut pas « marcher au pas » des autres, fussent-ils anarchistes. Rappelons aussi toutes les nuances de l’anarchie, de gauche ou de droite, individualiste ou terroriste, sans parler de toutes les « écoles », entre Proudhon notre premier socialiste et Bakounine, philosophe russe, révolutionnaire, théoricien de l’anarchisme et précurseur du socialisme libertaire.
Le Déserteur (1954)
« Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter… »4Boris VIAN (1920-1959), auteur, compositeur et interprète
Écoutez Le Déserteur sur Youtube.
Chanson antimilitariste française par excellence, devenue hymne pacifiste. Censurée une première fois de passage à la radio en 1954, la deuxième version est interdite de vente et de diffusion jusqu’en 1962.
Boris Vian est un touche-à-tout surdoué, pressé de vivre et de créer, en raison d’une maladie de cœur. Ingénieur, écrivain, traducteur, poète, parolier, critique musical, trompettiste de jazz, directeur artistique, scénariste, acteur et peintre, il commence une nouvelle carrière d’ACI. La chanson sera sa nouvelle arme artistique. Longtemps intéressé par les chansons contestataires et antimilitaristes du XIXe et du début du XXe siècle, il s’inscrit dans la longue lignée des chanteurs engagés tels Montéhus (Gloire au 17ème, La Butte rouge). Sans oublier les anonymes (La Chanson de Craonne en 1917).
Composé en février 1954 avec l’arrangeur et ancien G.I. américain Harold B. Berg, Le Déserteur arrive à une époque critique de l’Histoire : dernière année de la guerre d’Indochine engagée par la France depuis 1946, défaite de l’armée française à Diên Biên Phu en mai 1954, alors que naît un nouveau conflit colonial : la guerre d’Algérie.
Dans ce contexte, Boris Vian lance une bombe musicale : appel à la désertion adressé au Président de la République et qui finit par une menace : « Si vous me condamnez / Prévenez vos gendarmes / Que j’emporte des armes / Et que je sais tirer. » Dans une seconde version, il atténue le propos, mais le rend d’une certaine manière plus subversif : « Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je n’aurai pas d’armes / Et qu’ils pourront tirer. »
La guerre d’Indochine était une guerre coloniale avec une armée de métier, mais le conflit algérien va faire appel aux volontaires comme aux jeunes conscrits français. Le refus d’aller à la guerre vaut alors désertion. Dans un climat devenu explosif, Le Déserteur deviendra l’hymne antimilitariste des jeunes soldats envoyés en Algérie. Ainsi naît une authentique chanson historique.
Blowin’ in the Wind (1962)
« How many roads must a man walk down
Before you call him a man?
How many seas must a white dove sail
Before she sleeps in the sand?
Yes, and how many times must the cannonballs fly
Before they’re forever banned?
The answer, my friend, is blowin› in the wind
The answer is blowin› in the wind.”
(« Combien de routes un homme doit-il parcourir
Avant que vous ne l’appeliez un homme ?
Combien de mers la colombe doit-elle traverser
Avant de s’endormir sur le sable ?
Oui, et combien de fois doivent tonner les canons
Avant d’être interdits pour toujours ?
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,
La réponse est soufflée dans le vent. »)5Bob DYLAN (né en 1941), auteur, compositeur et interprète
Écoutez Blowin’ in the Wind sur Youtube.
En Amérique, un jeune chanteur folk apparemment peu médiatique veut convaincre les tièdes et les timides de s’engager dans le combat pour les droits civiques, tout en dénonçant le pire des défauts de l’espèce humaine à ses yeux : l’indifférence. Cette chanson au retentissement mondial va vite devenir l’un des protest songs les plus symboliques.
La mélodie est inspirée d’une chanson folk d’anciens esclaves émigrés au Canada, “No More Auction Block”. Les questions rhétoriques ponctuant les paroles s’inspirent de références bibliques et nombre de congrégations religieuses adoptent ce morceau. Composé et interprété par un blanc, Blowin’ in the Wind s’impose dans la communauté afro-américaine comme l’un des hymnes du mouvement pour les droits civiques, quand la contestation commence : donc, mission accomplie. Cependant que Bob Dylan est lancé, avec son physique ingrat et ses dons multiples, auteur-compositeur-interprète, musicien, peintre, sculpteur, cinéaste et poète.
