Après la Fac de Nanterre et la Sorbonne de Paris, l’action rebondit à l’Odéon, nouveau théâtre des événements, au cœur du Quartier latin. Le général de Gaulle est de retour et siffle la fin de la récré. Mais la « chienlit » gagne tout le pays, bloqué par les grèves, manifestant et parlant dans un climat de fête révolutionnaire.
Quand l’assemblée nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent devenir des assemblées nationales.3053
Slogan, soir du 15 mai 1968 à l’Odéon-Théâtre de France
La prise de l’Odéon, mise aux voix le 13 mai, fit l’unanimité à Censier. Lieu symbolique, et si près du Quartier latin ! Ce mercredi soir, l’idée jaillit dans un cri : « Occupons l’Odéon. » Un coup de génie médiatique : l’action rebondit, mais les dommages collatéraux sont culturellement déplorables.
Tout est dada.
L’art, c’est de la merde.
Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.3054Slogans, nuit du 15 mai 1968 à l’Odéon
Dans la nuit, la création s’en donne à cœur joie. Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, codirectrice, voient leur rideau de fer se couvrir de ces graffitis. L’état de la salle, des coulisses, des costumes et des loges sera ce qu’on imagine, après quelques jours et nuits d’occupation. En attendant…
Jean-Louis déchaîne une ovation qui fait trembler les lustres en déclarant : « Barrault n’est plus le directeur de ce théâtre, mais un comédien comme les autres. Barrault est mort, mais il reste un homme vivant. Alors que faire ? »
Malraux, ministre, lui retirera la direction du théâtre : ni l’Odéon ni Barrault ne s’en remettront. Le monde du spectacle est tout entier gagné par la contestation. À Cannes, le festival, ouvert le 10 mai, est pris d’une fièvre contestataire, avec Godard, Truffaut, Polanski et Louis Malle, et s’interrompra prématurément le 19 mai.
Les ouvriers enchaînent, entre grèves sauvages et grèves officielles organisées par les syndicats plus ou moins dépassés.
« On peut négocier avec le patronat après une grève, jamais avant. »3055
Eugène DESCAMPS (1922-1990), secrétaire général de la CFDT (Confédération française démocratique du travail)
Dans la nuit du 15 au 16 mai 1968, de jeunes OS se sont barricadés derrière les grilles de l’usine Renault de Cléon, aux portes de Rouen. Cette grève sauvage fait 14 lignes en page 6 dans L’Humanité du 16 mai.
Autre nouvelle du jour, la grève « officielle » (organisée par les syndicats) touche une des usines Renault, belle occasion de titrer : « Billancourt est occupé ! » Les étudiants se précipitent pour fraterniser. Serge July dira en 1986 : « Notre obsession était le lien avec la classe ouvrière. » Mais les militants syndicalistes récusent cette solidarité et leur ferment les grilles au nez. La radio annonce 70 000 grévistes. Ils seront 300 000 le lendemain 17 mai. La France débraie.
« La récréation est finie. »3056
Charles de GAULLE (1890-1970), Orly, samedi 18 mai 1968
Débarquant d’avion, de retour de Roumanie, avec 12 heures d’avance, il dit aussi : « Ces jeunes gens sont pleins de vitalité. Envoyez-les donc construire des routes. » Et le lendemain…
« La réforme, oui, la chienlit, non. »3057
Charles de GAULLE (1890-1970), Bureau de l’Élysée, dimanche matin, 19 mai 1968
Le président réunit les responsables de l’ordre qui n’existe plus, demande le nettoyage immédiat de la Sorbonne et de l’Odéon. Mais cela risque de déclencher un engrenage de violences, et ses interlocuteurs obtiennent du général de Gaulle un sursis d’exécution. Il faut éviter l’irréparable.
Riposte étudiante, le 20 mai : « La chienlit, c’est lui. » Sous une marionnette en habit de général, aux Beaux-Arts.
La chienlit ? Ce sont surtout 6 à 10 millions de grévistes. Et tout ce qui s’ensuit : usines occupées, essence rationnée, centres postaux bloqués, banques fermées. Les ménagères stockent. Les cafés sont pleins. La parole se déchaîne jusque dans les églises. La moindre petite ville a son mini-Odéon et sa micro-Sorbonne.
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