« Petite histoire de la com », sixième jour.
Napoléon III, cas de com unique en son genre ! Pas doué au départ, le neveu de Napoléon est porté par le Nom dont il hérite - cadeau et fardeau du destin. « Grande incapacité méconnue », arriviste et besogneux, il déjouera les pronostics des professionnels de la politique. Haï par Hugo, « Napoléon le Petit » remporte tous ses référendums et ses élections, peaufinant son image, manipulant l’opinion, rassuré par sa cote de popularité - et favorisé par de vrais succès économiques, militaires et diplomatiques. Jusqu’à l’effondrement du Second Empire à Sedan (1870) : Sire de Fish-ton-kan vaincu et ridiculisé, récemment réhabilité par les historiens.
Feuilletez notre Chronique sur le Second Empire et la Troisième République pour tout savoir.
« Une Chambre ressemble trop à un théâtre où les grands acteurs seuls peuvent réussir. »2183
(1808-1873), Améliorations à introduire dans nos mœurs et nos habitudes parlementaires (1856)
En ces temps de grande éloquence politique, il est conscient de ses insuffisances à la tribune, quand il est élu député au début de la Deuxième République. Le talent lui venant en parlant, il se révélera, au fil des discours et des années, un vrai personnage public et populaire.
Historien contemporain, Tocqueville résume clairement son cas et sa politique : « Louis-Napoléon se croyait fermement l’homme de la destinée et l’homme nécessaire. S’il avait une sorte d’adoration abstraite pour le peuple, il ressentait très peu de goût pour la liberté […] Il lui fallait des croyants en son étoile et des adorateurs de sa fortune. »
« Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. »2179
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours du 21 septembre 1848
Le député vise la présidence et commence à faire campagne. Triomphe du « citoyen Bonaparte », élu en décembre au suffrage universel (masculin) par 75 % des votants, (5,5 millions de voix). Il a bien joué, il rassure la majorité d’une France paysanne et bourgeoise, mais ce discours, c’est purement de la com ! La preuve, trois ans après, son coup d’État pour se maintenir au pouvoir malgré la Constitution - 2 décembre 1851, anniversaire de la victoire d’Austerlitz ! Dénoncé dans Histoire d’un crime et sans attendre la suite (l’Empire), Hugo s’exile pour près de vingt ans !
« La France a compris que je n’étais sorti de la légalité que pour entrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m’absoudre… »2220
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), plébiscité les 21 et 22 décembre 1851
Le pays approuve massivement le coup d’État : 7 439 216 oui contre 640 737 non. Mais c’est un scrutin sous haute surveillance et l’opinion publique est manipulée. La présidence de la République assurée pour dix ans, ce n’est pas suffisant. La propagande se remobilise. Le 15 août, jour de la Saint-Napoléon, devient fête nationale. Et le prince président refait sa « campagne de France », triomphalement accueilli aux cris de « Vive l’empereur ! » Les préfets veillent, actifs, dociles. Mais le personnage a incontestablement acquis autorité et popularité. C’est la « folie impériale ».
« Représentant à tant de titres la cause du peuple et la volonté nationale, ce sera la nation qui, en m’élevant au trône, se couronnera elle-même. »2231
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 4 novembre 1852
Message du prince-président à la nation, invitée à un nouveau plébiscite. Fin novembre, la nation répond massivement oui : 7,8 millions de voix, contre 250 000 non. Le 2 décembre, toujours en souvenir d’Austerlitz, l’Empire est proclamé. Par respect pour l’Aiglon, le fils de l’Aigle, éphémère Napoléon II, il prendra le nom de Napoléon III.
« L’Empire, c’est la paix. »2228
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Bordeaux, 9 octobre 1852
Message destiné aussi aux pays voisins : il faut faire « oublier » les guerres napoléoniennes qui ont coûté cher à l’Europe. Volontaire ou contraint, Napoléon III fera la guerre. Le 20 mars 1855, il déclare dans une allocution à la garde impériale : « L’armée est la véritable noblesse de notre pays. » La communication n’est pas à une contradiction près et il n’a pas le choix : l’armée doit être, avec l’Église, l’administration et la police, un appui pour l’empereur et son régime autoritaire.
« Je ne lis jamais les journaux français, ils n’impriment que ce que je veux. »2259
NAPOLÉON III (1808-1873). Le Guide de la presse (1990), Office universitaire de presse
L’empereur ne manque pas d’humour - peut-être sa seule supériorité sur Napoléon. Et cette fois, il parle vrai. Depuis le 23 février 1852, système de pénalités graduées, de l’avertissement à la suppression, en passant par la suspension. Mais l’autocensure suffit souvent, surtout que la presse d’opposition n’existe plus, après le coup d’État du 2 décembre 1851.
« La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive. »2118
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)
Belle formule, pour le futur candidat. Il profita d’un séjour en prison politique (au fort de Ham) pour exposer ses théories économiques influencées par le socialisme utopique de Saint-Simon. Il pourra ensuite se présenter comme le protecteur du monde ouvrier. Sincère ou pas ? Impossible à dire. Un homme peut avoir des sincérités successives, c’est même la règle pour la majorité des hommes politiques. Contraint et politiquement forcé, « l’Empire a fait un demi-tour à gauche » selon le socialiste Proudhon, en 1860, avant le vrai tournant libéral au printemps 1870.
« Mon enfant, tu es sacré par ce plébiscite. L’Empire libéral, ce n’est pas moi, c’est toi ! »2304
NAPOLÉON III (1808-1873), à son fils, le prince impérial Eugène Louis Napoléon, âgé de 14 ans, 8 mai 1870
L’empereur rayonne et en oublie son mal (calculs dans la vessie), après le plébiscite triomphal du 8 mai : 7 350 000 oui (et 1 538 000 non) pour approuver le sénatus-consulte du 20 avril 1870. L’Empire devient une monarchie parlementaire : ministres responsables devant les Chambres qui ont aussi l’initiative des lois. L’empereur a joué et gagné, refaisant appel au peuple, comme il y a vingt ans : « J’ai retrouvé mon chiffre », dit-il. L’opposition républicaine se divise et Gambetta résume la pensée de tous : « L’Empire est plus fort que jamais ! » C’est oublier la Prusse.
« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre les mains de Votre Majesté. Je suis, de Votre Majesté, le bon frère, Napoléon. »2318
NAPOLÉON III (1808-1873), Lettre à Guillaume Ier, Sedan, 1er septembre 1870. La Débâcle (1893), Émile Zola
Communication involontaire ? Ironie du destin ? On croirait entendre Napoléon à son abdication après Waterloo, sauf que l’ennemi n’est plus l’Angleterre, mais l’Allemagne. Le mot de la fin est un cri du cœur d’ailleurs non exaucé : « Ce qui peut m’arriver de pire, c’est d’être fusillé, cela vaut mieux que de mourir en exil et dans son lit. » Le Second Empire finit aussi mal que le Premier pour la France, mais le dernier empereur n’entre pas dans la légende du récit national.
La com politique, affaire à suivre prochainement sur notre site. Nous passerons en revue tous les présidents de la Cinquième République, De Gaulle, VGE, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande.
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