Consécration en 2016, il reçoit le prix Nobel de littérature « pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique. » L’Américain de 75 ans devient le premier musicien récompensé par l’académie depuis la création du prix en 1901. « C’est dur à croire ! » dit-il lui-même après deux semaines de silence… Fuyant toujours le star-system, il ne vient pas à la remise des prix, prétextant d’autres engagements. Patti Smith viendra chercher la médaille à sa place et lire un texte signé de lui.
Autre titre de « gloire », Bob Dylan fit couple (amoureux et professionnel) avec Joan Baez, la grande voix du folk américain que nous retrouverons en 1971.
Göttingen (1964)
« Bien sûr, ce n’est pas la Seine,
Ce n’est pas le bois de Vincennes,
Mais c’est bien joli tout de même,
À Göttingen, à Göttingen.
Pas de quais et pas de rengaines
Qui se lamentent et qui se traînent,
Mais l’amour y fleurit quand même,
À Göttingen, à Göttingen.
Ils savent mieux que nous, je pense,
L’histoire de nos rois de France,
Herman, Peter, Helga et Hans,
À Göttingen.
Et que personne ne s’offense,
Mais les contes de notre enfance,
« Il était une fois » commence
À Göttingen. »6BARBARA (1930-1997), auteur, compositeur et interprète
Écoutez Göttingen sur Youtube.
En 1964, l’ex-enfant juive (née Monique Serf) se décide à venir faire un récital en Allemagne et dédiera la chanson à cette ville et ses habitants qui l’ont reçue avec ferveur. Peut-être en signe de rédemption… Comme Nantes et L’Aigle noir, ce titre participe aujourd’hui encore de la légende qui entoure « la Dame en noir », objet d’un véritable culte de son vivant.
Autre contexte politique : l’Allemagne et la France se sont officiellement réconciliées. Le traité d’amitié franco-allemand, dit traité de l’Élysée, est un traité bilatéral entre la République fédérale d’Allemagne et la République française, signé au palais de l’Élysée le 22 janvier 1963 par le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle. Il définit le cadre d’une coopération entre ces deux pays en divers domaines. Été 1965, on célèbrera le vingtième anniversaire de la fin de la guerre.
Barbara qui dut se cacher pour échapper à l’extermination appelle ainsi à la réconciliation définitive avec les « blonds enfants de Göttingen » et exprime à sa manière solennelle et douce que la paix est enfin venue entre ces deux pays ennemis depuis plus d’un siècle – rappelons la Prusse de Bismarck, le Chancelier de fer, et la « question d’Alsace-Lorraine », tragédie de la Troisième République.
En 1981, on retrouvera l’artiste toujours vibrante pour saluer l’arrivée de la gauche au pouvoir, incarnée par le président Mitterrand une rose à la main (Regarde), et militante active sur le terrain dans les années sida (pandémie identifiée en 1983).
Je ne chante pas pour passer le temps (1965)
« Il se peut que je vous déplaise en peignant la réalité
Mais si j’en prends trop à mon aise, je n’ai pas à m’en excuser
Le monde ouvert à ma fenêtre que je referme ou non l’auvent
S’il continue de m’apparaître, comment puis-je faire autrement ?
Je ne chante pas pour passer le temps. »7Jean FERRAT (1930-2010), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Je ne chante pas pour passer le temps sur Youtube.
C’est une authentique profession de foi et le titre vaut définition de la « chanson engagée ». Ferrat multiplia ainsi les « chansons à texte » et ce n’est pas un hasard s’il est l’artiste le plus cité dans cette « Histoire en chantant » – à suivre avec La Montagne, Camarade, Ma France. On pourrait aussi ajouter Nuit et brouillard (titre du film d’Alain Resnais sur les camps de concentration où mourut le père de Ferrat, juif émigré de Russie), Potemkine (hommage à la mutinerie des marins du cuirassé sous la Révolution russe de 1905), Au printemps de quoi rêvais-tu ? (l’une des rares chansons sur Mai 68).
C’est aussi l’un des chanteurs les plus régulièrement censuré, avec sa voix douce et ses mélodies sentimentales : chose à peine imaginable aujourd’hui, à l’ère du rap le plus agressif et des flots d’invectives sur les réseaux sociaux. Compagnon de route du Parti communiste (comme nombre d’intellectuels à l’époque), Ferrat sait aussi prendre ses distances sur divers sujets. Mais il restera l’admirateur inconditionnel d’Aragon (communiste inconditionnel), mettant en musique une trentaine de ses poèmes (dont Les Yeux d’Elsa tout entier voués à l’amour de sa femme).
La Montagne (1965)
« Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie, loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné
Les vieux, ça n’était pas original
Quand ils s’essuyaient machinal, d’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau et manger la tomme de chèvre
Pourtant, que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver ? »8Jean FERRAT (1930-2010), auteur, compositeur, interprète
Écoutez La Montagne sur Youtube.
Avant d’acheter une vieille ferme sur cette terre ardéchoise qui l’a séduit pour la vie, le Parisien gratte sa guitare en quête d’une mélodie à la fois simple et éloquente. L’artiste inspiré y met tout son nouvel amour cévenol : « En deux ou trois heures, pas plus. Après j’ai fignolé », dira Ferrat habitué à plus de lenteur. En mots précis, il chante l’exode rural, « les vieux », le respect pour la belle ouvrage, le courage, la tranquille endurance, les vignes qui donnent le vin aigrelet, le minimalisme paysan bien différent de la pauvreté.
On peut y voir la première profession de foi écologique, au sens noble du terme : « L’écologie, pour moi, ce n’est pas seulement la nature, les petits oiseaux, les fleurs, les châtaignes, c’est la vie des hommes dans ces lieux-là. » Ferrat dénonce l’urbanisation des « Trente glorieuses » (1945-1975) et la perte des valeurs terriennes, avec le douloureux constat des villages qui se meurent dans l’indifférence générale. Les citadins qui accoururent sur les hauts plateaux pour garder les moutons l’espace d’une saison et se lancer dans la fabrication du fromage de chèvre après Mai 68 furent vite découragés. Quant à l’ingénieur José Bové, il ne prit goût à la contestation sur le plus grand causse du sud du Massif central qu’en 1973. Jean Ferrat, dans sa chanson mythique, avait prédit tout ça, avec l’écologie politique accédant au statut de science pour initiés ou babas cools post-soixante-huitards.
Chanson « poétique », l’œuvre est aussi « sociologique » et « politique », sans jamais afficher de prétentions théoriques. L’artiste insiste sur cette dimension humaine : « La Montagne » évoque quelque chose qui touche énormément les gens : l’abandon de la terre natale. Presque tous les Parisiens sont fils ou petit-fils de paysans, alors, il y a un pincement au cœur. » Et Ferrat fait passer le message, aussi vrai qu’il « ne chante pas pour passer le temps. »
Ni Dieu, ni maître (1965)
« (…) Ces bois que l’on dit de justice et qui poussent dans les supplices
Et pour meubler le sacrifice avec le sapin de service
Cette procédure qui guette ceux que la société rejette
Sous prétexte qu’ils n’ont peut-être ni Dieu ni maître
Cette parole d’Évangile qui fait plier les imbéciles
Et qui met dans l’horreur civile de la noblesse et puis du style
Ce cri qui n’a pas la rosette, cette parole de prophète
Je la revendique et vous souhaite ni Dieu ni maître. »9Léo FERRÉ (1916-1993), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Ni Dieu, ni maître sur Youtube.
Chanson d’inspiration libertaire, emblématique du style de l’artiste perpétuel révolté, reprenant la célèbre formule « Ni Dieu, ni maître ! » du révolutionnaire socialiste Auguste Blanqui, devenue au fil du temps l’une des devises célèbres du mouvement anarchiste.
Avec Le Condamné à mort de Jean Genet chanté par Hélène Martin en 1961, Ni Dieu ni maître est aussi l’une des chansons mémorables dénonçant la peine de mort - déjà abhorrée par Victor Hugo dans deux romans de jeunesse, Le Dernier jour d’un condamné (1829) et Claude Gueux (1834) - et finalement abolie en France en 1981.
Au lendemain de Mai 68, Ferré l’anarchiste récidivera, plus véhément que jamais avec Les Anarchistes (1969) : « Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent / La plupart Espagnols allez savoir pourquoi / Faut croire qu’en Espagne on ne les comprend pas / Les anarchistes / Ils ont tout ramassé / Des beignes et des pavés / Ils ont gueulé si fort / Qu’ils peuvent gueuler encore / Ils ont le cœur devant / Et leurs rêves au mitan / Et puis l’âme toute rongée / Par des foutues idées / Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent / La plupart fils de rien ou bien fils de si peu / Qu’on ne les voit jamais que lorsqu’on a peur d’eux / Les anarchistes / Ils ont un drapeau noir / En berne sur l’Espoir / Et la mélancolie / Pour traîner dans la vie / Des couteaux pour trancher / Le pain de l’Amitié / Et des armes rouillées / Pour ne pas oublier / Qu’y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent / Et qu’ils se tiennent bien le bras dessus bras dessous / Joyeux et c’est pour ça qu’ils sont toujours debout / Les anarchistes. »
Avec Ferré, on retrouve le contraste toujours efficace et sincère entre le charme de la voix et la violence du propos, mais contrairement à Ferrat, son contemporain et presque homonyme, Ferré finit par imploser ou même exploser en scène, dévoilant une agressivité aussi authentique que spectaculaire. Son Thank you Satan devient une chanson emblématique de l’anarchiste hurlant contre la censure: « … et que l’on ne me fasse point taire / et que je chante pour ton bien / dans ce monde où les muselières / ne sont pas faites pour les chiens ».
Autre différente avec Ferrat qui aura toujours le cœur à gauche et se conduira en militant pour toutes les causes qu’il défend, Ferré est un authentique « anar de droite », affichant sa liberté provocatrice face au pouvoir et à la société comme au show-biz dont il refuse les codes, imposant des chansons d’une demi-heure qui ne peuvent passer sur les ondes radio, des sujets tabous (son amour avec une guenon, sa Pépée, chimpanzé qu’il impose comme membre de la famille à la deuxième femme de sa vie), des révoltes tonitruantes.
Référence incontournable de la chanson française, mêlant l’amour et la révolte, le lyrisme et le registre familier, l’érudition et la provocation, le sublime et l’ironie grinçante, la plus grande simplicité et la démesure épique, Ferré dépeint des états d’âme plus qu’il ne raconte des histoires. Son chant secoue plus qu’il ne flatte et séduit malgré tout, par la force du génie qui s’impose… Sans parler de son humour joyeux qui fait merveille dans Jolie Môme, adoptée par Juliette Greco : « La chanson la plus sexiste qui soit. Moi, je l’ai retournée à l’envers. J’en ai fait un objet de provoc et pas du tout de soumission. Par respect pour les femmes, je détourne. » Le destin d’une œuvre est parfois insondable.
Les Ricains (1967)
« Si les Ricains n’étaient pas là
Vous seriez tous en Germanie
À parler de je ne sais quoi
À saluer je ne sais qui
Bien sûr les années ont passé
Les fusils ont changé de mains
Est-ce une raison pour oublier
Qu’un jour on en a eu besoin?
Un gars venu de Géorgie
Qui se foutait pas mal de toi
Est v’nu mourir en Normandie
Un matin où tu n’y étais pas
Bien sûr les années ont passé
On est devenus des copains
À l’amicale du fusillé
On dit qu’ils sont tombés pour rien
Si les Ricains n’étaient pas là
Vous seriez tous en Germanie
À parler de je ne sais quoi
À saluer je ne sais qui. »10Michel SARDOU (né en 1947), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Les Ricains sur Youtube.
Courte, claire, simple… C’est devenu un classique du répertoire de l’artiste, l’un des plus populaires de la variété française. Il a pourtant suscité la critique, pour différentes raisons idéologiques… qui parfois s’additionnent au point de devenir un cas d’école !
Les antifascistes accusent Sardou de complaisance quand il mime le salut hitlérien lors de son tour de chant, dans l’hypothèse où les Ricains ne seraient pas venus nous libérer… Les communistes dénoncent le caractère antisoviétique de l’interprétation par son assimilation du soviétisme au nazisme… Les antiaméricains accusent l’auteur d’atlantisme (alliance militaire avec les États-Unis à l’heure de la guerre froide)… Les ex-collaborationnistes relativisent les méfaits de l’occupation allemande. Quant aux gaullistes, ils dénoncent la minimisation de la participation française à la libération du pays.
C’est l’exemple type du mauvais procès fait parfois à un artiste et Michel Sardou sera souvent visé – en août 2023, une vaine polémique se déchaîne encore, quand Juliette Armanet dézingue sur un media belge Les Lacs du Connemara : « Ça me dégoûte. Le truc très sectaire, la musique est immonde… C’est de droite, rien ne va ! » Le show-biz réagit : « Mademoiselle Armanet ferait mieux de chanter plutôt que de prononcer des paroles définitivement infectes » réplique le compositeur et chanteur Jacques Revaux à BFMTV. Sheila prend le même parti, les politiciens s’en mêlent… Contrairement à la formule d’Aristote, la musique n’adoucit pas les mœurs !
Paris Mai (1968)
« Mai mai mai Paris mai
Mai mai mai Paris
Mai mai mai Paris mai
Mai mai mai Paris
Le casque des pavés ne bouge plus d’un cil
La Seine de nouveau ruisselle d’eau bénite
Le vent a dispersé les cendres de Bendit
Et chacun est rentré chez son automobile.
J’ai retrouvé mon pas sur le glabre bitume
Mon pas d’oiseau forçat enchaîné à sa plume
Et piochant l’évasion d’un rossignol titan
Capable d’assurer le Sacre du Printemps.
Mai mai mai Paris mai
Ces temps-ci, je l’avoue, j’ai la gorge un peu âcre
Le Sacre du Printemps sonne comme un massacre
Mais chaque jour qui vient embellira mon cri
Il se peut que je couve un Igor Stravinski
Mai mai mai Paris mai
Mai mai mai Paris
Mai mai mai Paris mai
Mai mai mai Paris. »11Claude NOUGARO ( 1929-2004), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Paris Mai sur Youtube.
Tant de slogans sont nés de Mai 68 et si peu de chansons ! « Au printemps, de quoi rêvais-tu ? » interroge l’incontournable Ferrat déjà nostalgique de toutes les occasions ratées, un classique du genre…
Reste cette trouvaille, avec le refrain martelé comme un slogan, deux mots répétés à l’envi en forme de flot torrentiel que rien n’arrête : « Mai mai mai Paris mai / Mai mai Paris… » L’effet est accentué par la durée inhabituellement longue de la chanson (plus de six minutes). Et la prestation scénique du petit taureau toulousain, l’un des géants de la chanson française.
Par son format et son chant scandé, Paris Mai fait aussi penser au slam, genre musical qui connaîtra son essor trente ans plus tard, avant la déferlante du rap.
Dès sa sortie, « jugée subversive », la chanson est censurée, interdite à la radio et à la télévision. Les événements de Mai 1968 sont récents, les autorités craignent de nouveaux troubles. Le texte n’incite nullement à continuer la lutte, mais la simple évocation du sujet pourrait attiser la flamme… L’évocation des « hymnes cramoisis » pourrait passer pour une critique de La Marseillaise, sujet tabou à l’époque.
Avec le temps, Paris Mai devient un classique incontournable, présent sur la plupart des compilations de Nougaro. « Grand amateur de jazz, de musique latine et africaine, jouant sur la musicalité des mots, il s’applique tout au long de sa carrière à unir chanson française, poésie et rythme » résume Wikipédia. Son nom a sans doute disparu des playlists, dommage pour notre époque.
Street Fighting Man (1968)
« Everywhere, I hear the sound of marching, charging feet, boy
Well now what can a poor boy do, except to sing for (ou in) a rock’n’roll band ?
Cause in sleepy London Town there’s just no place for a street fighting man
(« De partout, j’entends le bruit de pas qui défilent et qui chargent, mec
Mais que peut faire un pauvre gars, sinon chanter dans un groupe de rock’n’roll,
Car dans les rues endormies de Londres, il n’y a aucune place pour un émeutier. »)12Mick JAGGER (né en 1943) et les ROLLING STONES
Écoutez Street Fighting Man sur Youtube.
L’enfant le plus terrible du groupe de rock britannique écrit ces mots en plein bouillonnement de la jeunesse occidentale, en France avec Mai 68 comme aux États-Unis dans le contexte de la guerre du Viêt Nam.
C’est aujourd’hui la chanson considérée la « plus politique » des Rolling Stones, toujours chantant, rockant et roulant bien au-delà de l’âge de la retraite et des tempêtes qui ont émaillé son parcours encore à suivre – contrairement aux Beatles où seul Paul McCartney survit avec la même vaillance.
Pour Bruce Springsteen (né en 1949), auteur-compositeur-interprète et guitariste américain, autre artiste vaillant et défiant le temps avec la même énergie, « What can a poor boy do, except to sing in a rock’n’roll band » est l’une des plus grandes phrases de tous les temps dans le rock’n’roll, de surcroît marrante à jouer, pleine d’humour » (Pantheon Books, 1987).
De Londres, le vibrant Mick Jagger suivait les événements en France et de l’autre côté de l’Atlantique en ce printemps 1968, alors que rien de tel ne se produit dans la capitale anglaise : « L’heure est venue pour une révolution de palais, mais là où je vis, le jeu à jouer est le compromis. »
Replaçons l’œuvre dans son contexte. En 1995, il explique à propos de notre Mai 68 : « Oui, cela a été une source d’inspiration directe, parce que cela contrastait avec Londres où tout était très calme. Mais il n’y avait pas seulement la France, il y avait aussi l’Amérique, à cause de la guerre du Viêt Nam et ces perturbations sans fin. Je pensais que c’était une très bonne chose à l’époque. Il y avait toute cette violence qui se déroulait, pensez qu’ils ont presque renversé le gouvernement français ! De Gaulle a eu la trouille et il s’est en quelque sorte enfermé dans son palais. Et le gouvernement ne faisait presque plus rien. » On ne peut pas demander à ce jeune Anglais survolté d’être gaulliste !
Camarade (1969)
« C’est un joli nom Camarade, c’est un joli nom, tu sais
Qui marie cerise et grenade aux cent fleurs du mois de mai
Pendant des années Camarade, pendant des années, tu sais
Avec ton seul nom comme aubade, les lèvres s’épanouissaient
Camarade, Camarade
C’est un nom terrible Camarade, c’est un nom terrible à dire
Quand le temps d’une mascarade, il ne fait plus que frémir
Que venez-vous faire Camarade, que venez-vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague que le mois d’août s’obscurcit
Camarade, Camarade
C’est un joli nom Camarade, c’est un joli nom, tu sais
Dans mon cœur battant la chamade, pour qu’il revive à jamais
Se marient cerise et grenade aux cent fleurs du mois de mai. »13Jean FERRAT (1930-2010), auteur, compositeur, interprète
Hommage à la fois poétique et romantique à la qualité de « camarade », signe d’appartenance à la grande famille communiste, cette fraternité qui fit rêver tant d’artistes et d’intellectuels après la guerre de 1939-45. Mais dans le second couplet, Ferrat évoque l’écrasement du « Printemps de Prague » par les soviétiques, le 20 août 1968 : « Ce fut à cinq heures dans Prague que le mois d’août s’obscurcit. »
Jamais le contraste ne fut si évident et efficace entre la forme et le fond : la voix, le timbre d’un authentique chanteur de charme, des mélodies captivantes, et le propos, l’engagement politique, la révolte… Ferrat, c’est décidément l’anti-rap absolu et la reconnaissance du public, authentifiée par des disques de platine. C’est la belle époque de la chanson française – même si le champion du monde des ventes (un milliard) est américain et pas vraiment engagé, Elvis Presley, le King du rock.
Le Métèque (1969)
« Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec et mes cheveux aux quatre vents
Avec mes yeux tout délavés qui me donnent l’air de rêver, moi qui ne rêve plus souvent
Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rôdeur qui ont pillé tant de jardins
Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu sans jamais assouvir sa faim (…)
Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec et mes cheveux aux quatre vents
Je viendrai ma douce captive, mon âme sœur, ma source vive, je viendrai boire tes 20 ans
Et je serai prince de sang, rêveur ou bien adolescent comme il te plaira de choisir
Et nous ferons de chaque jour toute une éternité d’amour que nous vivrons à en mourir. »14Georges MOUSTAKI (1934-2013), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Le Métèque sur Youtube.
Vendeur de livres (de poésie), pianiste (de bar), il entre dans le milieu artiste de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Il rencontre Brassens, un coup de foudre, un maître à écrire dont il prend le prénom pour son pseudo. Une brève liaison avec Piaf lui inspire son premier tube, Milord. Il écrit aussi pour Montand, Barbara, Reggiani… qui devient son ami, mais lui refuse Le Métèque, trop sur mesure pour sa gueule d’émigré italien.
Artiste engagé au moment des événements de Mai 68, Moustaki écrit et corrige, compose et interprète finalement cette ballade romantique qui parle si simplement de lui, étranger un peu éthéré, doux rêveur, sans attache : ce succès international lance l’artiste interprète. En janvier 1970, il donne un premier concert en vedette à Bobino. On découvre ce personnage proche du public, simple et chaleureux. Autre atout assez rare, la nonchalance de cette chanson fait oublier la gravité des questions posées, entre racisme et antiracisme.
Moustaki est égyptien, Mélina Mercouri, grecque, Joe Dassin américain, Rika Zaraï israélienne… Tous ces chanteurs étrangers sont aux sommets des hit-parades en 1969, alors que la France se pose des questions sur le racisme… Cet été-là, Chaban-Delmas est Premier Ministre, Valéry Giscard d’Estaing ministre des Finances et Georges Pompidou a été élu Président de la République, le 15 juin. C’est encore la France post-gaulliste, la « nouvelle société » qui se cherche sans se trouver, la fin de années de rêve (avec Mai 68) avant les années de plomb qui seront politiquement plus dures, plus extrêmes. Et Moustaki, mine de rien, relance l’idée de… la Révolution permanente. Politique fiction ? Ironie de l’Histoire en chantant… Ou chanson prémonitoire…
Sans la nommer (1969)
« Je voudrais sans la nommer vous parler d’elle
Comme d’une bien aimée, d’une fidèle
Une fille bien vivante qui se réveille
A des lendemains qui chantent sous le soleil
C’est elle que l´on matraque
Que l’on poursuit, que l’on traque,
C’est elle qui se soulève, qui souffre et se met en grève,
C’est elle qu’on emprisonne, qu’on trahit, qu’on abandonne
Qui nous donne envie de vivre, qui donne envie de la suivre,
Jusqu’au bout, jusqu´au bout
Je voudrais sans la nommer lui rendre hommage:
Jolie fleur du mois de mai ou fruit sauvage.
Une plante bien plantée sur ses deux jambes,
Et qui traine en liberté ou bon lui semble.
C’est elle …
Je voudrais sans la nommer vous parler d’elle,
Bien aimée ou mal aimée, elle est fidèle,
Et si vous voulez que je vous la présente
On l’appelle Révolution permanente
C’est elle … C’est elle … »15Georges MOUSTAKI (1934-2013), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Sans la nommer sur Youtube.
Dans cette chanson, l’artiste veut rendre hommage à une femme « sans la nommer ». À la fin, on apprend qu’il parle de… la révolution permanente. C’est ce qu’on appelle une bonne « chute ». Surtout que Moustaki cache bien son jeu (et son je, son moi), avec cette apparente nonchalance qui fait tout son charme de « métèque ».
Durant les années 1970, cette chanson deviendra le symbole des mouvements anarchistes et d’extrême gauche. Cette récupération est de bonne guerre. D’autres cas seront plus contestables.
Ma France (1969)
« De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France
Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille
Ma France… »16Jean FERRAT (1930-2010), auteur, compositeur, interprète
Écoutez Ma France sur Youtube.
Hommage à un pays, référence à une Histoire, redonnons la parole à Ferrat l’enchanteur qui continuera jusqu’à la fin sur la même veine, avec le même génie du verbe et de la mélodie - cette alchimie marquant bien la grande et belle époque de la chanson française en relation avec l’Histoire.
Chanson engagée, chanson politique, c’est tout d’abord une déclaration d’amour à la France réelle, dont les deux premiers couplets évoquent les paysages, avec quelques gros plans sur des lieux aimés (la Provence et son soleil, la Bretagne et ses genêts, l’Ardèche et sa bruyère). C’est aussi et surtout une ode à un peuple combattant pour la liberté depuis Robespierre et Victor Hugo jusqu’à mai 1968. Jean Ferrat oppose la France des travailleurs et des valeurs républicaines de Liberté, Égalité, Fraternité à celle de Monsieur Thiers qui réprima la Commune de Paris en 1871. Il interpelle les gouvernants du moment, s’adressant à eux par un « vous » anonyme, mais visant le président de Gaulle d’usurper le prestige de la France, modèle de liberté pour le monde. Sympathisant du Parti communiste français, il rend hommage à ses militants, vendeurs de l’Huma et colleurs d’affiches : « Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien / Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche / À l’affiche qu’on colle au mur du lendemain ».
« Les chansons politiques, quand elles ne sont pas réussies ont l’air de tracts, mais quand elles sont réussies, comme celle-là, elles sont pleines de vérité humaine » dira l’ACI Jean Vasca en parlant de Ma France.
La chanson est interdite d’antenne à l’ORTF pendant deux ans. Ferrat promet de ne revenir à la télé que le jour où il pourra chanter Ma France. Yves Mourousi le présentateur qui n’a peur de rien et ose presque tout brise l’interdiction en diffusant un extrait, interprété en direct par Ferrat depuis le Palais des sports de Paris, le 31 janvier 1970. Bien joué !
Poème sur la 7eme (1970)
« Vous m’affirmez, qu’il y avait du sable
Et de l’herbe, et des fleurs
Et de l’eau, et des pierres
Et des arbres, et des oiseaux?
Allons, ne vous moquez pas de moi
Qui a marché dans ce chemin?
Vous dites qu’il menait à une maison
Et qu’il y avait des enfants qui jouaient autour ?
Vous êtes sûrs que la photo n’est pas truquée ?
Vous pouvez m’assurer que cela a vraiment existé ?
Dites-moi, allons, ne me racontez plus d’histoires
J’ai besoin de toucher et de voir pour y croire
Vraiment, c’est vrai, le sable était blanc ?
Vraiment, c’est vrai, Il y avait des enfants
Des rivières, des chemins
Des cailloux, des maisons ? »17Johny HALLIDAY (1943-2017), interprète, sur un texte de Philippe LABRO (né en 1936), musique de Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Écoutez Poème sur la 7eme sur Youtube.
À la fin des années 60, notre rocker national veut aborder un sujet pas encore à la mode (écologique) et auquel il est pourtant sensible : l’environnement. Il demande au journaliste Philippe Labro de lui écrire un texte. C’est un coup de génie et une anomalie étonnante dans la longue et remarquable carrière de Johnny. Une pépite à redécouvrir…
Scandé plus que chanté sur un « tube » classique, voici le récit apocalyptique d’un homme projeté dans un avenir cauchemardesque, doutant que l’eau fraiche, les arbres, les fleurs n’aient jamais existé. Dans la même veine, en 1973, le réalisateur américain Richard Fleischer tournera l’inoubliable Soleil vert (Soylent Green), inspiré d’un roman d’anticipation peu connu, Make Room (1966) signé Harry Harrison.
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